20/12/2019
Ici tout est encore possible
"Je doute que la sécurité dans laquelle je vis corresponde à la réalité. J'aspire à l'incertitude, à davantage d’authenticité peut être, au concret. j'aimerais être capable de distinguer l'important de l’accessoire. J'aimerais faire partie d'une histoire ou de plusieurs histoires en même temps."
Tout semble paradoxal dans ce roman. En effet, l'héroïne choisit de devenir veilleuse de nuit dans une usine vouée à la fermeture car "Ici, un nouvel environnement s'offre à l'exploration. Ici, tout est encore possible."
La narratrice, cantonnée à un espace réduit, s'intéresse aux frontières, celles de son propre corps, celles de l'espace qui l'entoure et dont elle a la charge. Elle doit notamment empêcher qu'un loup (réel ou imaginaire), quittant l'espace de la forêt toute proche ,n'entre dans l'espace de l'usine.
Autre figure de l'étrange étranger, cet homme tombé du ciel des années plus tôt , un migrant sans doute, resté non identifié et dont la commune s'est employée à louvoyer pour ne pas avoir à s'acquitter de son enterrement.
C'est finalement la narratrice elle-même qui fera naître des soupçons concernant son identité auprès de la petite communauté villageoise.
Amateurs de sensations fortes, d’explications claires, passez votre chemin. Nous sommes ici au royaume de l'implicite, du non-dit et du sous texte et si l'écriture semble sans attraits, elle n'en est pas moins efficace pour sire la monotonie de ces existences volontairement étriquées. ça passe ou ça casse, mais ce texte distille près coup un charme certain.
Traduit de l'allemand (Suisse) par Françoise Toraille
Éditions Delcourt 2019.
prix Robert Walser 2019
06:03 Publié dans romans suisses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gianna molinari
19/12/2019
Croire aux fauves
"J'ai perdu ma place, je cherche un entre-deux. Un lieu où me reconstituer. Ce retrait-là doit aider l'âme à se relever. Parce qu’il faudra bien les construire, ces ponts et portes entre les mondes; parce que renoncer ne fera jamais partie de mon lexique intérieur."
Spécialiste des populations arctiques, l'anthropologue Nastassja Martin est attaquée par un ours le 25 août 2015. Tels sont les faits .
Mais la principale intéressée préfère évoquer l'événement en tant que rencontre et échange, car si l'ours l'a défigurée, emportant en lui une partie du visage de l'humaine , elle-même estime que les frontières entre humain et animal sont poreuses et qu'elle a donc gardé en elle quelque chose de l'ours.
En effet, l'ours n'est pas n'importe quel animal, il faisait partie selon l'auteure de sa destinée, de son rêve et la rencontre était inéluctable.
L'animisme est au cœur de ce récit exigeant et poétique qui raconte tout à la fois une reconstruction mais aussi la nécessité d'instaurer "une négociation au sujet du monde dans lequel nous allons vivre."
Un récit enthousiasmant.
Éditions Verticales 2019, 151 pages troublantes
06:00 Publié dans Récit de vie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : nastassja martin
18/12/2019
Sur les ossements des morts...en poche
Une petite piqûre de rappel !
"Après tout, pourquoi devrions-nous être utiles ?"
Ni émotive, ni sentimentale- c'est-elle qui le dit- Janina Doucheyko, ingénieure en retraite férue d'astrologie,passionnée par l’œuvre de William Blake, s'occupe des résidences secondaires d'un hameau niché dans les bois polonais. L'hiver, ils ne sont que trois à vivre dans ce lieu difficilement accessible, à un jet de pierre de la Tchéquie. Un soir, Matoga , l'un de ses voisins , vient donner l'alerte : le braconnier Grand Pied est mort. Pour Janina cela ne fait aucun doute: les animaux se sont vengés. La série de meurtres qui survient ensuite semble lui donner raison , mais qui va croire cette vieille toquée de Janina dans un microcosme où les chasseurs font la loi ? D'autant que les lettres qu'elle envoie aux autorités font état d'une théorie abracadabrantesque, mêlant influence des astres et vieilles légendes. L'amour inconditionnel de Janina pour la nature, sa forte personnalité qui se découvre au fur et à mesure, son humour iconoclaste ( Il fut un temps, en effet, où j'ai couché avec un catholique, mais le résultat n'a pas été fameux.) , son excentricité, ses certitudes farfelues ont tout de suite entraîne mon adhésion. Le récit est bien tenu, brosse de manière convaincante le portrait de cette petite communauté polonaise et le style fluide et élégant (bravo à la traductrice) ne fait qu'ajouter au plaisir de la lecture. Un roman dévoré d'une seule traite et un énorme coup de cœur ! Vite faites la connaissance de Janina !
Sur les ossements des morts, Olga Tokarczuk, traduit brillamment du polonais par Margot Carlier
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans polonais | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : olga tokarczuk
17/12/2019
La vie en rose
"La scène a la beauté virile d'un clip de Michel Sardou, la profondeur de champ d'un film de Luc besson et la sauvage détermination d'un texte de Didier Barbelivien."
Ses parents partis en Polynésie, Rose se trouve en charge de ses frères et sœurs, cette famille qu'elle qualifie elle même de "dysfontionnante" . Famille qui va bientôt s'agrandir car la jeune femme se découvre bientôt enceinte des œuvres du lieutenant Personne avec qui elle s'est installée.
Cette férue de Cervantès, Caldwell et la Boétie, arborant des tee-shirts Metallica va aussi se trouver au cœur d'un maelstrom d’émotions et d'aventures en tous genres dans lesquelles sont impliqués les membres sa drôle de famille, sans compter un tueur en série qui sévit dans le lycée de la ville.
Multipliant les intrigues en apparence accessoires, Marin Ledun réussit le pari de tout tirer en clair et d'harmoniser cet apparent chaos farfelu et plein d'humour. Les vacheries fusent : " - Mon dieu que vous êtes grosse, ma pauvre fille!
Je l'adore déjà."
Les références littéraires se ramassent à la pelle (et les Listes à Lire augmentent à vue d’œil), et même si l'identité de l'assassin n'est pas difficile à trouver, l’essentiel est de passer un excellent moment de détente avec ce polar enlevé et plein d'humour. Mission accomplie et on en redemande !
Ce roman est la suite de Salut à toi ô mon frère (clic) et il vaut mieux les lire à la suite, oui.
05:55 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : marin ledun
16/12/2019
Le Blob...en poche
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander
Le blob, j'ai d'abord cru à une blague. Vague réminiscence du titre d'un film des années 80, remake d'un film de SF des années 50 où une masse visqueuse engloutissait tout sur son passage.
Mais non, le blob existe bel et bien . Longtemps identifié comme un champignon, il dispose à présent d'une catégorie bien à part (merci Wikipédia) : Physarum polycephalum est une espèce de myxomycètes de la famille des Physaraceae, vivant dans des zones fraîches et humides telles que les tapis de feuilles des forêts ou le bois mort.
Cette "masse jaune à la texture spongieuse" , sans bouche ni yeux, ni cerveau , parfois poétiquement appelée "caca de lune" ou "vomi de chien" dispose de capacités étonnantes qui pourraient bien faciliter notre vie quotidienne.
De quelles manières ? Je vous laisse le soin de le découvrir dans cet ouvrage de vulgarisation, véritable plaidoyer pour la recherche scientifique, qui pointe aussi les défauts d'un microcosme devant assurer son financement et n'hésitant pas parfois à embellir quelque peu la réalité, quitte à prendre ses distance avec la rigueur scientifique.
Audrey Dussutour raconte avec verve sa rencontre avec le blob, ses aventures, ses échecs, avec un enthousiasme communicatif. Une belle découverte.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Sciences | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : audrey dussutour
11/12/2019
Artistes femmes
"Les femmes doivent-elles être nues pour entrer au Metropolitan Museum ? "
Du XVI e siècle à nos jours, une présentation claire et concise des femmes artistes dont l’œuvre est trop souvent méconnue. J'ai apprécié qu'on ne se limite pas dans cet ouvrage de vulgarisation à tout petit prix (12 euros) aux femmes européennes et/ou américaines.
Il n'en reste pas moins que certaines françaises contemporaines sont cruellement absentes (Annette Messager, Sophie Calle, pour ne citer qu'elles...).
Une bonne introduction au format poche qui donne envie d'aller plus loin dans la découverte de la vie et l’œuvre de ces femmes dont pour certaines j’ignorais jusqu'à l'existence.
Flammarion 2019, 165 pages. Flavia Frigeri
06:00 Publié dans Art | Lien permanent | Commentaires (0)
02/12/2019
Notes à usage personnel
"J'ai peur d'être cette femme qui dérange. Et peur de ne pas déranger assez.
J'ai peur. Mais je le fais quand même."
Dans ces Notes à usage personnel, Emilie Pine évoque d'abord les souvenirs qu'elle a gardé d'une crise familiale: celle où son père, volontairement exilé en Grèce, a failli mourir à cause de son addiction à l'alcool.En filigrane, elle dépeint le portrait d'un homme, écrivain, autocentré et bien peu concerné semble-t-il par ses filles. Avec franchise, courage, c'est aussi le dialogue entre un père et sa fille, en perpétuelle évolution, avec ses hauts et ses bas ,qui se donne aussi à lire et l'essentiel est qu'il continue.
Dans les cinq autres essais, Emilie Pine va encore au plus près de son intimité puisqu'elle évoque tour à tour son infertilité (alors que sa sœur est enceinte), son sentiment de solitude quand ses parents sont séparés dans une Irlande qui n'autorisait pas encore le divorce, son anorexie et de manière plus générale son rapport difficile à la douleur et au corps , les violences faites au femmes, son addiction au travail et la dépression.
Féministe, elle l'est mais ce n'est pas pour autant facile de d’admettre, même a posteriori ,qu'elle a été violée, tant la question du consentement était alors biaisée, et le reste encore trop souvent. Ce n'est pas non plus facile de lutter contre le sexisme ambiant , même quand, comme elle, on occupe un poste de professeure de théâtre contemporain au sein d'une université.
Un parcours poignant, au plus près du corps et des émotions, sans fards qui bouleverse m,ais donne aussi à réfléchir. On se réjouit que l'auteure, à qui son père avait fait promettre quand elle était enfant, de ne pas écrire , n'ait pas respecté cette promesse.
Traduit de l'anglais (Irlande) par Marguerite Capelle. Delcourt 2019, 188 pages puissantes.
06:00 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : emilie pine, irlande, femmes
01/12/2019
Le goût du baiser
"Physiquement, j'ai besoin de taper contre quelque chose ou contre quelqu'un . J'ai besoin de sentir mon corps. Mon corps devenu en partie insensible, anesthésié.Mon corps confisqué, et moqué par Antoine."
A la suite d'une chute de vélo, par ailleurs sans gravité, Aurore a perdu le goût et l'odorat. Pour cette élève de première commence alors une période particulièrement angoissante : comment savoir si on ne sent pas mauvais, comment savoir si on ne se met pas en danger (en ne sentant pas l'odeur du brûlé, par exemple) et surtout comment ne pas perdre goût à la vie et à tous les plaisirs gustatifs et sensoriels en étant privée de deux sens ?
La seule à être au courant au lycée est sa meilleure amie , Bintou, qui avec son franc-parler et son humour parfois cru , guide en quelque sorte Aurore dans ses relations aux autres, l'aidant à envoyer aux orties les préjugés sexistes qu'Aurore a parfaitement intégrés.
Mais c'est Aurore elle-même qui parviendra à reconquérir son corps en se lançant dans une pratique sportive qui lui permettra d'évacuer et de maîtriser la rage qu'elle sent en elle. C'est aussi la rencontre d'une jeune homme , Valentin, un peu plus âgé et surtout plus mûr que les petits cons ( égoïstes et nuisibles ) du lycée qui lui permettra peut être de lui redonner Le goût du (de ?) Baiser.
Parfaitement ancré dans l'univers contemporain, ce premier roman de la collection l'Ardeur (dûment muni d'un avertissement : certaines scènes explicites peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes) n'a pourtant pas une visée masturbatoire mais bien plus didactique. En effet, via Bintou et Valentin, Aurore va peu à peu prendre conscience que ce qui est véhiculé par les films pornos ou la société ne respecte pas les désirs des femmes.
Camille Emmanuelle montre les rapports parfois ratés, l'irrespect de l'autre de l'autre (amplifié par les réseaux sociaux) mais aussi la tendresse et les relations équilibrées, sans pour autant sacrifier l’aspect narratif de son texte. Un petit bémol: la fin un peu trop cliché mais bon, on ne se plaindra pas car un texte qui propose autant de pistes aux jeunes filles d'aujourd'hui pour contrer la société machiste ne peut que nous réjouir.
Camille Emmanuelle, Thierry Magnier 2019, 221 pages enthousiasmantes.
07:00 Publié dans Jeunesse, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : camille emmanuelle, l'ardeur, éditions thierry magnier
22/11/2019
Les sorcières de la littérature
"Angela arrose ses rosiers lorsqu'une poupée vêtue d'une houppelande écarlate fait irruption dans son jardin. Encore une, c’est pas vrai ! Angela lève les yeux au ciel. elle saisit on poignard et frappe la poupée en plein cœur." (extrait de la présentation d'Angela Carter)
Ouvrez vite ce grimoire qui dévoile la magie de 30 femmes écrivaines, poétesses minimalistes ou incandescentes, autrices de science-fiction, de fictions horrifiques, d'hier ou d'aujourd'hui.
Venues des quatre coins du monde, connues ou non, injustement oubliées ou pas, il convient de se précipiter sur ce livre pour célébrer leur force créatrice, leur volonté de briser les carcans de la société, par le truchement de leurs mots.
Une définition vigoureuse les présente en quelques mots, dégageant les thèmes de leurs œuvres. Ainsi de Sylvia Plath : Furie de la maternité, du mariage et de la lune ; formules tour à tour évocatrices et énigmatiques qui donnent envie de découvrir les autrices qui nous sont encore inconnues : Sibylle aux multiples visages , aux ovules célestes et aux fantasmes tordus (Yumiko Kurahashi).
Taisia Kitaiskaia se charge ensuite de présenter la biographie de chacune d'entre elles et de nous livrer une liste de lectures recommandées (de quoi faire grandir nos Piles à Lire...), textes que Katy Horan illustre d'un portrait en couleur de chacune de ces sorcières de la littérature. Une préface de Chloé Delaume complète le tout.
Voilà donc tous les ingrédients d'un livre enthousiasmant qui file directement sur l'étagère des indispensables et qui devrait se trouver au pied de chaque sapin de sorcière .
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Cécile Roche, Autrement 2019
06:00 Publié dans Essai, l'étagère des indispensables | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : taisia kitaiskaia, katy horan, chloé delaume, cécile roche
19/11/2019
#PasseMoiLeChampagneJ'AiUnChatDansLaGorge #NetGalleyFrance
"Bernard Arnault c'est le A de LVMH."
Les revoilà, encore plus riches, encore plus déconnectés de la réalité, la langue encore plus acérée et peut être encore plus drôles: les gens du monde de la mode, dont certains travers sont certes spécifiques, mais dont les réflexions, glanées par Loïc Prigent, pourraient très bien concerner d'autres milieux.
On sourit, on rit franchement, on grince des dents parfois devant tant d'arrogance décomplexée mais on surligne à tour de bras ces réflexions dont on ne sait parfois si c'est elles sont l'expression d'une méchanceté assumée ou d'une bêtise irrémédiable.
un petit florilège: "Je suis un fou de la santé. Je fais de la respiration jusqu'à six heures par jour quand je peux."
"Elle est passionnante comme la photocopie d'une feuille blanche."
"C'est quoi sa formation ?
- Piston +4."
"Me regarde pas j'ai mon mauvais profil aujourd'hui."
"Je déteste les fleurs. Envoie moi un sac à la place."
"Elle est de quelle origine ?
- Conne."
"J'étais à un mariage où personne n'allait à la gym c'était affreux."
"Pour être heureux il faut jamais penser. Elle est hyper heureuse."
"J'ai deux rendez-vous dont deux ennuyeux."
Grasset 2019
Du même auteur : clic.
06:00 Publié dans Humour | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : loïc prigent