14/09/2023
Zoomania...en poche
"Au cours des dernières semaines, il m'avait expliqué pourquoi . D’après lui, la plupart des gens étaient incapables de comprendre dans quelle situation désespérée se trouvaient les animaux. Ils étaient trop protégés pour le voir. Trop en sécurité. ils avaient beau connaître les faits et les chiffres , ils ne prenaient pas la mesure de l'ampleur de la dévastation."
La vie des Mc Cloud a été dévastée par une tornade de force 5 ne laissant comme survivants qu'une fratrie de 3 sœurs et un frère. Ne possédant plus rien, Darlène, l'aînée, fait une croix sur ses études à l'université et vend aux médias le récit de leur tragédie, stigmatisant ainsi leur famille, les marquant du sceau du malheur et de la tristesse.
Refusant cette situation, Tucker, garçon intransigeant s'enfuit. Il ne reviendra que trois ans plus tard, à la date anniversaire de la tornade, pour libérer de manière dramatique les animaux de laboratoire d'une usine de cosmétiques.
Blessé, pourchassé, il entraîne dans sa cavale, sa plus jeune sœur, Cora, neuf ans, et entreprend , au fil de leur périple, de lui expliquer la révélation qu' a été pour lui la tornade et l'engagement radical pour défendre la cause animale qui en a découlé.
Récit tour à tour poignant, haletant , Zoomania sait aussi ménager des moments de pure grâce, comme celui d'un animal incongru évoluant en bord d'océan, ou de tension extrême. Abby Geni manie en virtuose les métaphores et ne présente jamais de manière pathétique ses personnages. Elle peint des scènes hallucinantes ,en n'oblitérant pas leurs aspects dramatiques ou drolatiques, et l'on n'oubliera pas de sitôt l'ultime mission que s'est assigné Tucker.
Un livre palpitant qui fait la part belle à la Nature, sans la présenter de manière angélique, et montre différentes formes de résilience, parfois inattendues.
Un roman puissant qui marque les esprits. Et qui file sur l'étagère des indispensables ,bien sûr.
Traduction Céline Leroy. Actes Sud 2021, 357 pages magistrales.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : abby geni
13/09/2023
Le Phénix/ La traque du phénix (les deux titres apparaissent sur les sites des librairies)
"Sa voix remonte de loin, ou des profondeurs. Peut-être du fond d'une tranchée."
Une travailleuse sociale et son amie d'enfance, une neuropsychologue vont se pencher sur le cas pour le moins intriguant d'un sans domicile fixe qui fait montre de talents exceptionnels dans plusieurs domaines (musicaux, linguistiques, mathématiques...) . Mais ce vagabond souffre également de crises qui feraient de lui un survivant de la première guerre mondiale, ce qui serait tout à fait anachronique car l'action se déroule de nos jours. De plus, il serait relié à d'autres génies dans le monde...
Marie-Anne Legault fait le choix d'une narration éclatée qui peut, certes, dérouter au premier abord, mais se révèle très vite addictive et maîtrisée. On suit sans se lasser les péripéties de cette "enquête" sur la mémoire d'un homme et sa relation à l'art. Une belle découverte venue du Québec.
Éditions Québec Amérique 2023. 342 pages.
Merci à l'éditeur pour cette découverte.
06:00 Publié dans Rentrée 2023, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2)
12/09/2023
Le plus beau métier du monde
"M'sieur, on a discuté entre nous et on préfère être honnêtes avec vous: on n'aime pas trop les notes que vous nous mettez en ce moment. "
Ils confondent "sextoy" et "sextant", aimeraient pour certains "trop savoir ce que ça fait d'avoir la moyenne", vivent dans un quartier de Marseille où le service d'ordre des trafiquants de drogue assure la protection du lycée ... Mais ils rêvent aussi d'une carte de séjour , de pouvoir vivre en France . "Ils", ce sont les élèves de Dominique Resch, prof depuis trente ans dans un lycée professionnel des quartiers nord de Marseille et très heureux visiblement de cet état de fait.
Une belle complicité se lit entre lui , ses élèves et leurs parents, puisque certains d'entre eux, au courant de ce projet de BD n’hésitent pas à demander "Sinon, pour votre BD, c'est bien ce qu'on vient de vous dire ? "
Les dessins d'Eric Doxat contribuent à distiller une belle énergie , tout en soulignant de manière discrète mais efficace les moments plus dramatiques.
Voilà qui regonflera peut-être le moral des enseignants qui s reconnaîtront sans doute dans pas mal de situations.
Merci à l’éditeur et à Babelio.
Éditions Vuibert 2023.
06:00 Publié dans BD, Rentrée 2023 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : dominique resch
11/09/2023
Eden
"Cela m'a fait comprendre que même si mon travail consiste à analyser la manière dont idées et sentiments se coulent dans le moule du langage, je n'ai pas toujours été très douée pour faire coïncider mes pensées avec mes paroles. Il est à la fois étrange et illogique qu'une souris soit à l'origine de telles réflexions , et il est plus bizarre encore que, juste après, j'aie décidée de construire un mur en pierres. "
Alba enseigne la linguistique à l'université de Reykjavík, participe à des colloques dans le monde entier sur les langues en voie de disparition , sans que cela soit suivi de beaucoup d'effet... Elle assure aussi la lecture et la correction d 'ouvrages pour une maison d'édition qui la tanne pour qu'elle lise un recueil de poésie, ce que la jeune femme semble toujours remettre à plus tard.
Du jour au lendemain, peut être à la suite d'un rêve, la trentenaire décide d’acquérir une maison dans la campagne islandaise et de planter une forêt de bouleaux.
Tous ces faits, en apparence juxtaposés, trouveront progressivement leur explication, parfois données par le père, la sœur d'Alba ou d'autres protagonistes de ce roman que j'ai dévoré d'une traite avant de le relire dans la foulée plus posément cette fois.
Il y est en effet beaucoup question de mots, et l'on y découvre au passage, le fonctionnement ardu de la langue islandaise, mais aussi de nature, de réfugiés et du changement climatique, le tout sans aucune leçon donnée.
Tout y est fluide, aussi bien le style que la manière dont les gens passent d'un métier à un autre, ou le temps de la neige en mai au soleil radieux. Un pur délice qui file bien évidemment sur l'étagère des indispensables.
Traduction Eric Boury, Editions Zulma 2023.
05:55 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2023, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : audur ava olafsdottir
30/08/2023
Le jour et l'heure
"Le monde qui semblait se refermer sur nous depuis des mois s'ouvrait enfin. Le monde que je croyais perdu à tout jamais me revenait grâce à l’art, aux traits, aux couleurs. "
Le temps d'un week-end, une famille va rejouer le scénario d'un départ en vacances d'enfance : les parents, les quatre enfants , devenus adultes, à l'arrière.
Direction la Suisse où la mère de famille, Edith, a décidé de se rendre pour qu'on puisse l'assister à mourir car elle se sait condamnée.
Durant ce trajet, à cause de la situation bien particulière, mais aussi du temps qui a passé, la constellation familiale va évoluer et les rôles vont peut être se redistribuer.
Si j'ai apprécié , comme toujours, la manière dont Carole Fives scrute les familles et les interactions qui s'y mettent à jour, je suis restée un peu sur ma faim quant au thème principal.
Antigone est plus enthousiaste : clic
Merci à l'autrice et à l'éditeur qui m'ont envoyé ce livre.
Je n'ai pas été rémunérée pour ce billet.
06:00 Publié dans Rentrée 2023, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : carole fives
29/08/2023
L'invitée
"Alex garda les yeux baissés. Elle avait l'habitude de s'effacer, de faire comme si les choses qui étaient en train de se produire n'étaient, en fait, pas en train de se produire. "
Alex a vingt-deux ans et elle est L'invitée de Simon, riche quinquagénaire qui l'a emmenée dans sa maison de Long Island. Là, l'été touche à sa fin et Alex profite de la plage et dérobe les cachets antidouleur de son hôte pour mieux supporter la réalité clinquante d'un monde où elle n'a en fait pas sa place.
Nous découvrons rapidement qu'Alex analyse chaque faits et gestes des gens qui l'entourent pour mieux s'adapter à leurs désirs et les manipuler. Cette tension permanente est très coûteuse émotionnellement, même si Alex a appris à se dissocier dans certaines situations trop humiliantes ou violentes. Un soir, elle commet un faux-pas , est chassée par Simon.
La jeune femme refuse d'admettre la réalité des faits et seule, sans ressources, sans amis, menacée par une connaissance qu'elle a trahie et volée, comme elle le fait avec chacun, elle se persuade que Simon l’accueillera dans une semaine lors de sa fête du Labor Day. Lui reste alors à trouver de quoi subsister dans ce microcosme de gens riches qui vivent dans l’entre-soi et se croient en sécurité.
Emma Cline peint avec subtilité et férocité ce monde cossu où la violence est sourde. La dérive d'Alex , qui passe on a envie de dire d'une main à une autre, d'un milieu social à un autre, est teintée tout à la fois de mélancolie et de tension. Un climat subtil et dérangeant qui fait de ce roman une expérience troublante.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean Esch.
Éditions La Table Ronde 2023.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : emma cline
28/08/2023
Pauvre folle
"Mise en joue par son père, pupilles dans les pupilles, fusil de chasse pointé. Une longue hésitation, puis elle fut épargnée, rien sur le plan physique. Mais d'un point de vue psychique, la balle est bien partie. C 'est le dedans de la tête qui a été touché, le dedans qui a explosé , sur les parois de son crâne, il y en avait partout .Des bouts du Moi de Clotilde qui s’appelait encore Valérie. "
Le temps d'un voyage en train (direction Heidelberg), Clotilde extrait de son crâne, sous forme de gouttelettes aux formes et textures variées, des souvenirs qui, espère-t-elle lui permettront de comprendre pourquoi il y a dix ans elle est tombée amoureuse d'un gay, Guillaume.
Tous deux s'étaient créé, grâce aux mots ,un univers parallèle, où leurs identité fusionnaient. Depuis dix-sept mois, Guillaume a fait sa réapparition, et bien que ses ami.e.s ne cessent de lui dire qu'elle est dans le déni et que Guillaume ne quittera jamais son amoureux, Clotilde s'obstine.
Clotilde/Chloé prend à bras le corps le fil de sa vie , du premier choc esthétique grâce à la poésie , en passant par le féminicide de sa mère ,sa bipolarité, évoque sans honte (et avec humour) son passé de pute pour masochistes (souvent très fatiguant physiquement) et embarque le lecteur dans ce voyage chatoyant mais sans pathos.
Elle nous régale aussi avec sa "petite typologie du mâle hétérosexuel post # Me Too" car Clotilde est bien sûr féministe et n'hésite pas à tacler au passage le milieu du cinéma auquel appartient Guillaume. J'ai parfois pensé en la lisant à une autrice oubliée, Muriel Cerf, tant on sent que Chloé Delaume se régale à jouer avec les mots et à se bâtir , grâce à eux, un univers plus coloré, plus riche de sensations. D'aucuns y verront peut être du nombrilisme, mais j'ai été emportée par ce roman qui se joue de la bien-pensance.
Le Seuil 2023;
06:02 Publié dans Rentrée 2023, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : chloé delaume
27/08/2023
Trencadis...en poche
"Trencadis est le mot (catalan) qu'elle retient. une mosaïque d’éclats de céramique et verre , lui explique-t-on. De la vieille vaisselle cassée et recyclée pour faire simple. Si je comprend s bien le Trencadis est une cheminement bref de la dislocation vers la reconstruction. Concasser l'unique pour épanouir le composite, broyer le figé pour enfanter le mouvement, briser le quotidien pour inventer le féérique, c'est cela ? Elle rit: ça devrait être presque un art de vie, non ? "
Caroline Deyns, dans ce roman a choisi de privilégier des moments forts de la vie de Niki de saint Phalle. Une vie où le corps féminin est extrêmement présent car "Le fait est qu'elle possède un corps à géométrie variable, extraordinairement réactif au milieu qui l'entoure, des tripes modulables et rétractiles qu'un espace charpenté au cordeau parvient à compacter au format cube à angles aigus."
Un corps d'abord sujet , objet des violences de la mère (coups de brosse) puis abus sexuels du père, un corps qui lui permettra de devenir modèle de mode, puis sujet quand la rebelle deviendra une artiste s'emparant de toutes sortes de formes artistiques.
Une femme qui vivra plusieurs passions amoureuses, dans une grande liberté bien en avance sur son époque, qui extraira de son "magma d'émotions intimes", des œuvres toujours accessibles comme le souligne Carolyne Deyns. Et l'écriture de devenir un flot charriant les émotions de Niki, mais aussi une peinture sans affèteries du corps vieillissant de l'artiste, imaginant le dialogue par delà la mort avec Jean Tinguely , qui fut à la fois son compagnon dans la vie et dans l'art.
Un roman plein d’énergie qui rend compte avec talent d'une existence riche et multiple.
06:03 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : caroline deyns
26/08/2023
Cher Connard ...en poche
"Si je parle, je déclenche la haine. Si je me tais, j’étouffe. "
Zoé, jeune femme de trente ans, balance sur les réseaux sociaux le harcèlement dont , attachée de presse débutante, elle a été victime des années auparavant., de la part d'Oscar, romancier un peu connu. Face au déferlement de haine , dont ils sont tous deux victimes , ils vont se rapprocher, sans le savoir, de Rebecca, actrice célèbre , qui doit affronter la cinquantaine et les dix kilos qu'elle a en trop.
Oscar et Rebecca vont échanger des lettres , évoquant d'abord leur enfance commune (Rebecca étant amie avec la sœur d'Oscar), au sein de familles modestes, mais aussi leurs addictions (drogues, alcool). Au fil des messages, faisant face au confinement, leurs relations vont évoluer, allant, peut être vers un apaisement.
Les réseaux sociaux, les luttes intestines entre mouvances féministes, les pressions faites aux femmes (une très belle énumération des dissociations dont elles sont victimes), mais aussi par petites touches, la dégradation d'une société où les machines semblent supérieures aux hommes, Virginie Despentes porte son regard acéré un peu partout et même si parfois cela reste un tantinet superficiel, cela n'en reste pas moins nécessaire.
Tout ce qui concerne les addictions et la manière dont les protagonistes vont s'en défaire est un peu trop détaillé mais présente un point de vue original.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : virginie despentes
25/08/2023
Quand tu écouteras cette chanson...en poche
"Comment l'appeler son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment ? Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre ? Celle d'une adolescente enfermée pour ne pas mourir, dont les mots ne tiennent pas en place. "
Il est des lieux, parfois même vides, mais tellement chargés d'émotion qu'ils ne peuvent manquer de susciter le silence, l'angoisse, voire la fuite. Quand elle a choisi pour la série "Ma nuit au musée" de séjourner dans le lieu qui accueillit Anne Frank, ses parents, sa sœur et quatre autres personnes, Lola Lafon ne pouvait prévoir l'effet que produirait sur elle la chambre de l'adolescente: qu'elle deviendrait presque un lieu tabou. Pourtant l'autrice met souvent au cœur de ses romans des jeunes filles qui "se confrontent à l'espace qu'on leur autorise". Autre point commun: "Toutes , aussi, ont vu leurs propos réinterprétés , réécrits par des adultes."
En effet quand le Journal est paru, après-guerre oblige, l'heure était à la réconciliation avec l'Allemagne et il fallait gommer les propos trop virulent d'Anne Frank à leur encontre. Cela alla même aux États-Unis, jusqu’à donner un tour joyeux à cette œuvre transformée en comédie musicale à succès !
Le grand mérite de ce texte , d'une très grande sensibilité, est non seulement de souligner la volonté d'Anne Frank de rédiger un texte littéraire, mais encore de nous rendre pleinement vivante cette jeune fille trop souvent réduite à quelques clichés (dans tous les sens du terme).
Quand tu écouteras cette chanson prolonge la réflexion en creusant l'histoire familiale intime de l'autrice, via ses grands parents, mais élargit aussi le propos en redonnant vie à un très jeune homme croisé par Lola Lafon , victime du génocide perpétré par les Khmers Rouges. Un texte dont la sincérité et l'émotion serrent le cœur.
06:01 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lola lafon