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02/02/2017

Le grand n'importe quoi...en poche

-Si possible, il faudrait éviter le centre. Il y a des culturistes à mes trousses, des policiers à ma recherche, des extraterrestres sur mes talons, et le père Cadick qui patrouille avec sa carabine."

Bienvenue (ou pas) à Gourdiflot-le-Bombé, sa rue du Poney myope, son impasse du Marcassin Boiteux et ses habitants tous plus frappadingues les uns que les autres. Arthur aurait sans doute mieux fait de refuser l'invitation de Framboise, cela lui aurait éviter de se retrouver coincé dans une boucle temporelle, "pour vivre des situations toujours plus humiliantes" en compagnie de lémuriens et de quelques extraterrestres. L'occasion pour lui de trouver un sens à sa vie et accessoirement à la nôtre. Oui, rien que ça.j.m. erre
Il faut pas mal de culot pour oser intituler son roman Le grand n'importe quoi car si le contenu n'est pas à la hauteur des objectifs,le titre risque de se retourner contre son auteur !
Et pourtant , le pari est tenu: J.M.Erre s'en prend cette fois à l'univers des romans et films de science-fiction qu'il passe à la moulinette et secoue dans son shaker déjanté , y ajoutant quelques zeugmas "puis il prit en même temps une bouteille et un air menaçant", un soupçon de virelangue "un grand gras à gros goitre", force personnifications et autres ingrédients pleins d'humour dont il a le secret.
On pourra regretter une petite baisse de forme vers la fin ,qu'une pirouette de dernière minute ne parvient pas vraiment à sauver, mais c'est un bon moment de lecture déjantée dont on aurait tort de se priver.

 

01/02/2017

Attachement féroce

"J'avais dix-sept ans, elle cinquante. Je n'étais pas encore une belligérante aguerrie, juste une adversaire respectable, tandis qu'elle était au summum de son art. Les lignes de front étaient bien tracées, et ni l'une ni l'autre ne se dérobaient au combat. On se jetait systématiquement sur l'appât de l'autre. Nos crises n'étaient pas sans impact sur l'appartement: la peinture cloquait, le linoléum se craquelait, les vitres tremblaient. Nous n'étions jamais très loin d'en venir aux mains et, à plusieurs reprises, nous avons frisé la catastrophe."

Une mère et sa fille arpentent les rues de New-York.C'est laplus jeune qui raconte ces promenades suscitant des souvenirs, des  récits, des portraits saisissants de vérité,  tout un univers populaire qui resurgit. Petit à petit se construit la trame d'une relation mère/fille, à la fois intense, étouffante mais impossible à dénouer tant l'amour et la haine y sont intrinsèquement mêlés.vivian gornick
La mère se révèle un personnage à multiples facettes, tantôt s'abandonnant avec une sorte de jouissance à la douleur du veuvage, tantôt relevant la tête et travaillant pour élever son fils et sa fille. La communication ne semble guère passer entre les deux femmes, la fille ne parvenant  pas , par exemple, à transmettre ses enthousiasmes, aussitôt "douchés"par la mère.Pourtant, l’amour entre elles est bien réel.
"Attachement féroce"cette alliance surprenante de mots est un procédé qui revient à plusieurs reprises dans ce récit autobiographique pour  souligner toute l’ambiguïté et  l’intensité des sentiments décrits. En effet, on a parfois le sentiment d'étouffer dans ce récit ,surtout quand la mère reste confinée dans son salon, pièce saturée par sa douleur de veuve .
Il n'en reste pas moins qu'on se trouve devant un sacré gros morceau de littérature qui parlera à toutes, mère et/ou fille.

Attachement féroce, Vivian Gormick, magnifiquement traduit de l'anglais  (E-U) par Lætitia Devaux, Rivages 2017, 222 pages tout sauf confortables mais indispensables !

31/01/2017

La femme brouillon

"Le bébé siphonne notre tendresse. On s'adresse l 'un à l’autre comme deux vieux collègues exaspérés."

Entre bonheurs et inquiétudes, "Le père du bébé aurait fait une bien meilleure mère. Son instinct de sacrifice est plus développé, et c'est toujours lui qui fait les crêpes.", mais toujours avec beaucoup d'humour et d'énergie, la narratrice nous raconte les étapes obligées de sa grossesse, de l'annonce  à une conclusion qui évoque très joliment la transmission.amandine dhée
Celle qui se définit successivement ou simultanément comme "la gosse qui n'a pas les mots, l'ado blessée, la femme-lézard, la féministe, l'écrivaine et la demi-mère", une femme brouillon donc, dont on devine que le rapport à sa propre mère est plutôt douloureux, pose des mots très justes sur cette grossesse.
Si elle souligne l'attendrissement de certains devant son gros ventre, elle n'en oublie pas néanmoins que, bizarrement, ce dernier semble  devenir invisible dans les files d'attente ou les transports en commun...Avec lucidité, elle décrit ses propres contradictions de féministe et de mère en devenir, tiraillée entre le fait qu'on veuille la limiter à ce rôle et l'acceptation de ce rôle, trop normatif à son goût.
Ne perdant jamais son regard critique, dénichant la violence sous la guimauve, la narratrice s'en tire haut la main, ne reniant jamais son aspect  revendiqué de Femme brouillon, bien loin des mères parfaites qui nous sont imposées comme modèles. 
Un livre qui pose un regard décapant, drôle et intelligent sur la grossesse, voilà qui ne se refuse pas, quel que soit son âge !

Un grand coup de cœur, constellé de marque-pages !

La femme brouillon, Amandine Dhée, Éditions la Contre Allée 2017 , 86 pages enthousiasmantes !

D'Amandine Dhée: clic

 

30/01/2017

L'abandon des prétentions

"A bien y regarder, le bureau de Jeanine est le paysage d'une confiance en soi dévastée mais, si je le sentais, longtemps je n'en sus rien."

En soixante-cinq courts chapitres, une fille brosse le portrait d'une mère, enseignante à la retraite, qui noue des liens avec des gens à la marge. Cette femme, parfois excentrique sans le vouloir, veut "Tout apprendre des autres, ne jamais parler de soi.", ce qui ne va pas sans certaines micro-aventures tragicomiques.
Mais ce qui domine par dessus tout est le manque de confiance en elle de Jeanine, qui bien que douée, ne croit pas en ses capacités. Plus jeune, elle refuse ainsi de se présenter à l'oral du Capes d’espagnol,son frère lui forcera la main et elle sera brillamment reçue.blandine rinkel
On sent beaucoup de tendresse mais aussi un peu d'agacement dans ces pages, mais qui a dit que les rapports mères/filles étaient simples ? un roman tout en nuances et un magnifique portrait de femme.blandine rinkel

28/01/2017

Culottées t1 et t2 Des femmes qui ne font que ce qu'elles veulent

"Accepte le fait que tu es beaucoup plus que tu penses être." Cheryl Bridges (athlète)

 Un énorme merci à Pénélope Bagieu qui avec  ces Culottées nous présente avec humour et délicatesse des femme connues ou pas (j'en ai découvert une flopée),originaires d'Europe, d'Amérique du Nord ou du Sud mais aussi d'Inde, d'Afrique ou d'Afghanistan.
pénélope bagieu,femmesContemporaines ou non, elles ont pour point commun d'avoir dû lutter pour imposer leurs idées dans un monde d'hommes, lutter pour obtenir leur liberté,leur singularité ,lutter pour vivre tout simplement
.Nous en connaissons certaines, mais pas forcément sous tous leurs aspects. Ainsi Hedy Lammar, sex- symbole par excellence (elle a été l'héroïne totalement dénudée du film "Extase" en 1931 à l'âge de 17 ans) a-t-elle été à l'origine de plusieurs inventions, d'abord méprisées par l'armée américaine (une actrice, pfff)!J
J'ai particulièrement été touchée par la très discrète Giorgina Anzulata, (1908-2001) qui, avec très peu de moyens, mais beaucoup de bonnes volontés,  a réussi à sauver un phare de l'ensablement.  Quant au parcours de de la jeune rappeuse afghane Sonita Alizadeh qui a réussi à échapper à plusieurs mariages forcés , il est marqué par la réification du corps des femmes, qui n'est envisagé que comme marchandise.
Pénélope Bagieu ne se gêne pas pour tacler au passage certains hommes célèbres. Ainsi Haroun Tazieff qui , à plusieurs reprises rabaissa le travail des volcanologues Katia et et Maurice Krafft ou de souligner au passage que c'est sous Barack Obama que l'avocate Jesselyn Radack se retrouva au cœur d'un véritable cauchemar car elle avait été une lanceuse d'alerte.pénélope bagieu,femmes
C'est donc tout un panel de femmes courageuses, intelligentes et inventives qui s'offre à nous, de quoi offrir de beaux exemples à nos filles et garçons.

  • Pénélope Bagieu a réalisé ici une œuvre d'utilité publique en nous offrant tous ces modèles valorisant de femmes.

Culottées T1 et 2, Pénélope Bagieu, Gallimard 2016 et 2017.

06:00 Publié dans BD | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : pénélope bagieu, femmes

27/01/2017

Une activité respectable

"Dans mon enfance, l'excès ne m'a pas été désigné comme un défaut-et sans doute était-ce une erreur- mais depuis j'arpente la littérature comme un champ dans lequel mes pas laissent l'herbe ployée un instant derrière moi, juste le temps de voir le chemin parcouru, et l'immensité encore inconnue."

Pour les parents de Julia Kerninon, écrivain était Un métier respectable. Normal : ayant grandi dans l'amour des livres, des mots, de l'écriture, l'autrice toute petite se voit offrir une machine à écrire électrique, se sent comme chez elle dans la fameuse librairie Shakespeare and Compagny où elle éprouve "la sensation la plus forte que j'avais jamais éprouvée en cinq ans et demi d'enfance."
Comment s'étonner alors de la voir négocier une année sabbatique où elle ne fera qu'écrire et lire après avoir économisé ses salaires de jobs d'été ?julia kerninon
Des moments et des images très forts émaillent ces 60 pages pleines de fièvre et d'énergie: celle de ces jeunes filles, "horde d'impalas exhibitionnistes qui venait se jeter à l'eau", les conseils intuitifs et justes de la mère sur l'écriture, le travail manuel " j'ai fait l'expérience de la sueur, et ce n'était pas simplement une expérience, c'était un grade." et je pourrai en citer beaucoup d'autres tant ces pages sont denses et riches.
Et zou, sur l'étagère des indispensables !

 Le billet de Cuné qui m'a donné envie.

De Julia Kerninon, clic.

 

26/01/2017

Mais qui va garder le chat ?

"La conversation devenait surréaliste entre les vraies et les fausses mères, les grands-mères légitimes et le père qui n'en était pas un."

Après une rupture difficile, une période de flottement, Cécile retrouve l'amour auprès de Cécile. Les deux jeunes femmes décident de fonder une famille, ce qui ne va  pas sans de nombreuses questions, tant pour les deux amoureuses que pour leurs proches et leurs familles respectives.eliane girard,gay friendly
Publié en 2005, ce roman d’Éliane Girard , avec beaucoup de délicatesse, de pédagogie, d'humour,sans tomber dans la mièvrerie, nous présente les perturbations qu'entraîne la décision de faire un enfant dans un couple presque comme les autres.
Les réactions des différents personnages sont décrites avec finesse , pertinence et on sort de là le sourire aux lèvres, en espérant que de telles situations,vécues de manière aussi pacifiées, deviendront parfaitement acceptées.

Mais qui va garder le chat, Éliane Girard, JC Lattès 2006.

25/01/2017

Ceci est mon sang

"Trente milliards de dollars, soit 26 milliards d'euros  c'est ce que représente le marché annuel de la protection périodique, soit l'équivalent du PIB de Bahreïn, un archipel pétrolier du sud de l'Arabie saoudite qui va sans être ravi de l'apprendre."

Le titre, explicite et facétieux, donne le ton : on va parler de choses sérieuse mais avec humour. La couverture où éclate cette magnifique couleur rouge tranche sérieusement aussi avec les succédanés bleus ou verts que les publicités pour les tampons et autres serviettes périodiques se croient obligés d'utiliser.
Fi des tabous donc, Elise Thiébaut nous emmène en sa compagnie à la découverte des règles, des premières aux dernières, au fil de son histoire personnelle, dans laquelle beaucoup se reconnaîtront.Elle se réfère aussi à l'Histoire, l'économie, voire la science, sans jamais être ennuyeuse ou rébarbative.
Féministe, très drôle, ce n'est pas incompatible, l'autrice se révèle pleine d'humour et de ressources, fustigeant au passage le machisme des scientifiques, des médecins ou soulignant l'opacité entourant la composition des serviettes et tampons périodiques.élise thiébaut
On apprend plein d'infos et même les littéraires pur jus comme moi ne seront pas perdues dans les explications scientifiques, très imagées et claires.
Remarquons au passage qu 'Elise Thiébaut ayant souffert d'endométriose, fait aussi le point sur cette pathologie trop souvent méconnue.248 pages qui se dévorent toutes seules.

Ceci est mon sang, histoire des règles et de ceux qui les font, Élise Thiébaut, Éditions La Découverte 2017. Un grand coup de cœur ! Et zou sur l'étagère des indispensables !

24/01/2017

La plus folle de nous deux

"Sa joie semble calibrée selon le tableau Excel pour resurgir quand mon nom s'affichera sur l'écran."

Une journaliste de quarante-cinq ans, en vue d'écrire un livre, décide d'enquêter sur Noémie Leblond, femme politique en pleine ascension, qui pourrait entretenir quelques points communs avec NKM. Elle s'immisce dans l'entourage de cette femme en apparence parfaite,commence une relation avec un de ses jeunes conseillers, pour qui elle n'est qu'une "milf", comprendre « Mother I'd Like to Fuck » (mère que j'aimerais b..." .
Ayant grandi au milieu de malades mentaux (ses deux parents sont psychiatres), la narratrice entretient un rapport particulier avec la folie et envisage le monde politique par ce biais.hélène risser
Si j'ai beaucoup aimé l'évocation de monde de la psychiatrie, je suis restée plus réservée sur la description du microcosme politique, trop convenue à mon goût. On ne s’attache à aucun personnage (surtout pas à la narratrice qui s'aveugle avec un bel acharnement) et on reste un peu sur sa faim même si le roman se lit sans déplaisir.

La plus folle de nous deux, Hélène Risser, Plon 2017.

23/01/2017

Merci pour l'invitation

 "Vraiment ? Si je laissais ma fille décider de ce genre de choses, je sortirais avec un beagle !"

Ouvrir un livre de Lorrie Moore c'est avoir la certitude d'entrer dans un univers où la réalité est scrutée avec un grand sens du détail, non dénué d'humour.
Cette écrivaine, que je suis depuis ses débuts avec toujours autant d’enthousiasme, est aussi la reine de l'ellipse, privilégiant le moins pour en dire plus, accordant ainsi toute sa confiance à l'intelligence de son lecteur. Dès la première phrase, le ton est donné : "Kit et Raf s'était rencontrés au cours d'un mouvement pacifiste où ils organisaient des manifs et fabriquaient des pancartes contre le nucléaire, ce qui ne les empêchait nullement d'avoir à présent envie de se tuer l'un l'autre." 51YxxjK7H9L._AC_US218_.jpg
Nous voilà donc embarqués dans une histoire où les personnages, bien qu'ancrés dans le monde réel, semblent légèrement déphasés, ayant fait ou étant sur le point de faire, un pas de côté, ce qui est aussi le cas des sept autres nouvelles composant ce recueil où j'ai glané de multiples citations. Une dernière pour la route "C'est sans doute pour cette raison que la foi avait été créée : afin d'élever des adolescents sans y laisser sa peau. Et bien sûr aussi pour cette raison que la mort avait été créée :pour échapper auxdits adolescents."

Vite découvrez, si ce n'est déjà fait, cette autrice !

Merci pour l'invitation, Lorrie Moore, traduit de l'anglais (E-U) par laetitia Devaux, Editions de l'Olivier 2017, 233 pages succulentes.

Le billet enthousiaste de Cuné  !