15/11/2016
Comment apprendre à s'aimer
"Linde rit."Moins j'ai confiance en moi, plus je m'en donne l'air." C’était la seule qualité qu'elle pouvait se vanter d'avoir acquise."
Avec beaucoup de délicatesse, un soupçon de poésie et une rudesse feutrée, Yukiko Motoya nous propose des instantanés d'une même femme, Linde,à différent âges de sa vie.
Si les premiers textes suivent l'ordre chronologique, (16 , 28, 34 et 47 ans), il faut attendre l'avant dernier pour avoir un épisode révélateur se déroulant à l'école maternelle (alors qu'elle a trois ans )pour que notre vision du personnage se réorganise et que nous ayons l'explication de son prénom si original.
L'avoir placé juste avant celui de ses soixante- trois ans me paraît fort judicieux car les deux textes permettent de voir l'évolution du personnage.
Linde peut apparaître insatisfaite, mais il me semble surtout qu'elle peine à trouver sa place et se soucie beaucoup du regard des autres, n"hésitant pas par exemple à mettre en scène sa maison pour le regard d'un personnage qui pourrait paraître anodin mais joue un rôle important dans sa vie : le livreur de colis.
Nous ne connaissons pas tout de Linde,mais cette vacuité nous la rend encore plus proche peut être car chacun peut y projeter ce qu'il veut, remplir les pointillés à sa guise.
J'avoue que dans un premier temps ce roman m'a paru seulement intéressant du point de vue de la description de la vie quotidienne, mais dans un second temps, avec la lecture du chapitre consacré à la petite enfance, tout a gagné en profondeur.
Une vie ordinaire mais dont la description distille un réconfort subtil.
Comment apprendre à s'aimer, MOTOYA Yukiko, traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako, Picquier 2016, 152 pages au charme exquis
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : yukiko motoya
08/11/2016
L'étrange bibliothèque...en poche
"Je n'irais pas jusqu'à affirmer que je suis idiot. Simplement ,depuis que j'ai été mordu par le grand chien noir, ma tête fonctionne sur un mode un peu particulier."
Parce qu'il voulait se renseigner sur la collecte des impôts dans l'Empire ottoman, un jeune garçon va se retrouver prisonnier dans une bibliothèque labyrinthique.
L’action se déroule de nos jours au Japon et c'est par petites touches que Haruki Murakami nous fait basculer dans le fantastique. Un fantastique très noir, teinté d'horreur mais aussi d'humour. Ainsi son prisonnier mange-t-il aussi bien des donuts bien croustillants qu'une épinoche à trois épines farcies, des saucisses de Toulouse ou un croissant ! Un melting pot culinaire bien loin des ambiances à la Edgard Poe à laquelle fait parfois penser cette nouvelle qu'on peut aussi envisager comme un conte.
Les personnages ont des identités fluctuantes et la lecture devient un moyen de pression pour l"inquiétant geôlier. Rien n'est figé, tout évolue , on se croirait parfois dans un kaléidoscope tant les ambiances changent avec subtilité.
Les illustrations qui accompagnent ce texte jouent à la perfection des variations de noir, gris et sépia et seules quelques touches de couleurs viennent les éclairer. La couverture avec ce formidable étourneau a su aussi me séduire. Un petit plaisir à (s') offrir, histoire de frisonner un peu .
L'étrange bibliothèque, HaruKi Murakami, 10/18 2016 ,traduit du japonais par Hélène Morita, illustrations de Kat Menschik .
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : haruki murakami
07/11/2016
Ma vie de pingouin ...en poche
"Et quand il m'a mise debout et embrassée, c'était comme à la télé. La question était de savoir s'il s'agissait d'une comédie (La croisière s'amuse , Saison 10) ou un documentaire farfelu."
Bienvenue à bord de l'Orlovsky, ancien navire scientifique russe, pour une croisière de l'extrême: direction l'Antarctique !
à bord, une faune tout aussi éclectique, farfelue et parfois cruelle que celle qui se trouve sur les icebergs ou les îlots ! Par ordre d'apparition: Wilma,32 ans, dont la bonne humeur inébranlable n'est pas sans un arrière plan plus sombre; Tomas, trentenaire qu veut en finir avec la vie ,mais c'est pas gagné ; Alba, 72 ans , qui a eu mille vies, grande scrutatrice des mœurs humaines. Sans oublier un essaim de personnages secondaires, d'âge plus ou moins avancé, venus observer les oiseaux ou se trouver un compagnon !
Fine observatrice, Katarina Mazetti semble s'être régalée à croquer tout ce petit monde, jeunes et vieux mélangés, embarqué dans une expédition fertile en rebondissements !
Alternant épisodes cocasses ou plus sombres, le roman file à toute allure pour le plus grand bonheur de son lecteur ! On retrouve en effet avec un plaisir sans pareil une Katerina Mazetti au mieux de sa forme et n'hésitant pas à peindre , avec beaucoup de véracité, les animaux rencontrés en chemin . Un grand bonheur de lecture !
Ma vie de pingouin, Katarina Mazetti,Babel 2016
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : katarina mazetti
05/11/2016
Carrières noires...en poche
"-D'abord l'ambassadrice et maint'nant l'protocole ! Au cas où vous vous seriez pas rendu compte, ici c'est pas vraiment les soirées de l’ambassadeur ici et moi, après mon ménage, personne m'a jamais offert de Ferrero Rocher !"
En décidant de cambrioler le coffre de son employeuse, la vieille sénatrice Maes, avec l'aide de ses deux copines, aussi hautes en couleurs qu'elle, Josy, femme de ménage débrouillarde, ignorait qu'elle allait déterrer des secrets politiques explosifs.
Et des secrets, la ville de Lezennes , construite sur d’anciennes carrières, n'en est pas avare.
Le commissaire Pierre-Arsène Leoni ,prêt à quitter Lille pour retourner définitivement dans sa Corse natale, découvrant le cadavre de la vielle sénatrice, va devoir affronter les notables du coin. Ces derniers veulent en effet étouffer l’affaire et ne compromettre en rien la carrière politique du neveu de la morte.
Établissant un lien entre les carrières , labyrinthe mystérieux à la fois onirique et cauchemardesque et le monde d'en haut,pas forcément plus joli, Eléna Piacentini confère à son récit une dimension doublement inquiétante. Heureusement, Josy et tout le petit monde du quartier populaire de Lezennes où elle vit , procurent de brèves bouffées d'humanité et d'humour. L'inspection, façon match de boxe, de la femme de ménage par un jeune blanc-bec féru de séminaires de management est un pur régal qui m'a bien fait glousser !
J’avoue avoir été un peu gênée au début par l'oralisation du discours de Josy et ses comparses, mais bon, c'est un coup à prendre et le reste du récit est tout à fait "normal" ,riche en métaphores et bien écrit. Un roman plein d'humanité. Un petit plaisir en poche à (s') offrir.
Déniché en médiathèque.
Une autrice dont je vais poursuivre la découverte !
Carrières noires, Elena Piacentini , Pocket 2016
PS:Corinne Masiero serait une parfaite Josy si ce roman devait être adapté au cinéma ou à la télévision.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : elena piacentini
04/11/2016
Le livre des songes
"Dans la lumière faiblarde, son visage paraissait étrange. Un instant, j'eus l'idée qu'elle pouvait être quelqu’un qui faisait semblant d'être ma mère et pas ma vraie mère du tout."
Grace Davitt, huit ans, la narratrice de ce singulier roman, nous entraîne dans le monde onirique qu'elle s'est construit.
Son père, professeur de chimie, tente d'instiller un peu de rationalité dans l'esprit de sa fille, mais ne peut lutter contre son épouse , Anna, ornithologue qui nourrit Grace de récits fabuleux. Il finira par fuir le domicile conjugal.
Ne fréquentant plus l'école, la petite fille suit sa mère dans son univers, sans se rendre compte immédiatement que celle-ci s'enfonce progressivement dans la folie.
Vue à travers les yeux d'une enfant qui manque de points de repères pour jauger efficacement l'attitude de sa mère, le récit captive le lecteur et le trouble.
Si la fin est un peu décevante, l’expérience n'en reste pas moins à tenter.
Le livre des songes, Jenny Offill, traduit de l’anglais (E-u) Par Édith Odis, Calmann-Levy 2016.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : jenny offill
03/11/2016
Une famille trop parfaite
"Pourquoi j'ai accepté docilement de devenir...personne."
Une jeune mère de famille, Olivia Brookes, et ses trois enfants ont disparu.L'inspecteur Tom Douglas, chargé de l'enquête, se rend vite compte qu'Olivia a déjà été liée dans le passé à d'autres disparitions inexpliquées. En outre, si le mari paraît sincèrement éploré, il n'en reste pas moins qu’une atmosphère particulière règne dans cette maison cossue...
Roman d'une emprise amoureuse qui tourne à l'obsession meurtrière, Une famille trop parfaite est un récit haletant qui multiplie les rebondissements (parfois un peu trop) et ne ménage pas son lecteur.
On sent un grand souci de véracité et ,même si l'héroïne m'a paru parfois un peu agaçante, j'ai dévoré ce roman d'une traite sans pouvoir le lâcher.
Un thriller efficace qui donne envie de visiter les îles anglo-normandes.
Une famille trop parfaite, Rachel Abbott, traduit de l'anglais par Murie Levet, Belfond 2016.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : rachel abbott
02/11/2016
Les petites reines
"- Mais comment tu peux avaler ça, toi, d'être élue Boudin du lycée Marie-Darrieussecq ? C'est dur...C'est vraiment dur quand même.
-Oh, je dispose d'une capacité de détachement surhumaine. je sais que ma vie sera bien meilleure quand j'aurai vingt-cinq ans; donc , j'attends. J'ai beaucoup de patience.[...]
Bon, sauf quand je suis un peu crevée, ou que j'ai mes règles ou un rhume; dans ces moements-là, OK, il peut arriver que je perde de mon imperméabilité."
Loin de se lamenter sur leur sort, les trois "Boudins "du Lycée de Bourg-en Bresse, alias Mireille, Astrid et Hakima, vont se lancer dans un périple à vélo qui les mènera jusqu'à la garden -party du 14 juillet à l’Élysée , où elles ont bien l'intention de s'incruster, chacune avec un objectif différent.
Comme elles ont le sens de l'autodérision, elles ont décidé pour financer leur expédition de vendre du boudin...
Progressivement, cette expédition va prendre de l'ampleur sur les réseaux sociaux, dans les médias et dépasser un peu ces jeunes filles auparavant ostracisées.
Avec un humour décapant, une pointe de féminisme, Clémentine Beauvais traite d'un sujet grave sans pour autant tomber dans les pièges inhérents à ce thème : la récupération de la transformation des corps de ces trois" boudins" (faites du sport, vous maigrirez) ou l'optimisme à tout crin.
Il se dégage de ce roman une belle énergie et l'écriture dynamique et imagée de Clémentine Beauvais contribue au plaisir de la lecture. Pas étonnant que ce roman soit couvert de prix ! Un grand coup de cœur, déniché à la médiathèque.
Les petites reines, Clémentine Beauvais, Éditions Sarbacane 2015, 270 pages toniques.
06:00 Publié dans Jeunesse, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : clémentine beauvais
01/11/2016
Un membre permament de la famille
"Ils ne sont pas inquiets pour Ventana: maintenant qu'on l'a filmée pour la télé, elle a accédé à un autre niveau de réalité et de pouvoir, un niveau plus élevé que le leur."
De la permanence, voilà bien ce qui manque , entre autres, aux personnages des douze nouvelles de ce recueil de Russell Banks.
Saisis à des moments où leur vie vacille de façon ténue ou plus dramatique,l'auteur sait capter,toujours avec bienveillance, mais avec une lucidité extrême, les moindres oscillations de leurs sentiments.
Qu'il dépeigne les non-dits qui se révèlent dans une réunion d'artistes et d'intellos , l'effritement d'une famille entériné par un deuil imprévu,les espoirs d'une femme noire modeste ou les glissements de personnalité d’une femme rencontrée par hasard, il règne toujours dans ces textes une grande tension qui tient le lecteur en haleine, l’entraînant même parfois ( ce fut mon cas, en tout cas) à différer la lecture d'un texte, en l'occurrence, "Blue".
Un style magistral ,des récits d'une grande intensité dramatique font de ce recueil une totale réussite !
Et zou,sur l'étagère des indispensables !
Un membre permanent de la famille, Russell Banks,nouvelles traduites de l 'américain par Pierre Furlan Babel 2016.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : russell banks
31/10/2016
Truismes
"Je me suis demandé ce que j'aimais le plus, les racines ou la parfumerie."
Ayant fait étudier à mes élèves le début de La métamorphose de Kafka, j'ai décidé , dans la foulée, de relire Truismes de Marie Darrieussecq ,que j'avais lu à sa sortie en 1996.
Truismes est le récit à la première personne d'une métamorphose. Celle d'une jeune femme, employée en parfumerie qui devient progressivement une truie. Le récit est fait a posteriori, ce qui permet à la narratrice d'analyser les faits avec du recul, recul limité vu son manque d'éducation( n'oublions pas qu'un truisme est une vérité banale).
En même temps que le corps de la jeune femme change, la société évolue aussi et se dérégule progressivement tant au niveau économique (le monde du travail en particulier), politique (régime de plus en plus autoritaire) et social (paupérisation des couches laborieuses, enrichissement des élites). Quant à la sexualité, elle est sans frein pour ceux qui détiennent un pouvoir.
D'emblée, la mainmise sur le corps féminin est posée avec cette scène d'entretien d'embauche où l’héroïne accepte sans broncher les services sexuels jamais identifiés clairement mais qu'elle laisse deviner et qualifie par exemple de "besogne". Au fil du roman, elle ira de plus en plus loin dans ce type de services , sans que rien ne soit décrit , mais la suggestion n'en sera que plus forte quant aux violences subies et aux tentatives de limites qu'elle pose.
En ce qui concerne la métamorphose proprement dite, elle est fluctuante,évoquée par petites touches, même si l’héroïne tente de la maîtriser, oscillant sans cesse entre l'univers humain et celui de l'animal.
J'ai pris beaucoup de plaisir à cette relecture, grâce au style elliptique et efficace.J'ai même trouvé que la société décrite avait de plus en plus de points communs avec la société contemporaine., ce qui n'est guère rassurant .
Truismes, Marie Darrieussecq, folio 2014.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : marie darrieusecq
29/10/2016
Une part de ciel...en poche
"-Tu te souviens trop, Carole. Il faut te dépolluer de tout ça."
Curtil, le père "pigeon-voyageur" a, une fois, de plus envoyé une boule de verre à ses trois enfants pour annoncer son retour. Sans fixer de date, bien sûr.
Mais les enfants sont maintenant adultes et chacun réagit de manière différente à cette convocation. Carole, la seule à avoir quitté sa vallée natale dans la Vanoise, revient s'y installer provisoirement, en profitant pour effectuer un travail de traduction sur la vie de l'artiste Christo. Elle renoue peu à peu avec les paysages et personnages hauts en couleurs de son enfance ainsi qu'avec sa sœur Gaby, qui travaille à l'hôtel et vit dans un bungalow, attendant le retour de son homme. Quant à leur frère, Philippe, garde-forestier, il tente de préserver sa vallée.
Carole est l'élément perturbateur de ce roman de l’attente et du souvenir. Elle seule veut revenir sur un incendie qui a bouleversé leur enfance et influé durablement sur leur vie.
Claudie Gallay excelle à peindre cette atmosphère d'une vallée comme coupée du monde que certains ne voudraient pas voir évoluer vers l'avenir. Elle peint avec finesse les relations fraternelles, les silences, les non dits, tout ce qui est prêt à se rejouer par delà les années. On se glisse avec bonheur dans ce roman-cocon qui nous enveloppe durablement tant il est riche d'humanité et de bienveillance. Un coup de cœur !
Une part de ciel, Claudie Gallay, J'ai lu 2016.
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