05/05/2015
Le nénuphar et l'araignée
"Je suis de cette société docile obsédée de son danger intérieur. Ce que je mange, ce que je bois, ce que je fume, comment je baise, ce que je me fais de mal. Si j'avais un danger extérieur à affronter j'aurais sans doute moins peur. à force de prévenir le danger je l'ai fait pousser en moi : il me semble sans doute plus familier, moins périlleux parce que je crois en avoir la clé, la manette, le thermostat. J'avais mon petit danger portatif dans la poche. je l'appelais Lucky strike. il me permettait d'oublier tous les autres dangers qui n'étaient pas actionnés par moi."
Au départ de ces textes, une requête d'éditeur: écrire pour une collection des Allusifs intitulée Les peurs. "La collection n'existe plus mais le texte est là." car pour répondre à la demande, Claire Legendre s'est penchée sur ses propres peurs dans des textes tenant à la fois de la nouvelle auto fictive et de l'essai, interrogeant aussi bien sa phobie des araignées que la présence inquiétante de ce qu'elle appelle son nénuphar, comprendre une anomalie au niveau du thymus qui va lui empoisonner le corps et l'esprit.
L'auteure analyse avec acuité et souvent humour ses réactions, ses angoisses, qui sont bien évidemment en totalité ou en partie les nôtres. Une mise à distance souvent imagée et bien évidemment salutaire .
J'ai ainsi découvert le concept tchèque de la Litost (ne pas confondre avec la litote), intraduisible en français, qui est "le spectacle de sa propre misère. Kundera en fait , au filtre de la fiction , une humiliation, une honte sans gravité mais à laquelle on pourrait repenser, par exemple de façon intempestive, quand on est bien tranquillement installé sur le canapé devant la télé et elle vous donne des tics nerveux. Il arrive qu'on se gifle en repensant à telle réplique qu'on n’aurait pas dû dire, à tel geste qu'on n'aurait pas dû faire..." et l'auteure de remarquer avec malice (ou consternation ) : "Les hommes politiques sont de formidables digéreurs de litosts, moi je me serais jetée par la fenêtre une bonne dizaine de fois si j'avais le palmarès de certains."
Un livre qui fera du bien aux angoissés. Et aux autres !
Le nénuphar et l'araignée, Les Allusifs 2015, 100 pages où volètent de nombreux marque-pages.
06:00 Publié dans Essai, Objet Littéraire Non Identifié | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : claire legendre
04/05/2015
Still Alice
Alice, la cinquantaine rayonnante a tout réussi : sa vie familiale et professionnelle (c'est une linguiste reconnue).
Mais de petits oublis, de mots (un comble pour une linguiste), puis un épisode très déstabilisant de désorientation la poussent à consulter et le verdict tombe: Alice est atteinte d'une forme très précoce (et héréditaire) de la maladie d'Alzheimer.
Si Julianne Moore est à la fois poignante et sobre (elle a bien mérité son Oscar),on aimerait pouvoir en dire autant des autres acteurs , bien pâlots à ses côtés. Il s'agit ici d'un mélodrame assumé et si, bien sûr, le spectateur ne peut qu'être touché (la scène où Alice visite un centre pour malades d’Alzheimer, sans détromper sa guide qui la prend pour un membre de la famille d'un résident potentiel est juste atroce), on ne peut qu'être agacé par tous les poncifs américains (family, love) et par le côté glamour de la chose (Moore est superbe, leur maison est digne d'un magazine de déco et que dire de leur maison de vacances au bord de la plage).
Quant à la fin, élusive, elle gomme artistiquement la déchéance annoncée.Bref, un avis en demi-teintes.
06:00 Publié dans je l'ai vu ! | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : wash westmoreland, richard glatzer, julianne moore
03/05/2015
D'argile et de feu
"Je cuis des mots. Il faut qu'ils soient ardents et justes."
Marie, qui "Durant des années, [a] été un point de silence et d'immobilité" se met un jour en route. Cette déambulation va lui faire croiser un autre itinéraire, celui d'une femme qui porte le même prénom qu'elle, une potière reconnue au siècle dernier.
Rédigeant alors deux cahiers, chacun consacré à l'évolution des deux femmes, la narratrice va peu à peu se rapprocher de l'univers potier et , ce faisant, apprivoiser un élément, le feu, qui jusqu'alors était pour elle synonyme de danger et de tragédie.
Céramiste et écrivain, Océane Madelaine retrace d'une manière à la fois sensuelle et épurée, ces deux renaissances de femmes qui, chacune à leur manière, la potière insufflant force et courage, par delà les années à son homonyme contemporaine, ont dû se frayer une place dans un monde qui ne leur était pas favorable au départ.
1er Roman Prix Première 2015
Découvert grâce au blog duPetit carré jaune.
Ptitlapin a beaucoup aimé aussi.
D'argile et de feu, Océane Madelaine, éditions des Busclats, 2015, 120pages ardentes.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : océane madelaine
02/05/2015
L'euphorie des places de marché
"Elle savait d'instinct que tout en lui obéissait, même la coupe de ses costumes, à une loi supérieure du management inscrite de toute éternité dans la grammaire du monde."
Norbert Langlois. se délecte des chroniques boursières alarmistes des déclinologues de la radio. à la tête depuis peu d'une ancienne entreprise familiale, il aimerait procéder à un ajustement ,comprendre se débarrasser d'une secrétaire de direction par trop efficace dans l'art de ne rien faire, art qu'elle pratique avec zèle depuis plus de vingt ans. Les passes d'armes peuvent commencer...
L'opposition entre le trentenaire rigide (ne remettant pas en question les lois du marché)et la secrétaire tire au flanc (maîtrisant sur le bout des doigts tout un panel de stratégies (y compris "un vaste lexique suffisamment abstrait pour décourager toute curiosité hiérarchique" quand elle a décidé de quitter son travail plus tôt) ), et faisant preuve d'un aplomb admirable, est totalement jubilatoire.
L'écriture, à la fois fluide et élégante, est un pur régal .L'auteur se gausse avec une précision chirurgicale du monde de l'entreprise , maniant ironie et hyperboles avec dextérité. Un plaisir de lecture à s'offrir de toute urgence !
Du même auteur , tout aussi réjouissant : clic !
L'euphorie des places de marché, Christophe Carlier, Pocket 2015, 158 pages juste parfaites.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : christophe carlier
01/05/2015
Maine...en poche
"Elle n'avait rencontré aucune famille aussi éprise de sa mythologie."
Alice,( la matriarche imperméable aux sentiments, une femme comme on n'aimerait pas en rencontrer pour de vrai), Kathleen, la fille, (ancienne alcoolique reconvertie dans l'élevage des vers de terre), Maggie (la petite fille trop accommodante) et Ann Marie , la belle-fille parfaite, sont réunies pour quelques jours dans la maison de vacances du Maine.
Si la situation géographique est idéale, la configuration familiale , elle, est pour le moins explosive ! On pouvait craindre le pire, clichés à gogo, situations convenues, mais, roman polyphonique, Maine alterne à chaque chapitre les points de vue et éclaire sous des angles différents les personnages. Nuancés, ils deviennent tour à tour attachants ou exaspérants , mais diablement humains. Notre opinion varie et nous éloigne de toute forme de caricature.
L'exploration psychologique est passionnante, les révélations se succèdent sans que le rythme fléchisse et l'on ne peut que se demander comment une "gamine" de trente ans peut avoir une telle expérience humaine ! Si ce roman , impossible à lâcher, ne devient pas LE roman de l'été, c'est à n'y rien comprendre !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : courtney sullivan
30/04/2015
En avril...
...j'ai lu mais pas forcément au envie de bloguer alors en vrac et pas rangé, comme d'hab' !
*La servante du seigneur, Jean-Louis Fournier. Une couverture rose bonbon, et des statues de la vierge bleu layette pour accompagner ce texte de désarroi d'un père déjà pas mal cabossé par le destin dont la fille, la quarantaine venue ,décide d'abandonner son métier pour se consacrer à la prière.
Le mot de la fin est laissé à la fille qui répond , point par point, aux arguments de son père mais éludant l'aspect financier (demande d'une pension et d'un quatre quatre intérieur cuir)...
* Le goût des vaches, petite anthologie de textes pas forcément intéressants, ou trop classiques à mon goût. Quelques auteurs découverts (Jean-Loup Trassard, pascal Commère) et l'information suivante: le génocide tutsi a été accompagné de la destruction de 80 % du cheptel des vaches inyambo, symbolisant le pouvoir tutsi...
* Le fiasco du labrador, Margaret Atwood, obtenu l'été dernier lors d'une opération spéciale . Des nouvelles mettant en scène des personnages récurrents, dont la narratrice, qui va devoir s'accommoder tout à la fois à la vie rurale ,aux enfants du premier mariage de son mari , au vieillissement de ses parents. Une écriture classique mais efficace, des personnages très bien croqués et de la malice en sous-main :
"Elle était maintenant très guillerette, telle une femme au foyer qui se retrouve veuve après avoir trimé toute sa vie et commence à découvrir les plaisirs des manucures et des salons de coiffure youpi tralala".
06:00 Publié dans Je l'ai lu ! | Lien permanent | Commentaires (10)
29/04/2015
Le beau voyage
Le lecteur de BD officiel à la maison c'est l'Homme. De temps en temps, il me conseille une BD et , en général, je ne le regrette pas !
Un téléphone portable volé, la mort d'un père annoncée, autant d'événements qui vont être l'occasion de révéler des secrets.
Léa, jeune femme en devenir, va pouvoir ainsi voir sous un nouveau jour le décès de celui à qui elle doit la vie, son petit frère, ré-envisager sous un nouveau jour son histoire familiale et se délester de bagages trop lourds pour entamer à nouveau Le beau voyage.
Un récit sensible et des dessins accordant leurs tonalités aux états d'âme des héros. Un joli moment de lecture sans mièvrerie.
06:03 Publié dans BD | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : springrer et zidrou
28/04/2015
La petite prairie aux bouleaux
Après avoir lu Et tu n'es pas revenu (clic), j'avais très envie de voir la fiction consacrée par Marceline Loridan-Ivens à Birkenau. Le DVD vient de ressortir, probablement pour l'anniversaire de la libération des camps, cela tombait donc bien.
C'est Anouk Aimée, les cheveux couleur flamme, qui endosse l'identité de Myriam Rosenfeld, nom de naissance de la réalisatrice, pour son retour à Birkenau, souvent associé à Auschwitz, près de Cracovie.
Les dialogues de cinéastes, les interviews croisées de la scénariste, la réalisatrice et de Simone Veil qui a connu la toute jeune Marceline, quinze ans lors de son arrivée à Birkenau, permettent d'éclairer certains détails de la fiction et de leur conférer encore plus de force.
Ainsi si Myriam s'obstine à entrer par une porte récalcitrante dans le camp, c'est parce que cette issue était réservée aux Allemands.
Elle se réapproprie ainsi un lieu où elle affirme avec force être chez elle et s'autorise des libertés que les autorités actuelles interdisent aux visiteurs . Il n'est pas né celui qui pourrait faire plier la survivante !
Par petites touches, nous prenons conscience de l'antisémitisme de la population polonaise contemporaine et passée, mais aussi de la douleur de l’ancienne déportée qui garde certains réflexes de survie. Nous comprenons aussi sa volonté de nier certains souvenirs trop dérangeants, des décennies plus tard (le film est sorti en 2003).
Une fiction extrêmement puissante, digne et sincère,sans pathos, et d'une très grande beauté. Le seul film, à part celui réalisé par l'écrivain Imre Kertésk, Être sans destin, à avoir été réalisé par une survivante.
06:00 Publié dans je l'ai vu ! | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : marceline loridan-ivens
27/04/2015
L'effet Rosie
"- Je laisserai la thalidomide dans le placard.
-Tu as de la thalidomide ?
-C'est une blague, Don, une blague."
"-Nous sommes enceints, a-t-elle dit." Et Don de commencer à tout prévoir en bon planificateur qu'il est , pour pallier à la désorganisation chronique de Rosie.
Mais si Don est imbattable sur alimentation d'une femme enceinte, l'évolution du fœtus, pas sûr qu'il soit capable d'établie une relation interpersonnelle avec le bébé à venir, la faute à son syndrome d'Asperger.
Si l'aspect loufoque est moins présent que dans le premier volume (lecture non indispensable pour la compréhension mais ce serait dommage de s'en priver), Don, à force de cachotteries pour éviter de stresser Rosie, va se fourrer dans de beaux guêpiers dont il parvient toujours à se tirer in extremis avec des moyens bien à lui ! Scènes d'anthologie à foison (entraînement à l'accouchement, voyage en avion, choix du prénom...) !
Si la tonalité est parfois un peu plus sombre, on passe un excellent moment de lecture avec Don,Rosie et leurs amis !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : graeme simsion
24/04/2015
Entre les jours...en poche.
"Pendant au moins trente secondes, tout était resté parfaitement calme. Pendant au moins trente secondes, avant que les cris ne retentissent, que leurs vies ne basculent définitivement, le monde était resté parfaitement calme."
Une famille américaine bien sous tous rapports : un père architecte, une mère au foyer, un garçon et une fille qui poursuivent leurs études. Certes, le divorce parental a quelque peu déstabilisé ce microcosme propret mais c'est surtout le renvoi de Chloé de l'université, puis sa disparition sans explication qui vont tout faire chavirer.
Roman psychologique, Entre les jours possède un sens du rebondissement et du suspense impeccables. On découvre petit à petit les causes du renvoi de Chloé et surtout on observe, fascinés, comment cette constellation familiale va devoir se réorganiser face à l'impensable. L'auteur se glisse avec aisance dans chacun de ses personnages et son écriture sensible et maîtrisée ne nous permet pas de lâcher ce roman addictif. Une réussite !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : andrew porter