12/05/2024
Croire aux fauves...en poche
"J'ai perdu ma place, je cherche un entre-deux. Un lieu où me reconstituer. Ce retrait-là doit aider l'âme à se relever. Parce qu’il faudra bien les construire, ces ponts et portes entre les mondes; parce que renoncer ne fera jamais partie de mon lexique intérieur."
Spécialiste des populations arctiques, l'anthropologue Nastassja Martin est attaquée par un ours le 25 août 2015. Tels sont les faits .
Mais la principale intéressée préfère évoquer l'événement en tant que rencontre et échange, car si l'ours l'a défigurée, emportant en lui une partie du visage de l'humaine , elle-même estime que les frontières entre humain et animal sont poreuses et qu'elle a donc gardé en elle quelque chose de l'ours.
En effet, l'ours n'est pas n'importe quel animal, il faisait partie selon l'auteure de sa destinée, de son rêve et la rencontre était inéluctable.
L'animisme est au cœur de ce récit exigeant et poétique qui raconte tout à la fois une reconstruction mais aussi la nécessité d'instaurer "une négociation au sujet du monde dans lequel nous allons vivre."
Un récit enthousiasmant.
09:43 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nastassja martin
10/05/2024
L'heure des femmes...en poche
"Oui, pourquoi les femmes ne profiteraient -elles pas de ce formidable élan de vie pour prendre enfin leur place dans cette société en pleine mue ? "
De nos jours, une jeune femme est chargée par une amie éditrice de collecter des informations sur celle qui , à l'heure de la sieste, sut donner la parole aux femmes et surtout les écouter : Menie Grégoire. En 1967, à la radio on dialoguait à propos"de thèmes sociétaux importants dont personne ne parlait publiquement à l'époque. Il y avait la sexualité bien sûr. Mais aussi la contraception, l'avortement , les problèmes de couple, de famille, l'éducation des enfants. Sans parler de l'inceste dans les familles. "
A une époque où les femmes , pour la plupart n'avait aucune éducation sexuelle, aucun accès à la contraception et enchaînaient les grossesses , où l'avortement entraînait la mort de très nombreuses femmes, c'était révolutionnaire.
Et pourtant, Menie était une femme d'origine bourgeoise, capable d'organiser de grands dîners , d’élever ses deux filles et d'écouter avec empathie, sans juger les femmes de toutes origines sociales.
C'est un grand plaisir de la retrouver par le biais de ce roman écrit par sa petite fille, Adèle Bréau. Ni hagiographie, ni portrait à charge, mêlant fiction et réalité, de l'aveu propre de l'autrice, ce roman nous rend Menie Grégoire proche et formidablement vivante. Les récits qui s'entremêlent et donnent à voir le destin de femmes modestes qui croisèrent celle qu'on appelait "La dame de cœur" sont aussi très réussis , un peu moins celui-mettant en scène le personnage principal, car trop démonstratif à mon goût. Une réussite néanmoins qui permettra de (re) découvrir cette grand dame dont la voix résonne encore à mes oreilles.
Jean-Claude Lattès 2023.
06:01 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : adèle bréau
09/05/2024
Printemps...en poche
"Si vous passez devant un buisson ou un arbre, vous ne pourrez pas ne pas l'entendre ce bourdonnement mécanique, la nouvelle vie déjà à l’œuvre, l'usine du temps. "
Le printemps est la saison où le temps semble parfois devenu fou, alternant froidure brutale et soleil estival , où la mort et la vie semblent lutter pied à pied . Ce n'est en rien une saison mièvre et Ali Smith nous le démontre dans cet opus particulièrement déstabilisant, violent et captivant pour qui accepte de se laisser malmener dans sa lecture.
Flots de paroles violentes anonymes (provenant des réseaux sociaux, des médias, de la rue ? ) captant bien la Grande-Bretagne contemporaine, claironnant la haine de l'Autre, de l’étranger, dévalent d'emblée sur le lecteur telle une avalanche étouffante.
Cette image de l'avalanche reviendra par ailleurs, sublimée par l'évocation des œuvres d'une artiste , Tacita Dean. car il est aussi beaucoup question d'art et de distorsion de la réalité.
Nous croiserons ainsi la route de Richard,réalisateur de télévision, qui ne se remet pas du décès de son amie Paddy, sur le point de participer, sans grand enthousiasme, à un projet mettant en scène Rilke et Katherine Mansfield. Comment rencontrera-t-il Bretagne , gardienne dans un centre de rétention et cette mystérieuse petite fille, Florence, qui semble hypnotiser tous ceux qu'elle croise et les plier en douceur à sa volonté ?
C'est tout l'art d'Ali Smith que de flouter les frontières dans un pays qui les réaffirme avec force ,de générer le chaos ,afin de mieux souligner celui du monde dans lequel nous évoluons. Un roman éprouvant mais nécessaire.
Grasset 2022. Traduit de l'anglais par Laetitia Devaux. Un travail remarquable.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ali smith
08/05/2024
Far Ouest...en poche
Quel plaisir de voir enfin en poche ce roman sorti en ...2008 !
”Elle avait simplement voulu commettre un bonheur”
Oui, vous avez bien lu "Commettre" et non pas "connaître" un bonheur.Mais bien évidemment, quand Sixtine adopte Dalton, croisé de setter gordon et de lévrier afghan, emprisonné dans un refuge depuis de trop longues années, c'est le début d'une très belle relation entre la jeune femme éprise de liberté et le chien apparemment inapte au bonheur.
On sourit quand Sixtine "se dit qu'elle n'avait pas réalisé à quel point il était gênant de passer une soirée en tête à tête avec quelqu’un qu'on en connaît pas,qu'il fût humain ou pas. même s'il ne parlait pas, elle aurait au moins aimé qu'il manifeste plus d'enthousiasme en découvrant son nouveau confort, qu'il lui témoigne tout de suite plus de reconnaissance, qu'il se comporte comme une sorte d'acteur hollywoodien qui traverse le séjour en décrétant qu'il va prendre une bonne douche et se sert au passage un scotch on the rocks qui lui fait fermer les yeux de plaisir.". Ou quand elle trouve le moyen de contourner un règlement imbécile pour ne pas quitter son chien dans un magasin d'alimentation...On a les larmes aux yeux quand , enfin, Dalton " manifeste du bonheur , qu'il se révèle capable de quitter son monde des morts sans expression." Bien sûr le bonheur de l'un va déteindre sur l'autre car "Dalton était devenu un prétexte de bonheur. Ce que Sixtine n'aurait pas fait pour elle-même, elle le faisait pour Dalton."
En contrepoint, un peu artificiel à mon goût, nous suivons le périple de la sœur aînée de Sixtine qui, veuve, quitte les États-Unis et rentre en France avec le vague espoir de renouer avec celle qu'elle connaît à peine. Un peu caricatural mais amusant ce personnage devient peu à peu pathétique...
Quant à la fin du roman, elle m'a fait penser à celle, très poétique, du film "Crin Blanc"...
Les personnages de Far-Ouest ne sont pas être pas suffisamment fouillés mais en même temps cela nous donne tout le loisir de compléter à notre guise ce été esquissé et de passer un excellent moment sur les plages de l'Atlantique , en mangeant des chouquettes, en compagnie de ceux qui sont devenus nos amis, Sixtine,Dalton et la jument Fidèle .
Un premier roman sensible et émouvant de Fanny Brucker ,dédié à ...Dalton !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : fanny brucker
07/05/2024
#Assisedeboutcouchée #NetGalleyFrance !
Mais si on accepte que la mort d'un animal nous plonge dans une telle douleur, ne doit-on pas aussi accepter la valeur de sa vie ? C'est peut-être pour ça que le deuil canin reste un impensé. Parce qu'il nous force à envisager la valeur de ces vies animales que nous concevons si volontiers comme mineures ou sacrifiables.
Depuis l'enfance, La vie d' Ovidie est liée à celle des chiens. Le chien est en effet le garant de sa sécurité quand elle part faire des courses à vélo. Le chien est toujours le garant de la sécurité des femmes quand elles décident, ces insensées, de marcher seules en forêt, ou en campagne. Pourquoi croyez-vous que mon beagle et moi parcourons toujours ensemble les champs alentours ?
La thèse d'Ovidie, et j'y adhère volontiers est que si les chiens et les femmes ont créé un lien si fort c'est parce qu'ils sont tous deux, sous des formes différentes , victimes de la violence de la société patriarcale. Mêlant récit personnel et informations historiques, Ovidie nous offre ici un texte sensible et fort qui ne pourra que toucher (mais aussi instruire ) tous les ami.e.s des canidés.
J-C Lattès 2024.
Merci à l'éditeur et à Netgalley.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ovidie
06/05/2024
La théorie des ondes
La naissance d'un drame est indubitablement question d'ignorance. Tout au moins de perte: de soi, des autres, du passé oublié au profit d'un avenir sans cesse plus urgent, plus rapide, sans pieds ni jambes pour tenir debout.
Chalon-sur Saône est en proie au monstre Carnaval. Mais un autre monstre a sévi laissant au bord de la rivière le cadavre d'une très jeune fille. Une découverte qui réveille de bien tragiques souvenirs car plusieurs assassinats de jeunes filles sont restés inexpliqués.
Catherine Gauthier, ancienne flic devenue assistante d'un avocat entêté, Pierson,va mener l'enquête et tous deux vont tenter de faire rouvrir ces "cold cases".
Pascale Chouffot choisit une héroïne atypique (elle ne ressent plus la douleur) mais laisse la part belle à l'humanité de ses personnages. Remontant le temps, elle évoque d'autres monstres, d'autres ogres qui prennent des formes différentes (PDG soucieux de rentabilité mais pas d'humanité, par exemple) et nous fait découvrir la situation des "colons du Morvan", orphelins ayant subi les pires horreurs avant que justice leur soit rendue en 1911. Un roman haletant que j'ai dévoré en deux jours.
Éditions du Rouergue Noir 2024, 426 pages .
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : pascale chouffot
04/05/2024
Lemon...en poche
Certaines vies sont injustement cruelles, et nous continuons à vivre en les ignorant comme de misérables insectes. "
Un féminicide commis sur une très jeune et très jolie femme vêtue, au moment de sa mort, d'une robe jaune est le point de départ de ce roman à la structure en apparence éclatée.
Il faut accepter, dans un premier temps, de se laisser flotter un peu avant d'identifier les narratrices principales, toutes trois liées à la victime, sa sœur et deux amies , obsédées par ce crime demeuré impuni en apparence...
Roman d'atmosphère, Lemon est aussi un roman qui dépeint une société brutale (voir la scène d'interrogatoire initiale) où ceux qui sortent de la norme sont rejetés. C'est enfin un roman à la structure assurée qui sème des indices et permet au lecteur de se faire sa propre opinion sur les personnages.
150 Pages. Traduit du coréen par Kevin Jasmin Hamard.
Éditions La Croisée 2023
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : kwon yo-sun
03/05/2024
L'invitée...en poche
"Alex garda les yeux baissés. Elle avait l'habitude de s'effacer, de faire comme si les choses qui étaient en train de se produire n'étaient, en fait, pas en train de se produire. "
Alex a vingt-deux ans et elle est L'invitée de Simon, riche quinquagénaire qui l'a emmenée dans sa maison de Long Island. Là, l'été touche à sa fin et Alex profite de la plage et dérobe les cachets antidouleur de son hôte pour mieux supporter la réalité clinquante d'un monde où elle n'a en fait pas sa place.
Nous découvrons rapidement qu'Alex analyse chaque faits et gestes des gens qui l'entourent pour mieux s'adapter à leurs désirs et les manipuler. Cette tension permanente est très coûteuse émotionnellement, même si Alex a appris à se dissocier dans certaines situations trop humiliantes ou violentes. Un soir, elle commet un faux-pas , est chassée par Simon.
La jeune femme refuse d'admettre la réalité des faits et seule, sans ressources, sans amis, menacée par une connaissance qu'elle a trahie et volée, comme elle le fait avec chacun, elle se persuade que Simon l’accueillera dans une semaine lors de sa fête du Labor Day. Lui reste alors à trouver de quoi subsister dans ce microcosme de gens riches qui vivent dans l’entre-soi et se croient en sécurité.
Emma Cline peint avec subtilité et férocité ce monde cossu où la violence est sourde. La dérive d'Alex , qui passe on a envie de dire d'une main à une autre, d'un milieu social à un autre, est teintée tout à la fois de mélancolie et de tension. Un climat subtil et dérangeant qui fait de ce roman une expérience troublante.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean Esch.
Éditions La Table Ronde 2023.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : emma cline
02/05/2024
Les Loups de Babylone
"Dans une sorte de vertige, il s'aperçut qu 'il avait plongé dans un monde dont il ne connaissait rien. Un monde où le Mal était possible, non pas le grand Mal qui fait peur aux enfants dans les contes de fées qu'on lui avait lus, enfant. Mais un petit mal ordinaire, un peu sale, veule. Un Mal de tous les jours."
Une officière de gendarmerie qui, pour échapper à une relation toxique, a demandé sa mutation à Millau. Une adolescente fragile, Cassandra, qui atterrit, par hasard dans une famille d'accueil du coin et va se lier d'amitié avec Estéban Perrault, un enfant d'une communauté écolo radicale qui vit en autonomie sur les Causses du Tarn. Tels sont les personnages dont les destinées vont se croiser par l'intermédiaire d'une disparition inquiétante : celle d'une jeune zadiste vue pour la dernière fois dans l'estive où paissent les moutons de la communauté.
Il paraît que des loups rôdent la nuit sur les causses, mais le Mal prend des formes beaucoup plus anodines. Et si les références à la mythologie et aux contes sont semées comme autant de petits cailloux, c'est peut-être pour mieux nous rappeler que mieux vaut se fier parfois à ceux qui nous paraissent les plus cabossés, les plus fragiles pour se tirer d'affaire...
La nature joue un rôle essentiel dans ce récit . Ce sont d’ailleurs certains de ses habitants qui délivreront la solution d'un des mystères de ce roman qui ne ménage pas ses effets et fait la part belle à des personnages qu'on quitte à regret.
Un roman addictif.
Éditions la manufacture de livres 2024.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : anne percin
30/04/2024
De vengeance
"L'ennui, avec la plupart des humains, c'est qu'ils parlent. Ils communiquent. Ils mettent le nez dans vos affaires. Ils ne peuvent pas s'empêcher de vous créer des problèmes. Ils sont difficiles à contrôler. Ils élaborent des scénarios. Ils suspectent. Ils errent. Ils sont difficiles à cerner. leurs actions sont souvent impossibles à prévoir. Ils mentent. Ils jouent la comédie. Ils sont méchants. "
La narratrice tue accidentellement un camarade de classe. Son crime demeure impuni. Coup de chance : elle vient de trouver sa vocation et s'en réjouit. Seul regret: elle ne peut s'en vanter. D'emblée le ton est donné : nous voici avec une tueuse en série qui va, peu à peu, monter en puissance et se débarrasser de ceux qu'elle estime nuisibles à des degrés divers: cela va de celui qui manque l'écraser à celui qui ne ramasse pas les crottes de son chien. Pour commencer.
Socialement bien intégrée, patiente (très patiente), intelligente et organisée, elle passe inaperçue et en joue.
Pour elle, c'est un "passe-temps" que de se venger. Mais elle pratique cette activité avec beaucoup de distance et ne connaît pas toujours le résultat de ses actes, libre au lecteur de l’imaginer. Contrairement à d'autres tueurs en série, elle ne paraît pas outrageusement dérangée et tout l'art de l'autrice , pour peu qu'on apprécie l'humour noir (très noir), est de nous rendre acceptable son comportement...Une lecture intensément jubilatoire.
Et zou sur l'étagère des indispensables !
Éditions Dépaysage 2022, 151 pages à lire et relire.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : j.d. kurtness