20/09/2012
Duboismania (tendance Jean-Paul)
"...au regard de ce qui nous attend on devrait parfois vivre avec davantage de modestie."
Il aura fallu que je me décide à terminer Une vie française, où, en plus d'un roman familial se donnant comme ossature les mandats des différents présidents de la Vème République, j'ai découvert un personnage principal selon mon coeur et de superbes pages sur les arbres, pour que je sois atteinte de la Duboismania, tendance Jean-Paul.
Avant d'arriver à cette quasi perfection du personnage masculin qui parvient à gagner sa vie presque sans s'en rendre compte, sans horaires, sans contraintes ou presque (ici il est photographe de plantes ) mais passe en contrepartie à côté de sa vie de famille, il aura fallu bien des avatars. Il s'agit souvent d' écrivains ou de scénaristes prénommés Paul, flanqués d'une femme prénommée Anna, tour à tour dépressive ou au contraire carriériste hyper active avec laquelle le héros masculin n'entretient plus que de lointains rapports. Ce couple est généralement accompagnés d'enfants, plus proches de la mère, et dans lesquels le narrateur se reconnaît rarement.
Personnages récurrents aussi dont on guette l'apparition et les diatribes inhérentes, le dentiste que le héros de Kennedy et moi n'hésitera pas à mordre pour lui faire perdre sa suffisance ( à sa décharge, dans Le Cas Sneijder, le narrateur expliquera que dans sa jeunesse les dentistes étaient de vrais tortionnaires pourvus de matériel rudimentaire...) et le psychiatre. Ce dernier, manipulé dans Kennedy et moi, peine à trouver un traitement adéquat à la dépression d'Anna dans Les accommodements raisonnables et aura un rôle beaucoup plus violent dans Le cas Sneijder. Défiance du narrateur donc par rapport à ces hommes qui semblent ne traiter les symptômes sans prendre réellement en compte la souffrance de leurs patients.
Beaucoup de tendresse se dégage de ces romans, que ce soit pour les parents du narrateur dans Une vie de famille, ou pour le vieux metteur en scène hollywoodien qu'un projet improbable va remettre en selle dans Les accommodements raisonnables. On suit le vieillissement du narrateur au fur et à mesure , il atteint la soixantaine dans Le cas Sneijder, et on le voit se détacher de plus en plus des contraintes sociales et laisser place à l'expression de sa souffrance.
On sourit, on a le coeur serré en lisant ces textes qui distillent à la fois beaucoup d'humour et de désenchantement face aux compromis auxquels nous contraint la vie.
Le charme agit presque toujours (un seul livre m'a déçue car trop prévisible, Si ce livre pouvait me rapprocher de toi, où un fils part au Canada sur les traces de son père défunt) et l'addiction est au rendez-vous !
Romans dénichés pour la plupart à la médiathèque et existant en format poche.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : jean-paul dubois
19/09/2012
Une bonne nouvelle: Babelio revient !:))
La liste des ouvrages proposés est ici !
06:00 Publié dans Bric à Brac | Lien permanent | Commentaires (5)
18/09/2012
Le démon d'après-midi
Noémie et ses amies se font un week-end entre filles au bord de la mer. Bon, elles sont aussi flanquées des ados de la première et des deux chiens et du chat de Monique qui n'a jamais voulu d'enfants, alors question tranquillité on repassera ! Entre le vin blanc et les tourteaux, c'est le moment des confidences et des souvenirs et ces femmes, au passage, égratignent gentiment les maris partis ou plan plan dont elles s'accommodent pourtant.
Les années ont passé, la cinquantaine et "le climatère (la ménopause, quoi!)" sont venus et finalement la vie s'est chargée du retour de bâton sur le mari volage et les amants égoîstes. Aucune aigreur mais un féroce appétit de vie pour ces femmes dont on aimerait bien être aussi les copines !
Le ton mordant du Démon de midi s'est un peu apaisé mais on passe un excellent moment en compagnie de Noémie et ses copines !
06:00 Publié dans BD, Humour | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : florence cestac, les quinqua sont sympa
17/09/2012
Avancer
" Avec des vues pareilles, les antécédents qu'on lui connaît et s'il n'est pas d'ici là dérouté par des amours stériles ou la passion délétère des sports d'équipe, le Petit fera certainement personnage historique."
Sur son balcon, Victoria (alias Marie-Laure la feignasse, suivant l'identité que la narratrice endosse pour se parler à elle-même), jeune femme peu pressée d'entrer dans la vie professionnelle, contemple le monde et attend "La voie royale". Dans l'appartement, Marc-Ange, son ancien professeur de sociologie , homme de bonne composition , cherche le thème de son prochain ouvrage tout en tentant de s'adapter à son fils de dix ans, le Petit, enfant précoce qui tient à donner son avis sur tout ou presque. Le Petit d'ailleurs semble bien plus mature que bien des adultes qui l'entourent...
En bas de l'immeuble, un trou gigantesque , fonctionnant un peu comme un aimant et qui va drainer toute une faune intriguante. Se met ensuite tout un concours de circonstances qui va bouleverser l'existence de Victoria et la fera Avancer mais pas forcément dans la direction prévue...
Plus que l'histoire, c'est le style et les personnages qui font toute la saveur de ce premier roman enlevé et drôle.
Adresses au lecteur, sociologie sauvage hilarante d'une rencontre au café, découverte de toute une population pittoresque, des bobo au petits arnaqueurs, on entre avec délices dans un monde décalé et plein de fantaisie. Un régal !
Avancer, Maria Pourchet, Gallimard 2012, 222 pages très agréables.
06:00 Publié dans rentrée 2012, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : maria pourchet
15/09/2012
Retrouvailles...en poche.
"Nous sommes des êtres humains à l'état brut."
Onze mois de différence entre Veronica et son frère Liam. Onze petits mois qui expliquent peut être l'affection indéfectible qui les unit et les particularise dans cette famille nombreuse (ô combien !) irlandaise. Quand son frère se suicide,Veronica écrit furieusement pour remonter à la source de ce geste pour elle incompréhensible, tenter de mettre à jour la scène qui a pu déclencher le mécanisme aboutissant à cette mort.
Alternant passé et présent Retrouvailles est un roman puissant, dérangeant ,qui reconstitue le passé, non pas avec une assurance tranquille, bien peignée, lisse, (et un tantinet suspecte) mais d'une manière hirsute," à la diable",n'hésitant pas à dire qu'il s'agit peut être de souvenirs inventés, mais revenant avec obstination sur cette scène primitive qui devrait lui livrer-peut être- la clé de cette famille marquée par l'influence d'Eros.
La narratrice,surtout au début du roman utilise un langage cru, que ce soit pour parler de sa famille ou de sa relation de couple qui s'effiloche : "Il y avait des filles, à l'école, dont les familles augmentaient jusqu'au nombre conséquent de cinq ou six. il y en avait chez qui ça grimpait jusqu'à sept ou huit- ce qui était jugé un tant soit peu enthousiaste-et puis il y avait les pitoyables comme moi, avec des parents totalement désarmés qui se reproduisaient comme on irait aux chiottes."Mais cette violence n'est là que pour montrer le maëlstrom d'émotions de Veronica, qui triture les phrases, malmène son mari et embarque le lecteur ,parfois abasourdi mais totalement conquis dans une lecture qui le laisse un peu groggy mais en même temps séduit.
Au diable les bons sentiments ! "Le truc merveilleux quand on est élevé à la diable, c'est qu'il n'y a de reproches à faire à personne. Nous sommes entièrement élevés en plein air. Nous sommes des êtres humains à l'état brut. Certains survivent mieux que d'autres, c'est tout."Pourtant il y a de l'amour qui court tout le long de ce livre, un amour qui ne dira son nom que quand la narratrice aura enfin trouvé l'apaisement.
Quant au style, il est tout à la fois sensuel, le passé étant très lié aux sensations,cru, cahotique, fougueux et plein d'humour féroce. On se laisse embarquer dans ce roman comme on ferait un tour dans une essoreuse à plein régime et on en sort étourdi mais bourré d'énergie.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : anne enright, irlande, famille
14/09/2012
Le sac, un petit monde d'amour...en poche
Quoi de plus intime qu'un sac (de fille ) ? Et pourtant, cédant à l'appel du sociologue Jean-Claude Kaufmann, nombreuses sont celles qui ont accepté de lui détailler le contenu du leur. S'appuyant sur ces témoignages mais aussi sur des extraits de romans ou de blogs, l'auteur se penche avec beaucoup d'empathie sur ces inventaires que Vialatte,* en son temps avait si bien résumé :
La femme : « C’est par le sac à main qu’elle se distingue de l’homme. Il contient de tout, plus un bas de rechange, des ballerines pour conduire, un parapluie Tom Pouce, le noir, le rouge, le vert et la poudre compacte, une petite lampe pour fouiller dans le sac, des choses qui brillent parce qu’elles sont dorées, un capuchon en plastique transparent et la lettre qu’on cherchait partout depuis trois semaines. Il y a aussi, sous un mouchoir, une grosse paire de souliers de montagne. On ne s’expliquerait pas autrement la dimension des sacs à main. »
Suivant les âges de la vie, les sacs grossissent ou s'allègent et rares sont les femmes à ne pas céder à l'appel du sac ou à ne pas sacrifier à la recherche du sac parfait, ni trop grand , ni trop petit... Ils constituent des mondes peut être pas aussi mystérieux que les hommes pourraient bien le croire.
Des redites parfois mais surtout beaucoup de sympathie et aussi d'émotion quand Jean-Claude Kaufmann évoque à la fin de son étude ces vieilles dames qui s'accrochent à leur sac à main ou la souffrance éprouvée par les femmes à qui on l' arrachait à leur arrivée à Auschwitz. Car le sac n'est en rien futile, il "est au coeur de l'être et [...] on le saisit surtout au moment d'affronter le néant.
* Non cité ! Un oubli sans doute !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : jean-claude kaufmann
13/09/2012
A l'angle du renard...en poche
Des citadins qui s'installent à la campagne avec leurs enfants, Juliette et Louis. Leur voisin est un fermier, vieux garçon,Arsène Le Rigoleur, dont l'attitude contredit plutôt le patronyme. Les deux gamins sont toujours fourrés dans les pattes du fermier, ce qui n'est pas sans inquiéter leur mère, car il n'inspire pas franchement la sympathie l'Arsène...
Choisissant comme narrateur ce fermier qui "a laissé courir ses racines à travers champs", Fabienne Juhel distille au compte-goutte allusions et révélations qui génèrent une tension extrême. Arsène est-il juste un être taciturne "Je suis de la race des hêtres", sans histoire ou un individu potentiellement dangereux ?
Tout au long du roman court cette image de l'incendie, réel ou imagé, cette rousseur qui va de la couleur des cheveux d'un enfant à la lueur de rouille dans un regard, sans oublier celle des différents renards qui hantent ce récit, renards qui n'ont rien à voir avec celui du petit prince, même s'il est aussi question d'apprivoisement dans ce texte mais d'une façon toute particulière, A l'angle du renard....
Un roman prenant qui charrie des émotions sourdes et féroces, une écriture ancrée dans la terre qu'elle célèbre de manière charnelle.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : fabienne juhel
12/09/2012
Autour du fauteuil
Attaquer un recueil de nouvelles par un texte où l'on nous fait le coup du rêve- même éveillé- en guise de chute, ne me paraît pas des plus judicieux mais bon, j'ai néanmoins continué la lecture d'Autour du fauteuil.
J'avais en effet envie de découvrir le monde de la coiffure par le biais d'un professionnel présenté comme, je cite ,"spécialiste de la coupe du rasoir et maître barbier."
Si l'on sent nettement l'amour du métier , la volonté de reconnaissance du coiffeur, et ce dans plusieurs textes, on remarque également que, faute de faire un minimum de confiance au lecteur, ce dernier se trouve accablé par des explications narratives inutiles.
Quelques fois, et c'est dommage, il aurait juste fallu passer un coup de ciseaux pour amputer de quelques phrases une nouvelle pour que le miracle se produise.Hélas, si l'on passe souvent à un cheveu d'un texte intéressant, l'auteur s'égare dans trop de genres littéraires qu'il ne maîtrise pas et se contente d'un style bien trop plat. Dommage car j'aime apprendre et découvrir des univers.
Merci, Sylvie !
06:00 Publié dans Nouvelles françaises, rentrée 2012 | Lien permanent | Commentaires (8)
11/09/2012
La survivance
"On s'est trouvés pris dans un bombardement de réalité."
Parce qu'ils n'étaient pas faits pour amasser de l'argent, Sils et Jenny, la soixantaine sonnée, sont expulsés de leur librairie. Avec beaucoup de livres et peu d'objets, en compagnie d'une ânesse et d'une chienne, ils vont trouver refuge dans une vieille maison, isolée et dépourvue de confort, plantée en pleine montagne vosgienne. Là, peut être réussiront-ils à mener à son terme une expérience de vie qu'ils avaient tentée au même endroit quarante ans plus tôt.
Ce roman tient peu de la robinsonnade, même si la nécessité de trouver de quoi survivre dans un territoire situé loin des hommes est présente. Mais il ne s'agit pas du tout ici de soumettre la nature , mais bien plutôt de s'y glisser pour mieux s'y accorder. D'où de magnifiques descriptions des hôtes sauvages qui vivent à côté d'eux par Jenny. Sils, quant à lui, fait plutôt la part belle aux livres qu'il fait dialoguer avec l'endroit où ils vivent.
Rien dans les conditions de vie n'est ici idéalisé et Jenny le souligne bien quand elle déclare: "Il y avait de la terreur, mais aussi de la force, une énergie qui se transfusait en nous. nos corps étaient en première ligne, tympans, pupilles, narines, gosier, poumons, muscles, ossature, ligaments, articulations, peau: tout. Jamais je n'aurais imaginé qu'à presque soixante ans, nous serions obligés de recommencer à vivre violemment."
C'est à une expérience tout à la fois de renoncements et de reconquêtes que nous convie ici Claudie Hunzinger avec une langue superbe et drue. Et zou sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2012, romans français | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : claudie hunzinger
10/09/2012
Juste pour donner envie...
"Mais Sils ne savait pas exactement ce dont parlait cette bibliothèque. Il m'a demandé, ça t'avance à quoi, ces classements transversaux ? Je lui ai expliqué que ça parlaitd'affinités entre voisins étranges. Deux livres qui semblent ne rien avoir de commun, soudains placés côté à côte , donnent naissance à des interférences mystérieuses, tu piges ? Des conneries ! a répondu Sils avec émerveillement. Et grâce à ces collisions entre des lieux et des époques et des écrivains que tout sépare, le sens qui dormait en eux est réactivé. Un nouveau ses se dégage. Oh, écoute, Jenny , ce n'est pas le moment. Et à chaque déplacement et nouvelle juxtaposition, la bibliothèque se charge de nouvelles intentions. Il s'agit de trouver la meilleure place à un livre, la plus excitante, celle qui va mettre en évidence de nouvelles pistes. Le hasard fait ça tout aussi bien, m'a répondu Sils qui m'a laissée là."
Claudie Hunzinger, La survivance, Grasset 2012.
Billet à venir
06:00 Publié dans Bric à Brac | Lien permanent | Commentaires (5)