24/04/2014
La femme qui dort
"Si une épidémie répandue par Dieu et non par le diable pouvait exister, qui ne plongerait pas les hommes dans un profond malheur mais les entraînerait vers la béatitude, cette épidémie devrait s'appeler N'kunre."
Les origine de N'kunre, Mieux encore que les fleurs et la femme qui dort, trois nouvelles aux tonalités extrêmement différentes et très dépaysantes. La première l'est d'autant plus qu'elle se déroule en Amérique du sud et flirte avec le conte ou plutôt le récit initiatique.
Les deux autres sont contemporaines et proposent des visions très particulières du couple. Ainsi dans la seconde, là où des occidentaux verraient une histoire mettant en scène ce qu'il est convenu d’appeler une couguar, Ikezawa Natsuki envisage les faits d'une manière vraiment originale. Quant à La femme qui dort, elle nous permet de voir que même l'univers onirique des japonais n'a rien à voir avec le notre...
Des récits troublants .
La femme qui dort, traduit du japonais par Corinne Quentin, picquier poche 2014, 134 pages.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : ikezawa natsuki
22/04/2014
Miscellanées à l'usage des gens heureux (ou désirant le devenir)
"Plus une personne participe à des activités culturelles, plus elle est heureuse."*
Il y a neuf ans (déjà!) nous découvrions et nous entichions des miscellanées , florilège de fragments littéraires remis au goût du jour.
Agnès Michaux et son compère Anton Lenoir ont choisi pour ce recueil un thème parlant à tous: le bonheur.Mêlant, entre autres, définitions du bonheur selon des célébrités quelque peu décalées à des articles nettement plus érudits où j'ai eu le plaisir de découvrir les mots "apotropaïque" **ou le néologisme inventé par Tolkien "l'eucastrastrophe"***, ce qui réjouit toujours mes neurones !
Qu'on le picore ou qu'on le dévore d'une traite ce recueil vous mettra forcément le moral au beaux fixe !
J'y ai pour ma part déniché une citation particulièrement imagée : "Je pense que le secret du bonheur , c'est d'avoir l'esprit en Teflon. Quelle que soit la chose qui se présente , soit vous laissez glisser, soit vous faites votre petite cuisine avec." (Diane Lane, actrice américiane) )
Éditions Autrement 2014, 117 pages à (s') offrir.
*Selon la récente étude de Koenraad Cuypers, du Nord-Trondelag Health Study Research Center de l'université norvégienne de sciences et de technologie.
** sert à qualifier un objet, une formule ou un rite dont le but est de conjurer le mauvais sort.Vous refusez de passer sous une échelle ? Rite apotropaïque.
*** désigne le moment précis où la situation se retourne, où le mal qu'on croyait jusque là devoir gagner le combat est finalement vaincu. à ne pas confondre avec le happy end, qui est une conclusion et non un retournement.
06:00 Publié dans l'amour des mots | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : agnès michaux, anton lenoir, citations, bonheur
21/04/2014
La soirée de Mrs Dalloway
"-de temps en temps, il lui venait malgré tout des instants délicieux, par exemple l'autre soir en lisant au lit, ou à pâques au bord de la mer, sur le sable, au soleil,-oui, retrouve cela-une grande touffe d'herbe jaillissant toute tordue du sable, tel un faisceau de lances contre le ciel lisse, ferme, dur et bleu comme un œuf de porcelaine, et puis la mélodie des vagues -"Chu-u-ut, chu-u-ut", disaient-elles, et les enfants piaillaient en pataugeant-oui cela avait été un instant divin, et elle sentait qu'en de tels instants elle se lovait dans la main de cette déesse qui était le monde- déesse un peu cruelle mais combien belle-comme un petit agneau déposé sur l'autel (des absurdités de ce genre vous traversaient parfois l'esprit, ce n'était pas grave du moment qu'on ne les disait pas)."
Des nouvelles de Virginia Woolf, traduites et présentées par Nancy Huston, éditées aux Allusifs, une combinaison imparable pour un moment de pur bonheur !
Rédigées pendant et après l'écriture du roman Mrs Dalloway, ces textes avaient été rassemblés dans un premier temps par Stella Mc Nichol. Ils nous permettent non seulement de retrouver le personnage principal du roman mais aussi de croiser d'autres invités de sa réception, inconnus du roman. On peut , comme Nancy Huston, les considérer comme une belle introduction à l'univers de Virginia Woolf et à sa pratique du stream of consciouness (monologue intérieur) mais aussi comme l'occasion rêvée de prolonger le plaisir de la lecture du roman.
Personnages ambivalents, se réjouissant à l'idée de l'énergie effervescente dégagée par cette soirée mais simultanément empêtrés dans leurs inhibitions, ils/elles se laissent aller à des rêveries champêtres , souvent placées sous le signe du féminin, les réalisations architecturales et industrielles étant de l'ordre du masculin.
Il faut se laisser porter par cette écriture musicale et imagée, sinueuse, mais ne se perdant jamais en route, et profiter de ces rencontres imposées par la mondanité qui donnent lieu à de subtiles passes d'armes, des revirements improbables et fugaces.
Du coup, j'ai envie tout à la fois de relire Mrs Dalloway mais aussi Les Heures de Michael Cunningham et de revoir son adaptation ciné avec Merryl Streep !
La soirée de Mrs Dalloway, Virginia Woolf, traduit de l'anglais par Nancy Huston, Les Allusifs 2014, 76 pages brillantissimes !
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : virginia woolf, nancy huston
19/04/2014
"Loves letters" by Metronomy
Aux manettes, Michel Gondry, bien sûr. Apparemment bricolé, mais tout est hyper précis et fluide ! J'adore les gens qui dansent et battent des mains en arrière plan !
Une superbe énergie !
07:09 Publié dans je l'ai entendu ! | Lien permanent | Commentaires (2)
Le jeu des ombres
"L'idée de symétrie était si puissante que pendant de longues années je ne compris pas que la structure s'était gauchie."
Un couple, lui ,peintre, elle, son unique modèle, se délite .Le tout sous les yeux de leurs trois enfants. Écrit ainsi, cela paraît trivial, voire pire. Sous la plume de Louise Erdrich cela devient un récit fascinant tant par la composition que par l'écriture, acérée et poétique à la fois. En effet, de prime abord Gil, Irene et leurs trois enfants constituent une famille modèle. Mais petit à petit, de petits indices, vus en particulier à travers des yeux enfantins, font prendre conscience de l'ampleur des dégâts et de la catastrophe imminente qui se profile.
Tout est ambivalent dans ce récit, y compris le faux journal que Irene écrit à l'intention de son mari quand elle découvre que celui-ci a lu le vrai. Au lecteur de confronter les deux versions , y ajoutant le point de vue de Gil et celui du narrateur omniscient. Manipulations de part et d'autre, mais aussi complicité qui renaît contre la psychothérapeute que le couple va consulter, tout peut basculer dans la violence ou l'amour et tout peut être utilisé comme une arme: la peinture ou les mots.
J'ai adoré chaque élément de ce ce roman de Louise Erdrich, le premier que je lis de cette auteure. L'attention portée aux détails qui pourraient paraître insignifiants mais sont tellement révélateurs. Ainsi l'attitude des chiens qui captent la tension de la famille et s'interposent pour mieux la gérer. Le fait que le lecteur voie sans cesse remise en question sa vision des principaux protagonistes, y compris dans la dernière partie, magistral retournement de situation. Mais aussi l'écriture, au plus près des sensations , des sentiments, une écriture qui fouille et appuie là où ça fait mal, cingle pour mieux s'adoucir. Un roman dans lequel on retrouve, mais sous un mode mineur l'un des principaux thèmes de Louise Erdrich: celui des Indiens d'Amérique, un retour aux sources qui permettra à certains personnages de trouver le chemin de la résilience. Une oeuvre magistrale et dérangeante. Un vrai et beau coup de coeur !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : louise erdrich
18/04/2014
L'embellie...en poche
"Vous ne serez plus la même, mais au bout du compte, vous serez debout tenant la lumière dans vos bras."
Elle manie une dizaine de langues, apprises sans efforts, mais n'a "jamais su spécialement [se] servir des mots, en tête à tête, face à un homme."Coup sur coup, en ce mois de novembre pluvieux, cette trentenaire apprend , sans traumatisme apparent, avec une grande souplesse, pourrait-on dire, que son mari veut divorcer et que sa meilleure amie lui confie son fils de quatre ans, très myope et quasi sourd.
Commence alors un périple en voiture sur la route qui fait le tour de l'Islande pour regagner une vieille maison familiale .Un voyage, souvent cocasse, pendant lequel la jeune femme fantasque et l'enfant tisseront des liens qui ne passeront pas forcément par les mots , rencontreront des animaux et des hommes qui permettront peut être à une prédiction de s'accomplir.
En filigrane et par bribes, une histoire plus grave, venue du passé, se construit, éclairant sous un autre jour ce road trip.
Quel bonheur que ce livre lumineux et plein de fraîcheur ! Je l'ai d'abord dévoré d'une traite, puis ai pris le temps de le relire pour mieux en apprécier l'humour et surtout la manière pleine de justesse qu'à l'héroïne d'affronter les vicissitudes de la vie.
Un voyage initiatique, plein de charme et de tendresse retenue, qui se conclut d'une manière généreuse par quarante- sept recettes de cuisine et une de tricot !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : audur ava olafsdottir
17/04/2014
chroniques de new york
"Pour paralyser une ville, les Français peuvent compter sur leurs manifestations et les Américains sur leurs parades."
Journaliste française installée à New York, Cécile David-Weill dans ses chroniques s'amuse à croquer toutes les particularités de cette ville , de ses habitants et de leurs mœurs.
De quoi satisfaire notre curiosité dans de nombreux domaines, voire de nous effarer face à certains comportements comme cette course à l’échalote visant à inscrire dès le plus jeune âge ses enfants dans une école privée cotée.
Invasion de punaises de lits qu'on s'efforce de passer sous silence, rat géant, voire cercueil contenant un cadavre de cire, utilisés par des grévistes, restaurants à la mode (mais le sont-ils encore ? ), les comportements new-yorkais paraîtront fortement exotiques à nos yeux français. Plein d'infos donc dans ces chroniques auxquelles on reprochera pourtant un ton un peu plat et un intérêt centré très largement sur un mode de vie aisé.
Livre de poche 2014, 186 pages et des adresses à la fin de chaque chronique.
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : cécile david-weill
15/04/2014
Crème anglaise
"Moi aussi je suis arrivé avec des idées reçues. Je pensais que les anglais étaient différents avant de venir ici."
Brillant élève, issu d'un milieu pauvre et écossais, Struan part à Londres pour s'occuper d'une figure majeure de la scène littéraire anglaise, Phillip Prys. Ce dernier, victime d'un AVC, est devenu un poids mort pour sa famille.Lesté de beaucoup d'illusions, le jeune Struan va débarquer dans une maisonnée bohème qui va lui paraître des plus étranges...
Éducation sentimentale et sociale, Crème anglaise,( Meeting the English en VO est nettement plus parlant), est une sorte de choc des cultures et de réajustement de valeurs. Se déroulant durant l'été caniculaire de 1989, "année où le monde changea, où les murs tombèrent, et où tous les vieux tyrans moururent" ,ce roman raconte aussi la fin d'un tyran domestique et peint ,de manière nuancée et pleine d'un humour souvent vachard cette constellation familiale hors-normes. Un roman savoureux et cent pour cent british.
Clara a aussi aimé.
18:20 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : kate clanchy
14/04/2014
Les Suprêmes
"Entre Suprêmes, nous nous traitions avec beaucoup de délicatesse. Nous fermions les yeux sur les défauts des autres et faisions preuve de prévenance , même quand cela n'était pas mérité."
Elles se sont connues à l'adolescence et, entrées dans la cinquantaine, se fréquentent toujours avec autant de bonheur. Malgré les années, elles sont restée celles que l'on surnomme encore Les suprêmes, trois afro-américaines pittoresques et pleines d'énergie, même si la vie ne les a pas épargnées .
Qui sont elles ? D'abord Odette, qui se définit elle-même comme une enquiquineuse, toujours prête à vous balancer en face des vérités déplaisantes. Normal qu’elle soit intrépide: elle est née dans un sycomore ! Puis, Clarice , à deux doigts de croire comme le lui rabâche sa mère que"le bonheur est le signe infaillible qu'on vit dans le péché." et qui ferme les yeux depuis bien longtemps sur les infidélités de son charmeur de mari. Enfin, Barbara Jean, toujours aussi sexy, mais toujours aussi marquée par son passé, fortement lié à l'histoire des États-Unis.
De retours en arrière en morceaux de bravoure (on ne souhaite à personne un mariage comme celui de la pauvre Sharon !), de sourires en moments d'émotion, on partage avec Les Suprêmes un véritable bonheur de lecture et l'envie qu’elles nous fassent un petite place dans leur bande !
Les Suprêmes, Edward Kelsey Moore, traduit de l'américain par Cloé Tralci avec la collaboration d'Emmanuelle et de Philippe Aronson, Actes Sud 2014, 316 pages qui fleurent bon l'amitié indéfectible !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : edward kelsey moore
12/04/2014
Le détour...en poche
Étrange, cette aisance avec laquelle le garçon et le chien s'accommodaient à cette maison."
Emportant quelques meubles et surtout son recueil des poèmes d'Emily Dickinson, une néerlandaise entre deux âges, loue une maison isolée au Pays de Galles. Derrière elle, elle laisse des parents figés dans leurs habitudes et un mari, d'abord furieux puis indifférent.
Va-t-elle tenter de se reconstruire ou son objectif est-il simplement de trouver un apaisement ? Se tenant d'abord dans un monde clos, l'héroïne va petit à petit s'intégrer à la nature qui l'entoure. L'arrivée impromptue d'une jeune homme chargé de cartographier les sentiers pédestres de la région va briser cette solitude et réveiller en elle sentiments et sensations.
Avec une grande économie de moyens, beaucoup de non-dits, Gerbrand Bakker fait évoluer son héroïne, gommant tout pathos, dans un univers qui devient de plus en plus proche de celui d'Emily Dickinson. On est bien loin ici de l'image que donne Christian Bobin de la poétesse américaine dans La dame blanche !
Mais le plus important mérite de ne pas être révélé afin de ne pas briser le charme puissant de ce roman qu'on voudrait tout à la fois finir et faire durer le plus longtemps possible... Un univers peuplé d'oies, d'un chien de berger, d'écureuils gris , d'un blaireau effronté et de quelques personnages qu'on a l'impression de voir évoluer devant nos yeux tant ils sont réussis ! Un moment de pur bonheur !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : gerbrand bakker