05/04/2011
Une jeune fille aux cheveux blancs
"La vie est courte, autant avoir les idées longues."
Malgré ses réticences, Caroline fraîchement retraitée, teste le club de loisirs pour seniors auquel ses filles l'ont inscrite. Elle qui rêvait d'oisiveté, la voici donc en train de prendre des cours d'oenologie et de poterie avec des résultats pour le moins surprenants...
Epouse, mère, grand-mère , belle-mère , Caroline cumule sans souci toutes ces étiquettes mais n'aurait-elle pas laissé en friche la jeune fille qui est enfouie en elle ? Sensualité, humour, ne sont pas des mots que l'on a remisés par devers soi à soixante ans et Caroline entend bien profiter de la vie quitte à découvrir sur le tard les" joies" de l'épilation "ticket de métro" dans une scène particulièrement hilarante. Beaucoup de tendresse mais aussi quelques coups de griffes sur les stéréotypes dans lesquels on voudrait commodément enfermer les personnes âgées.
Le discours de Caroline à ses filles m' a évoqué celui du personnage de Maria Pacôme dans la crise (et c'est un compliment), dans le même esprit de revendication tranquille. Seul bémol: la fin un peu ratée car trop télescopée et démonstrative à mon goût.Une bien jolie entrée en littérature néanmoins !
Une jeune fille aux cheveux blancs, Fanny Chesnel Albin Michel 2011, 217 pages pour passer un bon moment.
Merci à Tamara pour le prêt et à Cuné pour avoir enfoncé le clou et joué les passeuses !
Clara a aimé la fin (mais pas que ! )
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : fanny chesnel, des vieux ? encore des vieux, toujours des vieux
04/04/2011
San Francisco
"C'est ma spécialité, les choses qui ne sont plus là."
Contrairement à ce que donne à penser le titre de ce roman de Catherine O'Flynn, l'action ne se déroule pas à San Francisco mais à Birmingham, ville où Franck présente les infos régionales sur une chaîne de télévision locale. Nettement moins exotique donc, pourtant le présentateur est très attaché à cette ville où son père, architecte autrefois renommé, a construit de nombreux bâtiments dans le style brutaliste .
Mais Birmingham, assoiffée de renouveau, fait abattre un à un ces immeubles tandis que Franck semble hanté par tout ceux qui disparaissent autour de lui : non seulement son vieil ami et prédécesseur, renversé sur une route de campagne par un chauffard, mais aussi celles de tous ces inconnus , morts en solitaire, à qui il s'efforce de redonner une identité.
La vie de Franck n'est en rien clinquante: entre les visites à sa mère qui entretient une vision cynique de l'existence , les petitesses ridicules du milieu médiatique dans lequel il évolue, sans compter les chemins boueux de la campagne où il habite, il y aurait de quoi déprimer !
Hé bien non, Franck vaille que vaille, trace sa route, élucide les mystères et parvient, presque malgtré lui à tirer son épingle du jeu , ayant accepté au final que le changement fait partie de la vie et qu'on ne peut rien contre lui.
Une ambiance un peu triste et feutrée, mais un style précis, en demi-teintes, entre humour et désenchantement qui confirme tout le bien que je pensais du premier roman de Catherine O'Flynn.
San Francisco (The News Where You Are), Catherine O'Flynn, traduit de l'anglais par Manuel Tricoteaux, Jacqueline Chambon 2011, 389 pages.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : catherine o' flynn, disparitions, télévision, vieillesse, temps qui passe
03/04/2011
Paroles de marche
"Certains pensent qu'ils font un voyage, en fait c'est le voyage qui vous fait ou vous défait." Nicolas Bouvier
C'est à Denis Boulbès, psychopédagogue retraité et "infatigable marcheur" que reviennent le choix et présentation de ce recueil de la collection "Carnets de sagesse" consacré à la marche.Il la replace dans son contexte historique, soulignant au passage que celle-ci est encore une nécessité pour les sept dixièmes de l'humanité et que ce n'est qu'au XVIIIème siècle, avec Rousseau , que lui sera adjointe la notion de plaisir. Auparavant primait celle d'exercice salutaire , tant pour le corps que pour l'esprit.
L'éventail des écrivains, pas forcément voyageurs , ayant célébré la marche est très vaste. Qui s'attendrait à trouver ici un texte, très beau d'ailleurs , de Jean Jaurès ou de Julien Gracq ?
Les photos de Joseph Rottner accompagnent notre parcours parmi ces extraits qui, bien évidemment nous donnent non seulement des envies de balades mais aussi de lectures ! La source des textes ainsi qu'une bibliographie des "classiques" à même de proposer une sagesse de la marche complètent idéalement ce carnet de route.
à offrir et à s'offrir sans plus tarder (10 euros)
Paroles de marche, Albin Michel 2011, collection Carnets de sagesse, 50 pages où piocher pour commencer un voyage immobile.
06:00 Publié dans Extraits, Les livres qui font du bien | Lien permanent | Commentaires (12)
02/04/2011
Les privilèges
"Les gens avaient des réactions bizarres avec l'argent. Ne pas le dépenser leur paraissait condescendant. Etre riche signifiait agir en riche, si cela avait le moindre sens, ne pas vivre de la manière dont on pouvait le faire à tout instant de la journée, c'est de la prétention à l'envers. Ou le désir de passer pour normal , ce que vous n'étiez pas."
Comment s'attacher à des personnages qui ont tout pour eux : jeunesse, beauté, richesse, à qui tout réussit et qui deviennent ultra-riches, perdant sans sourciller 480 000 dollars , pour donner un ordre d'idée ? On ne peut que suivre, fasciné par tant de perfection, leur évolution.
Ici pas de richesse ostentatoire, pas de citations de marques de luxe, pas d'amour effréné de l'argent. Il s'agit juste de s'offrir le meilleur à soi et à sa famille, créant ainsi une bulle confortable d'où l'on chassera sans vergogne toute émotion susceptible de bouleverser ce bel ordonnancement.
Bien évidemment tant de perfection n'est pas viable à long terme et chacun des membres de cette famille devra un jour affronter la cruauté d'un monde qu'ils ne pourront tenir éternellement à distance.
Un style impeccable et cruel en diable pour une histoire glaçante.
Les privilèges, Jonathan Dee, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Elisabeth Pellaert, Plon 2011, 298 pages fascinantes.
06:02 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jonathan dee, chez les heureux de ce monde...
01/04/2011
TENTACULES et manivelles
"Les voyelles, c'est toujours plus sucré."
Les mots, Béatrice Fontanel les écoute, elle les goûte, elle se les met en bouche, les faisant rouler, les faisant crisser. Elle les scrute aussi, se laisse envahir par eux de manière obsédante , véritable "pythie à palabres", jouant de la typographie et de l'espace pour mieux les mettre en scène.
Citation rimbaldienne tournant en boucle comme un mantra, ("le frais cresson bleu") et qui s'épuisera , portraits de mots en quelques vers, distiques , poèmes en prose courts ou longs , Béatrice Fontanel s'approprie de multiples formes pour célébrer les mots .
Ils partent en vrillent ou sont tenus serrés; de registre courant ou soutenu , tous ont droit de cité pourvu qu'ils suscitent une sensation de soudaine étrangeté. On redécouvre ainsi ces
"Mots, têtards sonores, qui frétillent
dans le cartilage des oreilles
Bulles d'écume, borborgygmes
minuscules."
Assonances et allitérations claquent au vent , Ecoutez..., Ecoutez..., nous conseille l'auteure .On renonce aussi à corner les pages,( autant tout corner, on ira plus vite ), et on savoure à toute allure ces 168 pages avant que d'y repiocher au hasard de nouvelles saveurs, mais aussi de prendre le temps de regarder plus en détails ces illustrations échappées de vieux dictionnaires qui donnent un charme fou à l'ensemble.
Un énorme coup de coeur, zou sur l'étagère des indispensables et dans la foulée, commande d'un autre recueil, plus ancien de l'auteure !*
Tentacules et manivelles, Béatrice Fontanel La petite vermillon 2011.
* moins convaincue par celui-ci, d'une toute autre tonalité : La ménagère carnivore.
06:00 Publié dans Humour, l'amour des mots, Poésie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : béatrice fontanel, pêché au salon du livre, il s'imposait en ce premier avril mais ce n'est pas un poisson c
31/03/2011
Un jardin sur le ventre
"A travers notre bonheur, tu parvenais à ressentir le tien."
Une histoire toute simple: la mort d'une femme, épouse d'un homme infidèle, narcissique , histrion et ne dédaignant pas à l'occasion être violent, tant en paroles qu'en actes. L'histoire d'une mère aussi, vivant à travers ses filles un bonheur par procuration. L'histoire d'une fille enfin, non désirée, non aimée et qui toujours souffrira de ce manque impossible à combler. Trois identités pour une même femme.
Une vie comme en ont vécu, au moins partiellement, beaucoup de celles qui avaient vingt ans dans les années soixante.
Un récit à fleur de peau, sensible et émouvant que j'ai beaucoup aimé mais dont je me suis sentie tenue à distance par ce "Tu" répétitif qui klaxonnait à mes oreilles.
Un jardin sur le ventre, Fabienne Berthaud, Jbz & Cie 2011, 286 pages qui se lisent d'une seule traite.
Merci à Clara pour le prêt et à Mirontaine qui a joué les passeuses.
Plein d'autres l'ont lu ! Laissez-moi vos liens, les filles!:)
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : fabienne berthaud
30/03/2011
L'autre fille
"Entre elle et moi, c'est une question de mots."
"Faire le récit de ce récit, ce sera en finir avec le flou du vécu, comme entreprendre de développer une pellicule photo conservée dans un placard depuis soixante ans et jamais tirée."
Ce récit initial c'est celui qu'entend un jour Annie Ernaux de la bouche de sa mère, récit qui pourtant ne lui est pas directement adressé. Elle apprend alors qu'elle a eu une soeur, décédée, et que cette enfant est morte comme une petite sainte lui laissant le rôle de "l'autre". Un récit qui donc l'exclut.
Commence alors un processus d'enkystement de la situation car jamais, même quand elle sera devenue adulte et aura obtenu d'autres informations par des membres plus éloignés de sa famille, l'auteure ne parlera franchement de cette soeur, tout à la fois visible et cachée, avec ses parents.
"Une lettre qui jusqu'à présent n'avait jamais été écrite", tel est le cadre de cette collection où paraît le texte d'Annie Ernaux, récit qui paraît parfois dur, (ainsi la manière dont elle désigne ses parents presque uniquement par des pronoms, et elle s'en explique d'ailleurs), un récit où les mots sont presque les éléments principaux, car leur puissance permet tout à la fois la révélation quasi sidérante, l'exclusion et l'établissement hypothétique d'un lien par de-là le temps. Une oeuvre singulière et dérangeante qui ne tombe jamais dans le pathos mais creuse au plus profond.
L'autre fille, Annie Ernaux, Nil 2011, 78 pages denses.
Merci à Mirontaine pour le prêt.
L'avis de Laure qui vous mènera vers plein d'autres.
06:03 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : annie ernaux, lettre à la soeur disparue
29/03/2011
G 229
"Ils se demandent ce qu'ils vont faire de moi."
J'ai failli rester à la porte de la salle G 229 quant à la page 41, l'auteur évoque "le petit bois derrière l'école dans laquelle j'habitais quand j'étais enfant." Un prof d'anglais , fils d'instit, pfff , l'impression d'avoir déjà lu ça cent fois. Mais j'ai pioché plus loin avant de revenir page 41 et de boucler en un rien de temps ma lecture.
Car oui, ce roman, qu'on devine bien évidemment largement autobiographique, n'est pas un énième livre écrit par un prof visiblement accro à son boulot mais aussi le constat d'un homme qui n'en revient pas de voir filer le temps à toute allure, de voir grandir et partir ses élèves tandis que lui reste depuis 20 ans dans SA salle,celle qui donne son titre au roman.
L'auteur pêche parfois par excès de sensibilité mais on lui pardonnera volontiers ce défaut et on se régalera de ce roman optimiste et sincère.
J'ai entendu un jour Odon Vallet dire que les élèves avaient toujours le même âge tandis que le professeur vieillissait, c'est ici un peu l'autre côté de la pièce.
G 229, Jean-Philippe Blondel, Buchet-Chastel 2011, 240 pages pleines d'humanité.
L'avis de Laure
de Cuné, de Saxaoul qui vous emmènera chez d'autres...
L'avis de Gwenaëlle.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : jean-philippe blondel
28/03/2011
Les vaches rouges ou un dernier amour
Veuve d'un éminent professeur de philosophie , la narratrice fuit son hypocrite belle-fille et se réfugie avec sa chienne Cora dans une maison de retraite. En partant, elle a pris soin de chiper un ordinateur portable sur lequel elle commence à tenir son journal intime.
La rencontre avec un jeune Russe, Vova, qui rêve de rentrer chez lui au pays des vaches rouges, va lui permettre tout à la fois de sortir de son univers aseptisé (car l'ado est un voyou !) et de se réinventer grand-mère de remplacement.
Un roman un peu empesé dans l'expression mais qui s'inscrit dans la tendance actuelle des vieux qui regimbent à se laisser enfermer dans une quelconque "communauté du déclin" comme le dit joliment la quatrième de couv'. Sympathique mais pas inoubliable.
Les vaches rouges ou un dernier amour, Dorothea Razumovsky, Buchet-Cahstel, 2011, traduit de l'allemand par Chantal Le Brun Keris, 178 pages un peu guindées .
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : dorothea razumovsky, allemagne, maison de retraite, y a plus de vieillesse !
27/03/2011
La condition...en poche
"La nature n'était pas tendre."
Eté 1976, Paulette, la parfaite maîtresse de maison, son mari Franck et leurs enfants profitent de la demeure familiale de Cape Cod. Tout ce bonheur en apparence paisible va voler en éclat quand, en bon scientifique qu'il est , Franck découvre que leur fille, Gwen, est atteinte du syndrome de Turner : elle conservera à jamais son corps d'enfant.
Chaque membre de la famille va réagir à sa façon à ce coup du sort : Paulette se réfugie dans un premier temps dans le déni tandis que Franck conserve son attitude scientifique et cherche une solution au problème. Quant aux enfants, chacun d'eux évoluera de manière différente (et pas forcément plaisante pour leurs parents...) Il faudra attendre vingt ans pour que la famille soit à nouveau réunie dans la villa de Cape Cod.
Jennifer Haigh, dans La condition alterne les points de vue des différents protagonistes,les faisant évoluer avec une grande vérité psychologique, nous laissant libres d'accepter les points de vue de chacun. Elle se penche avec une grande sensibilité sur les problèmes générés par le syndrome de Turner mais aussi sur les relations existant entre les différents membres de la constellation familiale. Nous ne trouverons pas ici le cliché "Nous sommes une famille et nous devons faire face ensemble à l'adversité" dont nous gavent allègrement les feuilletons américains. au contraire, tous les personnages revendiquent avec force leur individualité, quel que soit leur âge. J'ai particulièrement apprécie la justesse et la beauté de ces adultes vieillissants et leur manière d'appréhender les renoncements nécessaires auxquels les contraint le passage du temps. A noter aussi une superbe scène de plongée nocturne nous peignant les "travailleurs de nuit" des fonds sous-marins. Un bon gros roman confortable.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : jennifer haigh