05/01/2016
Le pique-nique des orphelins
"Elles aimaient trop Dot, et pour ce péché elle leur menait la vie dure."
Ironie du sort, c'est en emmenant ses enfants aux festivités organisées en faveur des orphelins que leur mère abandonne Karl, Mary et le nouveau-né, préférant s'envoler au sens propre du terme , dans un biplan piloté par un aviateur acrobate.
Nous en sommes en 1932, la dépression sévit encore aux États-Unis et les aînés, vite séparés de leur petit frère n'ont qu'une solution: se rendre chez leur tante, bouchère dans le Dakota du Nord. Seule Mary y parviendra, Karl préférant se réfugier dans le train de marchandises qui repartira sans sa sœur.
Personnalité riche et complexe, Mary parviendra vite à se forer une place dans la famille de sa tante, au grand déplaisir de sa cousine, Sita.
Sur une période de quarante ans, Louise Erdrich, dont c'est ici le second roman (dans une nouvelle traduction), utilise la forme du roman choral pour peindre une fresque familiale faisant la part belle aux femmes.Mary, Sita ou leur amie commune Celestine, ont le chic pour affronter les épreuves de la vie avec originalité et courage. Elles se trouvent souvent embarquées dans des situations improbables , parfois cocasses, parfois tragiques, mais dont elles se tirent toujours avec panache.
L'écriture magnifique et l'inventivité narrative de l'auteure font de ce récit une petite merveille à (re) découvrir sans plus attendre !
Le pique-nique des orphelins, Louise Erdrich, traduit de l’américain par Isabelle Reinharez, Albin Michel 2015, 468 pages lumineuses dévorées d'une traite mais en traînant sur la fin pour ne pas quitter trop vite les personnages!
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : louise erdrich
04/01/2016
Le prétendant
"Est-ce que j'aurais dû devenir actrice ? Avec mon talent pour la dissimulation et l'imitation ? "
Les sociaux-démocrates viennent de perdre les élections.Le Premier ministre a donc perdu son poste mais entend bien demeurer numéro1 du Parti, ce que lui conteste bien évidemment le numéro 2, un technocrate intelligent, mais dénué de chaleur humaine, Gert Jacobsen.
Le harcèlement et les violences qu'il exerce à l'encontre de son épouse depuis trente ans risque néanmoins de lui mettre des bâtons dans les roues .à moins que ce ne soit la jeune, jolie et intelligente attachée parlementaire qu'il vient de désigner, Yasemin, d'origine kurdo-turque, envers qui il se montre de plus en plus pressant.
Ces trois intrigues sont menées avec brio par l'auteure, ancienne journaliste politique danoise qui se montre sans concession envers la futilité des motivations de certains hommes politiques.Elle est par contre beaucoup plus bienveillante envers ses personnages féminins et très nuancée. C'est la première fois que je lis un roman aussi solidement documenté sur le violence faite aux femmes, et ce quelque soit leur milieu social. Linda, la femme battue n'est en rien une femme faible , elle se rebelle mais est totalement manipulée, totalement sous l'emprise de son mari , tandis que son entourage feint de ne rien voir.
Quant à Yasemin, elle est encouragée dans ses études par sa famille, mais en butte avec les traditions dans lesquelles se réfugient ses parents.
Deux magnifiques portraits de femmes et un roman qui se dévore d'une traite .Une" brique" délectable de 718 pages.
Peut se lire indépendamment du premier volume (clic) de la trilogie ayant inspiré la série Borgen.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : hanne-virbeke holst
02/01/2016
Pétronille...en poche
"Pétronille, si jeune fût-elle faisait partie des auteurs de bonne compagnie."
De correspondante, puis de lectrice identifiée lors d'une séance de dédicace (décryptée avec verve par la narratrice double de Nothomb), Pétronille devient convigne (comprendre compagne de beuverie, au champagne, bien sûr !) de la narratrice, s'éclipse puis revient, à son tour auteure d'un roman.
Commence alors le récit d'une amitié placée sous le signe du champagne, boisson que nos deux héroïnes s'emploient à déguster dans les lieux les plus improbables. Amitié entre deux jeunes femmes aussi frappadingues l'une que l'autre ,mais sous des formes très différentes. L'une est brut de décoffrage, se met en danger,reste mystérieuse par bien des aspects et il n'est pas interdit de reconnaître, vu les nombreux indices, Stéphanie Hochet . L'autre, Nothomb donc, se montre plus policée, mais aussi admirative de sa "convigne" et de son talent d'écrivain.
Amélie Nothomb n'est jamais aussi drôle que quand elle se moque d'elle-même, "Dans les rues ,on me félicitait pour mon déguisement. Je portais simplement ma tenue de travail." (voir aussi l'entrevue hilarante avec Viviane Westwwood ! )aussi émouvante que quand elle s'inquiète pour les autres. Le roman file à toute allure, vers une fin en forme de pirouette un peu frustrante car on aurait bien accompagné ces deux demoiselles dans leur périple chaotique et savoureux. Un excellent moment de lecture et une ode au champagne !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : amélie nothomb
31/12/2015
La grande vie...en poche
Quoi de plus beau pour terminer l'année que ce recueil de textes de Christian Bobin ?
Un opuscule d'une centaine de pages comme "une déclaration de vie, une échelle plantée sur le sol, appuyée sur le ciel", image par laquelle Bobin désigne Marceline Desbordes-Valmore mais qu'on pourrait tout aussi appliquer à l’auteur de La grande vie.
Des textes courts ,en apparence légers, poésie qui ne dit pas son nom, mais fait étinceler le quotidien comme jamais.L'intensité est là, la spiritualité aussi, mais jamais dérangeante, jamais contraignante. On glane au fil des textes les métaphores affûtées, les réflexions et on sort de ce texte ébloui.
Je vous souhaite donc pour l'année 2016 La grande vie !
06:00 Publié dans l'amour des mots | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : christian bobin
19/12/2015
Bibliothérapie et plagiat.
10:35 Publié dans Bric à Brac | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : bibliothérapie
18/12/2015
Remèdes littéraires Se soigner par les livres
"Adieu à l'aveuglement ! Avec vos nouvelles exigences en matière d'honnêteté, votre nouvelle gamme d'émotions , vous verrez votre relation ratée telle qu'elle est. Ayez mal pour Caro durant votre lecture , et pour vous-même à l’instant où vous aurez tourné la dernière page. Faites le compte des dégâts et partez en courant avant qu'il ne soit trop tard."
(Conclusion de l'article consacré à l'entrée Gâcher son temps dans une relation ratée, remède prescrit Le Passage de Venus Shirley Hazzard)
D'abord, il y a l'objet en lui même: un bon gros pavé de 639 pages, pas trop encombrant cependant et qui n'abîmera pas nos poignets. Ensuite, les auteurs: l'une artiste-peintre, l'autre romancière . Elles se sont rencontrées à Cambridge, excusez du peu, et sont aidées dans la version française par le journaliste littéraire Alexandre Fillon, mais aussi par des libraires, clairement identifiés qui eux aussi proposent leurs ordonnances littéraires.
Enfin, les prescriptions,parfaitement ordonnées, avec deux index,l'un par pathologies (physiques ou psychiques) l'autre par auteurs, avec indication des références précises pour dénicher les œuvres mentionnées, ce qui ne manquera évidemment pas de faire monter nos PAL, effet "indésirable" non mentionné mais évident ! à noter aussi des pages spéciales pour les "Maladies de la lecture", dans lesquelles chaque livre-addict se reconnaîtra !
Quid du contenu ? C'est intelligent sans être pédant, les résumés sont très fouillés, les prescriptions sont variées et incluent même des références de littérature jeunesse , ado , ou de science-fiction. Il y a du classique et du contemporain, des auteurs de nationalités diverses et l'on sent une grande empathie, non dénuée d'humour dans les textes présentant les remèdes (voir par exemple à l'entrée Grippe, avoir la* quand on est un homme...).
L'émotion est aussi présente et je retiendrai pour l’illustrer cette "confession" d'une jeune librairie révélant sa bipolarité, mais aussi tout le bien que lui a procuré Sans télé on ressent davantage le froid de Titiou Lecoq (p.522).
J'ai découvert plein d'auteurs, plein de romans et j'ai même été tentée par des romans de SF, c'est dire l'efficacité des présentations !
Last but not least, des listes pour diverses occasions sont aussi présentées, mais non détaillées, pour chaque entrée dans une nouvelle dizaine, par exemple (de 20 à 100 ans) et je trouve que ce serait une excellente idée de cadeau collectif .
Vous l'aurez compris, un nouvel ouvrage vient de trouver sa place sur l'étagère des indispensables !
13:45 Publié dans l'étagère des indispensables | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : ella bertoud, susan elderkin
10/12/2015
Rue Saint Ambroise
"En contrepartie, il me joignait les coordonnées de deux concours de récits [...] dont il tirait les règlements [...]de revues madrilènes, dont l'existence seule constituait un crime ou un miracle, ça dépend."
Rassurez-vous avec la revue Rue saint Ambroise, on est bien plus proche du petit miracle que du crime !
D'abord, il faut avoir du panache pour proposer aux Français, réputés frileux quant aux nouvelles, une revue qui leur est entièrement consacré. Ensuite, se consacrer aux textes contemporains est un autre défi. Enfin, proposer dans ce numéro Spécial Amériques des auteurs aussi divers que Alice Munro, Jamaica Kincaid,("Le dimanche, essaie de marcher comme une dame et pas comme la catin que tu es vouée à devenir") Mavis Gallant ou Roberto Bolano , pour les plus connus, mais aussi mettre en lumière Amy Hempel (et hop un de ses recueils préfacés par Véronique Ovaldé sur ma table de chevet) ou Karla Suarez est un autre défi, brillamment relevé.
Et les marque-pages de pleuvoir et les envies de découvrir plus avant certains auteurs de faire monter la liste des livres à lire !
Cuné a été aussi emballée !
Rue saint Ambroise.
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (9)
07/12/2015
Les ennemis de la vie ordinaire
"Être addict, ça ne me défrise pas. Je suis addict , et alors. Le problème, c'est de se donner les moyens de son addiction."
Voici une jolie"bande d'irréductibles, d'asociaux [...] de fous furieux" réunie par une thérapeute résolue à bouleverser le monde de la thérapie en réunissant dans un groupe de parole transversal des gens de milieux sociaux très différents et accro qui au sexe, qui à la drogue, qui au sport, entre autres.
Un mélange détonnant qui ne va certainement pas atteindre les résultats escomptés et ce, pour le plus grand plaisir du lecteur qui se laisse embarquer dans ce récit où l'on croise un prêtre accro à la coke, sosie du pape François, célébrant une messe inoubliable et qui m'a fait éclater de rire. Car oui, si l'on n'est pas adepte du politiquement correct, on rit et sourit beaucoup en lisant ce roman qui ose beaucoup (mais sait aussi ménager quelques délicates ellipses).
Des personnage féminins très forts, qui, comme Mylène, sont des "guerrières, des ennemies de la vie ordinaire", même si au départ, elles se considèrent plutôt comme des épaves.
Seul petit bémol: toutes les subtilités du poker , dont il est beaucoup question dans la dernière partie du roman, m'ont totalement échappé , mais ce n'est pas bien grave. un roman tonique, iconoclaste et drôle.
Les ennemis de la vie ordinaire, Héléna Marienské Flammarion 2015, 319 pages jouissives.
déniché à la médiathèque.
d’Héléna Marienské : clic
06:00 Publié dans rentrée 2015, romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : héléna marienské
04/12/2015
Bienvenue ! 34 auteurs pour les réfugiés
06:00 Publié dans Je l'ai lu ! | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : olivier adam, alice zeniter
Bienvenue ! 34 auteurs pour les réfugiés...en poche
"Rejetés, menacés, tués là-bas. Invisibles, exploités, diminués ici."(Abdellah Taïa)
Qu'ils aient connu ou non l'exil, qu'ils soient dessinateurs, romanciers, comédiens ou dramaturge, tous ont répondu présents quand "Les Éditions Points ont décidé de prendre leur part de responsabilité, à la mesure de la violence des mots entendus et des images vues."
Textes courts ou s'épanchant davantage, fictions ou témoignages, dessins poignants, acides ou avec une pointe d'optimisme , le point de vue est à chaque fois différent mais l'émotion est toujours palpable.
Parmi tous les textes, émergent particulièrement pour moi celui de Claude Ponti, plein d'une rage contenue, soulignant l'indécence et l'impuissance; celui de Gauz*qui décortique minutieusement le fonctionnement du traitement des passagers dans l'aéroport Charles de Gaulle, microcosme révélateur du fonctionnement d'une société vu sous l'angle de ses porteurs d'uniformes; ou bien encore celui, précis ,concis et efficace de Pascal Manoukian, rappelant que "les enfants repêchés il y a trente ans en Mer de Chine sont aujourd'hui restaurateurs, ingénieurs, médecins ou informaticiens."
C'est enfin, ce que Lydie Salvayre nomme le fragnol,"idiome qui empruntait luxueusement, au français et à l'espagnol"dont elle brosse ici un vibrant éloge, langue désinvolte et "vivante, vivante et qui [lui] sert constamment d'exemple."
Une belle occasion de retrouver des auteurs connus, d'en découvrir d'autres et de participer même modestement au travail du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, car tous les bénéfices lui seront reversés.
Points Seuil
* du même auteur, en poche aussi : clic.
05:55 Publié dans Je l'ai lu !, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : olivier adam, alice zeniter