07/04/2022
Hamnet...en poche
Comment auraient-elles pu savoir qu'Hamnet était la pierre angulaire ? Que sans lui , tout se fragmenterait , se briserait comme une tasse tombée par terre ? "
De William Shakespeare il ne sera jamais nommément question. Il n'est d'abord envisagé ici que comme le fils du gantier , un fils "sur lequel personne n'aurait parié, qui depuis toujours était passé pour un bon à rien", celui qui, contre l'avis de tous a épousé une campagnarde, un peu sauvage et férue d'herbes, Agnes, à qui il a donné trois enfants. Une femme qui, voyant que son mari ne pouvait s’épanouir dans l'ombre d'un père trop violent, l'a mené sans qu'il s'en rende compte à sa vocation : les mots, le théâtre, Londres. et tant pis si cela l'éloignait du reste de sa famille.
Maggie O'Farrell s'empare donc ici de la biographie de l'auteur d’Hamlet par le biais de sa famille et du drame qui, on le sait d'emblée , va frapper son fils, Hamnet, deux orthographes pour le même prénom. Pourtant l'autrice maintient une tension extrême et l'émotion est à son comble quand le petit garçon meurt . A son habitude Maggie O'Farrell dépeint avec sensualité et empathie des destins de ses personnages, car il est bien question de destin ici et la tragédie ne pourra être évitée .Alors que j'ai beaucoup de mal avec les romans historiques, j'ai été emportée par le récit et par les émotions souvent puissantes qu'il génère chez le lecteur.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : maggie o'farrell
06/04/2022
On adorait les cow-boys
"C'était tellement calme que parler à voix haute ressemblait à un abominable crime environnemental. "
Faire un road-trip au beau milieu de nulle part, dans le Rio Grande do Sul, une région paumée du Brésil, Cora et Julia en avaient parlé durant leur adolescence.Et voilà qu'après des années de silence, la sage Julia contacte la délurée Cora pour relancer l'idée.
L'occasion pour toutes deux de revenir au pays natal et de renouer avec leurs familles respectives, leurs secrets, leurs évolutions, mais aussi de reprendre ou pas une relation amoureuse que Julia n'assumait sans doute pas.
Avec beaucoup de délicatesse, une écriture précise , teintée de mélancolie mais aussi d'humour, Carol Bensimon brosse le portrait de deux jeunes femmes qui ne veulent pas entrer dans des cases, qui ont encore un pied dans l’adolescence, un pied dans l'âge adulte et tentent de concilier leurs aspirations et la vie .
Au fil des kilomètres, des allers retours entre passé et présent, il ne se passe apparemment pas grand chose, mais c'est à chacun de compléter les pointillés et de se laisser séduire par ce voyage singulier.
Traduit du portugais (Brésil) par Dominique Nédellec.
Éditions Belfond 2022
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carol bensimon, brésil, gay friendly
31/03/2022
La folie de ma mère...en poche
"Enfant, tu m'as toujours effrayée. Pourtant tu n'étais pas méchante. Tu imposais peu de choses, les choses s'imposaient. La zone dangereuse n'était indiquée nulle part. Mais l’enfance est poreuse aux exhalaisons adultes. "
En un peu plus de 120 pages, Isabelle Flaten réussit un tour de force : nous raconter, de manière épurée et bouleversante, l'histoire d'une relation mère-fille placée sous le signe du déni, du mensonge ,de la folie, mais aussi de l'amour.
Quand "Rien ni personne n'est fiable.", comment parvenir à se construire ? La narratrice y parviendra quand même et ,adulte, découvrira un secret de famille qu'elle était la seule à ignorer.
On est happé par ce texte pudique, qui ne tourne jamais au règlement de compte, utilise avec brio les ellipses, sans jamais perdre de vue son lecteur, et ne tombe pas dans le pathos. J'ai été tenue en haleine, remuée au plus profond de moi et suis sortie la gorge nouée de cette lecture.
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Seuil 2022Le Nouvel Attila 2020. Points Seuil 2022
De la même autrice : clic
A noter la magnifique illustration de couverture de Juliette Lemontey.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : isabelle flaten
28/03/2022
Au chevet des arbres
Sous-titré Réconcilier la ville et le végétal, ce document nous permet de découvrir une profession peu développée et peu connue, celle d'expert arboricole.
Aux parcours très différents, ces praticiens interviennent à la demande de particuliers ou de collectivités pour décider le plus souvent du destin d'un ou plusieurs arbres.
Il s'agit souvent d'évaluer la dangerosité d'un spécimen ou d'évaluer son état de santé. L'auteur , qu'on sent passionné par son métier ,nous fait ainsi découvrir par des cas concrets la difficulté d'"ausculter" un "patient" par définition silencieux et dont il est très difficile souvent d'évaluer l'âge.
Au fil du texte, nous prenons également conscience de l'absence de véritable protection d'un patrimoine, par ailleurs fort riche, mais que d'aucun sacrifient allègrement sur l'autel de la rentabilité ou du principe de précaution...
Un texte riche et illustré (en noir et blanc) par des photos qui donnent envie de voir "en vrai" ces arbres souvent spectaculaires.
Merci à Babelio et aux Éditions Le Mot et le reste.
06:00 Publié dans Document | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : david happe
25/03/2022
Les pantoufles...en poche
"Je lui envoyai alors, en travers de la gueule, l'expression la plus sincère de mon indifférence. "
Par étourderie, notre narrateur se retrouve à la porte de chez lui, les clés à l'intérieur et en pantoufles.Faisant un pas de côté, il décide néanmoins d'aller ainsi chaussé au travail . Là, petit miracle, les charentaises, peut être parce qu'elles changent son rapport à la proprioception, mais aussi au monde, vont l'inspirer et son discours charmera même (tels sont ses termes) son irascible supérieure.
Les micro aventures vont alors s'enchaîner et entraîner notre héros dans des milieux en tous points différents mais où il s’adaptera avec aisance.
Le plus difficile était sans doute de terminer cette fable souriante et bon enfant, Luc-Michel Fouassier y est parvenu sans trébucher.
Le style est alerte, plein de références littéraires ou musicales et le héros manie avec élégance le registre soutenu dans la conjugaison sans que cela fasse cuistre. Sans donner de leçon, ses 113 pages nous invitent à oser être farfelu et à savoir faire des pieds de nez au destin. Un roman court et délicieux.
06:03 Publié dans Humour, l'amour des mots, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : luc-michel fouassier
24/03/2022
#Coupez #NetGalleyFrance !
"Le grand danger quand on cherche des réponses ,c 'est qu'on risque de les trouver. "
Passer presque un quart de siècle en prison pour le meurtre de son amant et recouvrer la liberté à soixante-douze ans dans un monde où " Il lui fallait sans cesse se rappeler que tout le monde s'attendait désormais à ce que tout soit instantané et que le moindre délai représentait un intolérable désagrément , que seul le recours à un téléphone portable pouvait atténuer. " n'est pas aisé. D'autant qu'elle n'a pas su se défendre et lutter contre l'institution juridique.
Un autre personnage qui ne se sent pas à sa place ,c'est Jerry, étudiant en cinéma, d'origine modeste, et fan des films d'horreur de série B. Quittant la résidence universitaire, trop onéreuse et hostile à son goût , il emménage en colocation avec des personnes âgées, dont Millicent.
Avec son fichu caractère , la vieille dame ne lui facilite pas la tâche ,mais découvrir qu'elle officia en tant que maquilleuse experte sur les plateaux des films qu'il adore, dont le fameux Mancipium que personne n'a vu, leur permettra de nouer des liens. Lien qui se resserreront quand Millicent découvrant par hasard un détail qui remet en question toutes ces certitudes quant à son amant se met en tête de renouer avec ses anciens , afin de mettre à jour la vérité.
Le duo improbable commence alors un road trip qui se transformera vite en course poursuite où les morts se multiplient...
Alliant les qualités hétéroclites de ses héros, Brookmyre nous fait découvrir avec gourmandise l'univers des séries B gore, fustigeant au passage notre société contemporaine. L'intrigue est juste parfaite et les 500 pages se tournent toutes seules, alternant passé et présent, multipliant les rebondissements sans jamais forcer le trait.
Un récit haletant, un univers aux antipodes de mes goûts mais que l'auteur rend passionnant, une bonne dose d'humour, souvent noir, des personnages attachants, tels sont les ingrédients d'un roman juste indispensable.
Éditions Métailié 2022, traduit de l’écossais par David Fauquemberg
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : christopher brookmyre
21/03/2022
Pourquoi pas la vie
"Son génie, ce sera d'être vivante. "
Là où d'aucuns jouent avec la réalité historique à des fins souvent pessimistes (que ce serait-il passé si l'Allemagne nazie avait gagné la guerre, par exemple) , Coline Pierré prend l'exact contrepoint et imagine que la poétesse américaine Sylvia Plath (qui s'est suicidée au gaz) a échappé à la mort.
La jeune femme va donc devoir composer avec un mari , Ted Hughes poète reconnu, mais père et mari plus que défaillant, son rôle de mère et sa volonté de création. Le tout dans le swinging London, où les Beatles colonisent les ondes.
Avec beaucoup de nuances, sans jamais stigmatiser ni idéaliser, l'autrice évoque les problématiques qui restent contemporaines pour les femmes créatrices et propose ici le récit d'une émancipation progressive par le biais de femmes atypiques qui aideront Sylvia à se dégager de ses conditionnements et de sa dépression. Un roman qui réchauffe le cœur et aiguise la réflexion.
Éditions de l'Iconoclaste 2022.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : coline pierré
14/03/2022
#Cellesquinemeurentpas #NetGalleyFrance !
"Être malade ouvre un espace excessif à la pensée et la pensée excessive fait de la place aux pensées mortifères. Mais j'ai toujours eu plus soif d’expérience que de l'absence de celle-ci, alors si l'expérience de la pensée est la seule que mon corps pouvait me donner au-delà de la douleur, il fallait bien accepter de m'ouvrir à des réflexions folles et morbides. "
Il y a encore quelques années, le mot "cancer" était banni et on lui préférait la périphrase "longue et douloureuse maladie", euphémisme qui fut bientôt attribué à une autre pathologie, le Sida, dans une sinistre gradation de l'horreur.
Le texte d'Anne Boyer est saturé du cancer sous toutes ses formes : politique, médicale, psychologique, sociale, raciale et philosophique.
L'autrice fait de son expérience un vaste exercice de pensée brillante et parfois exigeante, prenant à bras le corps tous les aspects de sa maladie.
Son écriture, très travaillée, sans pour autant qu'elle se regarde écrire, nous fait ressentir au plus intime l'expérience de la douleur . Elle pointe aussi du doigt les ambiguïtés d'un système médical où un traitement peut être plus invalidant qu'efficace, où un médecin peut affirmer qu'il a pratiqué des mastectomies inutiles car il fallait bien qu'il paie ses vacances ; système dans lequel une malade après une opération sous anesthésie générale est quasiment jetée dehors, où elle est sommée de travailler quelle que soit la douleur et l'éreintement ressenti.
On sort de ce roman éprouvant un peu hagard, physiquement mal à l'aise, mais conscient d'avoir lu un texte exceptionnel .
Grasset 2022, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Récit de vie, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : anne boyer
10/03/2022
Térébenthine...en poche
"L'urgence de devenir sujet."
Il suffit d'un article dans un magazine d'art, proclamant le grand retour de la peinture pour que la narratrice retrouve le souvenir de ses études aux Beaux-Arts, quinze ans plus tôt, quand Luc, Lucie et elle-même formaient un drôle de trio.
Surnommés les Térébenthine, par dérision, car ils s’obstinaient à peindre dans une époque où prévalait l’art conceptuel et le discours qui le justifiait , ils étaient relégués dans les caves. Ces "illuminés du sous-sol" entraient alors en résistance et en amitié et c'est leur parcours que nous relate ce roman.
Roman d'apprentissage, d’émancipation aussi , à une époque où il n'y pas de modèles nus masculins et où les artistes femmes sont systématiquement ignorées par les profs des Beaux-Arts, par routine peut être pour certains, plus que par mauvais volonté. Quant aux critiques, ils "ont beau dire que l'art n'a pas de sexe, tu sens qu'ils manquent d'objectivité et que le but est bien plutôt de faire passer pour neutre une histoire de l'art tout empreinte de virilité." Ces artistes existent pourtant et une magnifique accumulation d'artistes femmes (plus d'une centaine !) vient nous le rappeler.
Une pensée est en formation, tout autant qu'une artiste et une femme, et ces métamorphoses qui nous sont données à voir sont passionnantes car pleines de justesse et de sincérité. Un roman constellé de marque-pages qui file sur l'étagère des indispensables.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : carole fives
09/03/2022
#LafilledeDeauville #NetGalleyFrance !
"La fille avait absorbé leur haine pour la faire sienne, avait transformé leur brutalité en arme. Elle ne flancherait plus. "
Jean-Marc Rouillan ,Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron sont les principaux membres d'Action Directe, groupe terroriste communiste, issu de la lutte anti-franquiste et du mouvement autonome qui a sévi en France dans les années 80.
Vanessa Schneider, mêlant documentation et fiction , retrace leurs parcours à travers les yeux d'un flic, qui le premier a senti que les braquages et les actions symboliques en pouvaient que devenir ultra violentes, car le groupe avait besoin d'attirer une attention que politiques et médias leur refusait. Ce policier , à la vie bien étriquée, est aussi fasciné par le parcours de cette jeune femme surnommée La fille de Deauville que rien ne destinait à prendre les armes.
Après un début assez calamiteux (et des métaphores approximatives) , le texte trouve son rythme de croisière et , même si comme moi, on connaît les grandes lignes de l’histoire, on ne peut lâcher ce roman qui brosse le portrait de personnages de peu d'envergure( Rouillan, Méniguon) ou plus obscurs (Aubron) avec finesse, tout en restituant l'atmosphère d'une époque heureusement révolue.
Grasset 2021
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : vanessa schneider