28/03/2014
Regarde les lumières mon amour
"L'hypermarché est pour tout le monde un espace familier dont la pratique est incorporée à l'existence, mais dont on ne mesure pas l'importance sur notre relation aux autres, notre façon de "faire société" avec nos contemporains au XXIème siècle."
Pendant un an, l’écrivaine Annie Ernaux a "consigné le présent" ,sous la forme d'un journal , de la vie du Auchan de Cergy qu'elle fréquente en tant que cliente régulière. Pourquoi avoir choisi un tel lieu ? Parce qu'il est à la fois tellement familier, révélateur du mode de fonctionnement de notre société. Parce que c'est aussi un lieu où se croisent des populations qui ne se rencontreraient pas ailleurs et surtout parce que c'est un endroit "qui commence seulement à figurer parmi les lieux dignes de représentation."
Annie Ernaux scrute avec acuité le fonctionnement de la grande distribution qui impose sa propre temporalité, "suscitant les désirs aux moments qu'elle détermine", souligne "son rôle dans l’accommodation des individus à la faiblesse des revenus, dans le maintien de la résignation sociale."mais croquant aussi avec beaucoup d'empathie tous les comportements des clients. Les tensions, les bribes de dialogues, les comportements auxquels nous ne prêtons même plus attention tellement ils sont devenus automatiques sont ici restitués dans toute leur subtilité.
Une analyse riche de "L’hypermarché comme grand-rendez-vous humain" mais aussi une écriture fine et sensible. à lire absolument.
Regarde les lumières mon amour, Annie Ernaux, Seuil 2014- Collection : Raconter la vie - 2014 - 72 pages hérissées de marque-pages !
le billet de Clara qui m'a sortie de ma léthargie ! :)
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : annie ernaux
27/03/2014
Un tout petit rien
"C'est beaucoup plus que sexuel, c'est beaucoup moins qu'amoureux. C'est nos culs entre deux chaises, c'est suffisant pour faire semblant de faire des bébés, pas pour en avoir."
Oui mais voilà la narratrice est enceinte et il lui reste quelques semaine pour prendre sa décision . Fera-t-elle une place dans son corps, dans sa vie à ce tout petit rien ?
Sous une forme séquencée, mais néanmoins très fluide ,Camille Anseaume raconte de manière délicate, pleine de sensibilité et d'humour ce choix et les implications affectives et matérielles qu'il engendre , les réajustements et les rêves.
Un petit roman (par la taille , 244 pages) mais vibrant de justesse et de chaleur humaine.
Le billet tentateur de Cuné, mais c'est Carole Fives (encore !) qui a porté le coup fatal .
Le blog de l'auteure.
Un tout petit rien, Camille Anseaume , Editions Kero ,2014.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : camille anseaume
25/03/2014
le bruit des autres
"Je n'avais pas demandé grand chose à quiconque depuis la mort de mon mari, et maintenant que tout semblait exiger énormément de moi, sans jamais me laisser en paix, je devais me montrer vigilante. Je devais tenir les comptes plus sérieusement, tracer des lignes invisibles ."
Propriétaire d'un immeuble ancien à Brooklyn, un Brownstone, Celia, jeune veuve, tient le monde à distance et sélectionne soigneusement ses locataires. Elle a ainsi créé un microcosme apparemment harmonieux, empli de discrétion .
Las ! Une nouvelle venue , Hope, semble avoir apporté avec elle"un phénomène physique chaotique" qui a pris le pouvoir dans l'immeuble, "encouragé par le printemps, mélangeant les appétits humains avec les taillis." Simultanément , son locataire le plus âgé, un vieux conducteur de ferry ,disparaît. Bref,la belle harmonie a fait long feu et Celia ne peut plus se contenter de créer des scénarios à partir de ce qu'elle entend chez les autres .Elle va devoir renouer avec des désirs qu'elle croyait avoir oubliés et affronter un monde tout sauf aseptisé.
Premier roman, Le bruit des autres fait partie de ces livres aux thèmes subtilement dérangeants, à l'écriture élégante et puissante tout à la fois, de ces textes qu'on aurait aimés écrire tellement ils sonnent juste.
Les personnages sont à la fois parfaitement cernés tout en gardant une part trouble ,qui les rend encore plus attachants et crédibles. Bref c'est un pur délice et un énorme coup de cœur, constellé de marque-pages !
Un grand bravo à jean Esch pour la traduction !
Le bruit des autres, Amy Grace Loyd, Stock 2014, 260 pages troublantes.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : amy grace loyd
24/03/2014
Eux
"D'où viens-tu à la fin ? Pourquoi tiens-tu tellement à faire de nous des assassins ? La famille est un clan. La quitter est puni par une loi, celle du sang."
Être enceinte c'est s'inscrire dans une lignée, faire bouger d'un cran tous les membres de la famille. C'est aussi réveiller ici les voix des héréditaires qui envahissent l'espace sonore de la narratrice. Par leurs commentaires, tantôt ils attisent ses craintes, tantôt se soucient d'elle et de l'enfant à venir, houspillent, tancent, bref incarnent les remous magmatiques de l'inconscient familial.
En effet, "Chez mes parents, une naissance est toujours considérée comme le présage d'un décès." Lourd héritage qui explique sans doute que la mère de la narratrice se montre tout sauf encourageante...
à cela s'ajoute les craintes de la future mère qui envisage toutes les variations concernant la mort de son compagnon ,son "gars". Chargé ? Peut être.Mais tout cela est doté d'une formidable énergie, ponctuée d'humour " à cause de moi qui me fiche totalement de la baignoire en plastique qu'elle voudrait me transmettre pour mon enfant; si tu le laves, a-t-elle précisé ."et, sur le thème de la transmission et de l'identité familiale, Claire Castillon a écrit un roman qui incarne pleinement tout ce qui se joue d'inconscient (ou pas) dans une grossesse.
Eux, Claire Castillon, Éditions de l'Olivier 2014, 145 pages garanties sans niaiseries !
Merci à Carole Fives qui ,en me conseillant cet texte, m'a permis de connaître un grand bonheur de lecture !
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : claire castillon
21/03/2014
L'atelier des miracles... en poche
Tentez de vous positionner autrement. Pensez qu'ils sont capables de sincérité. Pensez qu'ils sont capables d'amour. "
Mariette, prof d'histoire géo à bout de nerfs, Millie, jeune femme prête à tout pour échapper à un passé douloureux, Mike, ex-militaire échoué sous un porche croient tous avoir rencontré leur sauveur en la personne de Jean.
Cet homme providentiel les accueille en effet dans son Atelier où, à défaut de montres, il répare les âmes cassées.
Dès le début, j'ai été gênée par l'aspect trop miraculeux de cet atelier (qui trouvera son explication un peu plus loin dans le roman) et par l'écriture un peu bâclée. On ne s'attarde pas suffisamment sur les personnages, l'intrigue est un peu lâche et ne maîtrise pas suffisamment les changements de ton.
Dommage, il y avait là tous les ingrédients d'un bon roman qui fait du bien !
Plein d'avis, nettement plus positifs, sur Babelio.
celui de Antigone, Clara, Un autre endroit
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20/03/2014
L'assassin à la pomme verte
"Faute de livres, on mange des hommes."
Une "rencontre assez banale d'une Italienne irréprochable et d'un Anglais sans histoire" dans "la zone franche" que constitue un palace, voilà qui pourrait donner lieu à un marivaudage élégant et léger. Mais l'irruption d'un fâcheux sous la forme d'un italien polygame va bouleverser la donne. En effet, , à peine le gêneur a-t-il eu le temps de sévir, qu'il est retrouvé assassiné.
Récit polyphonique où dominent les voix de trois personnages principaux, notre couple de héros , Elena et Craig, plus Sébastien , le réceptionniste de nuit du palace, l'assassin à la pomme verte est un faux roman policier mais un vrai badinage amoureux intelligent, parfois cruel, et bien mené .
L'écriture est fluide, élégante, les formules pertinentes abondent et le récit réserve plein de surprises et ce jusqu’à la toute fin. Pas étonnant que ce récit ait obtenu le prix du premier roman 2012 !
L'assassin à la pomme verte, Christophe Carlier.
Déniché à la médiathèque , en édition gros caractères.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : christophe carlier
18/03/2014
Y EN A MARRE D ETRE PAUVRE
"LE CŒUR MET PLUS DE TEMPS
A AVALER QUE L ESTOMAC"
Aucun ponctuation, sauf des guillemets pour les citations. Des mots en majuscules, légèrement bringuebalantes , se jouant des lignes tracées sur ce livre au format de petit carnet, qu'il est recommandé de ne pas voler "dans une petite librairie indépendante."
Des formules courtes, lapidaires, tamponnées en rouge, pour gagner en force et en impact. Pour dire la précarité économique d'une artiste qui se présente ainsi , sans émotion, " Blanche famille catholique presque 50 ans bac +5 1m70 51kg yeux marron". Pas de misérabilisme mais un constat sobre et efficace d'une liberté revendiquée "J'ai choisi mon métier et je fais ce que je veux" qui entraîne le glissement progressif vers une nouvelle catégorie qui vient d'apparaître aux États-Unis les "presque pauvres "ou les "quasi pauvres".
Autour, il y la vie, les gens qui sont dans une situation encore pire, un toit qui fuit au dessus d'elle, la débrouille : "je vais me baigner tous les jours c'est moins cher que le yoga ou l’ostéopathe" mais toujours revient le constat : "l’économique a pris une place prépondérante dans ma vie: la survie". Le combat n'est pourtant pas perdu d'avance...
Un livre sobre et poignant.
Y EN A MARRE D ETRE PAUVRE, Fabienne Yvert, Éditions des petits livres c/o la ville brûle.
Merci à Libly et à l'éditeur.
06:00 Publié dans Objet Littéraire Non Identifié | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : fabienne yvert
17/03/2014
Pièces importantes et effets personnels de la collection Lenore Doolan...
...et Harold Morris, comprenant livres, prêt -à-porter et bijoux
14 février 2009, New-York
Le nouveau thème de BTS "Objets cultes, culte de l'objet" m'a fourni le prétexte idéal pour me procurer d'occasion le catalogue de la vente des objets qui ont accompagné la liaison de Lenore Doolan, journaliste culinaire et Harold Morris, photographe, qui me tentait depuis 2009.
Premier abord décevant: les photographies sont en noir et blanc et pas forcément de bonne qualité.Ensuite, je feuillète et là la curiosité l'emporte : je note plein de détails touchants ou amusants et je décide d'entamer la lecture chronologique.
Bien m'en a pris car c'est là un dispositif malin et addictif que de présenter de manière factuelle et précise les témoins apparemment muets des différentes étapes de cette histoire d'amour mais néanmoins révélateurs et touchants. S'y ajoutent en outre des bribes de textes : extraits de lettres, fac-similés (traduits) de listes de courses ou énonçant les qualités et défauts d'un des protagonistes. On prend plaisir à compléter les blancs, à s'identifier, à relever les idiosyncrasies , les rituels de ce couple , les goûts littéraires, les traits d'humour (le chien décoratif offert par la belle-mère , vendu dans son emballage d'origine). Mais rapidement on repère des singularités qui détonnent : même si le couple veut faire table rase de cette histoire d'amour, pourquoi vendre pour l'un ses livres de cuisine, pour l'autre ceux consacrés à la photographie ? Et là, ma naïveté vole en éclats, car là où je voyais un dispositif à la Sophie Calle, c'est en fait à une mise en scène pleine d'humour et à des photographies d'acteurs que nous avons affaire , même si ce n'est indiqué nulle part dans le livre.
On apprécie alors encore plus les natures mortes présentant de part et d'autre le contenu des vanity cases des protagonistes ou la présentation, façon papillons épinglés, des soutien-gorge de Lenore. Le catalogue se clôt d'ailleurs sur deux pages d'herbier qui se répondent: des fleurs séchées cueillies par Morris et de l'autre des trèfles à quatre feuilles (parfois litigieux) conservés par Doolan. Une très intéressante façon de souligner comme l'indique Novalis cité en exergue "Partout nous cherchons l'absolu, et ne trouvons jamais que des objets."
Pièces importantes et effets personnels de la collection Lenore Doolan et Harold Morris, comprenant livres, prêt-à-porter et bijoux, Leanne Shapton, Éditions de l'olivier 2009
à noter que pour conserver la présentation catalogue de vente, la mention de l'éditeur n'apparaît pas en couverture.
06:00 Publié dans Objet Littéraire Non Identifié, Photographies | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : leanne shapton
16/03/2014
Quelques pas de solitude
"Le plaisir que j'en retire est parfaitement égoïste. Il ne restera que des images dans ma tête. je mets la clé dans le contact et je pense que je suis souvent seul lorsque je fais une observation qui restera parmi les plus belles, et que ce serait dommage s'il en allait autrement."
à l'origine de ces textes sur la solitude, un libraire de Toulouse, Christian Thorel. Mais cette commande était destinée uniquement à la clientèle d'Ombres Blanches (un lieu de perdition ! ). Viendra ensuite un autre libraire, François-Marie Bironneau (Le Bateau Livre à Lille, d'où je ne sors jamais les mains vides) qui jouera le rôle de passeur et présentera Pascal Dessaint à l'équipe de la maison d'édition La Contre Allée. Et ainsi, de fil en aiguille, d'amitié en amitié, voici enfin ce livre au format très agréable et à la présentation particulièrement raffinée, ce qui ajoute encore au plaisir de lecture.
Jamais sans doute, Pascal Dessaint ne se sera livré de manière aussi personnelle que dans ces textes qui évoquent l'exercice de la solitude dans la nature et des rencontres insolites quasi magiques que l'on retrouvera parfois au cœur de ses romans . Mais "Il arrive aussi que la solitude conduise à la perte totale de soi." Et là, la voix se fait plus grave,l'émotion sourd ,l'auteur se livre avec pudeur, sobriété, les questions jaillissent et la seule réponse est l'écriture. Et donc la solitude.
Des textes à fleur de peau , une réflexion exigeante et poignante, un livre magnifique qu'il faut laisser le temps de décanter en soi..
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Quelques pas de solitude, Pascal Dessaint, Éditions de la Contre Allée 2014 , 43 pages, un concentré d'émotions.
Le billet de Philisine, tout aussi séduite !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : pascal dessaint
15/03/2014
Enfants de poussière...en poche
"-Je me demande parfois si tu n'es pas en train d'essayer de résoudre du même coup deux mystères qui se sont produits à presque quarante ans d'intervalle."
Le cadavre d'une jeune Asiatique vient d'être trouvé en bordure de route dans le comté d'Absaroka, Wyoming.Le coupable, un géant Indien frappé de mutisme, paraît tout désigné mais notre shérif préféré Walt Longmire, n'est pas du genre à bâcler une enquête. D'autant que dans le sac à main de la victime, une photo va le replonger dans sa première enquête durant la guerre du Vietnam.
Alternant passé et présent, ce nouveau roman de Craig Johnson a le mérite de nous replacer en territoire connu, avec, entre autres, une superbe description de ville fantôme . L'humour est toujours aussi présent, Longmire observe ainsi avec attention le nouvel amoureux de sa fille : "Michael prit la dernière huître des Rocheuses*. il n'avait pas remarqué qu'il était le seul à en manger."mais les retours en arrière m'ont paru assez confus et Longmire m'a souvent donné l'impression de me retrouver dans une atmosphère à la Rambo (seul contre tous, impossible de s'en sortir mais si).
Bilan mitigé donc aggravé par tous ses Ouaip qui ponctuent régulièrement les paroles du shérif.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : craig johnson