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10/10/2024

La ligne de nage...en poche

"Vous auriez dû vivre  (qu'est-ce que vous avez fait à la place ? Vous avez joué la sécurité, vous êtes restée dans votre ligne de nage )."

Dans la première partie de ce récit, nous découvrons une communauté hétéroclite , mais soudée, celle de nageurs qui fréquentent une piscine en sous-sol. Tous ceux qui respectent les règles implicites y ont leur place. Y compris Alice dont la mémoire est de plus en plus défaillante. La routine y est de mise et chacun trouve dans ce sas de quoi supporter la "vie d'en haut". julie otseka
Las, une fissure dans le fond du bassin vient troubler cette belle harmonie. On peut y voir la métaphore de tout élément perturbateur qui vient déranger nos existences et en l’occurrence ici celle de la vie d'Alice.
La troisième partie recense tous les oublis de cette femme et à l'inverse tous les souvenirs de celle qui fut internée dans un camp pour Nippo-Américainss durant la Seconde guerre mondiale. Un portrait impressionniste et plein d'humanité.
Changement de tonalité avec "Belavista" où sont égrainées implacablement  les différentes étapes que connaîtra Alice dans cet établissement spécialisé où son mari et sa fille ont dû la faire entrer, au vu de la dégradation de son état mental.
Dans la dernière partie, la narratrice et fille d'Alice évoque enfin sa relation à sa mère .
Sur un thème délicat et douloureux, Julie Otsuka réussit un texte sensible , prenant (même si la partie consacrée à la fissure est un peu longuette) et même moi qui déteste les piscines j'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce texte  profondément émouvant mais tout en retenue.

Traduit de l’anglais (E-U) par Carine Chichereau.

09/10/2024

#Bâtardes #NetGalleyFrance !

"Nous sommes donc les bâtardes,  mères de bâtardes,filles de bâtardes, perpétuant le cycle des mensonges et de l'obscurité. "

On estime le nombre d'enfants nés de mère française et de père appartenant à l'armée allemande  durant la Seconde guerre mondiale entre 10 00 et 20 000. L'occasion pour ceux qu'on a appelés "les résistants de la dernière heure", de tondre ces femmes coupables de "collaboration horizontale", de se venger sur elles de leurs propre lâcheté (voire pire) en les tondant sur la place publique.
L'arrière petite fille d'une de ces femmes va remonter le temps des silences et des hontes pour mettre à jour les mensonges qui gangrènent plusieurs générations d'une lignée de femmes de sa famille. rachel corenblit
Rachel Corenblit, avec beaucoup de sensibilité, donne la parole à chacune de ces femmes qui expriment avec beaucoup de lucidité leurs sentiments, mais aussi l'hypocrisie d'une société patriarcale.  Une belle réussite.

03/10/2024

Le chant de la pluie...en poche

"Le chant de la pluie est notre hymne national, nos passe-temps sont l'ennui et la boisson."

Martha, anglaise pur jus, se réfugie dans le cottage de son irlandais de mari, brutalement décédé, pour faire le point. Là, sur la côte ouest de l'Irlande, non loin des îles Skellig, elle laisse la porte ouverte, au sens propre et au sens figuré, tout à la fois aux souvenirs et aux gens du cru.Sue Hubbard
Dans cette nature sauvage, qu'un promoteur veut exploiter, Martha pourra peut-être tenir une promesse fait vingt ans plus tôt.
 Offrant de magnifiques portraits de femme et d'îles, Le chant de la pluie dégage un vrai charme, même si  l'aspect vachard de quelques réflexions aurait pu être davantage exploité. Martha m'a parue attachante et j'ai regretté que l'intrigue liée à l'exploitation envisagée de ce paysage grandiose se résolve aussi facilement. Un bon moment de lecture néanmoins.

Traduit de l'anglais par Antoine Bargel

25/09/2024

#Mesenfantssontpartis #NetGalleyFrance !

"Parce que je veux que mes enfants s'affranchissent de moi. Je le veux vraiment. Je constate que cela me dévaste mais je n'ai pas une seule seconde envie de les garder à mes côtes toute leur vie. Il faut lutter contre des montagnes géantes, il faut trouver une place entre le désir de leur bonheur et ce deuil affreux qui m'attend. "

Cinquante ans au compteur. Les enfants qui s'envolent. Syndrome du nid vide qui survient brutalement dans la vie de l'autrice. L'occasion pour elle de faire le bilan de sa vie artistique (pas facile d'être une femme dans le monde de la musique surtout quand on n'est plus "fraîche"). La ménopause qui la guette n'arrange pas les choses dans une société qui invisibilise les femmes, une fois qu'elles ne peuvent plus être mères...julie bonnie
Heureusement, sa reconversion dans le monde de la santé lui permet de rencontrer d'autres femmes et leurs expériences , qui se tissent à son récit, offrent des portraits sensibles , parfois douloureux mais toujours pleins de vie.
On sourit, on compatit, on se reconnaît, un peu, beaucoup... Un roman tendre et sincère dont les pages se tournent toutes seules ou presque.

 Grasset 2024. julie bonnie

 

19/09/2024

La taille de nos seins

 "Jean-Pierre s'est beaucoup moqué de mon obsession pour cette poitrine naissante, je n'ai pas  su lui expliquer combien elle avait été déterminante, qu'à partir d'elle le monde n'a plus été le même . Que je suis alors, malgré moi , sortie de l'enfance, marquée au fer rouge de la sexualisation, que j'ai attiré, sans le vouloir, désirs incontrôlés et comportements abusifs, une marchandise de premier choix dans un grand magasin peuplé d'hommes de tous âges et de toutes conditions, venus s'amuser et consommer sans états d'âme."

Agnès Jaoui, née dans les années 60 , égraine ici des souvenirs de son enfance et plus particulièrement ceux liés aux deux amies , Cécile et Isabelle, qui sont encore proches d'elle( Cécile, c'est d'ailleurs Cécile Partouche qui signe ici les illustrations pleines de tendresse de ce recueil).agnès jaoui,cécile partouche
L'autrice en profite pour stigmatiser les humiliations qui étaient monnaie courante à l'époque à l'école mais aussi pour interroger son rapport au corps  et évoque de manière pudique l'abus  dont elle a été victime par son oncle.
Un texte qui se lit vite et qui parlera davantage sans doute aux femmes de cette génération...

 Grasset 2024.

18/09/2024

Un printemps en moins

" Je veux me souvenir de Gabriel à dix-sept ans.
Je veux me souvenir de Gabriel à trente-trois ans.
Sinon il n'y aura plus de vrais dimanches. "

Trois voix alternent dans ce roman choral : Cellede Gabriel , treize ans, dans le coma, à l’hôpital ; celle de son père , Martin, qui n'a rien vu venir; celle de Romane enfin, une prof du collège où Gabriel se faisait harceler et qui a vu le corps de l' adolescent tomber dans la cour de l’établissement scolaire. 61Eh0l5OqyL._SL1500_.jpg
Trois points de vue pour mieux comprendre la violence exercée via les réseaux sociaux et dont les adultes ne veulent ou ne peuvent pas prendre la mesure. Mais un roman qui fait aussi la part belle à la poésie et à l'espoir, par petites touches.
On échappe ainsi au roman - dossier et on partage un peu de la vie des ces trois personnages attachants en diable, qu'on aimerait bien retrouver...

 

 les Avrils 2024. 122 pages.

 Merci à L'auteur et à l'éditeur pour l'envoi. Je n'ai pas été rémunérée pour ce billet.

17/09/2024

Après la brume

"Je les sens familiers de ce climat avec lequel je tâtonne encore. Les chemins de l'île, les marées sont inscrits en eux, comme en moi les rues parisiennes. "

Une île bretonne où une sortie scolaire perturbée par l'arrivée de la brume a mal tourné : la petite Raph a disparu. 
Tour à tour, des îliennes , des femmes de passage ou récemment arrivées prennent la parole et les histoires récentes ou anciennes se croisent, s'éclairent petit à petit.estelle rocchitelli
La nature est très présente et l'écriture de l'autrice, dont c'est le premier roman, en rend compte avec justesse et poésie.
Une intrigue solide, des personnages bien ancrés dans le réel, une écriture  puissante, voilà d’excellents ingrédients pour une lecture captivante. Seul petit bémol : je me suis parfois un peu perdue dans les personnages ...

 Éditions Dalva 2024. 

16/09/2024

Ilaria ou la conquête de la désobéissance

"Je n'ose pas dire "non", je n'ose pas dire que je ne comprends pas , que je m'en fiche complètement des choses plus importantes. Je veux aller à l'école, jouer, voir mes copines, aller aux anniversaires, aux cours de gym. Je veux faire des flic-flac, des roulades,, m'entraîner à la poutre et faire comme Nadia Comaneci. Je veux rentrer. Puis l'idée de quitter Papa me glace. Je ne peux pas le laisser seul. "

 Mai 1980. Son père vient chercher Ilaria à la sortie de l'école. Commence alors une errance italienne car, même s'il refuse le mot, le père vient bel et bien d'enlever sa fille de huit ans à sa mère et à sa grande sœur. gabriella zalapi
Mensonges, internat, vie paysanne en Sicile,  la petite fille est trimballée au gré des humeurs de son père et de sa vie d'expédients. Un père qui parfois se fâche, boit trop et se révèle incapable d'assurer une certaine normalité pour sa fille, ce qui entraîne parfois un renversement des rôles.
Sans pathos, l'autrice rend compte de la situation dont s’accommode plus ou moins bien l'enfant, rendant compte du conflit de loyauté dont elle est victime. Cela aurait pu être un fait divers sordide, cela devient un récit poignant mais toujours écrit "à l'os"., laissant au lecteur le soin de combler les vides.

 Et zou, sur l'étagère des indispensables.

 Éditions Zoé 2024. 173 pages.

 

13/09/2024

#Cicatrices #NetGalleyFrance !

"Les cicatrices sont les hauts lieux cutanés de notre sentiment d'identité et de la reconnaissance de notre personne par les autres . Mais le corps est une géographie changeante. Les transformations induites par les avancées de l'âge se conjuguent à celles décidées par l'individu à l'image des tatouages, des implants ou des interventions de chirurgie ou de dermatologie esthétiques. S'y ajoutent les souvenirs cutanés laissés par les rebuffades de l'environnement ou les heurts brutaux avec les autres. "

De la première cicatrice (notre nombril), en passant par celles qui sont les traces d'événements, sans oublier les rituelles , celles qui sont signes d'infamie ou celles liées à l'art, David Le Breton explore avec acuité le lien qu'elles entretiennent avec notre peau mais aussi et surtout avec nous-mêmes.
S'y ajoutent les scarifications adolescentes, signes de malaise profond qui permettent de "crier par corps", tout comme les blessures carcérales, seules possibilités d'agir quand on n'a plus d'autres possibilités. david le breton
Les blessures des réfugiés, quant à elle, témoignent des tortures et des souffrances subies et permettront ou pas de justifier la nécessité de l'asile.
Une place particulière est faite pour les cicatrices sur le visage, particulièrement impossibles à dissimuler et qui impactent fortement les identités.
Le sociologue termine par ce qu'il appelle les "Corps de résistance, corps d'amazone", celui des femmes ayant souffert d'un cancer du sein, et par les inscriptions délibérées sur le corps, dans des officines qui leur sont dédiées, aux États-Unis.
Vous le voyez un panorama  exhaustif , extrêmement intéressant et finement analysé, d'autant que le style de David Le Breton est très imagé et agréable à lire , même si la description de certaines pratiques peut être éprouvante. A recommander chaudement.

Éditions Métailié 2024.     david le breton

12/09/2024

Au bal des absents...en poche

"[...], tous ces gens-là qui la condamnaient à la mot sociale, la mort civile , la mort de faim, la mort de froid, la mort dehors, la mort de désespoir, l'avaient définitivement amarinée à la houle incessante, insondable de la cruauté humaine."

Au chômage, au RSA, bientôt à la rue, Claude, quarante ans, est contactée par un mystérieux juriste qui lui propose d'enquêter sur la disparition de toute une famille américaine dans une maison isolée en pleine campagne.
Notre héroïne ignore encore qu'elle va devoir faire face, totalement seule, à "tant de siècles de méchanceté embusquée dans un gigantesque manoir ". Mais  Claude a de la ressource car "le désespoir , c'est un luxe. Tu n'as pas les moyens", s'admoneste-t-elle. Et de se forger, grâce à une flopée de bouquins, de films, de jurons et de formules d'exorcisme, sans oublier les formations subies à Pôle Emploi,  toute une batterie d’armes, à laquelle elle adjoint une binette bienvenue.Catherine Dufour
Sous couvert de fantastique, d'horreur, Catherine Dufour nous peint ici le combat solitaire d'une femme contre la misère  à laquelle on voudrait qu'elle se résigne. Un combat social, féministe( j'adore la fin, à la fois drôle et horrifique). On sourit (quand on aime l'humour noir), on frémit et on apprécie de voir ici convoquées et détournées les figures imposées de ce genre de roman.
Claude est pugnace , intelligente et astucieuse et on jubile de voir comment elle apprivoise la situation à sa façon. Un roman hautement réjouissant même pour quelqu'un comme moi qui ne suit pas familière du genre fantastique et/ou horrifique.