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19/03/2015

Corps variables

" D'aussi loin qu'il se souvenait, il était fasciné par la répétition, par la façon qu'ont les êtres humains de raconter les mêmes histoires sur leur propre compte, encore et encore. [...]La personnalité humaine telle qu'il l'imaginait était une construction en état de siège : assaillie du dehors par une gamme infinie de données perceptuelles, attaquée de l'intérieur par une collection  de besoins et de pulsions centripètes et contradictoires.Elle a constamment besoin de panser et de rétablir sons sens de l'intégrité. La répétition, dit-il, est une version simple et non invasive de la Procédure."

Un homme, enfermé dans un hôpital psychiatrique, affirme être le professeur Nicholas Slopen, spécialiste de l'auteur du XVIIIème siècle, Samuel Johnson.
L'ennui, c'est que Slopen est mort depuis des mois. Avant son décès, il avait été chargé d’authentifier des écrits de son auteur favori et s'était laissé fasciner par un personnage d'idiot savant qui allait l’emmener dans une bien étrange Procédure.marcel theroux
Mêlant thèmes classiques de la littérature fantastique et problématiques contemporaines, vivifiés par un style tonique , "...mon russe, parfaitement adapté à tout un tas de situations du quotidien, ressemblait à une vieille locomotive roulant bien au-delà de ses capacités ; les rivets sautaient de la chaudière, tout était en surchauffe, et pourtant elle poursuivait sa course avec une sensation enivrante de vitesse."  ,et un récit riche en rebondissements, Corps étranges  nous fait vivre de l'intérieur une expérience troublante où corps, esprits et mots sont étroitement imbriqués.
Les personnages sont denses et attachants et les changements de points de vue permettent des revirements qui ne perdent jamais le lecteur en route.
On est captivé par un récit à la fois émouvant et intelligent , au final  magistral, qui m'a fait revivre le coup de foudre que 'javais eu pour Au Nord du monde ! Et zou, sur l'étagère des indispensables !

Corps variables , Stranges Bodies, traduit avec maestria de l’anglais par Stéphane Roques, Plon 2015 ,313 pages constellées de marque-pages.

PS: la 4ème de couv' en dit beaucoup trop à mon goût.

Du même auteur: clic et reclic  , tous deux parus au format poche.marcel theroux

 marcel theroux

18/03/2015

Ma vie de pingouin

"Et quand il m'a mise debout et embrassée, c'était comme à la télé. La question était de savoir s'il s'agissait d'une comédie  (La croisière s'amuse , Saison 10) ou un documentaire farfelu."

Bienvenue à bord de l'Orlovsky, ancien navire scientifique russe, pour une croisière de l'extrême: direction l'Antarctique !
à bord, une faune tout aussi éclectique, farfelue et parfois cruelle que celle qui se trouve sur les icebergs ou les îlots ! Par ordre d'apparition: Wilma,32 ans, dont la bonne humeur inébranlable n'est pas sans un arrière plan plus sombre; Tomas, trentenaire qu veut en finir avec la vie ,mais c'est pas gagné ;  Alba, 72 ans , qui a eu mille vies, grande scrutatrice des mœurs humaines. Sans oublier un essaim de personnages secondaires, d'âge plus ou moins avancé, venus observer les oiseaux ou se trouver un compagnon !
Fine observatrice, Katarina Mazetti semble s'être régalée à croquer tout ce petit monde, jeunes et vieux mélangés, embarqué dans une expédition fertile en rebondissements ! katarina mazetti
Alternant épisodes cocasses ou plus sombres, le roman file à toute allure pour le plus grand bonheur de son lecteur ! On retrouve en effet avec un plaisir sans pareil une Katerina Mazetti au mieux de sa forme et n'hésitant pas à peindre , avec beaucoup de véracité, les animaux rencontrés en chemin . Un grand bonheur de lecture !

Ma vie de pingouin, Traduit du suédois par Lena Grumbach, Editions Gaïa 205, 270 pages piquetées de marque-pages, lues d'une traite !

17/03/2015

Americanah

"Alexa et tous les autres invités, peut être même Georgina, comprenaient tous la fuite devant la guerre , devant la pauvreté qui broyait l'âme humaine, mais ils étaient incapables de comprendre le besoin d’échapper à la léthargie pesante du manque de choix."

Parcours surprenant que celui d 'Ifemu : alors que de nombreux africains rêvent d'aller aux États-Unis, après quinze ans  passés dans ce pays, elle rentre chez elle à Lagos.
Si j'ai beaucoup aimé le parcours social de cette héroïne, sa lutte pour se faire une place en Amérique, son regard sur la société américaine, sa langue (bravo à la traductrice) que j'entendais chanter à mes oreilles avec ses interjections ponctuant chaque fin de phrase, son retour et son ascension sociale au Nigeria, j'ai moins été convaincue par plusieurs éléments.chimamanda ngozi adichie
D'abord par les son blog, à l'écriture simpliste, même si les fait détaillés sont intéressants. Ensuite son parcours amoureux aux États-Unis où elle semble juste collectionner des spécimens lui permettant d’étudier un large éventail de cas de figures. Quant à son amour de jeunesse, inversement on frôle le sirupeux. Mais bon, je ne suis pas une grande sentimentale !
Il n'en reste pas moins que , nonobstant ces quelques petites réserves, j'ai beaucoup aimé ce récit et les descriptions particulièrement vivantes et bien croquées de la vie quotidienne,tant aux États-Unis qu'en Afrique.

Tout le monde l'a lu !

Merci aux tentatrices, Clara et Cuné (plein d'avis en lien) !

Papillon a comme moi quelques réserves.

16/03/2015

Et tu n'es pas revenu

"Survivre vous rend insupportables les larmes des autres. On pourrait s'y noyer."

Quand elle est arrêtée, à quinze ans, son père lui dit :"Toi, tu reviendras peut être parce que tu es jeune, moi je ne reviendrais pas."
Cette prophétie s'accomplira . Marceline pourra brièvement ,et au risque de sa vie, revoir son père , envoyé à Auschwitz, tandis qu'elle est déportée à Birkenau et elle recevra un billet de lui. Ce billet, il a disparu dans la tourmente, les mots se sont effacés de sa mémoire mais pas le fait qu'il ait signé de son   prénom juif, alors qu'il se voulait français.marceline loridan-ivens,judith perrignon
Des décennies plus tard, Marceline répond à ce billet, remonte le cours du temps et brosse, à grands traits parfois, des pans de sa vie.
La survie au camp, le retour, la chape de plomb qui pèse sur les survivants, la mère qui veut juste savoir si elle n'a pas été violée et ,par dessus tout, cet amour de la fille pour son père ,font de ce récit tendu comme un arc ,une lecture âpre et nécessaire. Il y a dans ce texte une sourde énergie. Le temps n'a pu balayer les émotions et on sent Marceline Loridan-Ivens à fleur de peau tout au long de ce texte.

Merci Clara .

En avril sortira en DVD" La petite prairie aux bouleaux".marceline loridan-ivens,judith perrignon

14/03/2015

L'amour est dans le foin

Même si le titre de cette romance n'est pas sans évoquer celui d'une célèbre émission de téléréalité (et hop , vous voilà pour la journée à susurrer dans votre tête, la chanson sirupeuse qui l'accompagne, ne me remerciez pas), L'amour est dans le foin ne met pas son héroïne, juriste et accessoirement sublime, aux prises avec un agriculteur mal dégrossi.angéla morelli
Non, la belle qui a promis à ses amies de passer un mois de juillet dans la campagne picarde, à deux pas de la mer, (pas du tout son biotope) à faire le point sur ses amours et à ne surtout pas craquer sur un homme, va devoir faire face à deux hommes tout aussi craquants, chacun dans leur genre.L'un est un néo-rural ,ma foi fort séduisant, l'autre un entrepreneur mal embouché mais aux pectoraux bien dessinés et aux "yeux d'orage"... Craquera ou pas ?
Le roman, s'il respecte les lois du genre, se permet aussi de jolis écarts et beaucoup d'humour, parfois vachard. Le récit cavale à toute allure et on lâche pas d'une semelle cette quadra dont le portrait est très bien brossé. Un petit plaisir à consommer sans modération !

Saxasoul a aussi aimé !

Coup de projecteur chez Stephie !angéla morelli

13/03/2015

La fin du monde a du retard...en poche

"-Tu peux compter sur moi. Dès que j'ai sauvé le monde, je me lance dans une opération vide-greniers."

 Alice et Julius, deux amnésiques, s'échappent de la clinique psychiatrique où il sont traités. Alice est totalement dénuée d'émotions et Julius est persuadé qu'un terrible complot menace l'humanité.Pour le déjouer, il leur faudra s'emparer d'un mystérieux Codex et échapper aux nombreux poursuivants qui sont à leurs trousses. Cette "quête qui tourn[e]à la collection de désaxés", enchaîne les"péripéties d'anthologie alliant surprise épique et burlesque échevelé" contient, au bas mot,  une trouvaille humoristique par page ! Mais comment fait-il ? JM Erre
D'autant que, mine de rien, c'est toute une réflexion enjouée et intéressante qui s'intercale avec bonheur entre les épisodes de cette folle course-poursuite ,sur la nécessité de fictionnaliser nos existences. Clins d’œil en tous genres  (les frères Volfoni des Tontons flingueurs !) trouvailles langagières, commentaires sur le récit qui se met en place sous les yeux du lecteur ,font de ces 400 pages un pur bonheur de lecture! Et zou, sur l'étagère des indispensables !

12/03/2015

La fille...en poche

"Je ne suis peut être pas née capitaine de ce bateau, mais je suis née pour le secouer."

Sa mère l'appelle "Sunshine" le matin et "la fille" le soir. Malgré les défaillances-pointées avec lucidité par la narratrice- de cet univers de petits blancs vivant dans un trailer park (parc de caravanes) à Reno, beaucoup d'amour circule dans la famille essentiellement féminine de la jeune Rory.
Cette dernière, faute de modèle familial conforme à la "norme", puise dans un manuel de scoutisme de quoi avancer dans la vie. tupelo hassman
Elle compile journal intime, dont des passages sont parfois totalement caviardés pour mieux rendre compte de l’indicible et rapports "linéaires et catégoriques" des travailleurs sociaux parlant "ouvertement de vérité et de culpabilité."
C'est cette relation aux mots, que Rory excelle à épeler à l'école, se plaçant ainsi en dehors des limites de ce que la société attend d'elle, que j'ai particulièrement apprécié dans ce roman revigorant et lucide.
Rory porte un regard incisif sur deux univers complètement différents, là où le mot "maison" ne recouvre pas la même réalité, là où des gens considérés comme "arriérés" ne bénéficient pas de leurs droits. Devenir ce que l'on attend d'elle, suivre l'atavisme familial en quelque sorte , ou s'insérer dans un monde qui la rejette ? Rory trouvera une troisième voie , plus conforme à sa personnalité, riche et intelligente. Un roman qui échappe à tout misérabilisme ainsi qu'à tout angélisme et qui sonne juste. Un coup de cœur et ce n’était pourtant pas gagné d'avance.

11/03/2015

En vrac, en bref et pas rangé ...

...normal : "Les femmes ennuyeuses ont des maisons impeccables", hum ! (les hommes,aussi ? ).

Ils prennent la poussière depuis peu ou plus longtemps, alors petit nettoyage de printemps :

- Ka Ta, de Céline Minard, Rivages 2015, "le kata est un entraînement formel dans lequel un sabreur se défend contre des adversaires imaginaires". Un bel exercice d'écriture, "emballé par scomparo" 41Xe8e7Lj-L._AA160_.jpg(photographies et estampes), "formé à Kyoto" lors d'une résidence de l'auteure. Des textes courts auxquels je suis restée extérieure, mais j'apprécie la diversité des univers et des formes explorés par l'auteure.

 

 

 

 

 

Vivre, penser, regarder, Siri Hustevdt, Babel 2015, 485 pages, suivies de nombreuses références bibliographiques. Si j'ai apprécié le point de vue original de l'auteure sur certains thèmes, scientifiques par exemple,  où on ne l’attendait pas forcément, j'ai trouvé d'autres textes trop superficiels. Ces  articles ou conférences offrent néanmoins de très pertinentes réflexions sur l'écriture: "Les livres sont soit libérés, soit emmurés par le lecteur.Nous leur apportons avec nous l'histoire de notre vie, nos préjugés, nos rancunes, nos attentes et nos limites."

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 Discours à l'Académie suédoise, Patrick Modiano, Gallimard 2015, 30 pages éclairantes, tant sur la vie que l’œuvre, emplies de simplicité  et de beauté, qui m'ont donné envie de lire, enfin, L'herbe des nuits, mon premier vrai Modiano (j'ai dû en lire d'autres il y a longtemps mais sans éprouver de quelconque plaisir) .index.jpg
J'ai beaucoup aimé l'atmosphère et les identités fluctuantes des personnages, me voilà fin prête pour entamer avec enthousiasme Dora Bruder qui attend tranquillement dans ma PAL.index.jpg

10/03/2015

Avoir un corps

"Ce qui me plaît, je crois, c'est l'inconnu, c'est que le corps nous guide là où on n'imagine pas aller."

"Le projet de ce livre est né des nombreux échanges et du travail réalisé avec la chorégraphe Bernadette Gaillard". Il a dû y avoir transmutation des univers tant ce texte qui explore le corps féminin de l'enfance à la plénitude de la féminité est plein de grâce et d'allant.Brigite Giraud, tout en nous narrant la vie de son héroïne la confronte aux joies mais aussi aux douleurs de l'existence et ceci avec une grande sensibilité mais toujours sans pathos.brigitte giraud
En la lisant, je ne pouvais m'empêcher de penser à un texte paru en 1975, Les mots pour le dire , de Marie Cardinal qui fut un véritable choc pour beaucoup de femmes à cette époque, quel que soit leur âge. Enfin les femmes avaient un corps, enfin on nous parlait des règles, de l'avortement, parfois crûment ,mais toujours avec une exigence de vérité.brigitte giraud

Si les projets sont totalement différents (le roman autobiographique de Marie Cardinal,  est très lié à la psychanalyse ), ils nous permettent de voir l'évolution des thèmes et les déplacements qui se sont opérés pour les femmes françaises : ce n'est plus l'enfant non désiré qui est problématique mais le désir d'enfant.
Deux tonalités très différentes mais deux grands textes. j'attends avec impatience un roman qui se penche avec autant de talent sur les quinquas...

ps: quoiqu'en dise la 4ème de couverture écrite par Josyane Savigneau, L'inédit de Marie Cardinal (qui vient de sortir en poche) est tout à fait dispensable.

Antigone et Clara m'avaient donné envie...

Sylire vient d'en parler.

Le billet du Petit carré jaune, celui de Mirontaine

 

 

09/03/2015

Ce qui était perdu ...en poche

”Il faut le dire dès le début, sinon on t'apporte toujours plus de bols.”

1984.  Une petite fille qui  joue les détectives en herbe disparaît.2003.Un agent de sécurité  du centre commercial Green Oaks à Birmingham aperçoit sur un écran de  contrôle une  fillette et sa peluche. Cette image furtive  lui permettra de nouer le contact avec Lisa, employée surmenée d'un magasin de disques. A eux deux, ils mèneront une enquête dans les couloirs de service du centre commercial, autant sur Kate, la petite fille disparue ,que sur eux-mêmes,  renouant les fils d'un passé où régnait peut être l'innocence... Au coeur de ce  récit, fascinant et menaçant, un immense centre commercial.
Tout cela semble sinistre à première vue mais se révèle un mélange subtilement dosé d'émotion , d'humour, de suspense, de critique de la société de  consommation, où les gens sont bien contents d'aller faire un tour au centre commercial le dimanche pour combler le  vide de leur existence, où l'on assiste à une hilarante formation commerciale. Sans compter que Catherine O'Flynn , dont c'est ici le premier roman , possède tout à la fois l'art de rendre  ses personnages attachants, Kate la première, mais aussi de maîtriser totalement l'art de  la narration.  Rien n'est gratuit, tous les détails ont leur 51fgeW29QjL._AA160_.jpgimportance  mais tout se met en place harmonieusement, comme les  pièces d'un puzzle.  Quand la date 1984 est  réapparue dans la dernière partie du livre, j'ai eu le souffle court tout en tournant les pages... Quant à la polyphonie des narrateurs,  elle permet  aussi bien de donner le point de vue de  chacun des protagonistes que  de mimer les voix peuplant cette tour  de Babel qu'est  le centre commercial.Jusqu'au bout du récit , les éléments s'imbriquent  pour le plus grand plaisir  du lecteur qui sort de ce roman, ravi, le coeur battant  la chamade et le sourire aux lèvres devant une telle réussite.  Magistral ! Voilà longtemps que je n'avais pas connu une telle émotion de lecture !