14/05/2015
En finir avec Eddy Bellegueule...en poche
"Ne plus croire à une existence qui ne repose que sur la croyance en cette existence."
Pas de bol pour Eddy Bellegueule ! Il naît dans une famille où l'on vit à sept avec sept cent euros par mois, où l'avenir est tout tracé (l'usine est juste à côté de l'école), dans un milieu qui privilégie les valeurs masculines alors qu'il est efféminé.
Longtemps, son leitmotiv sera de correspondre au "nom de dur " qui lui a été attribué, Eddy Bellegueule donc. Mais les crachats, la violence physique et verbale qu'il subira deux ans durant au collège, l'attitude de sa famille qui ne sait comment faire face à sa différence, le sentiment de honte qui l'habite face à la pauvreté des siens, pauvreté aussi bien verbale qu'économique, font que cet adolescent "prisonnier de [son] propre corps", ne trouvera d'issue qu'en dehors de ce monde clos sur lui même.
Même si le mode de vie, de pensée, décrits dans ce roman à caractère autobiographique ( non assumé sur l'objet livre) pourraient de prime abord paraître d'une autre époque, nous nous situons ici à la fin des années 1990, début 2000, en Picardie. Eddy Bellegueule, vrai nom de l'auteur, s'il choisit de se renommer, n'en profite pas pour autant pour régler ses comptes avec les membres de sa famille. Il analyse de manière lucide ce qui les entrave d'un point de vue sociologique et ne les juge pas .
Il restitue de manière remarquable la langue fruste, les négligences de sa classe sociale, les arbitrages économiques, la méfiance vis à vis de la médecine, le manque d’intérêt pour l'école, tout ce qui creuse un fossé apparemment infranchissable entre "les petits" et "les bourges".
L'auteur partait dans la vie avec un double handicap (son milieu social,son homosexualité) mais il a réussi à En finir avec Eddy Bellegueule tout en nous offrant un texte magnifique sur ses origines et sa quête d'identité !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : edouard louis
13/05/2015
Chroniques de la débrouille / La théorie de la tartine
"Je sais que chafouin signifie sournois, mais mon cerveau a arbitrairement décidé qu'il était en fait l'équivalent de "petite tête de marmotte un peu triste, déçue, contrariée et fatiguée". je vais notifier cette modification du dictionnaire à l'Académie française par un courrier avec accusé de réception et hop, le tour sera joué."
Mon parcours avec Titiou Lecoq, romancière , chroniqueuse et blogueuse médiatique a é quelque peu chaotique. D'abord, un échec de lecture, les Morues, rien que le titre m'était resté en travers de la gorge, la demoiselle ne faisant pas dans la dentelle, mais la grossièreté c'est parfois roboratif et ici toujours pleinement assumé , ce qui n'est déjà pas mal.
Puis, cédant aux appel de sirènes, Cuné et Antigone en tête, et d'une offre promotionnelle sur liseuse, je me suis procuré La théorie de la tartine, que je n'ai pas lâché.
Paradoxalement, ce n'est pas tellement l'histoire de cette jeune femme qui voit ses ébats amoureux livrés en pâture sur internet en 2006 par un ex vengeur et accumule ensuite les ennuis (d'où le titre) qui m'a le plus intéressée.
J'ai , en effet, plutôt lu ce roman comme un panorama de l'évolution nos relations à internet, et le point de départ comme un prétexte.
Ce qui remonte à peine à dix ans apparaît déjà presque comme de la préhistoire !
J'ai enchaîné enfin avec Chroniques de la débrouille, , paru aux éditions Fayard sous le titre Sans télé, on ressent davantage le froid et là je me suis vraiment régalée ! Le talent de Titiou Lecoq donne sa pleine mesure dans le format court ! Son humour, parfois trash, parfois plus littéraire fait un bien fou ! Ces tranches de vie (parfois sanguinolentes comme une tranche de foie crue, les lectrices ayant vécu un retour de la maternité apocalyptique comprendront), sonnent juste et ce portrait d'une génération est tout à la fois enlevé et plein de vie !
06:00 Publié dans Nouvelles françaises, romans français | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : titiou lecoq
12/05/2015
L'événement
"J'ai fini de mettre en mots ce qui m’apparaît comme une expérience humaine totale, de la vie et de la mort , du temps, de la morale et de l'interdit, de la loi, une expérience vécue d'un bout à l'autre du corps."
L'attente du résultat d'un test de dépistage du sida replonge la narratrice dans "la même horreur et la même incrédulité" qu'en 1963 , étudiante en Lettres, lorsqu'elle attendait de savoir si elle était enceinte ou non.
Cette grossesse non désirée interroge d'abord son rapport au corps et à la sexualité: "Dans l'amour et la jouissance, je ne me sentais pas un corps intrinsèquement différent de celui des hommes." mais aussi son origine sociale modeste, dont elle pressent confusément que cette grossesse est l’aboutissement inéluctable. Comme elle le dit crûment : "J'étais rattrapée par le cul et ce qui poussait en moi c'était, d'une certaine manière, l'échec social."
Cette pauvreté et l'impossibilité de solliciter l'aide des ses parents, trop de honte, va la mener dans une quête distanciée, sans lyrisme et sans colère d'un solution, bien évidemment illégale à l'époque, pour qui n'a ni moyens financiers, ni relations.
La violence à la fois verbale et/ou implicite des hommes est à proprement parler insoutenable. Entre l' "ami," qui se complaît dans la souffrance de la narratrice, le médecin qui joue de son savoir en lui prescrivant des injections dont Annie Ernaux découvrira plus tard qu’elles avaient l'effet inverse de celui qu'elle recherchait ,ou bien l'interne qui malmène la jeune femme, dont il ignore a priori qu'elle est étudiante "J'ai dû penser que c'était ma faute s'il s'était conduit violemment : il ne savait pas à qui il avait affaire.", on a l'embarras du choix.
Annie Ernaux revient sur cet Événement autour duquel elle a longtemps tourné et nous propose un livre terrible et implacable dont la lecture est plus que jamais indispensable.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (11)
11/05/2015
Chiens, chats...pourquoi tant d'amour ?
"Ceux qui vivent avec des animaux s'y attachent comme à des personnes , parce que cet attachement s'impose du fait que nous sommes ce que nous sommes et que les animaux sont qui ils sont. Or, la plupart des recherches s'efforcent de comprendre le fait que des humains s'attachent à des animaux comme s'il s'agissait d'une anomalie.Aucun sociologue ne va enquêter sur les raisons pour lesquelles les gens aiment les enfants !"(Vinciane Despret)
Saviez-vous que des chiens, il y a bien longtemps, avaient été enterrés avec leurs maîtres ? Que la religion catholique, dans sa volonté de contrer la religion polythéiste égyptienne, avait beaucoup œuvré contre les animaux ? Que les chiens avaient le sens de l'humour ? (ça plein de maîtres le savent mais, comme le rappelle fort opportunément Le Telegraph du 11 juin 2004: " Les scientifiques viennent de prouver ce que les propriétaires de chiens savent depuis des siècles : leurs chiens comprennent presque tout ce qu'ils disent.").
Catherine Vincent, journaliste au Monde a interrogé Eric Baratay, professeur d'histoire contemporaine, Claude Béata, vétérinaire comportementaliste et Vinciane Despret, philosophe et éthologue, et leurs entretiens sont passionnants !
On a juste envie d'applaudir aux propos de chacun d'eux et tout particulièrement à ceux, pleins de vie, d'humour et d'empathie de Claude Béata et Vinciane Despret. Des réflexions émaillées d'anecdotes qui parleront forcément aux amis des animaux et , on l'espère aussi, aux autres.
Aucun jargon, de l' enthousiasme à revendre et une lecture qui confortera tous ceux qui, comme moi, sont persuadés que l'animal est sensible et intelligent. Je me suis régalée de bout en bout !
Un grand merci à Vinciane Despret (clic) qui a ,si gentiment et si rapidement ,répondu à ma demande de bibliographie supplémentaire !
Le lien vers l’émission de France inter qui m'a permis de découvrir cet ouvrage paru chez Belin: clic .
PS: ne pas s'arrêter à la couv', pourquoi avoir jugé nécessaire d'ajouter, en coloriant heureusement, des accessoires ridicules à ce bouledogue français ?
06:00 Publié dans Document, Essai | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : eric baratay, claude béata, vinciane despret, catherine vincent
10/05/2015
Le facteur émotif
"Tourbillonnant comme l'eau
contre le rocher
Le temps fait des boucles"
Bilibo , facteur de profession, s'immisce dans l'échange de correspondance poétique (sous forme de haïkus) qu'entretiennent Gaston Grandpré et Ségolène. En effet, pour meubler sa vie monotone, il a pris l'habitude d'ouvrir , avant de les remettre à leur destinataire, les rares courriers personnels de sa tournée.
Le jour où Grandpré disparaît devant ses yeux, le facteur va endosser son identité et devenir poète...
Cette fable poétique, pleine de fraîcheur , je l'ai d'abord lue de manière distanciée, puis je me suis laissée charmer, surtout pour voir comment l'auteur allait sortir son héros du piège qu'il lui avait tendu et...je n'ai pas été déçue: la forme du poème japonais dictant, d'une certaine façon la fin du récit.
Le facteur émotif, Denis Thériault, Anne carrière 2015, ouvrage déjà paru au Canada où il a remporté le Prix Canada-Japon 2006.
Le billet des Jardins d'Hélène.
18:25 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : denis thériault
La petite communiste qui ne souriait jamais ...en poche
"Il n'a pas pu me briser parce qu'il n'a jamais su où étaient mes VRAIES limites, je ne les ai jamais dévoilées."
Aux Jeux Olympiques d'été de Montréal de 1974, une petite fée de 14 ans affole les ordinateurs car elle vient d'obtenir le note maximale de 10, jamais accordée auparavant. Nadia Comaneci entre dans l'histoire de la gymnastique, devient une star et l'emblème d'un pays communiste: la Roumanie alors sous l'emprise du dictateur Ceausescu.
La narratrice de La petite communiste qui ne souriait jamais imagine un dialogue entre elle-même et celle qui fut un temps l'icône de la planète avant de tomber de son piédestal. L'occasion de balayer les clichés sur un pays alors très fermé mais surtout de brosser le portrait d'une fillette "Puissante et impitoyable" qui semble n'avoir peur de rien , pas même de mettre à mal son corps.
J'ai été happée par l'écriture à la fois poétique et vigoureuse de Lola Lafon. Les échanges instaurés permettent de nuancer les propos (la Nadia du roman regimbe, boude, mais finalement revient toujours, sans pour autant éclairer toutes les zones d'ombre). Il s'agit en effet ici non pas d'écrire une biographie ni une hagiographie mais "d'entendre son parcours non réécrit y compris par elle-même." Un livre tout bruissant de marque-pages qui suscite un enthousiasme comparable à celui qu'avait engendré Nadia Comaneci. Et zou, un beau et grand coup de cœur !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lola lafon
09/05/2015
La fille du train
"Pour la première fois depuis bien longtemps, je m'intéresse à autre chose qu' à mon propre malheur. J'ai un but.Ou, en tout cas, une distraction."
Par la fenêtre de son train de banlieue du matin, ou du soir, Rachel observe les habitants d'une maison située en bord de voie. Un couple idéal à ses yeux, une vie parfaite qui s'offre comme un contrepoint à celle qu'elle connaît.
Mais un jour, une scène vient troubler la belle harmonie et Rachel apprend quelques jours plus tard que la si jolie jeune femme de la maison a disparu. Elle décide alors de s'immiscer dans cet univers qui fut naguère le sien...
C'est sur la foi d'une critique de Telerama (qui en disait beaucoup moins que la quatrième de couv') que j'ai commencé la lecture de ce thriller psychologique. J'ai aussitôt été happée et par les personnages (trois femmes prennent la parole ) et par le récit qui opère un virage à 180° dans le dernier tiers. Les informations sur la narratrice principale sont distillées au compte-gouttes , estompant ainsi le côté pathétique de sa situation.
Ce voyeurisme banal, qui n'a pas saisi au vol des scènes de vie au cours d'un voyage en train ?, est exploitée pleinement par Paula Hawkins qui ferre d'emblée son lecteur et ne le lâche plus ! Voilà longtemps que je n'avais dévoré un thriller avec autant d'appétit !
La fille du train, Paula Hawkins, traduit de l'anglais par Corinne Daniellot, Sonatine 2015, 379 pages à dévorer, par forcément dans les transports en commun, de crainte de louper son arrêt !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : paula hawkins
08/05/2015
Le beau monde...en poche
"J'aurai gagné en lumière et en ombre. En mystère."
"Terne, insipide", Frances Thorpes ? Cette obscure correctrice d'un prestigieux journal contemple de loin Le beau monde des lettres où elle officie à une très modeste place.Le hasard va lui permettre de recueillir les dernières paroles de l'épouse d'un grand écrivain, et, en côtoyant, même brièvement ce monde fascinant, Frances ne va pas résister à la tentation.Petit à petit , elle va s'immiscer dans un univers où elle n'a pas sa place...
Tout le récit est vu du point de vue de Frances, qui ne se livre jamais totalement, même au lecteur qui découvre, petit à petit, toutes les étapes d'une intrusion ourdie de main de maître. Il serait vraiment dommageable de donner trop de détails mais la peinture de cette ambition souterraine et implacable sous des dehors insignifiants est à proprement parler époustouflante !
La description des parents de l'héroïne, en particulier de sa mère ,totalement névrosée, ainsi que celle des coulisses du journal sont des régals et on ne peut lâcher cette héroïne qui observe implacablement le monde qui l'entoure, en assimile les règles souterraines, les mensonges, et en tire le meilleur profit. Un roman qui tient du thriller, de la peinture psychologique acérée et du tableau de mœurs. Un premier roman qui fait preuve d'une parfaite maîtrise tant dans l'écriture que dans le rythme du récit.
Du même auteur, vient de sortir Elle, Clic
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : harriet lane
07/05/2015
L'amour, en théorie
"C'est pour ça qu'en tant qu'enfant qui avait grandi dans ce Minnesota triste et sinistre, elle avait eu la santé fragile, avait-elle déclaré à ses amis de la fac de la côte est: elle avait souffert d'une carence en ironie."
Dès la première phrase de la première nouvelle, j'ai été ferrée : "Depuis que son compagnon l'a quittée pour un ashram situé dans les Catskills, Renee Kirschbaum cherche la bagarre avec des inconnus." Voici une manière bien énergique (et bien peu orthodoxe !) d'empoigner la réalité car comme le rappelle en exergue la citation de Swami Sivanada (rappelée régulièrement dans mon cours de yoga quand je le fréquentais encore): "Une once de pratique vaut mieux que des tonnes de théorie ".
Le problème étant pour tous les héros /héroïne des nouvelles de E. J. Levy que la théorie de l’amour , ils connaissent mais se fracassent régulièrement contre le mur de la réalité de ce même sentiment.
Quel que soit leur âge, trentenaires ou septuagénaires, leur orientation sexuelle, tous peinent à concilier pratique et théorie.
Il est vrai que le destin se montre souvent bien cruel , accumulant sur leurs têtes mini tragédies matérielles et mauvais tour du destin: comment lutter quand votre ami se fait nonne car elle veut des sentiments qui durent ?
Sur un thème déjà bien exploité, par son humour, sa bienveillance , son grand sens de l'observation et de la psychologie , sans oublier un style très imagé délectable, E. J. Levy nous entraîne à sa suite à la rencontre de personnages qui deviennent aussitôt nos amis . Un livre bruissant de marque-pages qui m'a rappelé l’univers de Lorrie Moore. Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Cuné a aussi été séduite !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : e.j.levy
06/05/2015
Le paradis des animaux
"C'était un mensonge. J'étais un homme qui tissait des promesses sur la trame de la tristesse, le genre de promesses que la vie avait bien peu de chances de vous permettre de tenir."
Les personnages des douze nouvelles composant ce recueil sont des gens ordinaires. Ils ne sont pas "stupides" mais, pour certains d'entre eux" simplement sous-performants, des gens qui ,après l'université , avaient opté pour la sécurité d'un travail facile."
Leurs narrateurs, à une exception près, sont des hommes qui ne savent pas forcément maîtriser leurs émotions et que la vie a pas mal malmenés, sans que forcément ils réagissent de la manière adéquate, sans jamais être tout à fait à la hauteur des attentes de leurs compagnes..
David James Poissant, dans un style extrêmement évocateur, nous les peint avec beaucoup de délicatesse, sans jamais les juger. De petites touches d'humour émaillent ces textes extrêmement touchants mais sans pathos, où l'on sent une grande maitrise de l'écriture et un grand sens de l'observation.
Des situations sur le fil du rasoir (le groupe de paroles où les participants se livrent, de manière implicite, à un concours de malheurs ), les regrets, les remords, les rancunes, sont toujours éclairés de lueurs d'espoir, parfois malicieuses comme la fin de "James Dean et moi", mettant en scène un Beagle jaloux.
Quant au père du texte inaugurant ce recueil qui balance littéralement par la fenêtre son fils quand il découvre l'homosexualité de ce dernier, une chance de rédemption lui sera peut être offerte le temps d'un road-trip cathartique , empli de souvenirs ,dans la nouvelle qui clôt le livre.
Une découverte qui file directement sur l'étagère des indispensables !
Le paradis des animaux, David James Poissant, traduit de l'anglais (E-U) avec beaucoup de sensibilité par Michel Lederer Albin Michel 2015 , 333 pages qui font battre le cœur .
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : david james poissant