28/10/2016
Le monde est mon langage
"J'ai longtemps cru que le français était une langue de l'emportement, de l'irascibilité et surtout celle de ceux qui voulaient à tout prix avoir raison."
Dans ce recueil, Alain Mabanckou revient sur les rencontres d'écrivains ou d'inconnus qui ont jalonné sa vie. Écrivain de langue française né au Congo, il revient ainsi dans un exercice d'admiration et de bienveillance sur tous ceux qui ont contribué à lui faire aimer la langue française. On le suit au fil de ses pérégrinations, un petit carnet à la main, histoire de noter au passage tous ceux qu'il nous revient de découvrir tant les écrivains(e)s francophone sont divers et plutôt méconnus en France.
Une balade très agréable , riche en découvertes.
Le monde est mon langage, Alain Mabanckou, grasset 2016.
06:04 Publié dans Document, Rentrée 2016 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : alain mabanckou
27/10/2016
J'ai vu un homme...en poche
"Aucun de leurs choix n'avait été malintentionné. Et cependant, leur combinaison avait engendré plus d'obscurité que de lumière."
Pourquoi Michael Turner explore-t-il la maison de ses voisins en leur absence ? Voilà à peine sept mois qu'il s'est installé à Londres et très vite, il est entré dans l'intimité des Nelson, une sympathique petite famille.
Différant la réponse à cette question, le récit remonte le temps ...
Michael peine à se remettre du décès de sa femme, Caroline, journaliste tuée au Pakistan. Il n'est pas le seul : le commandant Mc Cullen ,responsable de cette mort, semble lui aussi perturbé par ce cadavre de trop et l'américain qui ne supporte plus d'être "dissocié de ses actes" , a bien l'intention d'agir et d'assumer les conséquences ,par-delà les frontières ,d'une décision prise sans états d'âme.
Owen Sheers , dès la première phrase de son roman, instaure un malaise qui ira s'amplifiant et perdurera même quand sera identifié "l'événement qui bouleversa leur existence". En effet, les liens , bien plus complexes qu'il n'y paraît à première vue, entre les différents personnages, vont les entraîner dans des chemins très tortueux .
Remords, conflits de loyauté, culpabilité sont analysés avec finesse et sensibilité. La narration est extrêmement efficace, le lecteur se perd en conjectures sur la nature de cet événement avant de rester le souffle coupé.Le récit,ponctué de réflexions sur l'écriture (Michael est écrivain), gagne encore en profondeur et crée même peut être une mise en abyme, comme semble le suggérer la dédicace...
Un roman qui nous ferre d'emblée et qu'on ne lâche pas car il allie , et c'est rare, qualité de l'écriture et subtilité de la narration. Du grand art !
Il y avait la page 51 de David Vann il y aura maintenant celle d' Owen Sheers (je me garderai bien de vous donner sa numérotation !)
J'ai vu un homme, Owen Sheers, traduit de l'anglais par Mathilde Bach, Rivages 2015, 351 pages insidieusement addictives. Rivages poche 2016
Et zou, sur l'étagère des indispensables! Nuits blanches en perspective !
Une dernière citation pour la route :" Une histoire qui n'est pas racontée , dit-elle en le pointant d'un doigt accusateur, c'est comme une décharge. Enfouis-la tant que tu veux , elle finira toujours par refaire surface."
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : owen sheers
26/10/2016
La revanche de Kevin...en poche
"-Il y a des prénoms prédestinés aux pires beaufitudes, dit Olivier."
Iegor Gran partant de la vague de Kevin qui a déferlé en France dans les années 90 et des connotations négatives qui s'y sont aussitôt attachées :"Un marqueur social de la médiocrité crâne car on croit savoir quelles familles sont suffisamment sottes pour se laisser dicter leur vie par l'Amérique et Hollywood." imagine donc un Kevin doublement traumatisé.
En effet, ce dernier évolue dans le monde de la Radio où il n'occupe qu'un emploi vaguement méprisé, car sans aucun lien avec l'écriture dont se gargarise ses collègues. De plus, il est persuadé que parce qu'il porte ce prénom, par lui honni, tout le monde le déconsidère a priori. Prédiction auto réalisée ? Préjugés liés au prénom ? Toujours est-il que notre héros va décider de se venger en s'en prenant au monde des Lettres.
L'analyse du prénom Kevin et des préjugés qui lui sont liés nous vaut quelques morceaux de bravoure fort réjouissants et sa vengeance, cruelle, est elle aussi très réussie. Là où l'intrigue s'affaiblit c'est que l’auteur a jugé bon de s'embarrasser d'"un canular ricochet de canular" sans réelle efficacité. Quant aux interventions de sa presque belle-mère ,à vocation humoristique, elles tombent à plat et plombent le roman par un salmigondis supposé imiter le langage populaire.
Tout cela reste bien léger...
La revanche de Kevin, Iegor Gran Folio 2015, 198 pages.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : iegor gran
25/10/2016
Songe à la douceur
"C'est frêle,
ces jeunes personnes tellement éblouies par le jour
qu'elles ne se sont pas apprêtées pour la nuit."
Un roman en vers libres qui dépoussière et revisite Eugène Onéguine avec une couverture rose bonbon pleine de fioritures ? Ce n'était pas gagné d'avance en ce qui me concerne, même si je n'avais jamais lu le roman de Pouchkine ni vu l'opéra de Tchaïkovski.
Et pourtant , une fois commencé, je n'ai pas pu lâcher ce roman destiné aux jeunes adultes (mais pas que).
L'histoire ? Une jeune femme, Tatiana, à l'aube d'entrer dans la vie adulte, rencontre fortuitement Eugène, celui dont elle était tombée amoureuse quand elle avait quatorze ans ans et lui trois de plus. Dix ans plus tard, Eugène est-il toujours aussi désenchanté et cynique ? Les amours adolescentes avortées peuvent-elles renaître de leurs cendres ?
On craint le pire et c'est le meilleur que l'on découvre tant Clémentine Beauvais se penche avec empathie que ses héros, les décrivant sans mièvrerie mais avec une acuité non dénuée de poésie. La sensualité est-elle aussi présente, sans tomber pour autant dans l'impudeur et la tragédie qui touche un des personnages est évoquée avec délicatesse.
Un exercice d'équilibre improbable parfaitement réussi dont la forme renforce le plaisir: intertextualité (des vers célèbres s'insèrent au fil du texte) des calligrammes et des interventions de l'auteure viennent encore ajouter au plaisir de lecture. On sort de là avec des étoiles dans les yeux, ravi que la fin évite les clichés du genre. Un grand bonheur de lecture dont on aurait tort de se priver.
Et zou sur l'étagère des indispensables !
Songe à la douceur, Clémentine Beauvais, Sarbacane 2016 , 239 pages à savourer !
L'avis de Noukette qui envoie vers d'autres billets enthousiastes.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Les livres qui font du bien, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : clémentine beauvais
24/10/2016
Le linguiste était presque parfait...en poche
"Hoosier: subst, étymologie obscure et ennuyeuse. Crétin de Blanc assorti d'une grasse épouse blanche qui mange des légumes verts, accroche un silencieux à son pot d'échappement à l'aide d'un cintre, et laisse traîner des réfrigérateurs dans son jardin pour que des enfants s'étouffent à l'intérieur."
Quoi de plus calme en apparence qu'un institut de linguistique étudiant le langage des nourrissons ? Et pourtant, outre leurs inimitiés, l'intérêt maniaque porté aux mots prononcés , ces charmants linguistes doivent aussi penser à l'avancement de leurs carrières professionnelles , de leurs projets amoureux, veiller au maintien des subventions qui leur sont accordées , voire même sauver leur peau. En effet, l'un d'entre eux vient d'être assassiné. Jeremy Cook va mener sa propre enquête sur le meurtre de son collègue de manière bien peu orthodoxe, utilisant ce qu'il connaît le mieux : la linguistique !
Le microcosme évoqué dans ce nouveau roman de David Carkeet n'est pas sans rappeler celui de David Lodge mais avec des personnages encore plus farfelus et déjantés qui parviennent à rendre la linguistique follement attrayante (ce qui n'est pas une mince affaire, vous l'avouerez !). L'auteur joue à merveille des oppositions entre ses personnages et nous entraine avec un sérieux imperturbable dans un monde où les énigmes dignes de Gaston Leroux sont résolues grâce à des signaux linguistiques ! Un monde fou fou fou qui nous distrait avec intelligence et bonne humeur !
Le linguiste était presque parfait, David Carkeet, traduit de l'anglais (E-U) par Nicolas Richard, Monsieur Toussaint Louverture 2013, 287 pages .Points Seuil 2016.
06:00 Publié dans Humour, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : david carkeet
19/10/2016
Que la fête commence !
"La catastrophe était arrivée. le mot de trop avait fait exploser la Matrice. Tout était à refaire, des années de travail seraient nécessaires. Albert était perdu."
J'accepte rarement des livres envoyés parles auteurs mais là j'ai fait uen exception pour Emmanuelle Cart-Tanneur qui a su trouver les mots pour me convaincre.
Les mots, d’ailleurs ,sont au cœur des ces trois nouvelles. Que ce soit Jan, écrivain en mal d'inspiration qui les cherche en vain ; Albert qui les éradique ou les introduit au contraire au sein de la Matrice qui les recense; ou bien encore Fred et Lisa, personnages de papier qui tentent de les inspirer à Jan dans le texte qui clôt cet opus.
La plume d’Emmanuelle Cart-Tanneur file avec aisance et nous transmet cet amour des mots dont on sent qu'il l'anime avec intensité.
Un petit plaisir à (s')offrir !
Que la fête commence !, Emmanuelle Cart-Tanneur 2016, Éditions Zonaires, 44 pages qui peuvent voyager sans problèmes!
Les éditions Zonaires clic
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : emmanuelle cart-tanneur
18/10/2016
Apaise le temps
"Mes élèves confondent Véronique Genest et Jean Genet ! Les libraires ont une responsabilité civile, à eux de refuser la démagogie et le profit facile, possible de jouer les Ponce Pilate."
à la mort d'Yvonne, libraire et photographe, Abdel, jeune professeur à Roubaix, hérite tout à la fois de souvenirs mais aussi d'une dette de cœur. En effet, comment prolonger l’œuvre d'Yvonne et de ses parents, libraires ayant œuvré à l'intégration des exilés de tout bord dans les années 60 ?
Par l'intermédiaire de photographies retrouvées, le jeune homme va faire renaître tout un pan souvent méconnu du passé de la guerre d'Algérie, entre autres les dissensions entre les différents groupes travaillant pour la libération de l'Algérie. et sa vie va s'en retrouver bouleversée.
Tous les amoureux de la littérature ne pourront qu’apprécier ces portraits pleins d'humanité de libraires selon notre cœur.
Suivant d'une certaine façon les traces de Didier Daeninckx qui a été parmi les premiers à exhumer les épisodes historiques oubliés car gênants, Michel Quint ne démérite en aucune manière, même si j'ai trouvé que l’apaisement des tensions se faisait de manière un peu rapide. Un léger bémol qui n’entame en rien le plaisir de lecture que procurent ces 104 pages.
Apaise le temps, Michel Quint, Phébus 2016.
Le billet de Clara qui m'a donné envie.
Déniché à la médiathèque.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : michel quint
17/10/2016
Rester en vie
"Vous êtes sur une autre planète. Personne ne comprend ce que vous traversez. Mais en fait, si."
Récit a posteriori d'une dépression et de crises d'angoisse ayant frappé l'auteur quatorze ans plus tôt, Rester en vie se compose de chapitre courts, de listes diverses (personnes célèbres ayant souffert de dépression, raisons pour rester en vie etc).
On ne peut nier la grande sensibilité de ce texte, mais son aspect trop fractionné, ses conseils souvent trop banals, ses approximations et l'aspect trop léger de l'analyse de la dépression d'un point de vue scientifique (personne, en gros ne sait pourquoi on devient dépressif), ont fait que je suis restée totalement extérieure.
Un seul point m'a vraiment touchée : l'amour d'Andrea, la compagne de l'auteur qui jamais ne l'a laissé tomber.
Dans un autre genre, j'avais nettement préféré le roman de Styron sur le même thème: Face aux ténèbres.
Le billet d'Antigone qui m'avait donné envie.
Rester en vie, Matt Haig ,Éditions Philippe Rey 2016.
06:00 Publié dans Récit, Rentrée 2016 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : matt haig, dépression, angoisse
14/10/2016
Etta et Otto (Et Russell et James)...en poche
"Quelques mois auparavant, elle avait commencé à se sentir entraînée dans les rêves d'Otto à la place de siens, la nuit."
Etta, quatre-vingt-trois n'a jamais vu l'océan et décide un beau jour de parcourir les milliers de kilomètres qui l'en séparent depuis sa ferme du Saskatchewan. Elle laisse derrière elle son mari, Otto et leur ami, Russell.
Au fur et à mesure de ce périple, le passé affleure et , au fil des rencontres et des souvenirs, se tisse un texte à la fois poétique, simple et plein de fraîcheur qui éclaire, tout en délicatesse, les rapports qui unissent ces personnages, bien plus complexes et riches qu'il n'y paraît de prime abord.
Les drames, petits ou grands , se laissent deviner, rien n'est jamais clairement nommé, tout est dans l'implicite, les paroles parfois échangées par la seule force de la pensée et c'est beaucoup plus efficace.
Quant à James, mon personnage préféré, je vous laisse le soin de faire sa connaissance.
Etta, Otto, des prénoms presque semblables pour des personnages qui se fondent l'un en l'autre par le biais de leurs rêves, un récit en forme de boucle, qui se joue du temps et de l'espace. Un roman magnifique et dont les personnages m'accompagneront longtemps !
Q
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : emma hooper
13/10/2016
L'éternel rival
"Il est vrai, se dit-elle, que personne ne connaît vraiment le passé d'autrui.Pourquoi devrions-nous le connaitre ? Dès la sortie de la matrice, nous habitons des mondes différents."
Avec L'éternel rival se clôt brillamment la trilogie dite "Des enfants du Raj". Personnage le plus mystérieux, le plus romanesque donc, dont la vie engendre de nombreuses "légendes", Terence Veneering est peut être celui qui reste le plus surprenant.
Rival tant dans le travail qu'en amour du juge Filth, ce héros aux origines controversées, nous est dépeint au soir de sa vie . S'il se remémore le passé, il ne l’idéalise pourtant pas, ce qui nous vaut un portrait sans fard de son amante, Betty.
Personnages excentriques et toujours vaillants en dépit de leur grand âge, tous sont dépeints avec bienveillance et nous entraîne dans un récit qui évite toutes redites et ne lésine pas sur les révélations. Un final parfaitement réussi !
L'éternel rival, Jane Gardam, Traduit de l’anglais par Françoise Adelstain,Lattès 2016.
06:00 Publié dans Rentrée 2016, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : jane gardam