20/08/2014
Le garçon incassable...en poche
"Mais le chagrin, Henri, où le mets-tu ? Tes yeux ne pleurent jamais. la tristesse semble ricocher sur toi. Je sais qu'elle entre pourtant, filtrée par ta vision du monde. Alors, dans quel recoin de toi-même l'enfermes-tu ? "
Enquêtant sur Buster Keaton, la narratrice se prend à évoquer son frère "différent", Henri. Nombreux sont les points communs entre les deux hommes, se situant toujours un peu à côté des autres et ayant une relation particulière à leur corps. Le garçon incassable, c'est d'abord Keaton, qui , dès l'enfance, fut réifié par ses parents, jeté comme un objet raide et sans réaction pour un numéro de music-hall qui séduisait les foules. Cette capacité corporelle étonnante s'accompagnait aussi d'un visage impassible qui devint bientôt la marque de fabrique de son personnage.
Mais c'est aussi Henri, dont la vie " se déroulera dans un éternel état intermédiaire. Un état où les éclats de joie sont de plus en plus rares."et qui, parfois "est comme un objet habité par une force que seule l'ouverture de la porte peut libérer."
Leurs relations aux autres, le regard que les autres portent sur le comique burlesque et sur l'enfant handicapé sont évoqués avec beaucoup d'empathie et de délicatesse.
Deux portraits qui se font écho, portés par une écriture sensible et sans pathos. Un roman qu'il faut prendre le temps de laisser infuser, pour mieux s'en imprégner.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : florence seyvos
19/08/2014
Rien de personnel
« Un immense mensonge qui avait été sa seule option, même s’il l’avait isolée et n’avait jamais cessé de la perturber. »
Quand elle propose à son éditeur et ami de rédiger la biographie de Vera Miller, comédienne peu encline à s’épancher mais qui a marqué le cinéma et connaît encore le succès sur les planches, Elsa ne lui révèle pas que cette femme est sa mère. Une mère qui l’a abandonnée à son père et ne l’a rencontrée que de loin en loin avant que tout contact ne soit rompu.
Menant son enquête, la biographe va petit à petit prendre possession de son histoire familiale et, tout en cernant le caractère complexe de Véra, découvrir « des aspects de sa propre personnalité qu’elle aurait préféré continuer à ignorer ».Souvent en porte à faux par rapport à ses découvertes, « Un détail odieux pour la fille de la comédienne ; inespéré pour sa biographe. », Elsa doit aussi faire face à sa propre fille, tout juste entrée dans l’adolescence avec une belle énergie.
On suit avec intensité cette quête nuancée qui nous offre deux superbes portraits de femmes à des âges différents. Agathe Hochberg explore avec empathie les liens mère/fille et nous propose un récit évitant clichés et « happy end »conventionnel. Une belle analyse aussi de la relation à la notoriété.
Lu dans le cadre du Prix confidentielles (clic).
Cuné avait bien aimé aussi clic.
06:03 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : agathe hochberg
18/08/2014
L'été des lucioles
« Des fois la tristesse est plus contagieuse que certaines maladies. »
Comme chaque été, Victor, 9 ans part en vacances à Roquebrune. L’occasion de profiter de la tendresse du cocon familial : sa grande sœur, Alicia toujours à la recherche du grand amour, ses deux mamans, Claire et Pilar.
Mais cette année, avec son ami Gaspard, l’aventure est au rendez-vous et peut être que notre explorateur en herbe découvrira pourquoi son père refuse tout à la fois de grandir (il est un éternel Peter Pan) et surtout pourquoi il refuse de venir dans cet appartement familial au bord de la mer…
Se plaçant à hauteur d’enfant, Gilles Paris parvient parfaitement à préserver la fraicheur de sa narration et de son regard. L’intervention d’un soupçon de magie, par l’intermédiaire, entre autres des lucioles du titre, instaure une poésie qui ne nuit en rien à l’atmosphère. Un roman sensible et tendre.
Le joli billet de Séverine.
Clara a aussi aimé.
Plein d'avis chez Noukette
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : gilles paris
17/08/2014
Madame de Néandertal-journal intime
On parle toujours de l’homme de Néandertal, mais quid de sa femme ? Marylène Pathou-Mathis, directrice de recherche au CNRS et Pascale Leroy journaliste, éditrice et auteur ont décidé de remédier à cet oubli en rédigeant son journal intime.
Être didactique et amusant sont visiblement les deux objectifs de ce roman. Si le premier est largement atteint (parfois trop d’ailleurs, ce qui alourdit le récit), le second tombe souvent à plat. Il ne suffit pas de « néandertaliser » des références contemporaines pour qu’elles créent le sourire : « elle est tombée dans les airelles » au lieu de « tomber dans les pommes », par exemple.
D’autre part, j’avais parfois plus l’impression de lire un roman de chick litt contemporain qu’autre chose et je me suis rapidement lassée. Dommage car l’idée de départ était vraiment intéressante.
Lu dans le cadre du prix Confidentielles (clic).
Le billet de Yv, pas plus convaincu.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (12)
16/08/2014
Chambre 2
"J'assiste à la naissance d'une mère. C'est presque plus émouvant que la naissance d'un enfant."
Quand on passe dans le couloir d'un hôpital, on entr'aperçoit des fragments de vie, et l'on se sent un peu gêné, un peu voyeur. Rien de tel dans le roman de Julie Bonnie où Béatrice nous fait partager son quotidien, parfois émouvant, parfois douloureux, dans une maternité.
Mais plus qu'une galerie de portraits de mères en devenir, c'est aussi le récit d'une tentative de normalisation d'une femme, la narratrice qui, quittant le monde du spectacle où elle mettait en scène son corps , affronte une réalité où la nudité, si elle est prise maintenant au sens figuré, est beaucoup plus cruelle : "Douze heures dans la chair humaine, nue dans la neige, nue dans le feu, nue quand il est vital de se couvrir."
Les souvenirs de son passé artistique ne sont en rien enjolivés mais s'opposent néanmoins à un quotidien où la violence et le silence s'imposent aux corps des femmes. Une écriture puissante et charnelle. Un grand coup de cœur !...
20:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : julie bonnie
Une certaine idée du bonheur
""Il s'agira d'un ouvrage sur les fins heureuses comme possibles actes de résistance dans la littérature américaine. Une autre façon de dire la vérité par rapport au trope culturel dominant qu'est la tragédie.""
Tracy, sur le point d'obtenir sa titularisation dans l'université new-yorkaise où elle enseigne, trouve quand même le temps d'être l’oreille attentive de sa meilleure amie, tout en envisageant la rédaction d'une thèse sur le bonheur dans la littérature américaine. Car oui, elle aime les livres pour échappatoire qu'ils offrent et pas seulement pour le plaisir de les décortiquer.
La rencontre de George (nan, pas lui, un autre !) devrait couronner ce qui s'annonce comme une vie parfaite mais l'emballement du jeune homme risque de tout faire capoter.
En effet, ici, ce qui compte n'est pas la rencontre mais tout ce qu’elle va chambouler dans la vie affective d'une héroïne et qu'elle n'accepte pas d'emblée comme étant acquis.
Mêlant roman universitaire (intrigues (un peu trop ) machiavéliques à la clé) et romance (l’héroïne est à la fois "nouée comme un bretzel", intelligente et drôle), Une certaine idée du bonheur est un pavé de 535 pages qui se dévore en un rien de temps, même si, comme moi on a largement plus de trente ans !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : rachel kadish
15/08/2014
Un monde sans moustiques ni cafards est-il possible ?
"Pisseuse, tsé-tsé, de l'olive, des pluies, ou tout simplement domestiques, les mouches agacent, nuisent et parfois effrayent."
Si, comme moi, les moustiques vous ont, de la tête aux pieds, généreusement accordé plein d'étoiles et vous manifestent une affection sans pareille, la question posée par Denis Bourguet et Thomas Guillemaud dans cet opuscule de la collection Les Petites Pommes du savoir ne vous laissera pas indifférent.
Si nous cherchons à protéger les insectes qui nous sont utiles, nous voulons, au contraire, éliminer, radicalement ou pas, ceux que nous jugeons, à tort ou à raison nuisibles et ce avec des moyens variés, mais jamais sans conséquences . Les auteurs donnent des exemples précis et évoquent de manière la guerre que nous menons depuis longtemps contre les insectes jugés nuisibles. Le vainqueur n'est d'ailleurs pas forcément celui auquel on s'attend, les insectes ayant une grande capacité d'adaptation !
Parfaitement structuré, avec des textes explicatifs et argumentatifs clairs (glossaire et bibliographie à l'appui), en principe destiné aux enfants (mais pas que) ce document expose de manière limpide et nuancée nos trois types de relations aux insectes et les conséquences qui en découlent.
Une belle réflexion, nuancée, et pleine d'informations ,qui nous permet d'envisager les moustiques d'un autre œil...
57pages, à glisser dans la poche sans hésitation !
Pour la route, un t'ite chanson.
De rien.
06:00 Publié dans Document | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : denis bourguet, thomas guillebaud
14/08/2014
Le chien-chien à sa mémère
"J'exerçais le métier de journaliste-chômeur. Être journaliste-chômeur, c'était avoir été par exemple secrétaire de rédaction, puis avoir déposé sa plume pour ne pas remettre sa "copie" à la censure et vivre de l'air du temps. Ce métier était honorable. des confrères ont été décorés pour cela.Mais il interdisait le luxe des pommes de terre. Et il faisait maigrir..."
Peut-on acheter d'occasion, sans jamais l'avoir feuilleté, sur la seule fois d'une étiquette coup de cœur dans la vitrine d'une librairie inconnue et fermée ? Oui.
Bon, j'avoue le titre et la couv' ont aussi joué.
Il ne sera pas question que de chien-chien ou de mérote à chats dans les nouvelles d'André Baillon. On y rencontre en effet tout un univers de petites gens , prostituée par défaut comme la si gentille Nelly Bottine qui ne put devenir bonne sœur parce qu'elle avait un enfant, "pauvre bougre "de soldat allemand en butte à la vindicte des passagers d'un tramway bruxellois lors de la première guerre mondiale. Toute une humanité pour laquelle on sent la grande empathie de l'auteur, toujours prêt à se mettre contre ceux que Brassens appelait "les braves gens' qui "n’aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux."
On pense parfois au réalisme d'un Maupassant mais aussi à l'humour noir d'un Vian quand Baillon dénonce l'absurdité de la guerre. L'humour est souvent acide aussi, pointant les défauts avec acuité, y compris ceux du narrateur ! Quant à la réalité, elle s'emballe parfois quand un pot de fleurs, dans un effet "boule de neige", vient par sa seule présence incongrue, entraîner des conséquences inattendues !
Ne pas rater la présentation éclairante de Bérengère Cournut à la fin du recueil.La vie d'André Baillon(1875-1932) est à elle seule un roman poignant et tragique .
Le chien-chien à sa mémère, André Baillon, Finitude 2013, 131 pages qui filent sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, nouvelles belges | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : andré baillon
13/08/2014
Le bonheur n’est pas un sport de jeune fille
« Décidément, les établissements cinq étoiles attirent de drôles d’oiseaux. »
Un microcosme en apparence fort tranquille, en l’occurrence un établissement de thalassothérapie huppé, va être le théâtre de nombreux bouleversements, quiproquos, révélations tragi-comiques.
Premier roman, Le bonheur n’est pas un sport de jeune fille ne maîtrise pas toujours sa narration, mais sait rendre ses personnages vivants, même s’ils frôlent parfois la caricature, en particulier dans leurs dialogues. A trop vouloir mélanger la farce et l’émotion, voire ajouter une touche de surnaturel, l’auteure perd en efficacité et c’est dommage.
Le bonheur n'est pas un sport de jeune fille, Elise Tielrooy, Belfond 2014.
Lu dans le cadre du prix Confidentielles clic
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : elise tielrooy
12/08/2014
Le silence de Saida
" Saida avait compris peu à peu qu'elle avait reçu pour mission de commettre des actes dont les autres étaient incapables."
Risto , pour cause de crise familiale, abandonne sa femme et sa maison, enfourche son vélo pour renouer avec son enfance, sur la côte finlandaise.
Il s'installe dans la vielle maison de sa grand-mère Saida, celle qui l'avait élevée mais dont il s'était éloigné à cause de la jalousie de son épouse. Là, vivant avec le strict minimum, il va découvrir, en même temps qu'un grand pan de l'histoire de son pays, les secrets d'une femme hors du commun, Saida.
Alternant passé et présent, le roman de Leena Lander rend particulièrement vivants ses personnages. Il ne s'agit pas ici d'une reconstitution historique empesée mais d'un récit plein de sentiments, dont tous les acteurs nous deviennent proches. L'auteure fait la part belle aux femmes de ce pays, qui ont obtenu, bien avant les françaises, le droit de vote et rend hommage à celles qui ont su traverser beaucoup d'épreuves ,dont celle de la guerre civile de 1918 qui divisa la population finlandaise, à la suite de la révolution russe et de la première guerre mondiale.
Même si comme moi vous n'appréciez pas spécialement les romans historiques, vous serez sensibles, j'en suis sûre, à ce portrait riche et sensible d'une femme qui alliait douceur et caractère. un bon moment de lecture !
Le silence de Saida,Leena Lander, traduit du finnois par Jean-Michel Kalmbach, Actes Sud 2014,398 pages prenantes.
Du même auteur:clic
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : leena lander