09/06/2014
Lola Bensky
"Pour sa part, Lola avait macéré dans le passé de ses parents , depuis toute petite."
De Londres à New-York en passant par Monterrey, Lola Bensky, 19 ans, interviewe les stars en devenir dans l'effervescence des sixties pour le journal australien Rock-Out. Mais, loin d'être un catalogue plus ou moins nostalgique de portraits sur le vif, c'est surtout à une quête identitaire particulièrement intéressante que nous assistons.
En effet, Lola est la fille de deux rescapés d'Auschwitz et interroger Mick Jagger ou Jimi Hendrix lui donne l'occasion de revenir sur son enfance si particulière, de poser en quelque sorte les questions qu'elle n'osera jamais poser à ses parents.
Se trouvant régulièrement trop grosse (elle est toujours en train de se programmer des régimes plus bizarres les une que les autres), Lola, cahin-caha, finira par trouver un certain équilibre et bouclera la boucle en retrouvant plus de quarante ans plus tard le chanteur des Rolling Stones à un dîner très chic.
Les portraits des rock stars sont extrêmement vivants, sensibles et sonnent très justes. On se prend aussi de sacrés chocs en découvrant les informations distillées plus ou moins clairement par les parents de Lola et la manière dont les enfants des rescapés développent des comportements psychologiques semblables. Mais Lola , vaille que vaille, conserve toujours l'équilibre et ne plonge jamais son lecteur dans la dépression. Un roman troublant.
Lola Bensky, Lily Brett, traduit de l'anglais par Bernard Cohen, la grande Ourse 2014, 271 pages marquantes.
Merci à l 'éditeur et à Babelio !
06:04 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lily brett
08/06/2014
Oiseaux, bêtes et grandes personnes
"Ne faites pas attention à nous. Elle vit pour manger, boire et se disputer, et ma besogne est de pourvoir à ces trois choses."
Corfou, un magnifique terrain de jeux et d'exploration pour le jeune Gerald Durrell et son chien Roger . Passionné de nature, mais aussi curieux des mœurs des autochtones, le jeune garçon ramène toute une ménagerie à la maison : de bébés hérissons jusqu'à un magnifique "crapaud aux pattes spatulées qu'[il] baptisa Augustus Tickletummy".
Ses frères et sœurs adultes sont à l'avenant car, s'ils s'offusquent des trouvailles de leur benjamin, eux n'hésitent pas à ramener de drôle d'humains à la maison ou à entretenir des passions pour le moins particulières avec l'au-de là. Le tout sous le regard bienveillant de leur mère.
Excentrique et attachante, la famille Durrell continue à nous faire rire et sourire tant la manière de raconter de Gerald est pleine de vie et d'entrain.
Le premier volume de la trilogie de Corfou est ici : clic
La trilogie de Corfou ressort dans une nouvelle édition : la Table Ronde 2014.
06:00 Publié dans Humour | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : gerald durrell, nature, corfou
07/06/2014
L'art difficile de rester assise sur une balançoire
"Trop de béatitude appelle la baffe ; c'est peut être bien fait pour moi. "
Vlan ! Pauline qui menait une vie parfaite entre mari idéal et enfants modèles se prend un grand coup de réalité en pleine figure quand son époux la quitte . Pour sa meilleure amie, tant qu'à faire. Du cliché banal et douloureux (mais la vie ressemble souvent à ce type de tautologies) qui va la laisser sonnée.
Seul conseil donné par sa mère, psychiatre renommée : une stratégie d'évitement qu'elle va mener de manière jusqu'au boutiste, allant jusqu'à prétendre que son ex-mari est mort. Mais ce dernier s'évanouit dans la nature pour de vrai...
Dévoré d'une seule traite ce roman très fluide et agréable à lire (car on y retrouve l'écriture inventive et imagée d'Emmanuelle Urien) m'a pourtant laissée une impression mitigée.
Je n'ai en effet éprouvé pas beaucoup de compassion ni de sympathie pour celle qui se définit elle-même comme " une petite-bourgeoise désœuvrée repliée sur l'échec de son couple ", peut être parce qu'autour de moi je connais beaucoup de femmes qui, à la douleur d'être quittée, doivent ajouter en outre de graves problèmes économiques.
Par ailleurs, le récit ne cède pas à la tentation d'un virage vers une version plus noire qui aurait été, à mon avis, nettement plus intéressante, car plus radicale. Il n'en reste pas moins que j'ai apprécié l'analyse fouillée des sentiments de cette femme et le récit de son évolution vers une possible renaissance.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : emmanuelle urien
06/06/2014
Le reste de sa vie
"On dirait que le destin tient à un accroc, un bouton décousu, un fil mal noué, des minutes perdues, des drames qui mèneraient à la porte close de l'école, au train manqué, le monde à sa perte sous une pluie de désastres."
Une femme, laminée par le travail, ses petites filles qu'elle adore, enfermée dans une relation toxique avec un mari-tyran familial ; une femme qui se vide de son énergie à trop vouloir donner ce qu'on lui refuse: de l'attention, de la considération; une femme qui "s'enferme le cœur" , qui a trop souvent les larmes aux yeux, maladroite, oublieuse, mais qui va bientôt pouvoir se poser, "toucher terre" : elle quitte provisoirement son emploi de commerciale.
C'est sa dernière journée de travail : "Aujourd’hui, tout ira bien." Le récit minutieux laisse bientôt sourdre une tension littéralement insupportable quand le lecteur prend la mesure de tous ces petits riens qui auraient pu faire basculer les événements du bon côté. L'engrenage, basé un fait divers réel qui m'avait marquée à l'époque, est implacable et prend vraiment aux tripes. Avec une grande économie de moyens, Isabelle Marrier dissèque les racines profondes de ce drame, mène son héroïne aux confins de la douleur et transforme ce qui s'annonçait comme une belle journée en un chemin de croix quasi insoutenable. Éprouvant, bouleversant, très réussi !
Le reste de sa vie, Isabelle Marrier, Flammarion 2014, 142 pages piquetées de marque-pages.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : isabelle marrier, isabelle pestre
05/06/2014
Plan de table...en poche
Cependant, même lui avec sa vision comptable de l'amour [...]reconnaissait que ses sentiments pour Biddy allaient au-delà de la simple gratitude."
Sur la très snob île de Waskeke (Nouvelle-Angleterre) se déroule le mariage de l'aînée des Van Meter, glorieusement enceinte de sept mois. Homards à gogo et Plan de table casse-tête en perspective pour la famille mais aussi remise en question pour le père, Winn, passablement austère et coincé, remâchant son passé et ne digérant pas que sa candidature au très select club de golf de l'île n'aboutisse pas.
Rien ne manque à l'appel de cette description d'un mariage huppé: ni la belle-sœur éméchée, ni la demoiselle d'honneur allumeuse et frigide, ni le beau-frère, bourreau des cœurs patenté. Mais j'ai mis du temps à lire ce roman, à le "digérer" avant de mettre le doigt sur ce qui me gênait dans cette lecture. Tout simplement le fait qu'un mariage est tendu vers l'avenir, comme le symbolise si bien le ventre de la mariée, alors que le personnage principal, le père, ainsi que sa fille cadette d'ailleurs, restent obstinément bloqués sur leur passé et ne parviennent pas à dépasser leurs échecs.
Cette tension m'a paru nuire à la progression du roman , ainsi d'ailleurs que la vison passablement démoralisatrice du mariage de Winn, et je n'ai pas totalement trouvé mon compte dans cette lecture.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4)
04/06/2014
On ne va pas se raconter d'histoires
"J'ai parfois la sensation de m'accrocher de plus en plus aux aspérités de la vie. Ce qui me paraissait comme insignifiant il y a trente ans me semble aujourd'hui lourd, laborieux."
On ne va pas se raconter d'histoires affecte d'emblée, dès le titre, la volonté d'une certaine franchise de bon aloi, d'une camaraderie sans chichis. On joue cartes sur tables et on confie sans barguigner ses sentiments, ses sensations. Les héros sont souvent accumulé pas mal d'années au compteur, seuls ou en couples, et cela les rend plutôt taiseux, patients. Ils aspirent souvent à un idéal (que certains atteignent grâce à des stratégies que je vous laisse le plaisir de découvrir) : "Vivre avec lui est une caresse ,tout est simple, fluide, il dénoue tout sans efforts ni complications."
Une certaine nostalgie pleine de douceur et de délicatesse baigne souvent ces très courts récits où, par exemple, une femme constate que son père, son mari et son fils partagent la même caractéristique: ils rêvassent et cela la touche car "dès qu'il se mettent à rêver, je vois les petits garçons qu'ils ont été."
Mais parfois le ton se fait plus caustique, voire revendicatif ,mais toujours avec beaucoup d'humour et d'empathie. J'ai ainsi adoré un texte intitulé
Merci
« Je sais, c’est un mot bizarre, parce qu’on l’utilise autant quand on vous tient une porte que pour répondre à ces moments qui vous construisent. Il ne vaut souvent pas grand chose en regard de ce qu’on vous donne mais j’ai quand même envie de te le dire. Je voulais te remercier de m’avoir aimée. Je voulais te remercier de n’avoir jamais rien dit quand j’étais odieuse. Je voulais te remercier de m’avoir fait de beaux enfants. Je voulais te remercier d’avoir fait de ma vie quelque chose d’ennuyeux mais de confortable. Je voulais te remercier d’avoir supporté ma bêtise, même si moi aussi j’ai supporté la tienne. Je voulais te remercier d’avoir aimé avec sa boue, ses cendres, la petite fille triste et effrayée que j’étais. Je voulais te remercier de m’avoir fait jouir et de m’avoir foutu la paix. Je sais, j’ai pas toujours dit ça, mais ce soir, c’est ce que j’ai envie de te dire. Je voulais aussi te remercier d’être mort avant moi. »
On ne va pas se raconter d'histoires, ce recueil de micro-fictions est un pur régal à dévorer d'une traite, puis à relire pour mieux savourer toute la gamme d 'émotions qu'il nous fait partager ! Et zou sur l'étagère des indispensables !
David Thomas , Stock 2014, 148 pages de pur plaisir !
Du même auteur : clic
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : david thomas
02/06/2014
Les oies des neiges
"J'avais l'impression d'exister entre deux pôles, le connu et le nouveau, et je me sentais alternativement attiré vers l'un ou l'autre."
Revenu dans la maison familiale pour une période de convalescence , suite à une hospitalisation,l'étudiant Ralph Fiennes se rend vite compte que, malgré la sollicitude des siens ,il se sent à l'étroit, au sens propre et au sens figuré , dans ce qui n'est plus son "home". Il commence alors à s'interroger sur la notion de "chez soi " et la redécouverte par hasard d'un roman lu dans l'enfance, L'oie des neiges, va l'inciter à suivre ces oiseaux dans leur périple de près de cinq mille kilomètres.
Rien ne prédisposait l'auteur (qui oui est bien apparenté aux acteurs Ralph et Joseph) à entreprendre ce voyage et cette méditation sur le mal du pays, la nostalgie, le tiraillement perpétuel entre l'envie de bouger et de se fixer, de rester seul ou d'aller à la rencontre des autres. Il aura fallu la conjonction de ces deux événements, la maladie et le roman pour que naisse Les oies des neiges.
Si le rythme est parfois lent, l'écriture est poétique, très visuelle, et nous glanons plein d'infos non seulement sur les oies (dont le trajet n'est en rien linéaire) mais aussi sur les hommes et femmes rencontrés par l'auteur. Un récit constellé de marque-pages !
Les oies des neiges, William Fiennes, Hoëbeke 2014, traduit de l'anglais par Béatrice Vierne,279 pages pour les amoureux des voyages et des animaux.
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : william fiennes, oies des neiges
31/05/2014
De tout, un peu...
Mai a filé à toute allure avec ses changements brusques de températures (nous avons déjeuné deux fois dans le jardin)et ses jeudimanches en cascades...
J'ai terminé deux saisons d' une seule série, The News Room avec bien peu d’enthousiasme d'ailleurs, car si les coulisses du journal de télévision américaine sont intéressantes, les intrigues amoureuses annexes sont prévisibles au possible.
Coup de cœur pour un seul film : Dans la cour, une comédie dramatique de Pierre Salvadori, avec des répliques au cordeau qui m'ont faire rire (sous cape, nous n’étions que trois dans la salle !). Catherine Deneuve, retraitée active , préoccupée par une fissure grandissant à la fois dans son mur et dans sa vie, va trouver de la compréhension et du soutien auprès d'un auto-proclamé "spécialiste de l'accablement", interprété par Gustave Kervern.
Les ruptures de ton surprennent et on ne comprend parfois certaines situations qu'à retardement, ce qui les rend encore plus savoureuses. Peinture d'un microcosme parfois croquignolet, parfois émouvant, on oscille entre rires et émotions avec pour seul viatique un poème de Raymond Carver, "Sleeping" ("Dormir"), qui figure dans le recueil La vitesse foudroyante du passé, en poche.
Il a dormi sur les mains.
Sur un rocher.
Sur ses pieds.
Sur les pieds de quelqu'un d'autre.
Il a dormi dans des bus, des trains, des avions.
Dormi pendant le service.
Dormi au bord de la route.
Dormi sur un sac de pommes.
Il a dormi dans une sanisette.
Dans un grenier à foin.
Au Super Dôme.
Dormi dans une Jaguar et sur la plate-forme d'un pick-up.
Dormi au théâtre.
En prison.
Sur des bateaux.
Il a dormi dans des baraquements et, une fois, dans un château.
Dormi sous la pluie.
Sous un soleil ardent il a dormi.
A cheval.
Il a dormi sur des chaises, dans des églises, des hôtels de luxe.
Il a dormi sous des toits étrangers toute sa vie.
Maintenant il dort sous la terre.
Il n'en finit pas de dormir.
Comme un vieux roi.
Raymond CARVER
06:00 Publié dans Bric à Brac | Lien permanent | Commentaires (10)
30/05/2014
Rêve général
"Tout le monde est pressé, même les génies, et ça finit par être pénible."
Un footballeur quitte le terrain au moment de tirer un pénalty crucial. On ne le sait pas encore mais c'est le début d'une "épidémie" qui va toucher les différents personnages de ce roman . Chacun d’entre eux, professeur, conductrice de rame de métro, Le Premier Ministre en personne, vont déserter leur poste pour se rebeller en douceur contre les injonction présidentielles de "travail" et d"efficacité", souvenirs, souvenirs...
Un peu déroutant par sa forme (j'ai même cru un instant qu'il s'agissait de nouvelles) car un chapitre est consacré alternativement à chaque personnage , Rêve général est un premier roman qui réussit à créer un véritable univers, entre rêve et réalité, où l'on préfère le confort, la tendresse et la gourmandise au volontarisme officiel. Dans un Paris où l'on retrouve les traces de Ferdinand Lop, "utopiste humoriste du quartier latin", comme le qualifie Claude Pujade -Renaud dans son éclairante préface, se met en place une grève qui ne dit pas son nom, une utopie qui semble si facile à mettre en place...
Rêve général, Nathalie Peyrebonne, Libretto 2014, 119 pages en apparence légères...
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : nathalie peyrebonne
27/05/2014
Sans voix
"Et elle se demanda pourquoi un livre devrait remporter ce foutu prix auquel elle participait à moins d'avoir une chance de faire comme la pièce de Shakespeare à l'instant : revenir à la mémoire d'une personne lorsqu'elle voulait pleurer mais n'y arrivait pas , ou voulait réfléchir mais ne réussissait pas à penser clairement, ou voulait rire mais ne voyait aucun motif de gaieté."
Bienvenue dans l'univers absurde d’attribution des prix littéraires anglais ! Là, tout n'est que chaos et tractations, passe-droits, égos surdimensionnés et discours amphigouriques. On y croisera un livre de cuisine indienne promu au grade de roman, un ou deux plagiats, des romans écossais sans oublier tout le monde de l'édition et des auteurs , plus vrais que nature !
Ce roman débridé cavale à toute allure , multipliant les coups de griffes mais avec une certaine tendresse au demeurant pour ceux qui défendent, malgré tout, cet univers du livre. Une satire qui, bien évidemment, ne pourrait s'appliquer au monde des lettres françaises...
Sans voix, Edward St Aubyn, traduit de l'anglais par Jacqueline Odin, C. Bourgeois 2014, 218 pages bruissantes de marque-pages.
06:00 Publié dans Humour, romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : edward st aubyn, attribution d'un prix littéraire