06/03/2019
#LesGratitudes #NetGalleyFrance
"Je chéris le tremblement de leurs voix. Cette fragilité. Cette douceur. Je chéris leurs mots travestis, approximatifs, égarés , et leurs silences."
Même s'il y a bien eu des signes avant coureurs, c'est venu d'un coup: Michka la vieille dame chérie par Marie, ne peut plus rester seule. Les mots lui échappent de plus en plus et elle est tombée dans son salon.
Placée en Ehpad , la vieille dame reçoit régulièrement la visite de Marie,ainsi que celle d'un orthophoniste, Jérôme.
Leurs points de vue , ainsi que celui, biaisé de Michka, qui raconte de manière cauchemardesque des événements dont on ne sait s'ils sont réels ou rêvés, alternent pour brosser de manière sensible et tendre le portrait de cette femme qui s'éloigne de plus en plus de celle qu'elle a été.
Tourmentée par une gratitude qu'elle n'a pu exprimer, Michka sera aidée par ses deux amis pour mener à bien cette mission.
On ne peut qu'être séduit par la délicatesse dont fait preuve à son habitude Delphine de Vigan.
Seul bémol : la volonté de vouloir à tout prix terminer sur une note trop optimiste, ce qui gâche un peu le plaisir du lecteur.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : delphine de vigan
05/03/2019
Personne ne disparaît...en poche
"Tout ce que je pouvais dire pour expliquer mes piètres choix c'est que j’avais eu le sentiment général d'avoir besoin de partir, d'avoir besoin d'être la première à partir,le besoin de me barricader contre la vie que tous les autres semblaient vivre, la manière apparemment évidente, intuitive, claire et facile, et facile et claire pour tous ceux qui n’étaient pas moi, pour tous ceux qui se trouvaient de l'autre côté de cet endroit appelé moi."
Sur la seule foi d'une vague invitation, Elyria quitte, sans prévenir qui que ce soit, sa vie apparemment bien lisse de new-yorkaise trentenaire et s'envole pour la Nouvelle -Zélande.
Là, malgré les nombreuses mises en garde, elle choisit de rallier la chambre d'ami proposée, en faisant de l'auto stop. L'occasion de faire de multiples rencontres et de révéler au fur et à mesure de son périple ,tout autant géographique qu'intérieur, les véritables raisons de sa décision.
Une seule voix domine ce premier roman à l'écriture fluide et riche en métaphores. Un seul point de vue, très spécial car Elyria entretient une relation toute particulière à la réalité. Un personnage très attachant qui va se découvrir jusqu'au final un peu verbeux, mais d'une violence psychologique extrême ,qui serre le cœur.
Un coup de cœur ! Et zou sur l'étagère des indispensables, malgré ce petit bémol pour la fin !
Personne ne disparaît, Catherine Lacey, traduit de l'anglais ,( Etats-Unis) par Myriam Anderson,
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : catherine lacey
04/03/2019
Fair-play
"- Mari, dit Jonna, parfois tu es vraiment trop explicite.
-Ah oui ? Parfois, on doit pouvoir des choses inutiles, non ?
Elles reprirent leur lecture."
Mari et Jonna, les doubles de Tova Jansson et de sa compagne, Tuulikki Pietalä, partagent un appartement où elles disposent chacune d’un atelier, relié par un grenier commun.
Les deux femmes ont environ soixante-dix ans, mais ont su conserver une capacité créatrice qui s'exerce sous différentes formes artistiques. Elles voyagent à l’étranger, se rendent aussi dans leur maison insulaire où elles pêchent et s'opposent parfois avec véhémence aux chasseurs qui ne respectent pas les dates d'ouverture de la chasse.
Une grande complicité et une grande fraîcheur se dégagent de ces textes courts, lumineux où Mari évoque aussi bien sa pratique artistique que des détails du quotidien, rituels ou disputes ,passagères, tant les deux partenaires semblent bien rodées l'une à l'autre.
Ce n'est qu'à la toute fin qu Mari évoque de manière explicite ses sentiments pour Jonna avec une infinie délicatesse : " Mari l'écouta à peine. Une idée audacieuse était en train de prendre forme dans son esprit : celle d'une solitude, rien qu'à elle, paisible et pleine de possibilités. Une fantaisie qu'on peut se permettre quand on a le bonheur d'être aimé."
Un bonheur de lecture.
Fair-Play, Tove Jansson, traduit du suédois par Agneta Ségol, La Peuplade 2019, 141 pages emplies de bienveillance.
De la même autrice : clic , clic et reclic
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : tove jansson
27/02/2019
les cuisines du grand Midwest...en poche
"Après des dizaines d'années passées loin du Midwest, elle avait oublié que cette générosité déroutante était une manie répandue dans cette région."
Quand un jeune papa, féru de cuisine ,concocte pour sa fille qui vient tout juste de naître des menus sophistiqués pour les cinq premiers mois de sa vie, nul doute que celle-ci ne devienne une gastronome .
Et pourtant, il faudra bien des rebondissements pour que Eva Thorvald, l’adolescente, croqueuse aguerrie de piments ,n'accomplisse son destin.
Roman d'initiation , Les cuisines du grand Midwest utilise le biais de la cuisine, de la plus traditionnelle à la plus pointue, pour nous brosser le portrait d'une jeune femme que la vie n'a pas épargnée mais qui a toujours su faire face.
Si Eva est bien le fil rouge que nous retrouvons tout au long de ce texte, elle n'est pas forcément le personnage principal de chacun de chapitres qui donne alternativement le point de vue d'autres personnes croisées tout au long de sa vie. Ainsi, l'auteur, usant des ellipses, allège son récit tout en lui conservant sa densité. Un magistral chapitre final permet de réunir des éléments ayant joué un rôle dans la destinée d'Eva, mais n'en disons pas plus.
On prend beaucoup de plaisir à lire ce roman qui m'a parfois fait penser aux premiers textes de John Irving.
Entrecoupé de recettes de cuisine, le texte d'une apparente légèreté aborde des sujets graves sans jamais se prendre au sérieux, mais en faisant preuve de bienveillance et en évitant tous les pièges du pathos. Une magnifique réussite !
Les cuisines du grand Midwest, J. Ryan Stradhal, traduit de l’américain par Jean Esch, Editions Rue Fromentin 2017, 342 pages que j'ai quittées à regret.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : j. ryan stradhal
26/02/2019
La troisième Hemingway
" J'aurais beau me débattre, je n’arriverais pas à sortir de son ombre."
Si les deux premières femmes d'Ernest Hemingway avaient du caractère (et il en fallait sacrément pour faire face à "Papa" ) la troisième, Martha Gelhorn, fut la seule à demander le divorce et à refuser de lui faire une fille.
Romancière, correspondante de guerre sur de nombreux fronts, Paula McLain nous la décrit tiraillée entre son amour pour l'auteur de Pour qui sonne le glas et sa volonté d'exister par elle-même et par son travail.
Mais bien évidemment, l’œuvre de Gelhorn fut, à l'époque, surtout jugée à l'aune de Hemingway.
Un sujet en or dont Paula McLain tire un roman 474 pages, non dénuées de quelques longueurs et parfois hérissées de métaphore hasardeuses, voire de clichés qui ont quelque peu gâché ma lecture.
Merci à Babelio et aux éditions Presse de la Renaissance.
Traduit de l’anglais par Florence Hertz
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : paula mclain
25/02/2019
S'inventer une île
"Le fossoyeur avait raison, on avait besoin de repères, mais chacun devait trouver les siens."
Quand il apprend le décès accidentel de son fils , Tom, 7 ans, Dani est sur un chantier, en Chine. S'il rentre précipitamment pour affronter avec son épouse toutes les formalités du deuil, le père trop souvent absent refuse d'accepter la situation .
Alors que son épouse choisit de faire table rase du passé et de s'inventer une nouvelle vie, Dani voit apparaître son fils, non sous une forme évanescente , mais bien en chair et en os, discute avec lui . Finalement tous deux partent S'inventer une île et vivre d'une certaine façon tout ce qu'ils avaient raté, en raison de l'éloignement du père, tant géographique que mental.
On pourrait se sentir pris en otage par ce roman, d'autant qu'il est basé sur des faits réels, mais Alain Gillot évite tous les écueils du genre lacrymal et propose via des personnages secondaires ou non, différentes manières de vivre au quotidien avec les morts, voire de s’engueuler avec eux. Chacun fait comme il peut pour affronter l’insupportable , semble-t-il suggérer. Ces 208 pages disent l’essentiel, de manière délicate.
Éditions Flammarion 2019.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : alain gillot
21/02/2019
#LeChantDesRevenants #NetGalleyFrance
"Quelques jours plus tard, j'ai compris ce qu'il essayait de dire, que devenir adulte signifie apprendre à naviguer dans ce courant: apprendre quand se cramponner, quand jeter l'ancre, quand se laisser porter."
Trois voix portent le récit de cette famille noire du Sud des États-Unis. D'abord celle de Jojo, treize ans maintenant, enfant métis qui vit chez ses grands-parents noirs, chérit sa petite sœur Kayla, mais n'entretient que des relations sans illusions avec sa mère, Leonie qu'il n'appelle jamais "maman". Jojo voit les morts et en particulier Richie, jeune garçon noir que le grand-père de Jojo a connu autrefois au pénitencier de Parchman.
Richie est la deuxième voix de ce roman choral, relatant la violence dont ont été victimes les Noirs, même après l'abolition de la ségrégation.
C'est à Leonie, enceinte à dix-sept d'ans d'un premier enfant, droguée à la méthamphétamine pour oublier la mort de son frère , Given, victime officiellement d'un accident de chasse, mais dans les faits d'un crime raciste, que revient la troisième voix. Égoïste et bien trop amoureuse de Michael, un Blanc rejeté par sa famille car selon eux il a épousé une "pute noire", Leonie embarque ses enfants dans un road movie parfois halluciné pour aller chercher Michael qui va sortir de Parchman où il a effectué sa peine de prison. L'occasion de vivre de manière resserrée tout à la fois le racisme et la violence au quotidien.
Réalisme, lyrisme et une pointe de fantastique, tels sont les ingrédients de ce roman captivant où seul le chant d'une enfant pourra apporter le repos à tous ceux qui sont morts sans sépulture.
(Sing, unburied, sing, )traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé, éd. Belfond, 272 p.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jesmyn ward
18/02/2019
Les désaccordés
"Quoi qu'il en soit, il serait faux de dire que je me suis évanoui. J'ai simplement décidé de me rafraîchir la joue contre le sol en plastique et, ce faisant, j'ai entendu un petit ci d'animal venant au monde. Plus tard, j'ai été très déçu d'apprendre qu'il était sorti de ma propre bouche."
Ray Morris et sa femme (très enceinte) Garthene sont des londoniens tout à fait ordinaires. Il est journaliste free-lance, elle est infirmière et ils cherchent, vainement ,à acheter une maison correspondant sinon à leurs goûts, du moins à leurs moyens.
Rien que de très banal donc,jusqu'à ce que toute une série de petits désaccordements dans sa vie sociale, puis familiale, n'entraîne Ray à voir sa vie s'effondrer sur fond d'émeutes londoniennes.
Sur le schéma classique de la boule de neige d'ennuis qui grossit exponentiellement , Joe Dunthorne réussit à maîtriser toujours le rythme de son récit, la véracité des situations, en observant avec finesse son héros dans ses relations avec les autres.
Ray a souvent des réactions inappropriées mais son sens de l'humour fait mouche et il m'est souvent arrivé de rire ou de sourire en dévorant ces 229 pages dans lesquelles cet homme de trente-trois ans se débat pour devenir un peu plus adulte (il serait grand temps).
Gallimard 2019, traduit de l’anglais par Simon Baril.
Un autre roman de Joe Dunthorne, non traduit en français, a été adapté au cinéma , "Submarine" et comme j'avais aimé le film ...
06:00 Publié dans Humour, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : joe dunthorne
17/02/2019
Personne n'a peur des gens qui sourient
"Qui ne s'est jamais faite belle pour déjeuner avec une amie, ou même pour elle-même, afin de ne pas naufrager ? "
ça commence un peu comme dans le court-métrage de Xavier Legrand avec Léa Drucker "Avant que de tout perdre" : Gloria embarque précipitamment ses enfants (ici deux filles, dont une ado en pleine rébellion) et se réfugie dans sa maison d'enfance en Alsace, près d'un lac.
D'emblée, la tension est là. D'emblée, le lecteur échafaude des hypothèses que le récit se chargera de réfuter. De la même manière, le personnage central de Gloria gagnera en épaisseur et en amoralité jubilatoire.
Véronique Ovaldé signe ici un roman dont l'écriture est piquetée de remarques souvent très justes, un roman dense sous une apparence de légèreté, dont l'épilogue est un peu précipité car on serait bien resté encore un peu (beaucoup) en compagnie de Gloria et ses filles.
Un roman qui fait oublier l'échec de ma lecture précédente :Soyez imprudents les enfants, que je n'avais pas réussi à finir.
Merci à Clara !
Le billet de Cuné.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : véronique ovaldé
16/02/2019
L'homme est un dieu en ruine...en poche
"Les gens ne s’adoucissaient pas avec l'âge, ils se décomposaient, c'était tout, constatait Viola."
Deuxième volet du diptyque de Kate Atkinson consacré à la Seconde Guerre mondiale, L'homme est un dieu en ruine aborde cette fois le destin de Teddy, frère d'Ursula, l'héroïne au centre de Une vie après l'autre.
Pas de variations cette fois autour des possibles d'une existence mais néanmoins un travail d’orfèvre sur la temporalité puisque l'autrice alterne passé et présent , sans jamais perdre son lecteur en route.
Teddy donc qui a vingt ans, en 1940, s’enrôle dans pilote de bombardier et participera à des raids sur l'Allemagne. Teddy qui vivra très longtemps, connaîtra une belle et tragique histoire d'amour, aura une seule fille et deux petits-enfants, aux destins très variés.
J'avoue ne guère être attirée par les récits de guerre mais Kate Atkinson, à son habitude, parvient à nous rendre sensible la bravoure de ces très jeunes gens embarquant dans des avions à la sécurité toute relative, sans pour autant minorer la souffrance des populations civiles victimes de ces bombardements.
L'aspect familial n'est pour autant pas négligé et , par l'intermédiaire de Viola, fille unique de Teddy, baba cool et mère en apparence indigne, elle dépeint avec subtilité les relations compliquées entre parents et enfants au fil du temps. Que Viola devienne une écrivaine à succès n'est certainement pas un hasard, car comme nous l'indique Kate Atkinson, dans sa postface très éclairante, ce roman traite aussi de la fiction.
On retrouve,avec énormément de plaisir, l'humour souvent vachard de l'autrice, sa subtilité et son art de la narration. Un très grand bonheur de lecture !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : kate atkinson for ever !