07/03/2011
Dictionnaire amoureux des dictionnaires
"Le dictionnaire court de la science la plus érudite à la fantaisie la plus débridée; en chemin, il rencontre la littérature, les grands textes et s'enroule autour d'eux comme le lierre de la critique: Pierre Bayle *avait lancé le mouvement."
Multiforme, multisupports, le dictionnaire est selon Alain Rey un Objet Culturel mal Identifié et il est plus facile de dire ce qu'il n'est pas que de déterminer ce qu'il est. C'est pourquoi l'auteur de ce dictionnaire amoureux des dictionnaires confie le soin à Josette Rey-Debove (à qui il consacre un article tout en retenue) de le définir en cinq points rigoureux et clairs. On devine en effet que dans le couple, l'aspect technique, celui des concepts, était plus celui de la lexicographe disparue en 2005 . A Alain Rey de s'occuper avec sa truculence coutumière des volutes plus littéraires . Il va ainsi sans jamais ennuyer son lecteur des plus célèbres au plus méconnus des lexicographes, se penchant avec intérêt aussi bien sur le dictionnaire de Vidocq que sur celui de Perret ou de Desproges.
Alain Rey souligne au passage le grand intérêt des Français pour les dictionnaires de synonymes , "par suite d'une obsession rhétorique, ne pas se repéter dans l'expression écrite, et manifester qu'on est maître des nuances et de l'expression juste.". Il en profite pour réaffirmer l'ambiguïté du terme synonyme et critique de la même manière ces dictionnaires des mots de sens voisins, ces recueils formant "une marée de mots où nos contemporains aiment à barboter." Le style est donc très imagé et la pensée robuste, l'ouvrage n'étant pas seulement l'occasion d'un exercice d'admiration mais aussi de quelques rappels vigoureux non seulement linguistiques mais aussi économiques (un dictionnaire est aussi un enjeu financier ). Un dictionnaire dans lequel chacun se fraiera son propre chemin, baguenaudant, piochant de- ci de- là, sans jamais être déçu. Enthousiasmant !
Dictionnaire amoureux des dictionnaires, Alain Rey, Plon 2011, 988 pages de ABC, ABCD à Virginia Woolf, illustrées par Alain Bouldouyre. 998 pages !
* Pierre Bayle: auteur d'un "Dictionnaire historique et critique, une des oeuvres majeures du siècle de Louis XIV parce qu'il annonce la suite, les Lumières."
06:00 Publié dans l'amour des mots | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : alain rey, qui d'autre ? ! un pur régal à emporter sur une île déserte mais
06/03/2011
Le cheval-soleil...en poche
"Un porridge de maman tardif"
Li a repoussé son bonheur car "Les gens comme moi n'ont manifestement pas l'armature nécessaire pour supporter les bons moments." Les gens comme elle? Incolore, voilà comment se définit cette infirmière, qui, enfant a vécu en compagnie de son petit frère dans une immense demeure où ils croisaient de temps à autres ceux qu'ils appelaient entre eux les Epoux, à savoir leurs parents trop peu présents car trop occupés à soigner d'autres enfants. Pas de ressentiment néanmoins, juste le constat que "Les gens comme elle ne devraient sans doute pas avoir d'enfants, surtout quand ils sont marqués pour la vie par un chagrin d'amour universel et quand ils ont des enfants si tardivement que cela entraîne la dissolution d'un orchestre de mandolines." L'humour comme moyen de survie.
Quand l'Amoureux repoussé dans l'adolescence revient en Islande, Li repense à son passé et à son enfance si particulière (qui m'a un peu fait penser au personnage de Fifi Brindacier, en moins joyeux (même si Fifi a parfois des accès de mélancolie)). Pourra-t-elle enfin "attraper ce qui aurait dû être, (...) faire du poème la vie elle même (...)ne plus rester transie dans la froidure de l'intervalle compensatoire entre les poèmes et la vie " ?
Dans Le cheval soleil, l'islandaise Steinun Sigurdardottir nous livre un récit lumineux,celui d'une enfance qui n'a même pas le sentiment d'être fracassée, une enfance où la mort rôde tout naturellement , où les enfants se montrent plus adultes que leurs parents, où le bonheur n'est pas du tout familier.Un récit où le lien entre parent et enfants est exploré d'une manière très particulière.
La traductrice Catherine Eyjolfsson * a très bien rendu le contraste entre la langue parfois très moderne avec ses hyperboles ainsi, "l'hyperbonté" de la mère et les passages poétiques qui se mêlent au roman, comme autant d 'échappées vers la lumière.
L'Islande et ses paysages âpres et lumineux servent d'écrin à un texte puissant et jamais déprimant qui va d'emblée prendre place sur mon étagère d'indispensables.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (15)
05/03/2011
la terre des mensonges...en poche
Quand sa mère tombe malade, Tor réussit tant bien que mal à sauvegarder un semblant de routine à la ferme familiale, rudoyant son père trop effacé et chouchoutant ses truies.Mais quand il faut hospitaliser la vieille femme, tout s'accélère et, à quelques jours de Noël, il faut prévenir le reste de la famille avec qui il n'a maintenu que d'épisodiques contacts: son frère Margido, qui dirige une entreprise de pompes funèbres, et le cadet, Erlend, décorateur de vitrines à Copenhague. trois personnalités très dissemblables , ne communiquant guère et qui vont devoir affronter un secret familial.
Rien que du classique donc, mais l'action se déroulant en Norvège avait tout pour me séduire-bien plus que le chiffre de vente faramineux s'étalant sur le bandeau rouge-.
L'atmosphère de la ferme est particulièrement bien rendue, cette économie quotidienne qui fait qu'on prend le pâté par petits éclats pour le mettre sur une tartine, qu'un personnage se dit qu'"Il pourrait bien s'offrir un bain un jour. Même si cela prenait beaucoup d'eau chaude. Et avec le prix de l'électricité." Toute une vie de privations et tandis que le "beau "linge dort tranquillement dans les armoires, on utilise des torchons hors d'âge...Anne B. Ragde peint également avec subtilié les liens qui unissent l'éleveur et ses animaux et nous décrit avec autant de détails qui sonnent juste les métiers des autres personnages.
Même si j'avais d'emblée deviné une partie du secret, les personnages sont bien campés et leurs liens décrits avec subtilité.
D'où vient alors cette légère gêne, comme un caillou dans ma chaussure ,qui ne m'a pas quittée ? De la traduction qui se moque parfois de l'orthographe- la voiture est ainsi munie d'un haillon-, oublie( ou rajoute ) une préposition au passage voire rend complètement calamiteux certains passages...500 000 exemplaireS vendus certes mais en VO . A tenter néanmoins (pour se rafraîchir, :))
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6)
04/03/2011
Légers arrangements avec la vérité
"Un poil de vulgarisation et ensuite ils auront l'impression d'être au coeur de la bête."
"Tu valorises ce qui est anecdotique, tu bémolises ce qui est chiatique, tu visualises ce qui est abstrait, tu euphémises ce qui est blessant, tu dramatises, tu enjolives..."; voici quelques uns des conseils fort avisés qu'"une ancienne punk en rupture scolaire précoce" prodigue à Simon Saltiel, maître de conférences à Paris XV-Val d'Ourcq, où entre deux grèves, il s'efforce d'enseigner la littérature comparée. En effet, Simon vient d'accepter d'écrire un ouvrage de commande sur Iouri Zaïtsev, brillant intellectuel post-soviétique.
Commence une enquête qui avait tout pour être tranquille mais qui va rapidement prendre une allure bien plus inquiétante. Nous plongeons ici dans les coulisses des maisons d'éditions à succès comme dans celles de quelques grandes institutions académiques parisiennes et il faudra bien une toute bande d'amis "amateurs de romanesque et rats de bibliothèque, tous persuadés que les mots peuvent changer les choses à condition de savoir les assembler correctement " et un tour du monde raté pour venir à bout de cet imbroglio qui évoque avec beaucoup d'humour et une apparente légèreté des sujets rien moins que sérieux.
Pierre Christin a le sens et l'amour des mots et se régale (et nous par la même occasion) avec ce roman qui nous propose de révéler quelques uns de ces Légers arrangements avec la vérité. Ainsi, la comparaison entre l'entretien enregistré et la retranscription travaillée avec maestria par une pro de la réécriture est-elle un pur moment de jubilation !
Un bonheur à ne pas se refuser : 10 euros et hop, dans la poche !
Légers arrangements avec la vérité, Pierre Christin, Métailié noir, 185 pages pour plonger dans le monde des mots.
Ps : ce roman est la suite de Petits crimes contre les humanités (pas encore lu) mais il peut se lire indépendamment.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : pierre christin, oui le scénariste de bd !
03/03/2011
Malo de Lange, fils de Personne
"Mais si je n'aidais que les saints, je serais au chômage, comme disait Jésus à son papa."
Malo de Lange poursuit ses aventures et, de déguisements en mauvaises rencontres, échouera dans l'enfer du bagne de Brest, ce qui nous vaudra au passage l'explication du juron si cher au capitaine Haddock.
Il aime aussi et ses amours sont bien évidemment contrariées car son rival n'est autre que le fils du préfet de police.
Un pied chez Dickens et l'autre chez Vidocq, l'inspiration de Marie-Aude Murail ne s'essouffle pas et nous donne un roman plein de pittoresque mais où les sentiments sont un peu moins présents. On ne s'ennuie pas une minute même si l'effet de surprise a disparu. Un roman confortable et qui tient toutes ses promesses !
Malo de Lange, fils de personne, Marie-Aude Murail, Ecole des Loisirs 2011, 243 pages qui fleurent bon l'arguche !
06:00 Publié dans Jeunesse, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : marie-aude murail
02/03/2011
Le caveau de famille
"(Non, je ne souffre pas de sautes d'humeur ! Je m'en délecte !)"
Désirée, la bibliothécaire et Benny, le paysan, ça vous dit quelque chose ? Le couple le plus improbable qu'on puisse imaginer rencontré dans Le mec de la tombe d'à côté ? Voilà vous y êtes.
Ils se sont donné trois essais pour avoir un enfant ensemble. En cas d'échec, Désirée retournera à ses livres et Benny à sa ferme, chacun restera chez soi et les vaches seront bien gardées.
Et si ça fonctionne ? Hé bien nos ex-tourtereaux ne se sont pas vraiment posé la question.
Alors, bébé ou pas ? Hors de question que je vous révèle quoi que ce soit sur les amours cahotiques de notre couple d'amoureux préféré.
Sachez quand même que le roman cavale à toute allure, qu'il est frais, tonique et plein d'humour et que le portrait des rapports hommes/femmes que nous brosse Katarina Mazetti est chaleureux mais qu'il bat aussi en brèche tous les a priori que nous pourrions avoir sur le modèle suédois , l'auteure faisant par exemple remarquer que les congés paternités sont plus fréquents durant la période de chasse à l'élan !
De très jolis portraits de femmes et d'amitié (et inimitiés !) féminines en particulier. On se reconnaît, on s'enthousiasme, on s'inquiète, on s'émeut, on passe par toute une palette d'émotions et en un rien de temps le roman est dévoré !
Un roman qui se lit d'une traite et qui donne la pêche, que demander de mieux ?
Le caveau de famille, Katarina Mazetti, traduit du suédois par Lena Grumbach, Gaïa 2011, 238 pages pétulantes.
Une interview de l'auteure ici.
L'avis de Cuné
celui de Tamara
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : katarina mazetti, hommesfemmes mode d'emploi, la vie l'amour les vaches
01/03/2011
Installation
"Elle avait perdu le rythme."
Eva Einarsdottir, ne reconnaît plus l'Islande dans laquelle elle rentre après avoir vécu à New-York. Ses pensées sont plutôt confuses , tout comme sa situation amoureuse. Elle compte faire le point dans le superbe appartement hightech qu'une vague connaissance lui a prêté, au sein d'une tour suréquipée en matière de sécurité.
Elle se laisse peu à peu envahir par une voisine et la tension commence à poindre. Tout bascule dans la deuxième partie et le lecteur se sent envahi par un malaise d'autant plus tangible qu'il est lui même placé dans une situation de voyeur très inconfortable.
J'ai été très sensible à l'effet de mise en abyme créé par ce texte (même si j'avais rassemblé assez tôt les indices permettant d 'élucider la situation) en dépit d'une traduction parfois confuse (où est-ce la manière dont l'héroïne perçoit les paroles de ses voisines ? ). Cela faisait longtemps qu'un texte m'avait ainsi physiquement affectée.
Installation, Steinar Bragi, Métailier noir 2011, 233 pages.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : steinar bragi, islande, art
28/02/2011
Hors-service
"Complètement libre ,en fait, complètement libérée de toute responsabilité."
Paradoxalement, c'est quand elle se retrouve accidentellement enfermée un vendredi soir dans le local à photocopieur de du collège où elle enseigne que Eva-Lena se sent soudain totalement libre. Libre de réfléchir à sa vie calibrée, où tout est bien organisé, où règnent la perfection et l'exigence , mais à quel prix ?
Son mari traîne des pieds pour rentrer à la maison et ses enfants se rebellent chacun à sa manière, sa fille lui reprochant de s'occuper davantage de ses élèves que de ses enfants. Le bilan n'est pas fameux et Eva-Lena, petit à petit va se livrer à un passage en revue des événements qui ont précédé son enfermement et jeter un oeil neuf sur sa vie trop bien agencée. Un portrait qui parlera aux femmes de quarante ans dont le quotidien est trop souvent tristouille car si l'intendance roule, les sentiments, eux, commencent à rouiller. Un roman sensible et juste.
Merci Cuné (chez qui vous trouverez des liens à foison) !!!
Hors-service, Solja Krapu, traduit du suédois par Max Stadler et Lucile Clauss, Gaïa 2011, 270 pages dévorées d'une traite !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : soja brapu, suède, hommes femmes mode d'emploi
27/02/2011
Chienne de vie
Bente échoue au bout du bout du Danemark. Elle est recueillie par des gens que l'on devine fragiles, Cocotte et Johnny. Des retours en arrière nous informent petit à petit que Bente s'est laissée dériver au fil de la dépression et qu'elle écrivait. La quatrième de couverture nous informe que " c'est le récit troublant de l'arrivée d'un écrivain dans la vie de ses personnages."
Voici donc la clé de ce récit intimiste à côté duquel je crains bien d'être passée !
Antigone a davantage été sensible à ce roman et je la remercie !
Chienne de vie, Helle Helle, Le serpent à plumes 2011
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : helle helle, danemark
26/02/2011
Bouche bée, tout ouïe...en poche
"Il y a des préfixes réservés également aux nains, aux bossus et aux boîteux."
Parce que c'est un grand amoureux des langues, Alex Taylor a rassemblé dans Bouche bée, tout ouïe, une flopée d'informations recueillies au cours de ses pérégrinations et de ses rencontres amicales ou amoureuses. ça pétille à chaque page car notre chroniqueur européen préféré a autant de culture que d'humour.
Sans jamais pontifier, il nous gratifie au passage de remarques intéressantes concernant tant l'enseignement que la traduction et se penche avec une curiosité inlassable sur les particularités linguistiques les plus incongrues et donc hautement réjouissantes.
On croisera au passage aussi bien les Teletubbies que de la confiture contraceptive et l'on se régalera des sous-titres aussi savoureux qu'énigmatiques: "Des grands-mères ne font pas de grimaces même en se rasant !" Et comme par magie, en lisant ce livre, j'entendais la voix si caractéristique du si charmant Alex...
06:00 Publié dans l'amour des mots, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : alex taylor