04/02/2021
Encabanée
"Incarner la femme au foyer au sein d'une forêt glaciale demeure, pour moi, l'acte le plus féministe que je puisse commettre, car c'est suivre mon instinct de femelle et me dessiner dans la neige et l'encre les étapes de mon affranchissement ."
Quel beau mot que cet Encabanée qui donne son titre au roman ! Évoquant tout à la fois le refuge et la prison, fleurant bon la langue québécoise, il était juste parfait pour ce roman inspiré par le journal intime de l'autrice, enfermée dix jours dans son petit refuge du Bas-Saint-Laurent à cause d’une vague de froid .
Ici la narratrice , choisit de quitter une vie confortable pour s'acheter une cabane et un terrain à Kamouraska , dans une nature à peine troublée par le bruit de trains. Elle veut mener une vie plus frugale, plus proche de la nature , lire de la poésie et écrire. Il lui faudra aussi s'atteler à l'entretien de son poêle pour faire face à un hiver particulièrement rude. Pas de réseau pour le téléphone portable, tout peut donc devenir dangereux.
J'ai tout aimé dans ce roman, la langue, la démarche et la narration qui fait la part belle au romanesque et au corps ,avec l'irruption d'un intrus qui permettra de satisfaire les désirs charnels de notre narratrice.
Un grand coup de cœur pour ce roman qui peint et défend la nature canadienne avec brio et nous propose un point de vue féminin et féministe sur une expérience plus souvent racontée au masculin.
Éditions Le mot et le reste, 108 pages drues.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : gabrielle filteau-chiba
02/02/2021
Zoomania
"Au cours des dernières semaines, il m'avait expliqué pourquoi . D’après lui, la plupart des gens étaient incapables de comprendre dans quelle situation désespérée se trouvaient les animaux. Ils étaient trop protégés pour le voir. Trop en sécurité. ils avaient beau connaître les faits et les chiffres , ils ne prenaient pas la mesure de l'ampleur de la dévastation."
La vie des Mc Cloud a été dévastée par une tornade de force 5 ne laissant comme survivants qu'une fratrie de 3 sœurs et un frère. Ne possédant plus rien, Darlène, l'aînée, fait une croix sur ses études à l'université et vend aux médias le récit de leur tragédie, stigmatisant ainsi leur famille, les marquant du sceau du malheur et de la tristesse.
Refusant cette situation, Tucker, garçon intransigeant s'enfuit. Il ne reviendra que trois ans plus tard, à la date anniversaire de la tornade, pour libérer de manière dramatique les animaux de laboratoire d'une usine de cosmétiques.
Blessé, pourchassé, il entraîne dans sa cavale, sa plus jeune sœur, Cora, neuf ans, et entreprend , au fil de leur périple, de lui expliquer la révélation qu' a été pour lui la tornade et l'engagement radical pour défendre la cause animale qui en a découlé.
Récit tour à tour poignant, haletant , Zoomania sait aussi ménager des moments de pure grâce, comme celui d'un animal incongru évoluant en bord d'océan, ou de tension extrême. Abby Geni manie en virtuose les métaphores et ne présente jamais de manière pathétique ses personnages. Elle peint des scènes hallucinantes ,en n'oblitérant pas leurs aspects dramatiques ou drolatiques, et l'on n'oubliera pas de sitôt l'ultime mission que s'est assigné Tucker.
Un livre palpitant qui fait la part belle à la Nature, sans la présenter de manière angélique, et montre différentes formes de résilience, parfois inattendues.
Un roman puissant qui marque les esprits. Et qui file sur l'étagère des indispensables ,bien sûr.
Traduction Céline Leroy. Actes Sud 2021, 357 pages magistrales.
De la même autrice : clic
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : abby geni
01/02/2021
La fille de cinquante ans
"J'ai noué des liens étroits avec le mot "non". Je le connais comme on connaît le quartier de son enfance. je l'ai entendu tant de fois, sur tellement de tons, dans tellement de contextes qu'il est devenu presque une partie de moi-même."
L'objectif de Malin Lindroth est clair : "Avec ce livre, je veux redonner de la noblesse à celui [ ce mot] qui désigne la femme de cinquante ans, sans enfants, involontairement seule et qui ne s'est jamais reconnue dans les récits de vie de célibataire que proposent nos cultures je veux remettre au goût du jour les termes de vieille fille." Des mots qu'elle estime emplis de honte car ils évoquent l'échec dans la société occidentale où prévaut le couple.
Partant de son enfance, où elle estime être d'emblée disqualifiée, l'autrice revient sur des épisodes passablement traumatisants de son adolescence ou de sa vie amoureuse d’adulte.
Manquant d'estime de soi, c'est au prix d'une analyse qu'elle parviendra à rejeter le schéma de la femme "geisha" , invisibilisée pour mieux être au service d'un homme qui n'éprouve pour elle aucun sentiment amoureux.
Un témoignage-essai profondément émouvant qui brise un tabou et évoque la richesse de ces existences hors normes et si riches d'humanité. On regrettera juste au passage que le titre n'ose utiliser les termes que veut se réapproprier l'autrice...
Traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy
Éditions du globe 2020, 109 pages éclairantes.
06:00 Publié dans témoignage | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : malin lindroth
29/01/2021
#Soeurs #NetGalleyFrance
"Le chagrin est une maison sans fenêtre ni porte, sans possibilité de voir le temps qui passe."
Septembre et Juillet sont des sœurs nées à dix mois d'intervalle mais entretiennent une relation quasi gémellaire, même si elles ne se ressemblent pas physiquement. Sheela, leur mère est bien consciente de l’emprise, de la manipulation , confinant parfois à la cruauté, que l'aînée exerce sur sa cadette mais n'intervient pour autant pas de manière efficace.
Harcelée à l'école, "cette bête de Juillet " donnera lieu à un premier incident, puis à un second dont la gravité vaudra à cette famille de trois femmes de se réfugier dans une vieille maison au bord de la mer où l'atmosphère oscillera entre cauchemar et réalité.
Daisy Johnson excelle à créer ces mondes entre deux eaux où ses personnages se perdent pour mieux se retrouver. Elle y entraîne son lecteur, le déroutant parfois, le faisant douter avant que de dévoiler ce qui était devant nos yeux et ne pouvait mener qu'au drame. Un roman envoûtant qui confirme le talent singulier de cette autrice.
Traduit de l’anglais par Lætitia Devaux. 216 pages . Stock 2021
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : daisy johnson
28/01/2021
#Analphabète #NetGalleyFrance
"Tout ce que vous preniez pour acquis disparu en quelques secondes et vous vous retrouviez à essayer de sentir le sol sous vos pieds en guettant d'autres petits séismes."
Avant de mourir, son père révèle à Jimmy l'identité de sa mère, Mary Peace, qui les a abandonnés quand l'enfant était tout petit. Il lui fait promettre de ne pas la rechercher , mais évidemment cette promesse ne sera pas tenue.
Voici donc le jeune homme lancé aux trousses de celle dont la naissance n'a jamais été déclarée, qui a reçu une éducation pour le moins singulière au sein d'une communauté dont le gourou autoproclamé , son propre père, prônait le détachement matériel.
Analphabète , Mary Peace sait néanmoins se débrouiller pour gruger des hommes âgés et solitaires, tout en profitant des charmes des plus jeunes...Mais une policière plus déterminée que les autres va elle aussi rechercher cette manipulatrice aux yeux bleus.
Ne s'embarrassant pas de psychologie, Mick Kitson nous embarque tambour battant dans cette quête de la mère avec une efficacité redoutable. Il alterne les points de vue, sait jouer des ellipses pour ne pas alourdir son récit, et on dévore d'une seule traite ce roman addictif. De la belle ouvrage !
06:04 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : mick kitson
27/01/2021
Les Bordes
"Elle avait perdu la possibilité de ne rien craindre"
Comme chaque année, il faut aller aux Bordes, chez les Bordes, sa belle-famille, pour le pique-nique familial. Une véritable corvée pour Brune, la narratrice, qui a été d'emblée disqualifiée par ses beaux-parents, nous comprendrons pourquoi au fil du texte.
Que ce soit durant le trajet ou le court séjour , cette juge ne cesse d'envisager tous les dangers qui pourraient guetter ses enfants, Hilde huit ans et Garnier quatre ans. Une angoisse perpétuelle qui sature chaque page du roman et ne fait qu'aggraver la fatigue de cette mère de famille.
Angoisse exacerbée qui prend sa source à la fois dans son travail mais aussi dans son passé.
Aurélie Jeannin révèle l'envers des clichés sur la maternité heureuse ou les relations au sein d'une fratrie ,de façon nuancée mais sans fards. C'est douloureux mais chaque mère pourra s'y reconnaître, ne serait-ce que partiellement. Quant au récit, il ne pourra échapper à sa folle logique. Un roman dérangeant.
Merci à l'éditeur et à Babelio.
Harper Collins 2021, 228 pages.
De la même autrice, en poche, clic.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : aurélie jeannin
26/01/2021
L'instruction
Un juge d’instruction inexpérimenté reprend une affaire qui avait probablement conduit son prédécesseur au suicide, dossier que visiblement tout le monde voudrait oublier.
Alternant avec ce récit, une autre histoire , tout aussi sombre et qui, évidemment , va rejoindre la première, la rendant encore plus sinistre. Plus que le récit c 'et l'atmosphère de délitement généralisé que je retiendrai de ce roman à l'atmosphère étouffante et quasi désespérée. Un portait de l'univers carcéral, de la justice, de la police d'une noirceur extrême.
Le Quartanier 2021.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : antoine brea
25/01/2021
Et par endroits ça fait des noeuds
Quand on a une vingtaine d'années, on ne s’attend vraiment pas à faire un AVC. C'est pourtant ce qui arrive en 2017 à Camille Reynaud, qui séjourne alors en Espagne.
Les symptômes n'ont au départ rien d'alarmant: des maux de tête persistant, des troubles de la vision puis de la mémoire et de la parole. Il faudra trois jours pour que son état soit pris au sérieux et le diagnostic posé.
Son corps lui échappant, par cette autofiction qui convoque de multiples références artistiques , philosophiques, la jeune femme se le réapproprie . Elle affirme sa parole, n'hésitant pas à reproduire les quatre pages de la notice d’utilisation énumérant les effets secondaire possibles d'un traitement qui lui a été garanti n'en avoir aucun, alors même que l'utilité de ce médicament est sujette à caution...
L'écriture est fluide, fouillée, mais jamais ennuyeuse et on dévore ce roman plein de vie.
Autrement 2021, 304 pages.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : camille reynaud
23/01/2021
Ecotopia...en poche
"En fait, plus j'examine de près le tissu de la vie écotopienne , plus je dois reconnaître sa solidité, sa beauté."
Trois États de la côte ouest des États-Unis ont fait sécession et on construit une société écologique radicale présidée par une femme. Après vingt ans de relations tendues entre Ecotopia et son grand voisin, un journaliste, William Weston est autorisé à séjourner dans ce pays où les semaines de travail sont de vingt heures, où règnent la frugalité et le recyclage , bien loin donc des valeurs consuméristes américaines.
Alternant articles envoyés au Times-Post et journal de bord, plus intime le roman nous propose une sorte de catalogue des différents secteurs de l'économie, l’éducation, la société de cette utopie en action. Souvent très techniques, ces textes ont un aspect quelque peu rébarbatif, même s'ils offrent comme le souligne la quatrième de couverture "un antidote au désastre en cours."
Quant à ce balourd de Weston, il cumule les défauts du macho et même s'il évolue au fil du texte, il m'a profondément agacée, surtout quand il se retrouve à l’hôpital où l'infirmière (ça fait partie du traitement !) lui offre des services sexuels.
Écrit dans les années 70, ce roman porte la trace des utopies de cette époque (habitat en communauté , liberté sexuelle), mais ne résout pas pour autant de manière satisfaisante des problématiques toujours cruciales de nos jours comme la questions des minorités raciales. Bilan en demi-teintes donc.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ernest callenbach
22/01/2021
Le complexe de la sorcière...en poche
"Je lui parle des innocentes qui finissaient par croire ce dont on les accusait, je lui parle ses exécutions. Je lui raconte ce qui m’arrive. Je lui dis que ces histoires me rappellent des souvenirs qui n'ont rien à voir avec les chasses elle-mêmes."
Alors qu'elle vient d'emménager avec l'homme qu'elle aime, la narratrice voit en rêve une femme qu'elle identifie bientôt comme étant une sorcière. Elle entame alors des recherches et découvre que le Moyen-Age et les sorcières ne sont pas liés, mais que les chasses aux sorcières ont eu lieu au XV ème siècle en France.
Elle se demande alors quel est l'impact de ces chasses aux sorcières , dûment organisées , sur le psychisme des femmes.
Au fur et à mesure de ses recherches, lui reviennent en mémoire des souvenirs occultés: celui du harcèlement dont elle avait été victime au collège et dont elle analyse patiemment les rouages, soulevant ainsi le poids du non-dit familial. L'analyse qu'elle poursuit en parallèle l'aide également à établir des liens entre ses propres souffrances et les traces que deux siècles de terreur pourraient avoir laissées dans la psyché féminine. Entre roman, autofiction et essai, un texte intense, original et fort qui parlera à tous ceux qui s'intéressent aux rouages de l'esprit humain.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : isabelle sorente