11/05/2019
La fille de la supérette/kombini...en poche
"Ainsi donc le corps, éprouvé par le travail physique, finit par ne plus être "utile". Peu importent le sérieux et l'ardeur que je mets à l'ouvrage, avec les ans, moi aussi, je suis sans doute condamnée à devenir un produit inutile dans cette supérette."
Depuis l'enfance, Keiko a conscience de sa singularité dans la société nipponne où elle est née. Pragmatique à l'excès, elle décide ainsi de séparer à coups de pelle deux enfants qui se battent à l'école primaire, au grand dam des adultes présents, bien évidemment ;(scène qui m'a fait hurler de rire , tant le contraste est grand entre le problème posé et la manière dont il est résolu !).
Intelligente, Keiko met en place très tôt des stratégies pour passer inaperçue (tant au niveau du langage que de l’habillement) et ne plus attirer l’attention sur elle.
Décrochant dans un job d'étudiant dans une kombini, supérette ouverte 24 h sur 24 , 365 jours par an, Keiko connaît enfin le bonheur, tant l'univers organisé de façons quasi militaire correspond à ses aspirations. Diplômée de l'université, elle ne postule pourtant pas à un autre emploi, au grand désespoir de ses parents, qui rêvent de la voir mariée et mère de famille.
L'arrivée au kombini d'un jeune homme atypique va peut être changer la donne.
Quel régal que ces 143 pages constellées de marque-pages ! De manière parfois crue, l'auteure se livre ici à une critique en règle de la société japonaise et de ses diktats. L'humour noir, hyper transgressif, qui apparaît par petites touches, la fin,glaçante, font en outre de ce roman une lecture hautement réjouissante.
Et zou sur l'étagère des indispensables !
Traduit du japonais par Mathilde Tamae-Bouhon
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sayaka murata
10/05/2019
Le dernier amour de Baba Dounia
"Parce que s'il y a bien une chose que nous n'avons pas à craindre , ici, ce sont les épidémies qui touchent le reste du monde."
Elle ne rajeunit pas Baba Dounia. C'est vrai, comme elle le dit volontiers: "Je n'ai plus quatre-vingt deux ans.". Pourtant elle a été la première à revenir s’installer, seule, dans cette zone proche d'une centrale nucléaire qui a explosé,zone où des scientifiques viennent juste effectuer des prélèvements.
Là, elle entretient des rapports épisodiques avec les quelques habitants qui l'ont suivie, l'instaurant presque malgré elle, personne référente de cette communauté qui n'en est pas vraiment une.
Par son optimisme, elle force l'admiration Baba Dounia et devient même , sans presque s'en rendre compte une personnalité connue au-delà des frontières.
Le contraste est saisissant entre ce qu'on attendrait d'une telle situation, dramatique au possible, et la manière, pleine de tendresse et d’humour dont la traite l'auteure, sans aucun pathos.
On aimerait bien ressembler à Baba Dounia quand on aura atteint son âge, sans forcément habiter au même endroit !
Actes Sud 2019, traduit de l'allemand par Isabelle Liber.
De la même auteure : clic. (vient de sortir en poche, chez Babel)
Cuné a adoré.
Merci Clara !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : alina bronsky
09/05/2019
L'encre vive
"Car son expérience l'amenait aujourd'hui à reconnaître que ce qu'elle avait considéré jusque_là comme allant de soi, une position sociale, n'était jamais définitivement acquis."
Marie King, cinquante-neuf ans, a élevé trois enfants, maintenant grands ,et après son divorce, se retrouve seule avec son vieux chat dans ce qui était la maison familiale. Elle s'occupe de son immense jardin , boit un peu trop et dépense comme au temps de sa vie confortable, même si elle n'en a plus vraiment les moyens.
Un jour ,sur une impulsion, elle se fait faire un tatouage et c'est tout un monde qui s'offre alors à elle, au grand dam de ses enfants.
C'est donc par le biais d'une artiste tatoueuse, qui deviendra une amie, voire une guide, que Marie va peu à peu reprendre le contrôle de son existence et affronter les épreuves qui l'attendent.
L'encre vive est rempli de fleurs, d'arbres et de plantes qui semblent s'évader du jardin de Marie pour venir s'inscrire dans sa peau de manière irréversible, alors même que notre héroïne va devoir accepter progressivement toute une série de pertes.
Marie prend aussi progressivement conscience de son aveuglement volontaire concernant ses prétendus amis et va nouer des liens plus intenses avec des gens de milieux bien différents.
Alternant les points de vue, l'auteure ne perd pourtant jamais son lecteur qui dévore, presque sans s’en-rendre compte les 537 pages de ce magnifique portrait de femme, pages bruissantes de marque-pages.
Et zou, sur l’étagère des indispensables !
Actes Sud 2019, traduit de l'anglais (Australie) par Isabelle Mailler.
Cuné a adoré.
Clara a beaucoup aimé aussi.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : fiona mcgregor
08/05/2019
Tsun-dico
Nous pratiquons, toutes et tous,à des échelles différentes, avouons-le, le tsundoku, mot japonais désignant "l'accumulation de livres qui ne sont jamais lus"...Un mot qui mériterait d'entrer dans notre vocabulaire, non ? Il n'est pas le seul.
Sabine Duhamel s'est amusée ainsi à recenser 200 mots que le français devrait emprunter aux autres langues et c'est un pur régal pour les curieux et les amoureux des mots !
Ainsi voudrions-nous tous profiter du kwadi, terme issu d'un dialecte brésilien traduisant "le bien-être que l'on ressent lorsqu'on se réchauffe et paresse au soleil".
Faute de mieux, les finlandais ont un terme pour évoquer le fait de "se prendre une cuite seul chez soi et en sous-vêtements" (!) : kalsarikannit. Plus conviviaux, les Allemands pratiquent le fruhschoppen, soit le fait de "boire en bonne compagnie des boissons alcoolisées dès le matin", ce qui peut, mine de rien, si l'on enchaîne amener à la walk of shame britannique, soit littéralement "chemin de la honte" et désignant le fait de "rentrer chez soi en titubant parce qu'on a trop bu ou rejoindre son domicile au lendemain d'une soirée avec une énorme gueule de bois et ses vêtements sales de la veille". Ne reste plus qu'à offrir à sa douce (ou son doux )pour se faire pardonner un Drachenfutter allemand (littéralement nourriture du dragon), soit un cadeau pour l’amadouer.
Rassurez-vous tout ne tourne pas autour de la boisson , loin s'en faut , et c'est un pur régal que de découvrir ces termes hyper précis, révélateurs des particularités de plus de 70 langues et /ou dialectes !
Autrement 2019.
06:00 Publié dans l'amour des mots | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : sabine duhamel
07/05/2019
Nous sommes à la lisière
"Ses histoires à elle, pourtant, n’inventent pas d'autres mondes. Pas d'autres amours non plus. Il leur suffit d'être complices de quelques vies sauvages."
Cheval, fourmis, hérisson, écureuil, chat ou oiseaux, entre autres, peuplent les nouvelles de Caroline Lamarche.
En effet, ce sont eux les héros, dûment prénommés, donc dotés d'une identité propre, avec lesquels au moins un humain entre en interaction .
Cette dernière peut être brève, peut être en apparence anecdotique, mais elle fait résonner de manière un peu différente les existences en tous points ordinaires qui nous sont ici relatées en quelques pages poétiques et d'une précision extrême.
Qu'elle s'arrête pour aider un hérisson à traverser la route et l’amoureuse de la nouvelle Ulysse, reliera par des liens éclectiques, mais toujours pertinents, cette rencontre fugitive avec ses propres interrogations lors d'un repas où se révèleront des enjeux qu'elle n'était peut être pas prête à admettre.
La plus longue et la plus émouvante nouvelle, Frou-Frou, évoque une histoire d'amour hors-normes, à bien des égards et témoigne de l'art de l'auteure pour évoquer avec délicatesse et sensibilité des émotions intenses mais sourdes.
La nature est souvent en danger dans ces textes, mais ses habitants, aux vies parfois éphémères, témoignent d'une volonté de vie et de liberté qui émeuvent au plus haut point.
Un grand coup de cœur! Et zou sur l'étagère des indispensables !
Gallimard 2019, 165 pages en apparence simples.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, nouvelles belges | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : caroline lamarche
06/05/2019
#LaDanseDuTemps #NetGalleyFrance
"Elle avait éprouvé la même chose durant son enfance; elle avait l'impression d'être une adulte responsable dans le corps d'une petite fille."
Entre un père très (trop) doux et une mère psychiquement instable, Willa a très jeune fait le choix d'être pacifique.
Son existence sera donc une suite de renoncements apparents jusqu'à ce que la soixantaine atteinte, Willa qui devenue veuve s'est remariée et a deux grands fils qui entretiennent avec elle des liens sporadiques, reçoive un jour un coup de fil.
Une très ancienne petite amie de son fils a besoin de son aide pour s'occuper temporairement de celle qui aurait pu être sa petite fille. Voyant là l’occasion de se rendre utile, Willa quitte sa vie confortable et va découvrir une toute autre vie à Baltimore, au grand dam de son mari qui entend bien que l’expérience ne s'éternise pas.
Choisissant des moments marquants de l'existence de cette femme, Anne Tyler choisit la toute fin de son roman pour lui impulser une soudaine embardée, montrant ainsi que rien n'est irrémédiable.
Un roman confortable qui peut parfois agacer mais qui ne fait pas pour autant la part belle aux bons sentiments.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : anne tyler
05/05/2019
#MêmePasMoi #NetGalleyFrance
"Je ne veux réfléchir à rien. Je veux foncer, vivre. Y croire. Être une autre ou même moi. Quelque chose, un truc."
Pierre a quitté Elsa. Qui ne s'en remet pas. Alors, elle pense au suicide, tente la psychanalyse, la voyance par téléphone, le voyage au bout du monde, le lifting.
Elle qui s'est toujours sentie décalée repense aussi à son enfance, à son adolescence et à ses soirées au Palace.
Le synopsis est mince, j'ai cherché en vain l'autodérision et l'émotion. Quant à l'écriture, elle est souvent oralisée et se compose principalement de phrases juxtaposées.
Stock 2019.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : stéphanie murat
04/05/2019
Ponti
"Amisa considéra son nouveau mari. Elle n'arrivait pas à l'imaginer au-delà de trente ans, pas plus qu'elle-même d'ailleurs. La jeunesse semblait infinie, surabondante et nécessaire, comme un distributeur de mouchoirs inépuisable."
Dans ce premier roman, Sharlene Teo entrecroise les récits et les vies de trois femmes à Singapour : Amisa, jeune fille pauvre dont la beauté l'a amenée à incarner l'héroïne d'une série de films d'horreur devenus cultes qui vit maintenant recluse; sa fille, Szu, sorte de vilain petit canard, confite dans l'admiration d'une mère qui la supporte à peine et Circé, l'exact opposé de la précédente, adolescente bien dans sa peau.
Les deux jeunes filles vont nouer une amitié intense, même si tout semble les opposer.
Devenues adultes, elles vont se recroiser et , pour Circé, ce sera l'occasion de revenir sur la manière dont tout s'est soudain brisé.
Sharlene Teo dépeint à merveille l’atmosphère de Singapour et la manière subtile dont peut se déliter une amitié ,mais le roman perd en intensité dramatique dans sa dernière partie et c'est dommage. Une auteure à suivre néanmoins.
Traduit de l’anglais (Singapour) par Mathilde Bach, Buchet-Chastel 2019.
Cuné a adoré.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : sharlene teo
03/05/2019
Macadam Butterfly
"J'enterrerai donc deux fois ma jeunesse aujourd'hui. Une première avec ma petite chienne dans les dunes qu'elle aimait tant, et une deuxième avec ma grand-tante dans le village de bord de mer où elle a passé la fin de sa vie."
Être dans les toilettes d'un bar parisien quand une fusillade éclate au dessus de soi, se faire draguer par le petiote qu'on gardait autrefois (elle a bien grandi la petiote), courir à perdre haleine dans une ville la nuit à cause d'un texto, faire disparaître tout ce qui pourrait être gênant pour la famille d'un ami/amant décédé et dénicher des trésors de délicatesse bien enfouis, ouvrir la porte de l'appart de sa sœur et découvrir son choix irréversible...
Dans beaucoup des nouvelles qui composent ce recueil à dominante urbaine, Tara Lennart choisit d'envisager une situation sous un angle particulier et pertinent à la fois. L'écriture est parfois sensible, parfois crue et si certains textes sont plus prévisible et convenus dans leur volonté de courir vers une chute parfois crade, il n'en reste pas moins que j’ai globalement été séduite par ce Macadam Butterfly, plus délicat qu'il n'y paraît au premier abord.
Éditions Rue des Promenades 2019, 205 pages.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : tara lennart
02/05/2019
En lieu sûr...en poche
"La jeunesse, ça n' a rien à voir avec l'âge chronologique. La jeunesse, ce sont les périodes d'espérance et de bonheur."
Deux couples, devenus amis dans les années trente, se retrouvent à l’occasion d'un anniversaire, alors qu’ils ont atteint l'âge de la retraite. Ces retrouvailles sont l'occasion de retours en arrière et d'analyses fouillées des liens complexes qui les unissent.
Les épreuves ne leur ont pas été épargnées, et ce qui aurait pu les séparer, à savoir les différences sociales, sont ici traitées avec finesse.
D'inspiration autobiographique, ce roman traite de l'amitié avec justesse et sans manichéisme. Les personnages sont envisagés dans leur complexité et leur évolution au fil du temps est passionnante.
Un roman autour duquel je tournais depuis longtemps et que j'ai enfin pris le temps de savourer.
Traduit de l’américain par Eric Chédaille, Gallmeister Totem 2017. 414 pages.
05:55 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : wallace stegner