17/03/2011
Si loin, si près
"Il existait des liens secrets, des ferveurs en partage."
Adèle a quarante six ans mais "Elle n'avait pas seulement son âge mais tous ses âges empilés coexistant, 20 ans parfois, 35 le plus souvent et même 60, certains jours...Tous étaient présents à des degrés divers, se manifestant par surprise."
Premières phrases du livre et d'emblée Adèle nous devient familière. Nous ne pourrons plus la quitter au fil de cette année 2009 , année de crise qui verra tant de bouleversements dans sa vie, d'incendies ,aux sens propre et figuré.
A quelle distance se tenir des gens qu'on aime, de ceux que l'on croit être ses amis ? Faut-il profiter de sa solitude ou faire un pari sur l'avenir et sur les autres ?
Confrontée à différents accidents de la vie, qui pourraient nous arriver à tous, Adèle avance en tâtonnant, ploie ,mais toujours se relève et finira par essayer "de se traiter avec beaucoup de douceur et pas trop d'importance."
On retrouve ici avec bonheur la prose lumineuse de Catherine Leblanc, qui scrute avec acuité et bienveillance aussi bien la ville d'Angers, où se déroule l'action (et la description qu'elle en fait donne tout de suite envie d'aller se plonger dans les lumières de cette ville) que les aspirations de son héroïne : "un espace libre de tout jugement, surtout du sien." Un roman que je n'ai pu lâcher, sauf pour en corner de multiples pages...
Si loin, si près , Catherine Leblanc, Editions du Petit Pavé 2011, 202 pages pleines d'émotion, à savourer.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : catherine leblanc, femme
16/03/2011
Mes petites machines à vivre
"Car l'âge ne donne pas toujours le temps fécond de la sagesse."
Bonheur mode d'emploi ? Non, c'est à un partage , celui d'un carnet de route qui emprunte aussi bien aux souvenirs professionnels que privés que nous invite Maryse Vaillant.
Puisant aussi bien dans son expérience de toute jeune éducatrice découvrant le pouvoir des mots et de l'imagination sur des jeunes "délinquants" qu'on préconisait uniquement à l'époque de mater par la violence, que dans celle de son enfance marquée par le manque d'amour maternel, au fil de sa vie et des épreuves qu'elle a dû affronter, Maryse Vaillant ne se pose jamais en modèle mais nous montre de manière simple et chaleureuse le pouvoir de l'esprit qui vagabonde en liberté, dans la rêverie ou le vague à l'âme que ce soit lors d'une promenade ou d'une séance de ménage !
Elle a ainsi "appris à apprivoiser [son] rapport à l'angoisse en créant [ses] petites machines à vivre, à jouer avec l'incertitude plutôt que de vouloir tout maîtriser, à accepter la tristesse, à savourer les temps de solitude et à ne pas craindre l'ennui."
Des conseils parfois déjà rencontrés mais une approche bienveillante et souriante, qui s'appuie sur la psychanalyse sans jargonner pour autant, plein de conseils à glaner, en témoigne le nombre de pages cornées, un livre fluide dont l'écriture flirte parfois avec la poésie, ce qui n'est évidemment pas pour me déplaire et une femme qui n'hésite pas à nous montrer ses failles, ce qui nous la rend évidemment encore plus proche. Une sacrée dame !
Mes petites machines à vivre, Maryse Vaillant, Jean-Claude Lattès 2011 pages chaleureuses où piocher quand le temps devient nuageux.
06:00 Publié dans Les livres qui font du bien, Récit | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : maryse vaillant
15/03/2011
Des nouvelles d'hier
"C'est l'information familiale, celle qui circule dans l'air que les enfants respirent."
Les personnages des nouvelles de Robin Black sont saisis à un moment de bascule subtil de leur existence , un moment où le mensonge n'est plus de mise, où il ne peut plus être utilisé pour épargner l'autre, ou soi même.
Sans pathos, de manière tout à la fois feutrée mais aussi fouillée, l'auteure nous peint avec beaucoup d'empathie ces personnages qui peuvent tout à la fois faire preuve de courage et de lâcheté, la différence tenant à si peu de choses.
Le passage du temps est un thème récurrent et les personnes âgées semblent tout aussi démunies que les jeunes pour affronter les trahisons et les épreuves. Pourtant chacun s'efforce de relever la tête et de faire preuve de dignité, qu'il s'agisse d'un père devant apprendre à sa fille de six ans ce que signifie le mot "jamais" ou cette femme qui lutte de manière dérisoire et poignante contre le temps qui emporte inexorablement à la dérive son époux bien-aimé. L'humour flirte avec la tragédie "Jeremy n'aurait pas donné cher d'un mari de Zoé à qui il aurait manqué un zeste de sainteté." et les relations humaines sont passées au crible avec finesse.
Beaucoup de maturité et de fluidité se dégagent de ces nouvelles que Robin Black a peaufinées 8 ans durant pour obtenir un résultat dans la lignée de Lorrie Moore . A ne pas rater !
Des nouvelles d'hier, Robin Black, Flammarion 2011, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michel Marny, 320 pages bluffantes de vérité.
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : robin black, nan pas le chanteur! que je ne connais pas d'ailleurs, vive internet
14/03/2011
Tombée sur la tête
"Quand il s'agit de faire n'importe quoi, je ne suis jamais loin."
Tour à tour (et parfois simultanément) anorexique, cramée aux UV, acheteuse compulsive, obsédée par les dents,souffrant de trichollomanie (toc consistant à s'arracher les cheveux), anxieuse en un mot, Léna quand,pour la troisième fois ,sa voiture atterrit dans le mur de son parking,se décide à consulter une dame chez qui elle" laisse parler [sa] tête."
Mais elle n'arrive pas à lui confesser ce qui, selon elle, est la source de tous ses dysfonctionnements: elle est tombée sur la tête- au sens propre- quand elle était enfant.
Leslie Bedos décrit avec finesse, précision et humour une femme qui est tout sauf parfaite et se dénigre avec une belle ardeur: " Cette semaine, après deux lavages, j'ai fait grandir un pull de trois mètres. sans parler des manches que je ne retrouve plus. La veille, en posant mon vélo n'importe où, je n'ai pas remarqué qu'une saleté de gouttière avait pissé sur mes papiers d'identité. Des dommages heureusement réparés , après quatre de séchage sur mes cuisses brûlées.Dans la vie bien réglée des Catherine, les documents importants ne trâinent pas sous la flotte. Et les pulls qui poussent, ça n'existe pas.",une femme qui a hérité d'une histoire familiale très lourde et semble la transmettre à son tour à sa propre fille.
Alternant passé et présent, le roman donné comme étant la confession sur papier de Léna va loin, très loin, voire trop loin ("j'étouffe de la touffe", j'avoue avoir tiqué ) dans ce portrait d'une femme qui n'arrive pas à se remettre d'une relation pour le moins perturbée à sa mère.
Si le roman se termine d'une manière un peu abrupte et trop artificielle à mon goût, la description carte sur table du comportement de Léna place le lecteur dans une situation très inconfortable car il ne sait s'il doit sourire (l'autodérision est au rendez-vous) ou s'angoisser à son tour. Et c'est tant mieux.
Tombée sur la tête, Leslie Bedos, Jean-Claude Lattès 2011, 139 pages dérangeantes.
L'avis de Libouli chez qui vous trouverez un passage que j'avais également repéré , une analyse très fine de l'achat compulsif.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : leslie bedos, mère fille mode d'emploi
13/03/2011
Ne t'inquiète pas pour moi ...en poche
"Parfois on dirait que c'est plus facile de poser les questions par écrit pour te demander comment tu vas et comment ça se passe avec le médecin, tout ça".
Claire, quinze ans écrit cette remarque sur un des post-it, qui constitue l'échange de "correspondance" qu'elle entretient avec sa mère très(trop) occupée par son travail, sa mère qui l'élève seule depuis le divorce.
Si au début,le quotidien apparemment sans importance apparaît( listes de courses, demandes (pressantes) d'argent de poche), c'est finalement toute une vie qui se devine par pointillés, une vie qu'il nous faut reconstituer, une vie qui devient de plus en plus précieuse quand la maladie fait son apparition...
Life on the refrigerator door , traduit en français par le plus sentimental Ne t'inquiète pas pour moi, de la canadienne Alice Kuipers, a donc une forme originale, cet échange de post-it, qui m'a vraiment intéressée. Franchement je craignais le pire quant au contenu mais l'auteure ,si elle frôle de justesse le pathos à la toute fin du livre, si elle aborde le cancer d'une manière très américaine (groupes de soutien), nous montre aussi les relations cahotiques entre une mère qui se bat contre la maladie et une fille tiraillée entre ses amours débutantes et les besoins maternels. Rien n'est idéalisé,la mère jette un regard en arrière qui n'a rien de bien optimiste et la fille utilise son père comme solution de repli...
Un livre touchant , qui se lit très vite, trop peut être ...
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (13)
12/03/2011
meurtres entre soeurs...en poche
"Elle ne sait pas qu'il s'agit d'une prophétie."
Une famille recomposée des années 50: Mo et Pa, Olivia et Emily, deux demi -soeurs qui après quelques ajustements parviennent à bien s'entendre . Tout ce bel équilibre va être remis en question à la naissance de Rosie, petite princesse, chouchou de Ma et Po. Sans se concerter, les fillettes vont tenter d'assassiner celle qui empoisonne l'existence de toute la famille. Est-ce pour cela que , même adulte, Rosie n'aura de cesse de ruiner leur existence ?
Manipulations à gogo, vengeances, machinations tortueuses sont au rendez-vous dans ce qui commence comme un comédie , scandée par les répliques pince-sans rire de Pa :
"-Je me fais beaucoup de soucis pour les filles, confie Mo à Pa dans la soirée
-Peut être que tu aurais dû épouser un médecin." ou les leitmotives:
"Elles sont à un âge délicat
Tous les âges sont délicats, soupire Pa."
et va peu à peu prendre une tonalité plus sombre mais non dénué d' un humour , acide et réjouissant. On ne s'ennuie pas une minute et on ne lâche pas ce roman aux allures d'arsenic et vieilles dentelles contemporain.
Une réussite !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (6)
11/03/2011
Pfff
"Walter n'est pas en pleine forme, il oxymore follement, il a le chiasme en délire, il trope à s'en écorcher l'âme."
Attention : soit vous adorerez ce livre, soit vous le laisserez tomber en expirant sont titre : Pfff !
Je l'ai moi-même abandonné dans un premier temps , trouvant les personnages un peu trop pimpants, mécaniques, comme ces personnages de baromètres qui sortent tour à tour et ne se rencontrent jamais mais je ne sais quoi dans le style, m'avait donné envie de lui redonner une chance et j'ai bien fait !
Car oui, les personnages évoluent dans un tout petit univers , un quartier, quelques immeubles et deux bistrots mais ils sont versatiles, plus complexes qu'il n'y paraît à première vue, changeant de noms ou de prénoms au détour d'un paragraphe , au fur et à mesure de leur évolution, discutent des subtiles couleurs des cachemires , posent des caméras indiscrètes ou assassinent sans état d'âme avant que d'écouter un fado.
Il est beaucoup question d'amour, de littérature et on fait le grand écart entre Belle du seigneur qu'abhorre un personnage, rêvant de le jeter au fond d'une poubelle de restaurant pour que personne en vienne l'y chercher ,même avec des pincettes et les petits livres bleus que rêve d'éditer Odile, lectrice pour une maison d'édition.
C'est délicat, parfois coquin, plein de charme et de fantaisie, la langue est riche mais sans affectation, (on rêve d'un cachemire fuligineux ) et on cherche le nom adéquat pour un magasin ou pour un animal avec une précision exemplaire.
Le style est ample et délié, on devine l'auteure gourmande de mots, et une fois intégré les nombreuses surprises du texte, on se laisse porter par ce récit qui ne cède jamais à la facilité du tout-beau-tout-rose et se conclut par une dernière pirouette qui clot le livre sur lui-même. "C'est aussi délicieux que le toboggan à quatre ans, le grand huit quand on en a douze , que le premier crime quand on est un tueur débutant."
Pfff, hélène Sturm, Editions Joëlle Losfeld 2011, 234 pages délicieuses.
Merci à BOB et aux Editions Joëlle Losfeld
06:00 Publié dans Humour, Objet Littéraire Non Identifié, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : hélène sturm, surprenant, fascinant, pétillant
10/03/2011
A la recherche du paon perdu
"Maurice avait raison,on ne pouvait pas être deux minutes tranquille dans cette maison ! C'était pire que dans ma chambre, ici ou quoi ?"
Mollux n'a rien d'un super héros: c'est un adolescent grand dévoreur de mousses au chocolat et de dictionnaires, cette dernière caractéristique lui permettant d'affubler ses profs de surnoms assez bizarroïdes. Tout aussi étrange est son père, qui ne lui a parlé que deux fois, ce qui lui vaut le sobriquet de Sauf2fois.
Oui mais voilà ce paternel plutôt mutique va rapporter un jour, en douce, à la maison un paon ! Paon qui va bientôt disparaître. Ainsi que Sauf2fois peu de temps après. Commence alors une folle aventure où Mollux va entraîner son compère l'inénarrable Procopé et où il gagnera bien plus que la solution d'une énigme: la découverte-au moins partielle- de son père.
Attention, bouclez vos ceintures avant d'embarquer dans le monde complètement foldingue de Mollux et de sa famille ! Entre la mère (l'Outarde) qui se lance dans de hasardeuses créations culinaires ("un délicieux mélange d'endives un peu brûlées, de farine, d'eau, de cacahuètes et de tranches de jambon élastiques" , Procopé qui "vit en altitude, et [dont] le haut de la tête a la forme d'une roquette antichar", le chat SoupeChaude et tous les autres personnages farfelus en diable vous n'aurez pas le temps de souffler une seconde !
Mollux , roi de l'autodérision,"Pendant que j'hésitais devant le présentoir (Matières grasses végétales hydrogénées, sirop de glucose, extraits de malt,lécithine de soja, lactosérum en poudre, comment choisir parmi tant de merveilles? )" porte un regard moqueur sur le monde des adultes "Un divorce, une baraque en pente et un petit divan en skaï. les adultes ont parfois des rêves un peu rétrécis, vous n'êtes pas d'accord avec moi? " et a le chic pour croquer en quelques lignes acérées quiconque croise sa route,( surtout ses profs, mais c'est de bonne guerre !).
Angélique Villeneuve passe à la moulinette la vie d'une famille en apparence des plus ordinaires mais en profite aussi pour rappeler que si l'adolescent est parfois une énigme pour ses parents, l'inverse est aussi vrai. Un cocktail d'humour et de tendresse pour un roman que les parents chiperont à leurs rejetons !
A la recherche du paon perdu, Angélique Villeneuve, Les grandes personnes, 2011, 189 pages dans lesquelles vous allez adorer vous glisser !
06:00 Publié dans Humour, Jeunesse, romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : angélique villeneuve
09/03/2011
Le signal
"Tu es comme un autobus plein de fantômes."
Mack et Vonnie c'est de l'histoire ancienne. Mack s'est laissé englué par les dettes, l'alcool et les fréquentations douteuses. Vonnie est en train de refaire sa vie mais accepte de partir avec son ancien amoureux pour une dernière balade dans les montagnes du Wyoming, leur balade.
Elle ignore que Mack, l'impénitent menteur, compte bien faire d'une pierre deux coups et récupérer par la même occasion une mystérieuse balise. Après un début des plus agréables, le temps se couvre et les ennuis commencent...
On suit avec beaucoup de plaisir les retours en arrière nous montrant un Mack dans la plus belle tradition du mec laconique et posé. On apprécie aussi le fait que malgré toutes les conneries qu'il a commises, on sent que c'est un homme fiable qui sait s'ajuster dans la nature dans laquelle il évolue. On croise les doigts et on profite des somptueux paysages. Bref, on se régale d'un bout à l'autre et on se sent des foumis dans les pieds...
Le signal, Ron Carlson, Traduit de l'américain par Sophie Aslanides, Gallmeister 2010, 223 pages qui donnent faim.
Merci à Aifelle pour le prêt et à Choco qui a joué les passeuses.
Les avis de Sylire, Keisha (qui vous enverra vers plein d'autres !)
Juliette n'a pas été emballée...
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : ron carlson, nature writing
08/03/2011
La part de l'homme
"Est-ce que vous pourriez changer le papier peint pour la prochaine fois ? J'ai rompu mes liens avc la nature."
Pour sept mille euros l'ancienne mercière à la retraite Salme Malmikunnas a vendu sa vie à un écrivain en mal d'inspiration.
Mais à quel usage destine-t-elle cette somme ? Le récit qu'elle confie est-il vraiment conforme à la réalité ? Dans une Finlande en proie au libéralisme le travail a bien changé et rare sont ceux qui privilégient aux euros le sentiment du labeur bien accompli.
Racisme, pauvreté , violence des mots encore plus que des gestes, ces mots auquel le mari de Salme semble avoir renoncé, ces mots dont sa fille Helena connaît bien le pouvoir, sont au centre de ce roman entrecoupé par les cartes postales que Salme adresse à ses enfants, petits messages foutraques témoignant de son amour , le tout composant une mosaïque sensible d'un pays en pleine mutation. La fin est tout à fait percutante , violente, symbolique et apaisante à la fois.
Un roman au style parfois haché mais un très joli portrait d'une famille qui pourrait être la notre au sein d'un monde qui est le notre.
La part de l'homme, Kari Hotakainen traduit du finnois par Anne Colin du terrail, Lattès 2011, 285 pages .
Un coup de coeur pour Clara !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : kari hotakainen, finlande, libéralisme