26/05/2010
Papier machine
"N'importe quelle infirmière pouvait me remplacer à la clinique, aucune n'était capable d'écrire ma page 40."
Parce qu'elle vient de perdre le père de sa fille et de se fâcher avec sa plus vieille amie, la narratrice (donnée comme double de l'écrivaine) se lance dans un nouveau roman, une plongée dans le passé.
C'est aussi l'occasion de revenir sur le cheminement qui l'a conduite à l'écriture, de voir comment une infirmière s'est autorisée, à partir d'un atelier d'écriture déclencheur, à libérer sa créativité, comment elle a dû batailler pour assumer sa vie de maman solo, combinant les rôles de baby-sitter et d'écrivaine, non sans humour.
Papier machine dépeint également un amour qui va se déliter car son compagnon , après avoir encouragée la narratrice, va très mal supporter de se voir incapable d'écrire à son tour...
On retrouve ici toute la fraîcheur de Fred et Mathilde, ou d'Une petite fête sur la planète, l'écriture coule, fluide et sensible et l'on ne peut rester de marbre devant ce roman qui devrait donner la pêche à tous ceux qui ont envie de se lancer.
Papier machine, Corinne Roche, Helloïse d'ormesson 2010 , 185 pages.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : corinne roche, écriture
25/05/2010
Antarctique
"Les gens ne comprennent pas, mais il faut regarder le pire en face pour être paré contre tout."
Quinze nouvelles aux tonalités très différentes constituent la mosaïque de L'Antarctique. La plus troublante étant sans conteste la première qui donne son titre au recueil et plonge abruptement le lecteur dans une atmosphère tour à tour chaleureuse, sensuelle et...glaciale."Chaque fois que la femme heureuse en ménage partait, elle se demandait comment ce serait de coucher avec un autre homme."Évidemment, elle va essayer...
Cette détermination, ce caractère bien trempé caché sous des dehors lisses ou juvéniles, les héroïnes de Claire Keegan, même plongées dans des situations extrêmes ou oppressantes depuis des années, savent l'exercer pour se préserver et couper net.
Chacun se débrouille vaille que vaille pour affronter l'adversité, affronter la folie d'une mère , ou d'une épouse, la jalousie d'une soeur...
Il suffit parfois de peu de choses: refuser de fermer une barrière,accepter de se lancer sur un grand toboggan, lutter ensemble contre une armée de cafards...
L'humour est également présent, par petites touches, dans "Drôle de prénom pour un garçon" par exemple. Il désamorce la tension dans un couple et permet d'envisager une situation rabâchée sous un angle totalement neuf et décalé.
Claire Keegan n'est jamais aussi à l'aise que quand elle observe les tensions familiales , soulignant au passage de petits détails qui seront scrutés et interprétés comme "Une paire rouge à hauts talons pour les embrouiller" ou une marque sur le poignet d'un enfant...
Chaque nouvelle constitue un univers à part entière,dense et lumineux, en parfait équilibre, et ces textes, ni trop longs, ni trop courts, ne créent jamais de frustration mais laissent souvent le lecteur pensif et envoûté...
L'antarctique, Claire Keegan, nouvelles traduites de l'anglais (Irlande) par Jacqueline Odin, Sabine Wespieser 2010, 271 pages magistrales.
A noter que Claire Keegan a été encouragée par Nuala O' Faolain, une référence !
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : claire keegan
24/05/2010
Eté
"L'été rince la douleur de nos corps."
Après un Hiver particulièrement rigoureux, le choc thermique est rude pour le lecteur qui va accompagner Malin Fors dans une nouvelle enquête au coeur d'un Eté caniculaire !
Un tueur en série s'en prend cette fois à de très jeunes filles qu'il appelle "Mes anges d'été". En effet, comme dans son précédent opus Mons Kallenfort nous fait partager les pensées des victimes décédées mais aussi celles de l'assassin.
Le lecteur retrouve avec plaisir les personnages rencontrés précédemment et même si l'enquête semble au début un peu languissante, pâtissant de la chaleur accablante, les rebondissements ne manquent pas, y compris dans la vie personnelle de Malin qui gagne ici en densité.
L'auteur rend palpable l'opposition entre l'eau et la chaleur caniculaire qui court tout au long du texte et cette atmosphère jugée dantesque par les enquêteurs mais salvatrice par le tueur.
Un roman qui confirme pleinement le talent de cet auteur suédois.
Eté, Mons Kallentoft, traduit du suédois par Max Stadler et Lucile Clauss, 440 pages .
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : mons kallentoft, canicule, policier, suède
23/05/2010
Nous n'avons pas d'endroit où vivre
"Je cherche à me détacher."
Manuel, jeune écrivain français, est invité en Namibie pour ainmer un atelier d'écriture avec des élèves du township. Là-bas, il découvrira la violence, des exilés volontaires ou pas et une ville marquée par l'apartheid.
Ayant vécu deux ans en Afrique (il y a vingt ans!) j'ai retrouvé, la violence en plus, l'ambiance de ces villes africaines écrasées par le soleil et l'ennui en fin de semaine. les invitations entre expatriés, les excursions qui tournent à vide...
J'ai juste regretté que l'atelier d'écriture ait été effleuré mais bon la durée très brève de l'intervention explique cela.
Il ne me restera pas grand chose de ce livre, il faut bien l'avouer, juste quelques images, une ambiance.
Merci Cuné !
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : olivier de solminihac, afrique, expatriés, atelier d'écriture
22/05/2010
Une brève histoire du tracteur en Ukraine
"Toute en fourrure et sans culotte comme disait ma mère"-
Si on ajoute des seins en obus à la description précédente, on comprend que Valentina fasse tourner les têtes des hommes y compris celle de Nikolaï, veuf depuis deux ans !
Oui mais voilà Nikolaï est nonagénaire et ses deux filles, fâchées pour une question d'héritage ,vont se rabibocher vite fait pour faire front et lutter contre l'envahisseuse ukrainienne qu'elles soupçonnent d'aimer davantage la nationalité anglaise ( qu'elle pourra acquérir par son mariage) et la société de consommation, que leur père.
Une brève histoire du tracteur en Ukraine est aussi le titre du livre qu'est en train de rédiger le veuf joyeux et les extraits qui nous en sont donnés éclairent d'un jour nouveau l'histoire de ce pays de l'est dont la famille est originaire mais aussi celle du monde. En effet, cette famille a connu les tourments de l'Histoire, que ce soit sous la botte nazie ou sous celle de Staline qui organisa sciemment une famine pour mettre au pas les paysans ukrainiens.
La plus jeune soeur, Nadezhda (espérance), est celle qui est née durant la Paix et a connu une existence plus protégée, confortable et se montre plus révoltée que Vera qui elle a connu la guerre. Ces différences s'éclaireront petit à petit quand la cadette se penchera sur le passé de ses parents.
Marina Lewycka propose aussi une réflexion toute en nuances sur les différences opposant les immigrés "anciens" et ceux qui arrivent de nos jours en Grande -Bretagne.
On sourit beaucoup, entre autres quand la narratrice, Nadezda, décrypte les tentatives de manipulation de son père lors des conversations téléphoniques, ou quand elle se délecte à choisir des cadeaux de Noël pour "l'ennemie" : "j'emballe un flacon de parfum bon marché particulièrement immonde que j'ai gratuitement dans une promotion du supermarché" , mais bon,son avis sur elle évoluera aussi .On est ému par la détresse de certains personnages et on dévore d'une traite ce roman plein de rebondissements !
Vient de sortir en poche !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : marina lewycka
21/05/2010
Juliet, naked
"Si j'ai envie que quelqu'un me crie dessus pendant 45 minutes, j'appelle ma mère."
Fan inconditionnel de Tucker Crowe, ex-chanteur des eighties, Duncan ne se rend pas compte que sa compagne , Annie est de plus en plus agacée et frustrée. rien de bien folichon en effet dans ce couple où l'amour ou la passion ne semblent pas avoir joué de grand rôle.
A l'orée de la quarantaine, Annie se demande donc si elle n'a pas gâché ces quinze dernières années et sa chronique sur le dernier disque en date de Tucker Crowe, "Juliet, naked",va déclencher un véritable cataclysme.
Féru de musique, on le sait depuis ses premiers romans, Nick Hornby brosse ici , sous prétexte d'étudier le phénomène des fans, le portrait acide et drôle d'un couple au bord de la crise de nerfs, mais qui reste toujours très digne et s'affronte à fleurets mouchetés. Il scrute avec une attention sans faille les paroles et les gestes bien rôdés, la manière dont chacun sait comment l'autre va les interpréter...
Les notices Wikipédia et les transcriptions hilarantes des interventions sur les forums rendent encore plus attachant ce roman qui me réconcilie définitivement avec Nick Hornby. Ce pourrait être déprimant ou d'un optimisme forcené, c'est plein d'humanité , d'empathie et d'humour, et ça donne une folle envie d'aller sur la plage surannée de Gooleness ...
Juliet, naked, Nick Hornby, 10/18, 2010 , traduit de l'anglais par Christine Barbaste, 313 pages qui sonnent juste.
Plein d'avis un peu partout ...
Ys,
Pas une seule fausse note pour l'instant ...
N'hésitez pas à me donner vos liens!:)
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : nick hornby, fan de musique, couple
20/05/2010
L'amour vache
"L'espoir, c'est une maladie bubonique qui laisse des cloques un peu partout."
ça tire à hue, à dia, ça grince, ça râle, ça ronchonne mais ça rigole aussi l'adolescence. Alors les parents morflent et s'efforcent de tenir bon la barre. C'est L'amour vache, et Rachel Corenblit dans ces huit histoires tour à tour drôles et émouvantes nous en offre des instantanés pleins d'empathie.
Une très belle écriture aussi qui ne tombe pas dans la joliesse ou dans l'effet à tout prix. Un régal !
L'amour vache, rachel Corenblit, Editions du Rouergue 2008 , 123 pages à lire par les parents (quand ça tangue un peu trop fort) et les enfants.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : rachel corenblit, adolescence
19/05/2010
Maîtresse
"...je devais prétendre qu'il restait en moi quelque chose de vivant."
En 1882 dans le Sud des Etats-Unis, la vie n'est pas aussi flamboyante et douce qu'on pourrait le croire. La révolte commence à gronder et les Blancs ont fort à faire pour conserver les Noirs sous le joug de l'esclavage.
Mais qui vit vraiment , Manon, jeune femme désabusée qui se refuse à son mari tyrannique ou Sarah, l'esclave qui dissimule soigneusement ses pensées et passe ses nuits avec l'époux de Manon ?
Ni avec toi ni sans toi pourrait être le leitmotiv de Manon qui n'arrive pas à se défaire de cette esclave qui l'humilie en sourdine. Une valse-hésitation fascinante où les rapports de force changent sans cesse, où la manipulation se fait feutrée, se donne ainsi à voir.
Bien que les romans historiques ne soient pas vraiment ma tasse de thé, ,ayant beaucoup aimé le précédent roman de Valerie Martin, j'ai enchaîné avec celui-ci et bien m'en a pris. En effet, même si l'auteure s'est appuyée sur une documentation solide , elle a su s'en affranchir pour mieux insister sur les rapports troubles qui se nouent entre les deux femmes. Un roman acide est troublant. A découvrir.
Maîtresse, Valerie Martin, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Françoise du Sorbier, Albin Michel 2004, livre de poche 2006.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : valerie martin, esclavage
18/05/2010
Flaubert est un blaireau
Alain Chopin n'a pas demandé à enseigner dans " un lycée classique de jeunes filles en centre-ville". Non, il a enseigné le français en lycée professionnel. Faire passer les oeuvres littéraires classiques à des jeunes issus d emilieux modestes, une gageure? Oui et non car fort de son expérience qu'il nous livre ici sous forme de courts chapitres, comme autant d'instantanés pleins de vie, Alain Chopin nous fait remarquer que "[ses] élèves -17-18 ans connaissent déjà le désir, l'amour, la rivalité, la haine, le malheur, la séparation, la joie, le plaisr. ils le connaissent déjà parfois trop, ou trop brutalement. c'est pour cela qu'ils peuvent lire, ressentir et comprendre els oeuvres littéraires classiques qui ne parlent que de ça." Non ce qu'ils rejettent en bloc ce sont"les commentaires, les questionnaires, les analyses toutes prêtes, poussiéreuses, l'académisme quoi." Pas question pour autant de tout révolutionner , mais inventer ses propres détours pour infléchir juste un peu le cadre institutionnel.
Pas de recettes, pas de mode d'emploi mais des pistes suggérées que chacun pourra emprunter ou non, adapter à sa propre personnalité. Tout le monde n'est pas capable de faire suivre son cours à deux nains de jardin !
Joyeusement iconoclaste, se battant pour mettre en place des projets qui font entrer les artistes à l'école ou partir les élèves sur les traces d'un écrivain contemporain, Alain Chopin ne cache pourtant rien de ses échecs, de la peur, de la violence à laquelle il a été parfois confronté mais l'auteur semble doté d'une incroyable capacité à rebondir et à essayer d'extraire la pépite cachée, il en est sûr, dans chacun de ses élèves.
Un livre qui redonne foi en l'enseignement.
Flaubert est un blaireau, Antoine Chopin, Editions dialogues.fr 2010 , 193 pages.
L'avis de Malice.
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : alain chopin, enseignement, bac pro
17/05/2010
50 histoires fraîches
"Les heures bachi-bouzouks préparent le bonheur."
Certains des personnages qui peuplent ces 50 histoires fraîches se regardent dans un miroir, non dans une optique narcissique , mais pour "observer comment l'intérieur de moi se glisse hors de moi et s'il peut jamais y avoir un rapport entre ce que je suis et ce que je vois de moi.", pour donner aussi de la densité à un moment où tout vacille, on ne sait trop pourquoi. D'autres y voient des fantômes car nous sommes le réceptacle de ce que nous avons vécu et de tout l'arbre généalogique qui tremble en nous.
D'autres se plaignent du nombre d'heures à attendre un bonheur qui ne vient pas, beaucoup d'heures sans importance où il faudrait savoir écouter "ces bruits qui s'entrouvrent" pour épaissir la vie.
Les mots aussi pourraient nous aider,car "Il est des mots sorciers, ayant pouvoir sur l'âme, sur l'oreille des mots qui, avant d'avoir été dits, avant même d'avoir été tout à fait entendus , ont agité la caisse du tympan et parlé directement aux os du crâne."; ces mots contre lesquels bataille une écrivaine, les prenant à bras le corps, aspergeant d'encre son univers...
L'amour, la mort, l'écriture, la vie apparemment trop fade, Régine Detambel les décrit avec une sensualité, une gourmandise jamais repue.
50 histoires fraîches pour dire la vie brute, celle qu'on envisage d'un oeil neuf, non sans un humour parfois désenchanté.
Une langue riche, pleine de sève qui irrigue ces 50 histoires qui s'éclairent les unes les autres, se répondent parfois, 50 histoires où toujours dénicher au moins une phrase qui résonne en nous. A lire et relire.
50 histoires fraîches, Régine Detambel, Gallimard 2010, 226 pages savoureuses.
06:00 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : régine detambel