26/05/2014
L'invité du soir
"Tout était calme, mais chacun des meubles avait l'air comme détaché de ses amarres dans cette lueur plate et insipide, comme s'il s'était égaré à force de vouloir paraître à l'ordinaire. Ruth a eu le sentiment que sa maison toute entière lui mentait."
Une maison isolée de la côte australienne. Une vieille dame de 75 ans dont la santé décline mais qui tient à son indépendance, Ruth, y habite en compagnie de deux chats. Un soir, elle entend un tigre dans sa maison. Arrive alors un personnage tour à tour salvateur et rudoyant, Frida, aide-ménagère envoyée par le gouvernement.
S'instaure alors un climat troublant , oscillant entre tendresse et inquiétude, manipulation et hallucinations. L'écriture fluide et poétique de Fiona Mc Farlane instille le doute, fait froncer les sourcils, battre le cœur. Tout à tour ,on frémit, on partage la douce rêverie amoureuse de Ruth, on croit avoir compris ,mais tout est beaucoup plus subtil et intriguant que prévu.
La description de cette emprise étrange, où tout peut basculer à la seconde, mais aussi de cette femme âgée qui avait appris "grâce à ce drôle de miroir qu'était le visage de Jeff, qu'elle en était au stade où ses fils s'inquiétaient pour elle", de sa relation au temps, "Oh la douce étendue vertigineuse du jour, le remplissage plus ou moins réussi de toutes ces heures.",à la mort qu'elle espère "aussi extraordinaire que son commencement" sont tout à fait fascinantes.
En lisant, ce premier roman où la mer mais aussi la jungle de l'enfance fidjienne de Ruth ont la part belle, j'ai songé tour à tour à l'écriture de Virginia Woolf et Au barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras , le tout relevé d'une pointe lancinante de soupçons hitchcockiens. J'ai été soufflée !
Bravo à la traductrice, Carine Chichereau qui a su rendre l’atmosphère troublante de ce récit où d'une phrase à l'autre la tonalité peut changer.
L'invité du soir, Fiona Mc Farlane, traduit de l’anglais( Australie) par Carine Chichereau, L’Olivier 2014, 269 pages et un tour de force littéraire !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : fiona mcfarlane
23/05/2014
Literary life
"Reste , Charlotte ! ...Tu ne peux pas me laisser tomber maintenant, je n'ai pas terminé mon roman-j'ai besoin de ton malheur !"
Parues chaque samedi dans The Guardian rewiew, Literary Life (mais pourquoi diable avoir gardé le titre en VO ?), ces chroniques ont comme sujet imposé la vie des lettres. Sujet que connaît bien Posy Simmonds puisqu’elle l'avait déjà abordée, sous des angles différents avec Gemma Bovery (bientôt au cinéma avec Gemma Arterton et Fabrice Luchini) et Tamara Drewe (porté à l'écran par Stephen Frears).
Petites librairies indépendantes, supermarchés du livre, rivalités entre auteurs, ateliers de creative writing, autant de figures imposées dont Posy Simmonds se tire avec brio. On appréciera aussi son art de la satire avec le duo Dr Derek/ Nurse Tozer, graphisme tout droit sorti des sixties, qui soigne avec abnégation les affres des créateurs (le syndrome du deuxième roman) ou débusquent sans pitié les cas de plagiat"Hoquetmingway" ou "toux rgueniev"!
Traquant les petitesses et les faiblesses des écrivains sans méchanceté, Posy Simmonds souligne aussi les a priori concernant les auteurs jeunesse ou montre la "torture" que peuvent être les interventions dans les classes ou les séances de dédicaces sans lecteurs... C'est dessiné avec tendresse et empathie, et ça se lit tout seul ! Une BD à savourer à petites gorgées pour mieux l'apprécier.
Literay Life, scènes de la vie littéraire, Posy Simmonds, traduit de l'anglais par Lili Sztajn & Corinne Julve, Denoël 2014.
06:00 Publié dans BD, Humour | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : posy simmonds
22/05/2014
Les gens sont les gens
"Sa femme, malheureuse depuis trop longtemps, avait clairement pété une durite.ça marchait comme ça, le malheur. Il nous faisait dérailler.à la fin, il nous tuait. Mais , avant ça, il nous faisait dérailler."
Sur une impulsion , parce que "C'est pas tolérable une souffrance pareille...Il faut que ça s'arrête , la souffrance !" Nicole, psychanalyste de 57 ans enlève Foufou, porcelet de quelques mois, à son enfer campagnard,le fourre dans sa voiture et le ramène dans son très chic appartement parisien.
Cette rencontre improbable va générer toutes une série de situations cocasses et faire basculer la vie de Nicole et de certains de ses patients du côté ensoleillé de la vie.
Roman à l'écriture parfois un peu trop oralisée,( un "je m'en rappelle" m'a même fait sursauter...), au rythme enlevé (149 pages), Les gens sont les gens remplit parfaitement son office : nous distraire et nous faire sourire, sans prétentions.
"Le roman antidépresseur", annonçait le bandeau, je n'irai pas jusque là mais j'ai effectivement passé un excellent moment avec Foufou que Stéphane Carlier a parfaitement croqué, au sens figuré, bien sûr !
06:00 Publié dans Humour, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : stéphane carlier, le roman antidépresseur
19/05/2014
Une putain de catastrophe
"Les Wilson sont dans une impasse linguistique.Vous, Jeremy, investirez leur mariage. Vous allez, pour ainsi dire, bivouaquer sur leur champ de bataille conjugal.
-Seigneur ! s'exclama Cook. je préfèrerais conduire un camion charge de nitroglycérine."
Au chômage, le linguiste Jeremy Cook est embauché par L'Agence Pillow, cabinet de conseil conjugal,dont la particularité est d'envoyer à demeure un spécialiste du langage pour régler les conflits entre époux.
Au bord de la rupture, les Wilson voient donc débarquer celui qui, à première vue, paraît à mille lieues de comprendre la situation, étant lui-même un célibataire endurci .
Malentendus sur des pronoms, attentes totalement opposées, Jeremy observe, interroge et, tout en suivant la plus bizarre des méthodes, met à jour les mines anti-mariages susceptibles d'exploser à la plus petite occasion. C'est drôle, acéré, souvent pertinent et chacun se reconnaîtra dans l'un des motifs de dispute ou d’insatisfaction évoqués dans ce roman.
Une putain de catastrophe, David Carkeet, traduit de l'anglais (E-U) par Marie Chabin. Éditions Monsieur Toussaint Louverture 2014, 310 pages qui donnent le sourire.
Du même auteur, j'avais aussi aimé: clic et reclic .
Le billet de Papillon.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : david carkeet
16/05/2014
Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s'annonce
"La Petite Fille au Bout du Chemin , de deux phrases taguées , a dégagé les mots et mis à nu la guerre."
Émilienne, dite Émile, jeune femme pleine de générosité et d'altruisme, est morte pendant quelques minutes, son cœur s'arrêtant de battre soudainement. Pendant qu’Émile dort d'un sommeil artificiel, la narratrice, danseuse classique passionnée, évoque les souvenirs de cette amitié qui s'est tissée dans des circonstances douloureuses.
Simultanément, elle entre en relation avec La Petite Fille au Bout du Chemin, jeune femme qui n'hésite pas à braver les interdits et avec laquelle elle vivra des "odyssées déglinguées" et libèrera son corps entravé.
Comme dans La petite communiste qui ne souriait jamais, ( clic) Lola Lafon parle sans pathos mais avec beaucoup de poésie et de sensibilité du mouvement, des corps des femmes et de la place qui leur est faite -ou non -dans une société marquée par l'ordre et le rigorisme. Les mots, eux aussi sont importants, ceux qui stigmatisent mais aussi ceux qui libèrent.
J'ai savouré et fait durer ces 428 pages marquées du sceau de la révolte et du désir de liberté. Un grand coup de cœur.
Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s'annonce, Lola Lafon, Babel 2014.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : lola lafon
15/05/2014
La ballade d'Hester Day
"J'imagine que quand tu épouses secrètement un poète qui veut t'exploiter comme matériel littéraire, il vaut mieux que tu prennes au moins une minute pour réfléchir à ce que tu dirais à tes parents s'ils venaient à découvrir le pot aux roses. Moi, je n'y avais pas pensé."
Capable de programmer l'adoption d'un enfant dès sa majorité toute proche, comme d'agir sous une impulsion, Hester Day se retrouve dans un road movie, brinquebalée entre son mari poète et son très jeune cousin. Qu'elle les connaisse tous deux à peine ne la dérange pas le moins du monde !
Vouée d'emblée à l'échec cette épopée vaut pour les rencontres que nos anti-héros vont effectuer et par la manière si particulière d’Hesther d'envisager sa vie. N'empêche qu'on n'aimerait pas être à la place de sa mère !
367 pages hérissées de marque-pages et un excellent moment en compagnie d'Hester Day !
La ballade d'Hester Day, Mercedès Helnwein, traduit de l’anglais (E-U) par Francesca Serra, La belle colère 2014
06:55 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : mercedes helnwein
14/05/2014
Mon père ce héron
"Moi, mon père, il travaille à la télé...c'est lui qui présente la météo en haut d'une échelle !"
La surenchère règne dans la mare chez les petites grenouilles: "Moi, mon père...", "Moi mon père" jusqu'à ce que l'une d'entre elles, emportée par son élan, lâche "Moi , mon père...c'est un héron !". Or, "Tout le monde sait que les hérons mangent les grenouilles" Et, justement, voilà un héron qui fait irruption...
Rebondissements en cascade jusqu'à la toute dernière page (les hérons ne sont pas épargnés par la vantardise), références culturelles à la nouvelle star ou à Karl Lagerfeld, sans compter celles plus littéraires à Victor Hugo ("Mon père ce héros au sourire si doux"), voire politique avec l'anaphore présidentielle ("Moi, président de la république"), sans oublier l'humour malicieux des dessins de Jul, cet album présente plusieurs niveaux de lecture pour plaire aux petits (5 ans et plus) et aux grands ! Un pur régal !
Mon père ce héron, Jul, Rue de Sèvres 2014, pour enfants de 5 ans et plus.
06:00 Publié dans Jeunesse | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : jul
13/05/2014
Tout se mérite
"-Non, ça ne va pas en "métaux". D'abord faut contacter le fabricant pour savoir si l'alliage utilisé contient moins de 3,5% de tungstène et puis le revendeur pour qu'il confirme que la vente est postérieure à mars 2003. Et ensuite revenir ici avec un certificat complet, daté et visé par la préfecture. Pour commencer."
Voilà pour le passage à la déchetterie ! Tout se mérite , affirme Voutch sur la couverture de cet opus où un couple sourit, façon puzzle.
Et de passer en revue les applications de portable, le "coming out" sauvage en deux minutes top chrono, sur arrière plan de réception à la campagne, le cynisme et la bêtise des banquiers exposés crûment, les thérapies, les implants capillaires, le refus d'être un objet sexuel, l'art de présenter la tromperie et les enfants hors-mariage comme " contribution personnelle à la biodiversité", bref un joyeux panel de nos obsessions contemporaines !
Quant aux dessins, ils sont toujours aussi précis dans les détails, aussi beaux à regarder et le contraste entre l'harmonie du décor et l’aspect corseté des personnages toujours aussi efficace ! Éclats de rires garantis !
Déniché à la médiathèque !
06:00 Publié dans BD, Humour | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : voutch
12/05/2014
Ce qui est arrivé aux Kempinski
"Une des particularités comiques de l'enfance est que l'on traverse une gamme infinie de sentiments dont on ignore les noms. Tant que le mot n'a pas épinglé la sensation, comme une aiguille perçant les thorax d'un insecte, les impressions papillonnent en liberté autour de nous et en nous, éblouissantes, féériques, mais aussi parfois menaçantes car nous n'avons aucune idée de leur trajectoire, de leur taille, de leur venimosité."
Dans les quatorze nouvelles composant Ce qui est arrivé aux Kempinski, la réalité fait un pas de côté et les rêves deviennent plus réels que la réalité. Le titre d'un roman apparaît différemment à sa lectrice, les identités sont faussées, fluctuantes. Usurpations, impostures, trahisons sont au rendez-vous et même le diable sera dupé par une femme.
Le familier révèle ses double-fonds, les sentiments inavouables (que faut-il faire des cadeaux rapportés de l'école, ces "offrandes [...]la plupart du temps ratées et mystifiantes de laideur" ?, se demande une mère de famille éprise de perfection). On sourit, on admire aussi l'écriture éblouissante d'Agnès Desarthe qui traque au plus près le réel qui se dérobe sous nos pas.
« Mon âme, dit-elle. Mon âme, que vaut-elle ? Mon âme est une liste de courses. Mon âme est une déclaration d’impôts, un bulletin de notes au bas duquel ne figurent pas d’encouragements. Mon âme est le mode d’emploi du lave-vaisselle remplacé depuis huit ans, un bordereau de la poste datant de trois mois (le paquet est reparti, mais où, et que contenait-il ? Une rivière de diamants, sans doute). Mon âme est pleine de “Bonjour, madame”, “Au revoir, madame”, elle est salie par les corvées, corrompue par la fatigue de jours sans héroïsme, sans passion, sans péril. »
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Qu'est-il arrivé aux Kempinski, Agnès Desarthe, éditions de l'olivier 2014, 191 pages constellées d emarque-pages !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : agnes desarthe
11/05/2014
La grâce des brigands...en poche
"Cette dernière passion, ça ne faisait pas un pli, l'entraînerait loin de Lapérouse, puisque les livres servent, comme on le sait, à s'émanciper des familles asphyxiantes."
Maria Christina Väätonen, qui s'est auto-attribué le titre de vilaine sœur, a quitté son grand Nord et sa famille étouffante dès seize ans pour s'installer à Santa Monica . Quand le roman commence, le 12 juin 1989, elle reçoit un coup de fil de sa mère qui va la faire revenir sur son passé et sur la manière dont, dans les années 70, elle est devenue une très jeune écrivaine à succès.
Quel bonheur que ce livre ! Un je ne sais quoi m'avait toujours retenue dans mon appréciation des précédents romans de Véronique Ovaldé mais ici toutes les restrictions ont été balayées !
Le premier chapitre qui explique l'inclination de l’héroïne pour ce quartier de Los Angeles où elle habite est une pure merveille ! Nous sommes avec elle en train de siroter des sangrias, de sentir le vent frais qui vient des jardins... et ce sera comme cela tout le long du texte car Ovaldé a un don visuel certain. Cet éloge sensuel fonctionne d'ailleurs en contrepoint de la liste sèche et pleine de rigueur de "La vulgarité selon Marguerite Richaumont", la mère de l'héroïne. Les titres des chapitres , "L'encombrant désespoir des fillettes", " Mettre le bras entier dans un trou d'alligator", le style, plein de cette Grâce des brigands vantée dans le texte, font de ce roman d'émancipation féminine une pure merveille, jamais pesante, où les épreuves sont racontées avec justesse, sans auto-apitoiement et avec toujours une pointe d'humour. Une écrivaine qui a atteint une aisance dans l'écriture que nombre de ses confrères lui envieront !
Un grand coup de cœur, constellé de marque-pages, et qui file d'un seul coup d'un seul sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : veronique ovaldé