13/11/2010
Parti tôt, pris mon chien #2
"Une justice ironique, une forme de jurisprudence pour laquelle Jackson avait une affection particulière."
Mères assassinées, mères sans coeur qui au contraire s'acharnent à ne pas mourir, enfants enlevés mais qui font preuve comme souvent chez Kate Atkinson d'une résilience sans ostentation, policiers véreux et au milieu de ce maelström vertigineux orchestré de main de maître par l'auteure, notre détective privé préféré, Jackson Brodie.
Jackson qui n'est nommé qu'à la page 50 et manque parfois se faire voler la vedette à la fois par le chien du titre et surtout par une nouvelle venue, Tracy Waterhouse , formidable personnage de policière capable tout à la fois d'estourbir un malfrat d'un coup de sac à main (dûment lesté d'une torche de police il est vrai) que d'effectuer un bien curieux achat.
Kate Atkinson nous balade (dans tous les sens du terme !) entre 1975 et notre époque dans un Yorshire où plane l'ombre d'un tueur en série et où ses personnages se déplacent sans cesse pour revenir à leur point de départ : Leeds.
Une fois de plus l'auteure se révèle la reine de la frustration, jouant avec virtuosité de l'attente du lecteur et de toutes les possibilités de manipulation que lui offre l'écriture. Péripéties, fausses pistes, le lecteur ne sent pourtant jamais perdu car Kate Atkinson excelle à se glisser aussi bien dans la peau d'une vieille actrice qui perd à la fois son porte-monnaie et ses mots , que dans celle d'un vieux policier tenaillé par l'idée de vengeance. Atkinson maîtrise totalement la forme de son roman ainsi que son style, parsemé de petites pépites d'humour (parfois noir), de remarques caustique et de citations. Qu'une vieille actrice se remémore des vers de Shakespeare, en particulier de La tempête, comme un écho de celle qui se déroule dans son crâne, n'a en soi rien d'étonnant mais qu'un homme supposé fruste en fasse autant avec des vers d'Emily Dickinson l'est déjà beaucoup plus ! Et c'est comme ça tout au long de ce roman jubilatoire où le lecteur se fait sans cesse berner et en redemande, ce que Atkinson a aussi prévu car tous les mystères ne sont pas forcément éclaircis...Un roman qui se dévore à toute allure !
Bravo à l'équipe éditoriale qui a réussi le tour de force d'en dire suffisamment pour donner envie sans pour autant révéler quoi que ce soit des multiples chausse-trappes de ce texte dans la 4 ème de couv' !
Bravo aussi à la traductrice , lsabelle Caron !
Kate Atkinson, Parti tôt, pris mon chien, Editions de Fallois 2010 , 388 pages épatantes !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (29) | Tags : kate atkinson, jackson brodie, tracy waterhouse
12/11/2010
La maison sur le divan
Que l'on soit casanier ou nomade, la maison est un lieu qui parle toujours à notre coeur. Patrick Estrade, psychologue, psychothérapeute et conférencier l'a bien compris et lui consacre un essai sous titré "Tout ce que nos habitations révèlent de nous."
Comme il le reconnaît lui même la thématique est vaste et s'il fait référence à divres romans, de nombreux cas rencontrés lors de sa pratique thérapeutique voire de son expérience personnelle, ce qui donne une touche de vécu très appréciable, chacun ne retrouvera peut être pas LE problème que lui pose sa relation à la maison mais récoltera néanmoins des pistes qui lui permettront sans doute de l'éclairer.
J'ai trouvé le traitement du sujet sympathique mais un peu léger, beaucoup de bon sens néanmoins dans la résolution des problèmes posés, pas de prêt à penser applicable à tous et un éventail très large des problèmes évoqués (des déménagements incessants à la cohabitation des familles recomposées). Un mezze où chacun pourra picorer avec plaisir.
La maison sur le divan, Patrick Estrade, Pocket 2010 , 373 pages qui invitent à tenir un carnet de route consacré à nos maisons.
Ps: selon Patrick Estrade les femmes auraient besoin de sécurité et les hommes d'...encouragement. Qu'en pensez-vous ?
06:00 Publié dans très utiles! | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : patrick estrade, maison
11/11/2010
C'est jeudi, c'est philosophie
"La mort, est la précieuse épice de l'aventure. L'aventure , c'est récupérer cette attention à l'autre et à l'existence, qui ne sont possibles que pour celui qui sait qu'il va mourir. La peur de l'aventure, c'est cette peur du passage."
Alice Chalanset citée par Patrick Estrade in La maison sur le divan.
06:00 Publié dans Extraits | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : alice chalanset, patrick estrade
10/11/2010
Chroniques de l'université invisible
Des enfants télépathes ou pratiquant sans le savoir la télékinésie sont enlevés à leurs parents qui, soumis au pouvoir des kidnappeurs,oublient tout de leur existence. Les petits prodiges sont aussitôt conduits à cette université invisible où on entend bien les amener à augmenter et contrôler leurs incroyables capacités.
Nous allons donc suivre trois adolescents aux caractères et aux parcours très différents dans des aventures qui les amèneront à croiser des vampires férus d'informatique mais aussi des exploiteurs d'enfants dignes de Dickens.
Le lecteur ne peut évidemment pas, dans un premier temps, éviter de penser au petit sorcier à lunettes mais le propos de Maëlle Fierpied est totalement différent et l'univers qu'elle crée n'a rien à voir avec le décor de Poudlard. Il se situe plutôt dans un ailleurs de grandes métropoles et les vampires ont ici plus valeur de représentants de minorités aux moeurs différentes et leur aspect pittoresque n'est pas vraiment exploité. L'auteure suit davantage un but pédagogique et entend montrer, entre autres, qu'il ne fait pas bon toujours pas se soumettre sans broncher à une autorité, toute apparemment justifié qu'elle soit.
Les personnages sont bien croqués et on glisse progressivement dans un univers qui n'est pas le notre mais pourrait facilement le devenir. Moi qui n'ai péniblement réussi à lire qu'un tome d'Harry Potter, j'ai lu avec plaisir ces chroniques alternant le chaud et le froid , pleine de rebondissements, un excellent divertissement pouvant déboucher sur une réflexion; voilà qui n'est pas à négliger. Un seul petit bémol : j'aurais aimé que Maëlle Fierpied lâche davantage la bride à son penchant pour les néologismes qui sont ici un vrai régal !
Réunis en un seul volume quatre livres suivis d'annexes et de notes constituent ces Chroniques de l'université invisible.461 pages à découvrir sans plus tarder.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : maëlle fierpied
09/11/2010
Parti tôt, pris mon chien #1
In english : Started early, took my dog
Dans mes bras, Isabelle Caron qui a traduit ce texte paru cet été in England !
17:00 Publié dans Bric à Brac | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : coup de folie, champagne, kate atkinson for ever !
Signé Romain
"Ton absence rend triste et méchant."
Triste et méchant, Romain ? Oui, au début de cette correspondance qui court du 30 juillet, au 17 août 2009 (une lettre par jour), on devine la colère animant cette main qui doit griffer le papier, ce tout jeune homme qui ne supporte pas que sa mère soit partie loin de lui, pour son travail certes, mais aussi pour rejoindre un homme que Romain ne supporte évidemment pas.
Relation qu'on devine fusionnelle donc entre la mère et le fils ,en l'absence d'un père qui ne sera évoqué qu'à la toute fin de ce roman épistolaire, dévoilant par la même occasion un secret de famille.
Alors s'il nous hérisse quelque peu ce Romain , on le voit peu à peu s'adoucir, se calmer passant de la formule d'appel "Maman ? " (dérangeant et violent ce point d'interrogation que l'on retrouve aussi dans sa signature "Ton fils ? " !) à des appellations beaucoup plus tendres.
Le portrait de la vie familiale chez ses grands-parents avec en particulier le débarquement de la famille parfaite est d'une drôlerie extrême, oscillant entre causticité et tendresse rugueuse. Un magnifique portrait, une écriture pleine de rage et d'amour aussi et un magnifique hommage à la littérature car, avant de partir la mère a confié à son fils" "le suc de [ses] plus belles lectures d adolescente" , soit onze livres, ce qui vaudra à Romain, une belle colère mais aussi de superbes découvertes. Un roman qui dit la nécessité de laisser à l'autre son espace, sans pour autant oublier l'amour, un roman initiatique où le personnage est statique dans l'espace mais évolue grâce à l'écriture , à la lecture mais aussi en s'ouvrant aux autres. Magnifique !
Signé Romain, Catherine Gualtiéro, Ecole des Loisirs 2010, 86 pages pleines d'énergie.
Liste ci-dessous !
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : catherine gualtiéro, adolescence
Onze livres en tout. (Livres lus par Romain dans "Signé Romain")
- Lettres à un jeune poète, Rilke
- Brûlant secret, Stefan Zweig
- La confession d'un enfant du siècle, Musset
- Gros Câlin, Romain Gary
- L'enfant bleu, Henri Bauchau
- Le jour des corneilles*, Jean-françois Beauchemin
- Si on les tuait ?, Annie Saumont
- La bouche pleine de terre, Branimir Scepanovic
- Bic et autres shorts, Vitaliano Trevisan
- Sous le soleil jaguar, Italo Calvino
- Désordre au paradis, Gabrielle Vincent
*"Parnoir,enjambe ta culotte et suis-moi !"
Le père, sorte de Géant rabelaisien, la bonhommie en moins, lit dans les étoiles, tandis que le fils voit sans souci particulier les trépassés évoluer autour de lui. Parmi ces derniers, sa mère, morte lors de sa mise au monde.
Le père rudoie le fils qui supporte sans broncher les crises de folie paternelles, espérant toujours recevoir une preuve d'amour, cet amour dont il est assoiffé.
En 150 pages, Beauchemin crée des personnages inoubliables,un univers dense et rude où la vie et la mort se mélangent sans cesse. En effet, pour le premier repas de son fils, le père lui donne du lait provenant d'un cadavre de hérisson femelle."Ce fut ma première pitance sur le domaine de la Terre : le lait d'une bête morte achevée par Père. Ce fut par même occasion ma première rencontre véritable avec la mort, véritable en ce que j'en fus pénétré, puis nourri. Toute ma vie , cela devait me rester inscrit au ventre: par là le trépas avait tracé sa sente en ma personne; comme mots se formant et s'alignant sur la page."
Cette puissance des mots est en outre annoncée prophétiquement par le père : "J'y lorgne qu'un jour viendra où, par quelque diablerie, tu seras comme instruit de mots, et qu'alors lumière t'apparaîtront."La tragédie n'a plus qu'à se mettre en marche car "C'est analphabétisme[...]bien plus désolant encore que celui de ne pouvoir lire en nos semblables humains. "
Vous qui aimez les mots, les mots anciens, les mots qui roulent comme des cailloux, précipitez-vous sur Le jour des corneilles , de Jean-François Beauchemin !
05:55 Publié dans Extraits | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : catherine gualtiéro
08/11/2010
Le journal d'Aurélie Laflamme
"...la dernière fois, j'étais normale. Presque."
Encore un simili journal d'ado ? Oui mais déjà la présentation est très soignée (façon carnet épais, bords arrondis et élastique argenté, très fifille donc) et en plus cet ado est vraiment craquante car totalement gaffeuse et un tantinet coincée au niveau des émotions. Le fait que ce roman se déroule au Québec donne un côté très exotique à l'affaire, ainsi les noms des personnages sont-ils aussi excentriques que ceux de la BD de Bretécher, Agrippine !
L'univers scolaire du collège de filles (!) est très bien dépeint et si nous nous plaignons souvent que les enfants français soient stressés par l'école, apparemment ils ne sont pas les seuls !
Même si au début, j'étais un peu réticente, je me suis vite prise au jeu et j'ai trouvé mon compte dans cette lecture plaisante et divertissante.
Le journal d'Aurélie Laflamme, Michel Lafon 2010, 274 pages pétillantes.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : india desjardins, quelques mois dans la vie d'une ado, humour
07/11/2010
Le grand livre du futur
"...combien de Templiers ont attrapé le tétanos en se faisant éventrer par une épée rouillée ? "
Au péril de leur vie, Emmanuel Vincenot et Emmanuel Prelle n'ont pas hésité à voyager dans le futur, bravant les morsure de robots et la turista. De leurs pérégrinations, ils ont rapporté" des kilomètres de notes " qu'ils ont organisées pour répondre à toutes les questions qui angoissent leurs contemporains et balaient en quatre grands chapitres les grands volets de notre vie future, proposant même des solutions pour "éviter l'inévitable", c'est vous dire leur générosité ! De plus, ils n'ont pas lésiné sur les illustrations, ce qui confère beaucoup de charme à l'ouvrage.
Adoptant un ton faussement scientifique nos deux larrons se permettent donc mine de rien de passer en revue les grands problèmes qui agitent et agiteront notre planète bleue. Mélange de non-sense et de vacheries glissées en douce, Le grand livre du futur, m'a bien fait rire et sourire dès la préface. Les chapitre sont parfois inégaux , mais bon, je suis moins sensible à l'humour politique , et j'ai carrément fait la grimace devant certaines réflexions lourdaudes concernant la conduite des femmes au volant, ou les africains (je me suis carrément cru télétransportée au boulot au moment de la pause...). Nonobstant certaines facilités donc, cet ouvrage nous offre quelques pépites comme le dessin de la future Carte du Tendre, ou un guide particulièrement hilarant des premières années de votre enfant , entre autres : "Entre 0 et 3 ans Votre enfant n'aura aucun souvenir de cette période. Il est donc inutile de lui offrir des cadeaux."Un avis quelque peu mitigé donc. A vous de voir et de feuilleter.
PS:A noter la photographie , particulièrement étrange, d'une fillette joufflue, la mine peu avenante, rentrant la tête dans les épaules, et présentant une main dont les doigts sont recourbés vers l'intérieur de la paume, photo que je croyais extraite de quelque film futuriste des années 50 ou 60 ,mais non !
Pour la voir, allez chez Tamara qui est plus enthousiaste !
Le grand livre du futur, Emmanuel Vincenot, Emmanuel Prelle, Mille et une nuits 2010, 125 pages .
06:00 Publié dans Humour | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : emmanuel vincenot, emmanuel prelle
06/11/2010
La mauvaise habitude d'être soi
"Il s'attribuait son quotidien pour en faire de la bouillie."
Un homme voit débarquer chez lui un inspecteur persuadé que l'occupant de cet appartement est décédé. Qui a raison , qui a tort ? Le narrateur , comme le lecteur, est d'abord fort de ses certitudes et tente de se raccrocher à des faits qui se font de plus en plus fluctuants sous la logique imparable du représentant de la loi. " Vous ne vous remettez jamais en cause, hein ? ", ce reproche ne pourra être fait au héros de la deuxième nouvelle qui est fatigué d'être lui,ou à celui qui choisit d'habiter dans un endroit, ô combien singulier, où "pour la première fois [il a] le sentiment d'être chez [lui]..."
Sentiment de singularité, identité pesante, perte de contrôle de son existence, inversion cyniquement réjouissante des valeurs, tels sont les thèmes qui courent tout au long de ces sept nouvelles qui échappent, ô miracle, aux pièges de la chute et de la mécanique bien rodée. Il s'en dégage d'abord un mal être bizarrement joyeux car à plonger dans l'absurde, à se frotter à la fausse logique, le lecteur ne peut qu'être séduit par ce réel à la fois si proche et si délicieusement excentrique.Les deux dernières nouvelles ont une tonalité plus noire et plus tragique, puisqu'un personnage va même jusqu'à "s'expuls[er] de sa propre vie." et la paranoïa gagne du terrain sous une forme à la fois fantastique et faussement banale. Le malaise envahit le lecteur et témoigne d'un monde où cohabitent principe de sécurité à tout crin et la violence contre les individus hors-normes.Un crescendo très efficace .
Les illustrations de Quentin Faucompré se fondent totalement dans l'univers si particulier de Martin Page et en soulignent le non-sense .
Quel bonheur de commencer un recueil de nouvelles dont on sait dès les premiers mots qu'il va vous mettre le sourire aux lèvres ! On a le coeur qui bat un peu en se demandant si le livre va tenir toutes ses promesses et ... oui !
La mauvaise habitude d'être soi, Martin Page, Quentin Faucompré, Editions de l'olivier 2010, 145 pages enthousiasmantes ! Et zou, sur l'étagère des indispensables !
06:03 Publié dans Humour, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : martin page, absurde, humour, identité