26/10/2020
Le palais des orties
"Cette fille possédait un don, elle voyait l'invisible.
Ou encore, je le comprends aujourd'hui, ce que nos refusions de voir."
Tous les habitants du Palais des orties, chat et chien y compris tombent sous le charme de Fred, jeune woofeuse venue aider Nora, Simon et leurs enfants , contre le gîte et le couvert.
Rien de glamour, rien de branché dans cette campagne triste où Simon a repris l'exploitation familiale mais l'a orientée vers la culture de cette plante que tout le monde rejette: l'ortie.
Mais ce que Marie Nimier peint, dans ce récit rétrospectif , est surtout l'histoire d'une passion amoureuse entre deux femmes.
Avec beaucoup de délicatesse, d'empathie, elle nous fait partager la vie de cette famille que Fred va bouleverser , sans nous livrer pour autant tous les secrets de ces personnages qui nous deviennent vite familiers.
Un roman où l'autrice semble se libérer des carcans où on la sentait parfois enfermée dans ses précédents ouvrages. Une lecture réconfortante et brûlante à la fois.
Gallimard 2020
06:00 Publié dans Rentrée 2020, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : marie nimier
24/10/2020
Les Lionnes
"...le fait que je n'ai pas vraiment l'intention de m'approcher d'un couguar aujourd'hui de toute façon si je peux l’éviter, peut être demain..."
Les Lionnes, c'est d'abord un pavé impressionnant qui se dissimule derrière la porte d'un frigo jaune pétard, 1108 pages d'un flux quasi continu de pensées qui s'entrelacent, celle d'une femelle cougar et celle d'une femme, mère au foyer qui passe l'essentiel de son temps dans sa cuisine à préparer des gâteaux qu'elle vend à des restaurants.
Timide, pusillanime, ayant tendance à se rabaisser (elle a pourtant enseigné à l'université), cette mère de quatre enfants ne s'est pas remise du décès de sa mère, a survécu à un cancer (elle l'évoque très peu), à un premier mariage , a réussi à élever seule sa première fille , avant que de retrouver l'amour avec Léo. Tout cela nous l'apprenons au fil des pages dans de très longues phrases qui épousent les mouvements de sa pensée, procédant par associations mentales ou sonores (allitérations, assonances), pensée qui digresse et ressasse, pensée non dénuée d'humour.
La femelle couguar et ses petits, la narratrice et ses enfants ,évoluent dans des mondes contigus mais baignés de violence. Comment trouver normal que les armes soient partout à disposition, que cette violence s'exerce principalement sur les Noirs ,les femmes, que même les enfants ne soient pas en sécurité à l'école ou chez eux ?
Les chemins de ces deux mères, aux objectifs quasi identiques, se croiseront fugitivement, mais tout l’art de Lucy Ellmann est de savoir faire monter la tension quand le lecteur, même s'il est hypnotisé par ce flot continu, commence parfois à perdre pied, à balancer, au détour d'une phrase, une révélation qui remet en perspective tout ce que nous avions lu auparavant et de susciter une émotion intense dans la toute dernière partie du roman.
Un livre magnifique et puissant qui fait paraître bien lisses et proprets nombre de fictions.
aussi l'époustouflante traduction de Claro.
Et zou, sur l'étagère des indispensables.
14:25 Publié dans l'étagère des indispensables, Objet Littéraire Non Identifié, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : lucy ellmann, claro
16/10/2020
Une éducation ...en poche
J'ai décidé d'expérimenter la normalité. Pendant dix-neuf ans, j'avais vécu selon la volonté de mon père. Maintenant, j'allais essayer autre chose."
Comment une jeune fille, n'ayant jamais fréquenté l'école, dont la naissance n'a été déclarée que cinq ans plus tard (avec deux dates différentes !), ayant reçu une éducation à la maison incomplète et biaisée au sein d'une famille de Mormons dirigée par un fanatique religieux a-t-elle pu échapper au destin tout tracé qui l’attendait, à savoir: mère de famille nombreuse ?
C'est ce que nous raconte dans son autobiographie Tara Westover. Elle relate avec franchise les différentes étapes qui l'ont amenée à exploiter son haut potentiel intellectuel, elle qui était née au sein d'une famille où l’État et ses différentes incarnations représentaient le mal absolu.
Elle ne nous cache rien de la honte qui l'habitait, ni du sentiment d'imposture, voire de traitrise, qu'elle ressentait dans les universités où elle a réussi à étudier, bravant à la fois les gouffres d'inculture et d'inadaptation sociale, en bonne fille de Mormon intégriste qu'elle était.
Elle prendra peu peu conscience des graves problèmes psychologiques de son père (les mots de "Schizophrène" et de "troubles bipolaires " seront évoqués ), les comprendra, mais ne pourra se résoudre à admettre que la majorité des membres de sa famille soit dans le déni en ce qui concerne le caractère manipulateur et extrêmement violent de son frère Shawn. Pour sauver sa peau, au sens strict du terme, elle devra se résoudre à une solution extrême.
On frémit en lisant ce texte où un père ferrailleur , pour des raisons de gain de temps, expose constamment ses enfants aux pires risques,au prétexte qu'il s'en remet à Dieu et à ses anges pour assurer leur sécurité. Pourtant, le portrait de qui pourrait être la caricature d'un tyran à la fois domestique et religieux est nuancé car l'auteure l'affirme : "je croyais à l'époque -et une partie de moi y croira toujours-, que je devais faire miennes les paroles de mon père."
Un texte fort et courageux où Tara Westover nous montre acquérir une éducation est une bataille de chaque instant contre les idées fausses et les préjugés. On ne s'étonnera pas que l'auteure ait choisi de se spécialiser dans la manière dont l'Histoire est relatée.
06:19 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tara westover
15/10/2020
#Lavoyageusedenuit #NetGalleyFrance
"La jeunesse a pris valeur de modèle pour l'existence entière, reléguant ainsi les âges de la vieillesse non à l’idée d'accomplissement mais à celle de surplus, de rebut, voire de non-sens."
Convoquant les créateurs , mais aussi son expérience personnelle, Laure Adler, soixante-dix ans , nous invite à flâner au pays de la vieillesse, plaidant pour une intégration des générations et non une relégation des personnes âgées, comme c'est actuellement le cas.
Se plaçant dans la lignée des écrits de Simone de Beauvoir, l'animatrice de L’Heure Bleue analyse avec finesse l'arrivée de cet âge de la vie qu'on ne sait vraiment délimiter soi-même mais qui se révèle fort désagréable à première vue. Tout l'art de l'essayiste est de nous convaincre du contraire, utilisant les exemples (entre autres) de Duras, Louise Bourgeois ou Matisse qui ont su exploiter au mieux l'expérience acquise au sein de leur art.
Dans une société vieillissante, une réflexion nécessaire pour des lecteurs de tous âges.
Grasset 2020
06:15 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : laure adler
14/10/2020
Liv Maria
"Quand elle le voyait dans la glace, son corps lui parlait de ça aussi, de la femme un peu morte à l'intérieur qu'elle était devenue, de toutes ces années passées à traîner, son corps avec ses cicatrices de couteau émoussé, son dos brisé, ses bras durs comme du bois, durs comme son cœur."
Magnifique portrait de femme aux multiples vies, aux multiples identités, Liv Maria fait la part belle au romanesque . D'homme en homme, de pays en pays, je l'ai suivie avec enthousiasme mais suis restée un peu sur ma faim car j'aurais aimé que soient approfondies les motivations de cette femme qui nous demeurent quelque peu obscure.
Quant au twist qui explique son dernier départ, je l'ai trouvé moyennement crédible, certains peoples nous ayant montré que ce n'était visiblement pas un embarras pour certains. Bilan en demi-teintes donc.
06:00 Publié dans Rentrée 2020, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : julia kerninon
13/10/2020
Fille
"La perte de chance, tu vois, c'est d'être une fille."
Dans ce roman, à forte connotation autobiographique, l'autrice interroge les mots liés à la féminité, plus particulièrement dans son histoire personnelle. Partout on été repris les mots de son père affirmant qu'il n'avait pas d’enfants car il n'avait que deux filles.
Il n'en reste pas moins que l'autrice rappelle qu'en Inde "Dire "c'est une fille avant la naissance est passible de trois ans de prison et de dix mille roupies d'amende: on n'a plus le doit de demander ou de pratiquer une échographie pour voir le sexe de l'enfant et avorter en conséquence car trop de filles disparaissent; à force de les étouffer dans l’œuf, il y a des villages entiers d'hommes célibataires."
La malédiction de naître fille, d'être considérée comme quantité négligeable, comme "une pisseuse", si elle a nettement régressé dans les pays développés, n'en demeure pas moins prégnante dans beaucoup d 'autres parties du monde.
Camille Laurens revient donc sur les moments clés de sa vie et en particulier sur la mort de son premier enfant, épisode d'une violence inouïe quand elle comprend les circonstances qui ont abouti à cette tragédie.
Mais le roman se conclut de manière optimiste avec la jeune fille de l'autrice qui rebat les cartes de la féminité avec une belle énergie.
Un roman constellé de marque-pages.
06:00 Publié dans Rentrée 2020, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : camille laurens
12/10/2020
La reine des souris
"Aucun de nous deux n'avaient de jumeaux dans la famille. C'était le latin qui avait fait ça, décréta Peter, des cygnes ou des dieux barbus me rendaient-ils visite dans mes rêves ? Il se comporta comme si je l'avais trahi de manière mythologique."
Quoi de plus classique qu'un couple d'étudiants se mariant, en dépit des différences sociales (il est fils d'un couple d'avocats, elle est issue d'un milieu bien plus modeste ) ? Évidemment, le jeune homme ne supporte pas l'annonce d'une naissance gémellaire et laisse sa belle et son énorme ventre en plan.
Partant de cette situation qui défie les époques, Camilla Grudova y injecte, par petites doses, des touches de cruauté liées à la dévoration jusqu’à un final parsemé de quelques poils et gouttes de sang et marqué par un silence complice de deux femmes.
Avec un humour très noir, l'autrice écrit ici un texte à la fois contemporain et atemporel sur les relations hommes/femmes , convoquant les figures classiques des textes horrifiques, un texte qui pousse jusqu'au paroxysme, mais sans tomber dans le voyeurisme.
Du grand art !
J 'attends de lire avec impatience la totalité du recueil.
Traduit de l'anglais (E-U) par Nicolas richard, La non pareille La table Ronde 2020 43 pages délicieusement noires.
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : camilla grudova
06/10/2020
Au bal des absents
"[...], tous ces gens-là qui la condamnaient à la mot sociale, la mort civile , la mort de faim, la mort de froid, la mort dehors, la mort de désespoir, l'avaient définitivement amarinée à la houle incessante, insondable de la cruauté humaine."
Au chômage, au RSA, bientôt à la rue, Claude, quarante ans, est contactée par un mystérieux juriste qui lui propose d'enquêter sur la disparition de toute une famille américaine dans une maison isolée en pleine campagne.
Notre héroïne ignore encore qu'elle va devoir faire face, totalement seule, à "tant de siècles de méchanceté embusquée dans un gigantesque manoir ". Mais Claude a de la ressource car "le désespoir , c'est un luxe. Tu n'as pas les moyens", s'admoneste-t-elle. Et de se forger, grâce à une flopée de bouquins, de films, de jurons et de formules d'exorcisme, sans oublier les formations subies à Pôle Emploi, toute une batterie d’armes, à laquelle elle adjoint une binette bienvenue.
Sous couvert de fantastique, d'horreur, Catherine Dufour nous peint ici le combat solitaire d'une femme contre la misère à laquelle on voudrait qu'elle se résigne. Un combat social, féministe( j'adore la fin, à la fois drôle et horrifique).
On sourit (quand on aime l'humour noir), on frémit et on apprécie de voir ici convoquées et détournées les figures imposées de ce genre de roman. Claude est pugnace , intelligente et astucieuse et on jubile de voir comment elle apprivoise la situation à sa façon. Un roman hautement réjouissant même pour quelqu'un comme moi qui ne suit pas familière du genre fantastique et/ou horrifique.
Seuil 2020
06:00 Publié dans Rentrée 2020, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : catherine dufour
05/10/2020
Ma sombre Vanessa
"Ce n'est rien. C'est normal. Toutes les femmes intéressantes ont eu des amants plus âgés qu'elles dans leur jeunesse. C'est un rite de passage. A l'entrée, vous êtes une fille, et à la sortie, vous n'êtes pas tout à fait une femme, mais vous en en rapprochez.Vous êtes une fille plus consciente d'elle-même et de son pouvoir."
Vanessa, en 2017, est rattrapée par son passé via la déferlante MeeToo. Contactée par une journaliste et par une élève abusée par le professeur Strane, la jeune femme refuse pourtant de se considérer comme victime d'un prédateur qui aurait abusé de son autorité sur l'adolescente qu'elle était dix-sept ans plus tôt.
Non, elle considère la relation qui a commencé quand elle avait quinze ans comme une exceptionnelle histoire d'amour entre deux être très sombres et au mieux, reconnait-elle que Strane est éphébophile, mais en aucun cas pédophile.
Elle n'a pas perdu le lien avec cet homme qui l'a valorisée, qui a su amadouer cette étudiante douée à coups de lectures orientées ( Nabokov, bien évidemment), mais qui s'est aussi montré lâche et manipulateur.
Alternant les époques, Kate Elizabeth Russell fouille avec une précision chirurgicale les rouages faussés de cette relation et nous donne à voir le déni dans lequel se débat Vanessa , dont la vie ne correspond en rien à ce qu'elle aurait pu en attendre.
Les rebondissements se succèdent , sans jamais rien d'artificiel, les multiples facettes, souvent contradictoires de l'héroïne se donnent à voir et l'on est fasciné par une telle maitrise dans l'écriture et la construction de ce premier roman. à lire absolument.
Traduit de l'anglais par Caroline Bouet, Les Escales 2020, 442 pages constellées de marque-pages.
06:00 Publié dans anthologie, l'étagère des indispensables, Rentrée 2020, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : kate elizabeth russell
30/09/2020
Rien n'est noir ...en poche
"Il n'a rien compris, il ne voit pas, Frida ne peint pas ses rêves, ni son inconscient, elle peint une nécessité intérieure. La vérité du désarroi. Et elle n'a pas besoin d'étiquette ni de définition."
Organisé en quatre grandes parties, chacune divisée en chapitres déclinant des nuances de bleu, de rouge, de jaune, avant que de s'assombrir, le texte de Claire Berest choisit de se pencher sur des moments forts de la vie de celle qui est certainement l'une des peintres les plus célèbres au monde: Frida Kahlo.
Avec empathie, elle restitue la vie passionnée et tourmentée de celle qui fut très tôt marquée dans sa chair et que la douleur tourmenta quotidiennement. N'en faisant ni une victime, ni une femme soumise , elle brosse un portait à la hauteur de son modèle et nous livre ici une Frida pleine de vie, d'ardeurs et de flamboyance. Une femme libre et puissante
Un texte qui se joue des écueils de la biographie et qui se dévore d'une traite. Une réussite.
05:55 Publié dans Biographie, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : claire berest, frida kahlo