25/08/2015
La clé sous la porte
"S'il faut toujours penser qu'il y a pire pour se dire que ça va bien, c'est que quelque chose cloche sérieusement."
Et pour clocher,ça cloche sérieusement ! Que ce soit pour Ferdinand, pris en tenaille entre une épouse volage et sa fille, ado atroce; José retraité solitaire et endurci; Auguste, dont les parents abusent tout à la fois de sa gentillesse et de sa disponibilité, idem pour Agnès, dont la vie amoureuse est un désastre, mais sur qui ses frères comptent bien pour qu’elle se rende au chevet de leur mère qui agonise pour la énième fois.
Rien de glorieux donc, mais rien que de très normal et de très humain. Seulement cette fois nos anti-héros ont assez et vont ruer dans les brancards, chacun à leur manière, plus ou moins radicale .
Quel régal que ce texte à la fois tendre et caustique ! Un feu d'artifices de remarques qui sonnent juste et qui donnent la pêche !
Sans illusions, ni sur eux-mêmes ni sur les autres, Ferdinand, Auguste et les autres agissent enfin pour secouer leur joug et envoyer valser tout ce qui les forçaient à "abdiquer d'[eux-mêmes]". Tonique et jubilatoire !
La clé sous la porte, Pascale Gautier, Éditions Joëlle Losfeld 2015, 191 pages pour "ne pas désespérer de l'humaine espèce."
06:00 Publié dans rentrée 2015, romans français | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : pascale gautier
24/08/2015
Nous serons des héros
"Elle avait préféré insinuer que c'était moi qui avais besoin d'un père de substitution plutôt qu'elle d'un nouveau mari, cela était plus facile à entendre, plus noble et généreux."
Quelques années avant la fin de la dictature de Salazar, Olivio, huit ans, et sa mère fuient le Portugal et s'installent dans une banlieue lyonnaise. L'enfant n'apprendra que quelques temps plus tard le décès de son père.
D'abord aidés par des compatriotes, le narrateur et sa mère vont bientôt emménager chez un autre exilé, Max, un pied-noir fraîchement divorcé, qui supporte très mal la séparation d'avec son jeune fils. La cohabitation s'instaure tant bien que mal, Olivio devenant un adolescent sensible supportant mal le caractère hâbleur et souvent rude de Max.
Sur la seule foi du résumé, je n’aurais probablement pas donné sa chance à ce roman mais le seul nom de l'auteure a su me décider et j'ai bien fait car d'emblée j'ai été prise par l'émotion intense qui se dégage de ce texte.
L'exil, l'intégration, les sentiments mêlés , l'évolution de cet enfant mais aussi le portrait en creux d’une mère, à la fois volontaire et discrète, blessée mais digne, qui se forge discrètement une place dans la société française du début des années 70 et laisse sous le boisseau ses chagrins et sa détresse ont su m'émouvoir profondément.
Nous serons des héros, Brigitte Giraud, Stock 2015.
Laure a aimé aussi .
06:00 Publié dans rentrée 2015, romans français | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : brigitte giraud, exil, portugal
23/08/2015
Peine perdue ...en poche
à quoi l'humain est prêt à se réduire pour vivre encore un peu. Ce qu'on est foutu d'endurer. D'accepter."
Deux éléments vont perturber la vie tranquille d'une station de bord de mer hors saison : l'agression de celui qui aurait pu être le footballeur de l'équipe locale et une tempête.
On passe ainsi en revue, de chapitre en chapitre, la vie d'une vingtaine de personnages ,liés entre eux à des degrés divers.
Il se dégage de ce roman polyphonique une impression de désespoir diffus, de découragement latent (voir le titre) qui se distille sans discontinuer. Surnagent quelques thèmes chers à l'auteur: les amours mortes, la volonté d'être un bon père malgré la séparation, les lisières des villes et de la société.
On frôle le roman noir, on sent la volonté de se frotter à une humanité engluée, mais rien d'original, aucune intensité, aucune réelle émotion.
Lu sans déplaisir mais sans plaisir réel non plus.
D'autres ont été plus enthousiastes !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : olivier adam
22/08/2015
Dans les yeux des autres...en poche
"Elle sent en elle les milliers de feuilles de livres lues et déposées en elle comme un terreau, comme un engrais."
Anna relit ses carnets, revit ses amours et ses désillusions. N'ayant écrit qu'un seul roman, elle a quitté la scène littéraire et ses petits maîtres (dont l'auteure brosse un portrait vachard) et , ce qui faisait sa vie vingt ans auparavant: l'engagement politique .
Démunie, elle loge chez sa sœur Molly qui, même "cabossée" ,continue à militer ,mais par le biais son travail de médecin dans un dispensaire. Entre elles, une relation complexe, des hommes, mais surtout une mère excentrique qui essaie toujours de tirer la couverture à elle, d'attirer l'attention: Méline.
Portrait d'une génération aventurière et pleine de vie, Dans les yeux des autres fait la part belle à l'idéal, l'humour, le tout saupoudré d'un soupçon de mélancolie. On retrouve ici avec plaisir l'écriture ample et belle de Geneviève Brisac , qui , par son sens de l'observation, comme les romancières anglaises , sait être au plus près du quotidien : "Une urgence vous prend d'être à la maison, de sentir l'odeur de renfermé de la maison, d’ouvrir les fenêtres et le courrier : de désengourdir l'air. On voit certaines personnes qui, des dizaines de kilomètres avant la gare d'arrivée, rangent leurs affaires, remettent leurs vestes, sortent le ticket du métro qui les ramènera chez elles."Nulle mièvrerie dans sa description des rapports humains mais une réelle empathie qui n'exclut pas le regard critique. Un bilan de vie salé-sucré mais un roman enthousiasmant !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : geneviève brisac
21/08/2015
Les nuits de laitue
"Désormais, Otto souffrait d'une insomnie sans fin. Ses mauvaises pensées dureraient pour toujours puisqu'il n'y aurait plus jamais de matin-désormais toutes ses nuits avaient un arrière- goût de laitue. Et Otto détestait les légumes-feuilles."
Otto et Ada "avaient passé un demi-siècle ensemble à cuisiner, à faire des puzzles géants de châteaux européens et à jouer au ping-pong le week-end (du moins jusqu'à l'arrivée de l'arthrite) dans un quartier dont les habitants sont aussi haut en couleur que leur maison jaune.
Au début du roman, Ada vient de mourir. Otto tente donc tout à la fois de lutter contre ses insomnies, tout en remettant de l'ordre dans ses pensées. En effet, selon lui, quelque chose" cloche "dans son univers peuplé de personnages fantasques et souvent "perchés", mais il n'arrive pas à élucider l'affaire...
L'aspect policier n'est ici qu'un prétexte dans ce roman enjoué et chaleureux, peignant un microcosme grouillant d'originaux en tous genres, ayant parfois des rêves plus grands qu'eux mais parvenant à enchanter leur quotidien, de manière simple et cocasse.
Un très bon moment de lecture.
Les nuits de laitue, Vanessa Barbara, traduit du portugais (brésil) par Domnique Nédellec, Zulma 2015, 223 pages toniques !
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20/08/2015
Au paradis
"Le seul moyen de comprendre un tel mal, c'est de le réimaginer. Et le seul moyen de le réimaginer, c'est à travers l'art, ce que savait Goya. On ne peut pas en dresser un portrait réaliste."
Une centaine de personnes se rassemblent dans l'enceinte d' Auschwitz, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la libération du camp, pour prier,méditer et témoigner.
Un des participants, Clements Olin, universitaire américain, s'interroge sur l'utilité d'une telle démarche, entraînant plus de conflits, souvent absurdes, entre les participants de confessions et de nationalités différentes, que de sérénité. La présence de nonnes catholiques (nous sommes au début de l’installation, très controversée d'un Carmel catholique dans l’enceinte du camp d'extermination) ne faisant qu'exacerber les tensions.
Progressivement, Clements Olin devra quitter sa position d'observateur , interroger sa propre histoire et ses origines polonaises, et s'impliquer bien plus qu'il ne le voulait au départ car "cet endroit l'a attendu toute sa vie, depuis les cauchemars de son enfance."
Le titre, éminemment ironique, donne le la de ce roman qui, nourri d'informations et de réflexions, multiplie les ruptures de ton afin de mieux déstabiliser et interroger son lecteur. Ses personnages ne sont jamais manichéens, ni donneurs de leçons , chacun étant renvoyé à ses propres limites devant l'indicible. Un texte fort et intense.
Au paradis, Peter Matthiessen, traduit de l'anglais (États-Unis) par Johan-Frédérik Hel Guedl, Éditions des deux terres 2015, 248 pages piquetées de marque-pages.
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19/08/2015
La maladroite
"...et je me souviens que je me suis dit, Diana aura quand même eu droit à ce que maman pleure pour elle."
"Quand j'ai vu l’avis de recherche, j'ai su qu'il était trop tard." . Ainsi s'exprime dès la première ligne l'une des institutrices de Diana, celle qui avait donné l'alerte, dressant la liste des meurtrissures, blessures diverses que la petite fille expliquait à chaque fois soigneusement.
Tous ceux qui ont côtoyé Diana, huit ans, ont tenté ou non d'intervenir, prennent ici la parole, à l'exception notable de ses parents, et ces paroles distillent un profond malaise.
En effet, si chacun, professionnel, ou non, sent bien que les récits des parents et celui de Diana concordent trop bien, s'il y a suspicion de maltraitance, la rigidité du cadre institutionnel, le fait que les parents soient "soudés comme les mécanismes d'une machine, et la machine marchait toute seule", sans oublier "le nœud d'énergie, de résistance, dans ce petit corps sur cette chaise", rien ne peut freiner la tragédie qui se met en marche , quasiment dès la naissance de l'enfant.
La grande force du premier roman d'Alexandre Seurat est de ne jamais tomber dans le pathos, de ne jamais accuser qui que ce soit et surtout de donner la parole d'une manière qui sonne très juste à des personnes extrêmement différentes. La situation n'est jamais envisagée de manière sordide, voire méprisante. Tout est dans l'ambiguïté et dans la difficulté que ressentent les différents témoins à poser des mots justes sur une situation qui se dérobe.
On lit ce roman d'une traite, la gorge serrée,car, même si on en devine l'issue, on ne peut s'empêcher d'espérer, et il entre en nous "par petits éclats, comme une multitude d'échardes dans la peau" avant de nous laisser groggy.
à lire et relire, un premier roman qui file droit sur l'étagère des indispensables.
La maladroite, Alexandre Seurat, Éditions du Rouergue 2015, 122 pages qui résonnent longtemps en nous.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2015, romans français | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : alexandre seurat
18/08/2015
Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur
"Il était à espérer que Jem comprendrait un peu mieux les gens quand il serait plus grand, parce que ce ne serait pas mon cas."
Un roman à hauteur d'enfant: Scout, petite fille intelligente et naïve à la fois, que nous suivrons durant trois ans, en pleine crise économique aux États-Unis, dans les années trente, en Alabama. Elle et son frère aîné, Jem, sont élevés par leur père, Atticus, avocat intègre qui va devoir défendre un Noir accusé du viol d'une blanche.
Se mêlent dans ce roman des thèmes chers à l'enfance, les jeux, quelques souvenirs d'école, l'appétit pour le mystère et l’aventure et la dénonciation tout en délicatesse d'une situation, celle infligée aux Noirs, faisant écho à l'année de publication du roman aux États-Unis, 1960. Des événements récents lui redonnent malheureusement une nouvelle actualité.
Les retouches faites à la traduction initiale (voir la postface d’Isabelle Hausser, qui s'y est attelée), l'humour discret et la construction parfaite font de ce roman un plaisir dont il;ne faudrait pas se priver. On pense à Tom Sawyer, Fifi Brindacier, mais Scout possède une personnalité bien à elle et l'auteure dépeint comme personne ce microcosme Sudiste et ses personnages hauts en couleur.
à l'heure où l'on annonce la publication en France d'un nouveau roman de Harper Lee, il était grand temps que je me décide à lire ce classique de la littérature américaine, interdit dans certains établissements scolaires et bibliothèques...
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : harper lee
17/08/2015
Des vies parallèles
"La fiction nous permet d'échapper à nous-mêmes pour aller vers le monde."
Sa vie n'a été jusqu'à présent "qu'un tissu de mensonges et de tromperies" mais la vision d'un documentaire sur Tchernobyl et sa participation à un atelier d'écriture vont mener Lara sur le chemin de la fiction et de l'apaisement quant à sa situation familiale pour le moins hors du commun.
C'est en effet à l'occasion de son douzième anniversaire que la narratrice a compris que son père, chirurgien de renom, toujours entre Londres et Belfast, avait en fait une famille en Irlande et que sa mère , son petit frère et elle même n'avaient aucune existence officielle.
Cette situation digne d'un roman-photos des années 60 avait différé pour moi la lecture de cet ouvrage. Pourtant, c'est l'aspect "work in progress" qui m'a vraiment intéressée. Le début peut en effet paraître hoquetant, la narratrice ne parvenant pas à donner un aspect fluide à son récit ,mais ces maladresses apparentes témoignent du travail que doit mener le romancier pour accéder à la fiction.
Il faudra que la narratrice se glisse dans la peau de sa mère pour mieux faire sienne son histoire et envisager les faits sous un autre angle.Ce n'est qu'à la toute fin du roman qu'elle comprendra pourquoi elle était si hostile à la fiction.
Un bon moment de lecture. Dans la foulée j'ai enchaîné avec le précédent, paru en poche mais là, j'ai fait chou blanc...
Des vies parallèles, Lucy Caldwell, traduit de l’anglais (Irlande) par Josée Kamoun, Plon 2015,228 pages.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : lucy caldwell
16/08/2015
De tout , un peu...
Beaucoup les ont lus, en ont parlé ,alors juste quelques mots, en passant...
*Les intéressants, bon gros roman de 564 pages, où je ne me suis pas ennuyée une minute. Une analyse fine des liens d'amitié et de leur évolution au fil du temps, entre des personnes, ayant parfois de grandes différences de niveau social. Merci encore à Papillon pour l'envoi !
*Dans la foulée, j'ai déniché, du même auteur, La position, où Meg Wolitzer envisage les répercussions sur une fratrie de la découverte d'un Kama-Sutra pour lequel leurs parents, en pleine vague de libération sexuelle, ont posé. La scène primitive est bien évidemment un choc et chaque membre de la famille en paiera le prix. L’alternance des points de vue ne nuit pas à la fluidité du récit, mais certains personnages sont mieux lotis que d'autres quant à l'analyse de leur évolution et c'est un peu dommage.
*Enthousiasme quasi général de a blogosphère pour L'homme du verger qui m'a laissée un peu sur ma faim. L'atmosphère est bien rendue ,mais une certaine langueur imprègne le récit et ce manque de rythme m'a un peu déçue. Clara avait été conquise.
*Gros coup de cœur pour De la beauté, de Zadie Smith. Je suis immédiatement entrée de plain pied dans cet univers universitaire où les hommes semblent avoir le pouvoir mais où les femmes sont bien plus courageuses. Le billet tentateur en diable de Papillon. Par contre, nouvel échec pour Sourires de loup, du même auteur...
*Ennui poli pour Le prix de l'innocence de Willa Marsh. Pas du tout convaincue par ces personnages qui sentent la naphtaline.
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