06/06/2019
Une nuit à l'hôtel le 1
"C'est le prix à payer: dix-huit ans de sa vie pour la liberté de ses enfants."
Cette année, les auteurs mis à contribution pour le recueil de nouvelles annuel du 1 ont planché sur le thème d'Une nuit à l'hôtel. Hôtel, "lieu de tous les possibles" comme le souligne Julien Bisson dans sa préface. De fait, chaque auteur a s'est emparé à sa façon de ce thème et l'a traité sans jamais tomber dans la facilité.
De ce cru 2019, je retiendrai particulièrement la nouvelle d'Adeline Dieudonné, Alika, émaillée de citations d'un manuel destiné aux futures employées de maison philippines, qui fait froid dans le dos , mais ne tombe jamais dans le manichéisme. Un texte plein de sensibilité qui donne encore plus envie de lire à nouveau cette autrice très douée.
Changement de registre avec Serge Joncour qui, avec Une nuit, presque à l'hôtel, nous régale d'un récit à double chute, pour le plus grand plaisir de nos zygomatiques !
L'occasion aussi de découvrir des auteur.e.s aux tonalités très variées.
06:02 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : coulon, joncour, bouraoui, prudhomme, dieudonné, bouysse, djavadi, férey, astier, jauffret, zenatti
05/06/2019
Farallon Islands...en poche
"J'ai été cette personne constituée de sensibilité artistique et de chagrin. J'ai cru que mon esprit était primordial et mon corps secondaire."
"Photographe, nomade, orpheline de mère. Une épistolière, laissant derrière elle une traînée de papier et de mots partout dans le monde, comme celle d'un avion. une artiste avec un appareil photo en guise de cerveau: froid, précis, calculateur. Une femme en noir." Ainsi se définit a posteriori Miranda, la narratrice qui va passer une année sur les Farallon slands. Des îles tout sauf hospitalières où ne vivent que des biologistes chargés d’étudier la faune locale.
Rebaptisée Melissa, voire Souricette, la narratrice va peu à peu prendre ses marques et se laisser fasciner par cet environnement violent et meurtrier, peu accessible,où "tout est dangereux, même la peau des requins", ce qui nous donne un étonnant huis-clos en plein air.
Roman initiatique, se déroulant dans un environnement oppressant, où les distinctions entre humains et animaux ont disparu aux yeux des biologistes qui semblent détachés et sans empathie, Farallon Islands distille une sourde fascination qu'il faut prendre le temps de laisser agir. Un roman riche aussi en informations étonnantes sur les animaux qui la peuplent, avec un mention spéciale pour le poulpe "domestique", Oliver. Abby Geni, par son écriture précise, nous fait ressentir l'odeur du guano, sentir les poux d'oiseaux ou les attaques des goélands furieux avec une acuité sans pareille. Un roman puissant qui file sur l'étagère des indispensables.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : abby geni
04/06/2019
#RosieUneEnfanceAnglaise#NetGalley
"Voilà le monde où nous venions d'entrer, un monde où rien ne se produisait en apparence, mais où, sous la surface, d'énormes plaques tectoniques d'émotions dérivaient."
La découverte en 1994 du Royaume interdit avait été pour moi, comme pour beaucoup d'autres un choc émotionnel. Là, sous des dehors très policés, une auteure envisageait un thème ,quasi inédit en littérature : le fait qu'une petite fille voulait devenir un garçon.
J'ai suivi ensuite, de loin en loin, les romans de Rose Tremain, qui s'était ensuite beaucoup tournée vers des romans historiques, ce qui n'est pas du tout ma tasse de thé.
Quel plaisir de renouer avec son écriture dans ce récit de son enfance au sein d'une famille bourgeoise aisée, où l'argent circulait plus facilement que les sentiments.
Sans autoapitoiement, Rose Tremain, née en 1943, revient sur ses relations avec sa mère, analysant avec précision les parcours de cette femme malaimée par ses propres parents, incapable d'aimer ses deux filles, posant un couvercle sur ses sentiments et aussi, il faut bien l'avouer, furieusement égoïste et futile, même si ces mots ne sont jamais écrits.
Pas de règlements de compte donc, mais une prise de conscience tardive, lors d'une rencontre avec une autre écrivaine, Carolyn Slaughter, que celle qui a offert généreusement un socle affectif, qui a été "un ange gardien", "la personne à qui [elle] devait [sa] santé mentale- et sans doute celle de [sa] fille unique Eleanor" était sa gouvernante adorée, Nan.
Grâce à elle, Rosie et sa sœur ont pu affronter la séparation de leurs parents et l'attention en pointillés qu'ils accordaient à leurs enfants.
Mais, c'est vers l'art et plus précisément vers la fiction littéraire que Rosie se tournera quand, envoyée dans différents pensionnats, plus ou moins confortables, elle ne pourra réaliser son rêve: aller à Oxford; destin refusé par sa mère, qui refuse d'en faire "un bas bleu" difficilement mariable.
La dernière partie relate, un peu trop rapidement à mon goût, l'émancipation de Rosie, qui deviendra Rose, mais il n'en reste pas moins que j'ai pris beaucoup de plaisir au récit de cette vie, marquée par la capacité de résilience d'une auteure que j’ai envie de redécouvrir.
JC Lattès 2019, 212 pages, traduction de Françoise Du Sorbier
06:00 Publié dans Autobiographie | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : rose tremain
31/05/2019
Dîner avec Edward...en poche
Sous l'amicale pression d'une amie, Isabel accepte de dîner régulièrement avec le père nonagénaire de cette dernière. Repas raffinés, nécessitant des préparations complexes, mais aussi réflexions sur l’existence sont au menu.
Un texte agréable à lire, mais qui , au fil du temps distille un ennui poli. Edward est charmant mais n'a pas su me séduire. On avait déjà eu "Mange, prie, aime", nous avons droit ici à Mange et aime. Un peu court non ?
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : isabel vincent
30/05/2019
Les buveurs de lumière ...en poche
"-Cette fille est un diamant brut. Quelles sont ces ambitions politiques, alors ?
- Que chaque être humain jure de signer un contrat qui ferait de lui un gardien temporaire de la planète pendant la durée de sa vie, et que la guerre contre les femmes prenne fin."
Dylan, chassé du petit cinéma de quartier de Soho où il a grandi avec sa mère et sa grand-mère,toutes deux décédées, emménage dans une caravane en Écosse, son seul héritage. Là , il fait la connaissance de Constance, une femme débrouillarde qui vit seule avec sa fille, Stella.
Toutes deux défraient la chronique de la petite communauté villageoise car elles sont chacune à leur manière libres et hors-normes.
Il y aurait pourtant urgence à se préoccuper d'autres choses, bien plus importantes car l'hiver 2020 s'annonce comme un des pires que l'humanité ait jamais affronté.
L’ambiance pré-apocalyptique est ici contrebalancée par la poésie et l'humanité qui se dégagent de ce roman, anxiogène à un niveau supportable pour la frileuse (dans tous les sens du terme) que je suis. La violence n'est pas niée , mais elle se contente de rôder à proximité ou est juste évoquée comme ayant lieu ailleurs.
Ce qui prime ici ce sont les relations complexes entre les personnages, l’évocation des paysages et la manière dont Stella, adolescente trans cherche son identité coûte que coûte, à sa manière originale et et bravache. un coup de cœur !
Cuné m'avait donne envie:clic
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jenni fagan
29/05/2019
La Ballade de Cass Wheeler...en poche
Seize chansons, "Ces moments figés, ces instantanés qui cherchent à saisir un lieu, une personne, un sentiment, avant leur disparition, leur perte définitive.", comme autant de jalons dans le parcours à la fois personnel et professionnel de Cass Wheeler, chanteuse auteure-compositrice, voilà ce que nous invite à découvrir ce nouveau roman de Laura Barnett.
A l'instar de Joan Baez, son héroïne a connu son heure de gloire dans les années 70, mais Cass a mystérieusement abandonné sa carrière.Des années plus tard ,la voici de retour via seize chansons qu'elle doit choisir.
Connaissant un parcours chaotique, marqué par de nombreuses souffrances psychologiques, et ou physiques, Cass ne déroge en rien aux clichés attachés aux song writers, sauf par son ambition assumée, ce qui n'est pas rien pour un personnage féminin. Il n'en reste pas moins que Laura Barnett peine à nous la décrire vieillissante de manière convaincante. Un roman qui connaît des baisses de régime, mais que l'on prend néanmoins plaisir à lire au soleil car il remplit le contrat annoncé par le genre abordé.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : laura barnett
28/05/2019
#SansJamaisAtteindreLeSommet#NetGalley
"La montagne me portait à l'essentiel."
"Je voulais voir si, quelque part sur terre, il existait encore une montagne intègre, la voir de mes yeux
avant qu’elle ne disparaisse. J’ai quitté les Alpes abandonnées et urbanisées et j’ai atterri dans le coin le plus reculé du Népal, un petit Tibet qui survit à l’ombre du grand, aujourd’hui perdu." Tel est l'objectif de l'auteur quand, accompagné de toute une expédition, nécessaire bien sûr, il part accompagné de deux amis et d'un récit de voyage, Le léopard des neiges.Bientôt, le récit de Matthiessen et celui de Conetti s'entremêlent, comme se tissent les références aux montagnes italiennes et locales, dont les modes de vie s’apparentent parfois.
L'écriture est toujours aussi belle, je n'ai cessé de souligner à tour de bras, mais l'émotion est moins présente, peut être parce qu'en arrière plan se lovait dans ma tête l'idée un peu gênante que mettre en branle toute une expédition pour un récit aussi court (176 pages) paraissait quelque peu disproportionné.
Traduit de l'italien par Anita Rochedy. Stock 2019
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : paolo cognettti
27/05/2019
Une fille formidable
"- Une cuillerée de brandy lui ferait peut-être du bien, dit Robert. S'adonner à la lubricité est extrêmement débilitant à son âge."
Junon, dix-sept ans, fraîchement déniaisée par deux cousins dont elle est amoureuse , mais pour qui elle fait partie des meubles, comme l’indique le titre original, fuit tout à la fois le blitz de Londres et un éventuel départ pour le Canada où elle est supposée rejoindre sa mère.
Des circonstances un peu rocambolesques l'amènent donc en Cornouailles où elle se fraie vite une place au sein d'un domaine agricole. Là, Robert Copplestone, le maître des lieux, va lui proposer de l'héberger jusqu'à la fin de la guerre et la prendra même en charge quand la jeune fille se découvrira enceinte.
Si Junon est extrêmement naïve par certains côtés, être élevée par une mère pudibonde et mal aimante ne facilite guère les choses, elle est cependant très débrouillarde et vive. Mary Wesley, qui se soucie comme d'une guigne des conventions et de la morale, lui laissera même le mot de la fin , manière de prendre sa revanche sur l'un de ceux qui l’avait traitée avec désinvolture.
L'auteure en profite aussi pour égratigner au passage la société de son époque et mène tambour battant une comédie dont les personnages sont hauts en couleurs. Un plaisir à ne pas se refuser !
Traduit de l’anglais par Sylviane Lamoine, éditions Héloïse d'Ormesson 2019, 346 pages pleines d'entrain.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : mary wesley
26/05/2019
Laisser des traces
"En d'autres termes, l'engagement politique est un fragile équilibre entre détermination et doutes. Naguère, Maxime a jonglé sur ce fil; ensuite, il est tombé."
D'extraction modeste, Maxime Ronet a très tôt eu envie de Laisser des traces. Après avoir intégré par la petite porte les rangs du Mouvement, nouveau parti politique, présentant d’étranges ressemblances avec un parti que chacun pourra aisément identifier, il devient ensuite maire de la commune de Nevilly.
Le nouvel édile, nonobstant quelques petits accrocs dans son parfait parcours ,se laisse porter par son ambition jusqu'à ce qu'un fait divers le fasse basculer, puis reprendre pied.
Grâce à Arnaud Dudek, on a l'impression d'être une petite souris et de visiter, comme si on y était les coulisses du pouvoir, que ce soit celles d'un parti politique ou celles d'une municipalité .
Nourries de digressions parfois malicieuses (l'érection de la statue d'Hégésippe Simon, par exemple), les pages se tournent toutes seules ou presque. On suit le parcours de ce jeune homme, qui se perd parfois en route, mais retrouve son humanité de justesse avec autant de bienveillance que l'auteur.
Le propos sonne juste, soulignant les défauts mais aussi les espoirs que chacun peut placer en ces hommes et femmes politiques qui, à l'instar de Maxime Ronet, voudraient impliquer davantage les électeurs et voir "comment changer le système en en faisant partie." Vaste programme...
Éditions Anne Carrière 2019.
L'avis de Sabine: clic.
11:45 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : arnaud dudek
25/05/2019
En camping-car...en poche
"Notre style de vacances était aristocratique parce qu'il valorisait la liberté, le plaisir, la découverte, l'échappée belle, mais il était aussi foncièrement démocratique: pas cher, pas consumériste, pas tape-à-l’œil, pas couche-tard, pas compliqué, quelque chose d'accessible, de proche, de simple, quasiment rudimentaire, une locomotion terrestre, un contact direct avec les gens, des haltes toujours respectueuses de la nature, des coutumes et des produits locaux [...]. En un mot, une grande vadrouille à l'échelle de l' Europe. Maître de soi, mais pas chez soi."
Dans les années 80, Ivan Jablonka, ses parents et son frère, souvent accompagnés de familles dotées elles aussi d'enfants, ont sillonné les routes estivales en camping-car. L'évocation de ces vacances est tout à la fois l'occasion d'une plongée dans la nostalgie de l'enfance, mais aussi d'une analyse sociologique d'un type de vacances bien particulier dans un véhicule tout sauf anodin quand ses deux parents ont été des enfants cachés durant la Seconde guerre mondiale.
En effet ce véhicule de marque Volkswagen témoignait du "génie de l’organisation allemand [...] mis au service non pas du crime de masse, mais de la vie, de la joie, de l'intimité, de l'intégration familiale, et il est facile de comprendre en quoi le camping-car a sauvé mon père et nous avec."
Ivan Jablonka analyse ainsi avec une émotion tangible la relation très particulière que son père entretenait au bonheur, n'hésitant pas à enjoindre avec colère à ses enfants ignorant un superbe paysage: "Soyez heureux !"
Néanmoins, comme l' évoque très justement la quatrième de couverture l'auteur" esquisse une socio-histoire de son enfance" et c'est justement ce côté un peu léger dans l'analyse, s'essoufflant peut être à vouloir courir plusieurs lièvres à la fois que j'ai regretté. N'étant guère adepte de la nostalgie, j'ai en outre trouvé les évocations de ces vacances aussi longuettes que les séances diapos d'autrefois. Bilan en demi-teintes donc.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Récit | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ivan jablonka