23/06/2014
L'annulaire
"-Ceux qui nous viennent nous voir sont toujours inquiets au départ à propos de leurs objets. C'est comme ça.Les spécimens sont là pour enfermer leur inquiétude".
Suite à un accident de travail qui l'a amputée d'une partie de son annulaire, la narratrice devient réceptionniste dans un laboratoire pour le moins étrange, sous la férule du non moins mystérieux M. Deshimaru. Ce dernier, non content de préserver et de conserver les souvenirs que lui confient des clients, exerce aussi son emprise sur la narratrice...
Grâce à une offre estivale, j'ai renoué avec plaisir avec l'univers fascinant de Yôko Ogawa. Minimaliste tant dans l'écriture que dans le nombre de pages , elle distille une sourde inquiétude , créant avec poésie , délicatesse ,un univers à la fois quotidien et étrange où l'on peut tout à la fois conserver des os de moineau et une cicatrice... Un petit plaisir à (re)lire.
L'annulaire, Yôko Ogawa, traduit du japonais par Rose-marie Makino-Fayolle, Babel
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21/06/2014
La ritournelle
Deux quinquagénaires, ensemble depuis le lycée agricole, voient leur couple partir vers des voies différentes. Lui, gentleman farmer mâtiné de Charles Bovary, ronchonne à qui mieux mieux et ne semble s’éclater que lors des concours de taureaux . Elle, coiffée d'une toque de fourrure sur qui l'assimile plus à une héroïne russe, originale, curieuse de nouveautés, ouverte sur le monde, s’étiole un peu et exprime son stress à coup d’eczéma. Un bon prétexte cette dermatite pour deux jours d'évasion à Paris...
Comédie de remariage, La ritournelle se joue des clichés : non, tous les agriculteurs ne parlent pas patois. Ils sont cultivés, habillés avec élégance, stressés aussi et "montent" à la ville pour s'aérer l'esprit. Je me suis tout à fait identifiée à Brigitte (Isabelle Huppert tout à fait convaincante en éleveuse), riant de certaines scènes qu'on aurait pu croire tournée chez moi ! Les personnages ne sont pas caricaturaux, Darroussin n'est pas qu'un râleur atrabilaire, et comme toujours chez Fitoussi les personnages de femmes sont envisagés avec bienveillance , dans toutes leurs nuances, y compris la fantaisie. Bref , un pur régal !
Inutile de vous dire que je me suis extasiée devant les magnifiques charolais et que je me suis précipitée sur Le chevalier inexistant, d'Italo Calvino , roman révélateur dans le film .
L'avis d'Aifelle
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19/06/2014
Contrecoup...en poche
"Rien ne m'appartient plus.Je suis une exilée de ma propre histoire. Je n'ai plus de vie, lui dis-je. C'est une vie après la mort. Le contrecoup."
L'image du puzzle court tout au long de cette réflexion sur le mariage et la séparation, sujet universel traité ici de manière ni exhibitionniste ni fictionelle. Nous sommes bien loin de l'auto-fiction doloriste et nombriliste à la française.
Nous sommes ici dans l'après de la séparation et, à travers plusieurs situations de la vie quotidienne, l'on sent que l'auteure est sonnée mais qu'elle réfléchit simultanément à cette situation.
Rachel Cusk, avec lucidité et précision, analyse la répartition des rôles du masculin et du féminin dans lemariage et convoque les mythes anciens pour nourrir sa propre réflexion.
Nous sommes donc dans le domaine des idées mais aussi dans celui des émotions tant la langue est imagée et poétique. Huit textes denses , aux tonalités différentes, pour dire le choc de devoir affronter le chaos, de se sentir mal à l'aise car "L'effort nécessaire pour modeler la normalité est une sorte d'art du faussaire , si laborieux comparé à la facilité avec laquelle l'original a été créé."Le dernier texte, changeant de point de vue, met en scène une jeune femme étrangère engagée par le couple en train de se déchirer, exilée qui trouvera de manière symbolique et douce comment signifier cette séparation.
L'idée de Contrecoup pourrait rebuter mais, une fois ouvert, le style et l'angle choisi par Rachel Cusk font que le lecteur ne se sent jamais voyeur. On est fasciné par l'atmosphère créée mais aussi par l'éclairage si particulier de l'auteure et son analyse des mythes grecs. Un texte piqueté de marque-pages. Une réflexion nécessaire.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : rachel cusk
18/06/2014
Le théorème du homard
"La dynamique émotionnelle était tellement complexe !"
Hyper doué en génétique, Don Tillman l'est nettement moins en relations humaines ! Pour trouver l'épouse parfaite, il met au point un questionnaire des plus sélectifs et rationnels qui lui évitera, pense-t-il ,de nouvelles pertes de temps, un de ses autres obsessions. Évidemment, pour le plus grand plaisir du lecteur Don va rencontrer Rosie qui est l'antithèse parfaite de ce qu'il recherche. Mais est-ce bien si sûr ?
Du décalage entre ce surdoué qui a su aménager ses incompétences sociales et s'efforce d'apprendre les émotions dont il semble dépourvu en visionnant des films et les situations complètement loufoques dans lesquelles il se fourre, naît bien évidemment le rire, ponctué de quelques pointes d'émotion qui ne gâchent en rien l'affaire.
Malgré quelques baisses de rythme en fin de lecture, Le théorème du homard est un roman qui porte une grande attention au langage de ses personnages, réserve de nombreuses surprises et fait remonter notre moral en flèche !
Le théorème du Homard, Graeme Simsion, traduit de l'australienpar Odile Demange, Nil 2014
Merci Cuné !
06:00 Publié dans Humour, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : graeme simsion
17/06/2014
Le génie des coïncidences
" Il semblerait que je sois accablée par les coïncidences, Professeur Post."
Quand un spécialiste des coïncidences- qui prend un malin plaisir à les démonter et à les expliquer de manière rationnelle-rencontre fortuitement une jeune femme dont la vie semble marquée par un "enchaînement cruel d’événements" que se passe-t-il ? Hé bien cela engendre une série de joutes verbales, un maelstrom d'émotions et une flopée de rebondissements entre l'île de Man, l’Ouganda où sévit encore "un homme qui s'est bricolé une foi, un mélimélo de croyances, a décidé que Dieu lui avait parlé, et que tous ceux qui n'étaient pas d'accord pouvaient être abattus, ou amputés."et Londres.
Usant -mais n'abusant jamais -des analepses* et des prolepses**, J.W Ironmonger joue en virtuose avec nos nerfs (deux scènes sont particulièrement éprouvantes), fait monter l'émotion (j'ai plusieurs fois eu les larmes au yeux) avec beaucoup d'empathie et de sobriété. Il ne faut surtout pas en dévoiler plus de ce roman qui joue sur plusieurs registres (romance, thriller, quête d'identité, réflexion philosophique) et nous offre des descriptions plus vraies que nature d'un continent qu'il connaît et aime profondément: l'Afrique. Pour ceux qui n'ont pas peur des montagnes russes émotionnelles. Et zou sur l'étagère des indispensables !
* correspond à un retour en arrière, au récit d'une action qui appartient au passé Il consiste à raconter après-coup un événement. On peut également parler de flasback pour exprimer cette idée, mais ce terme ne s'utilise qu'à propos de cinéma ou de bande dessinée.
* *Clin d’œil à Cuné.
Le génie des coïncidences, J.W Ironmonger, traduit de l’anglais par Christine Barbaste, Stock 2014, 343 pages que j'ai fait durer le plus longtemps possible, gage de réussite s'il en est, et tout piqueté de marque pages bien sûr !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : j.w.ironmonger
16/06/2014
Incidences
"Avoir l'esprit ainsi envahi par une femme était nouveau pour lui. Non pas envahi par la crainte, le ressentiment, le désir de vengeance ou autres douceurs que lui inspirait sa mère, ou encore par les sentiments sombres et mitigés que sa sœur pouvait faire naître en lui. mais envahi par un fluide agréable qui parfois se mettait à battre comme un torrent incroyablement bon et dangereux. c'était incroyablement nouveau."
Marc, professeur de littérature d'une université nichée dans les Alpes, collectionne les relations avec ses étudiantes, se mettant ainsi sur le fil du rasoir vis à vis de sa hiérarchie et de sa sœur, avec laquelle il vit. Une de ces aventures va tourner court et lui permettra de rencontrer une femme de son âge qui va exercer sur lui une emprise extrême. Mais à trop jouer avec le danger, Marc parviendra-t-il à toujours maîtriser sa vie ?
Comme son héros qui négocie les virages en épingle à cheveu des routes de montagne pied au plancher , Djian nous gratifie de découvertes surprenantes au détour d'une phrase, glisse quelques indices, nous fait accepter les choix de ses personnages pour le moins perturbants et nous gratifie au passage de diatribes enflammées sur les faiseurs de littérature. Mi roman universitaire, mi- thriller psychologique, l'auteur d'Incidences joue sur les ambiguïtés en permanence mais ce que j'ai apprécié par dessus tout c'est le rapport qu'entretient son personnage principal avec la nature et en particulier avec cette faille cachée dans les bois .Un bon roman qui se lit d'une traite.
Disponible en Folio, (244 pages) et je préfère largement la couv' de 2011 (mon édition) à celle de la réédition, suite à l'adaptation cinématographique (que je n'ai pas vue).
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : philippe djian
14/06/2014
Trop de bonheur...en poche
"A croire qu'il existe en apparence on ne sait quel savoir-faire fortuit et bien sûr injuste dans l"économie du monde puisque le grand bonheur -aussi provisoire, aussi fragile soit-il -d'une personne peut sortir du grand malheur d'une autre."
Les femmes et leur quête de bonheur, dérisoire et courageuse à la fois sont au centre des nouvelles d'Alice Munro. Cruauté, résilience qui ne dit pas son nom, soumission au désir des hommes, voilà à quoi ces très jeunes filles, mères ou femmes plus âgées doivent composer.
Tout l'art d'Alice Munro est de ne pas porter de jugement, de décrire en une phrase tranchante et/ou férocement drôle, l'attitude, le comportement d'un personnage et vous le livrer en entier résumé : "Certaines suggestions, certaines idées, avaient le pouvoir faire tressaillir les muscles de son maigre visage tavelé, et alors son regard devenait noir et aigu, et sa bouche semblait remâcher un goût répugnant. Elle pouvait vous bloquer net dans votre élan, comme un féroce buisson de ronces."
Des textes qui possèdent juste le bon tempo et la bonne durée et ne nous laissent jamais sur notre faim. Des univers denses et intemporels.
Point Seuil 2014.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : alice munro
13/06/2014
Comme la grenouille sur son nénuphar...en poche
"ô Gravité où est ton hameçon, ton fil, le plomb au bas de ta ligne ? "
Pas de doute: "les Parques se plaisent à venir cracher dans ton potage", Gwendolyn! Tu n'as plus qu'à "enfiler ton soutien-gorge pare-balles" pour affronter ce qui risque d'être le plus long et le plus éprouvant week-end pour la trader de Seattle que tu es !
Jugez en un peu: les cours de la Bourse s'effondrent et avec eux tes rêves d'ascension sociale, le singe kleptomane de ton petit ami s'enfuit ,ta meilleure amie disparaît... Mais heureusement dans toute cette pagaille apparaît Diamond, un broker de retour de Tombouctou, charmeur en diable (ou baratineur de génie ) qui va te mettre "au défi de t'intégrer dans quelque chose qui t'es totalement étranger, de sortir du domaine de tes attentes habituelles", bref de jeter un grand coup de pied au Rêve Américain, "de sortir de cette transe où ne comptent que les biens matériels".
Une ville, Seattle où les rayons de soleil "se comportent en touristes" (et qui nous donne l'occasion de superbes descriptions de la pluie entre deux péripéties ), une ville où galope notre héroïne , tiraillée entre la recherche de la satisfaction immédiate et le grand saut dans l'Inconnu, un monde où l'on s'inquiète de la disparition des grenouilles, où l'on croise un médecin japonais qui aurait découvert un remède au cancer mais un monde aussi où l'on peut prendre le temps de s'envoyer en l'air et de vivre une histoire d'amour à la fois débridée et tendre.
Pas de temps morts, tant au niveau du récit que du style , corrosif, plein d'humour et d'inventivité, les métaphores, les comparaisons, mon péché mignon, sont follement réjouissantes, : "Contrairement à l'Américain moyen, elle a une capacité d'attention qui dépasse en durée un orgasme de Mormon", et on sourit tout le temps de la lecture, en se laissant prendre au piège du baratin allumé de Diamond.
Comme la grenouille sur son nénuphar nous fait entrer dans ce monde fou fou fou (qui est le nôtre ) et nous ne lâchons pas une minute ce roman car il y a plus d'imagination dans une phrase de Tom Robbins que dans l’œuvre complète de n'importe quel écrivaillon français.
06:00 Publié dans Humour, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : tom robbins
12/06/2014
Dans les rapides...en poche
Voici ce que j'en disais il y a quelques années :
-mais Kate Bush d'un coup de pied, vient d'enfoncer un coin dans notre trio. "
Le Havre, les années 80. Un trio de filles qui par la magie de Blondie puis celle de Kate Bush, vont découvrir un univers où les femmes sont puissantes.
Une très jolie évocation, pleine de sensations poétiques et intenses, de l'adolescence. Un peu trop de retenue à mon goût mais un style chatoyant et prometteur. (promesses largement tenues !)
Dans les rapides, Maylis de Kerangal, Naïve 2006, 113 pages à lire en réécoutant ...The kick inside bien sûr !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : maylis de kerangal
11/06/2014
La tête en l'air
"Nous les vieux, nous contentons de si peu."
La tête en l'air dépeint le quotidien d'une résidence pour personnes âgées où Ernest, ancien directeur de banque atteint de la maladie d’Alzheimer, va progressivement trouver sa place, se faire des amis et tenter de lutter contre la maladie.
C'est plein d'humour, de bonhomie souriante, d'empathie et d’humanisme. Paco Roca tire parti de toutes les possibilités de la BD pour décrire,sans pathos ,mais de manière à la fois réaliste et poétique les différentes réalités dans lesquelles évoluent ces personnages. Une grosse surprise aux pages 98 -99 et une préface juste parfaite de Jirô Taniguchi complètent de manière idéale cette BD.
Adapté en film d'animation La tête en l'air collectionne les prix.
Déniché à la médiathèque.
Paru précédemment sous le titre de Rides
Paco Roca ,Éditions Delcourt 2012.
06:00 Publié dans BD | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : paco roca, jirô taniguchi, alzheimer