04/08/2009
La blessure. Anna Enquist #3
La blessure est un recueil de nouvelles parfaitement clos sur lui même. En effet, Anna Enquist réussit le tour de force de partir d'un fait authentique, un père et ses deux fils qui ont erré sur un bloc de glace pendant quatorze jours au 19 ème siècle "la traversée", de nous parler de relations familiales plus contemporaines, de football, de l'organisation de la cuisine d'un hôpital, de tableau retrouvé, pour terminer par un texte qui nous donne, mine de rien, en passant, des nouvelles de personnages évoqués précédemment, dans un paysage d'une luminosité, une blancheur absolue, équivalente à celle inaugurant le recueil. Armature solide donc.
Point commun à tous ces personnages, qu'ils soient adultes ou enfants ? Une blessure, une fragilité,"Je me sens comme un tache mal délimitée" qui va soudain les faire basculer , un peu -ou plus - dans un état de bouleversement qu'ils affronteront avec des armes variées. Ce peut être la politesse car "La politesse est un poignard en or", la connaissance: Jacob qui est le seul à savoir nager et lire dans cette famille de pêcheurs, veut à tout prix s'en sortir, alors que son père et son frères, plus frustes, s'abandonnent aux éléments...
Anna Enquist souligne les ambivalences de ses héros, ainsi une adolescente qui ment à ses parents pour aller rejoindre celui dont elle croit être amoureuse : "Pourquoi ne sait-elle pas ce que je fais, pense Hanna,pourquoi est-ce que je me mets à pleurer, pourtant je ne veux surtout pas qu'elle le sache."
L'auteure excelle à nous montrer, sans pathos, l'hystérie qui s'enflamme soudain dans une communauté vivant en quasi autarcie, ou celle qui couve à bas bruit dans le cerveau d'un excellent gestionnaire, plus apte à la déceler chez les autres qu'à la reconnaître chez lui. La description de toutes les stratégies qu'il met en place inconsciememnt pour la tenir à distance est proprement époustouflante. Quant à celle, hallucinée ,des relations d'un couple hollandais dans un camping français à la veille d'un match de foot , elle vaut aussi tous les romans."Les vacances se passent à laver.De la vaisselle, des vêtements, des corps.Tout est enduit de savon et maintenu sous un filet d'eau. Pendant ce temps, il faut crier comme dans une conversation en plein ouragan.
"Je voudrais être morte.
-Je n'arriverai pas à me débarrasser de cette tache de gras.
- Ce soir je vais me pendre
-J'aimerais faire des rognons. "
Et cetera.Tout se perd dans le vent."
C'est en effet avec une grande économie de moyens, mais avec beaucoup d'empathie, qu'Anna Enquist relate ces instants , sans jamais céder à la facilité de la nouvelle à chute, préférant évoquer des atmosphères, raconter de manière simple , nette et efficace. Ainsi en deux phrases : "Le morceau de glace remonte en basculant à la surface. Pas père." Du grand art .
La blessure, Anna Enquist.1999, édité chez Actes Sud en 2005, chez Babel en 2007.Traduction du néerlandais par Isabelle Rosselin267 pages infiniment justes.
Un énorme merci à Cuné qui m'a offert ce livre, me permettant ainsi de découvrir cette auteure !
06:00 Publié dans Littérature néerlandaise | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : anna enquist, nouvelles, communication, basculement, fragilité mentale
06/12/2008
piqûre de rappel !
Ron l'infirmier s'appelle en réalité William Réjault, c'est du moins sous cette identité qu'il apparaît sur la couverture de La chambre d'Albert Camus et autres nouvelles qui vient de sortir en poche.
Billet ici !
20:18 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : ron l'infirmier, nouvelles, la chambre d'albert camus, william réjault
25/11/2008
"Tous avaient triomphé à leur façon. Simplement en vivant, en parvenant à leur âge."
Les héroïnes de Mary Gordon craignent souvent de se faire rattraper par un passé qu'elles considèrent comme peu glorieux, vaguement humiliant. Par conséquent , elles ne mentionnent même pas la présence , pourtant évidente,de celles qui incarnent "Celle que nous craignons de devenir quand nous aurons perdu notre prospérité.
Celle que nous sommes réellement."
Ce sentiment d'imposture les taraude , tout comme les erreurs d'interprétation qu'elles commettent ou qu'on commet à leur encontre, même si cela leur serait favorable.
Elles cherchent à se "créer un monde exempt de perturbations" mais évidemment se prennent la réalité en pleine figure. Il ne leur reste donc plus qu'à se préserver un semblant de dignité pour continuer à avancer...
Les petites filles des nouvelles de Mary Gordon débusquent les intentions cachées derrière la bonté apparente des adultes et ne se veulent redevables de rien. Elles observent le monde avec acuité , et leur vision parcellaire n'en est pas moins dérangeante pour leur entourage.
Tout ceci pourrait être sinistre,il n'en est rien car la plume de Mary Gordon est alerte , pleine d'humour et d'empathie pour ses personnages.
Kathleen, Nettie, et tous les autres, sans oublier Le mari de la Traductrice, apprécient la douceur d'une pluie , s'entendent comme larrons en foire et savent faire souffrir sans remords ou presque.
Fil rouge entre tous ces récits, une narratrice écrivaine , situation qui ne la préserve pas du sentiment d'imposture , qui donne à voir en action le travail de création littéraire.
Vingt et une nouvelles aux tonalités très différentes mais qui réchauffent le coeur. Une écrivaine à découvrir sans tarder, foi de livre corné !
Mary Gordon. Le mari de la traductrice. Quai Voltaire.408 pages
05:50 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : mary gordon, le mari de la traductrice, femmes, sentiment d'imposture, nouvelles
20/09/2008
Petit éloge des éloges
Enfin ! Trois petits éloges qui valent le détour alors que leurs petits frères, arguant de jolies couvertures et de l'attrait irrépressible que suscite chez moi le mot "éloge" ne m'avaient apporté que déceptions !
Commençons par Didier Daninckx qui nous rappelle dans sa préface que la littérature a souvent eu comme point de départ des faits-divers, que les romanciers s'en prévalent ou pas. Pour lui "Le fait divers est le premier monument érigé à la mémoire des victimes, même si ce n'est qu'un pauvre monument de papier noirci." Cinq nouvelles ayant comme point de départ des faits-divers plus ou moins récents vont nous permettre de (re)découvrir par ce biais des morceaux de la grande ou de la petite Histoire. J'ai particulièrement apprécié celle évoquant, tout en retenue, un adjudant de sinistre mémoire, tueur en série, récit qui se termine par une pirouette jubilatoire...
Poursuivons avec Natalie Kuperman qui avec un titre un peu provocateur,Petit éloge de la haine, confirme ici tout le bien que je pensais d'elle à la lecture de J'ai renvoyé Martha.
Monde de l'entreprise ou d el'enfance, rapports de couples ou d'amis, tout passe joyeusement à la moulinette et une "Mini petite souris" faisant irruption de manière innocente dans un appartememt va déclencher une réaction en chaîne tout à fait réjouissante pour le lecteur. Mais je m'en voudrais de gâcher votre plaisir en en disant plus. Juste une citation au passage : "Un espace inoccupé accueille des possibilités déstabilisantes, c'est contre cela que l'on travaille, que l'on agit , que l'on pense."
06:08 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : nouvelles, humour caustique, éloge, didier daeninckx, petit éloge des faits divers, petit éloge de la haine, nathalie kuperman
18/09/2008
« si se sentir bien signifie chanter de cette façon, je préfère peut être rester comme je suis. »
Si tu manges un citron sans faire de grimaces , le narrateur d’une des nouvelles de Sergi Pàmies l’a entendu à la radio, tous tes désirs seront accomplis. Mais de peur de grimacer et que plus un de ses désirs ne s’accomplisse, il s’abstiendra de tenter l’expérience.
Ouvrir un recueil de Sergi Pàmies c’est entrer dès la première phrase de chaque texte dans un monde que nous connaissons mais où tout est faussé, cintré, dès l’entrée. Je vous en livre un florilège : « Il a fallu que je meure pour savoir si on m’aimait. », « Assis sur un banc des Ramblas, je compte les femmes avec lesquelles j’aimerais coucher. », Ensuite tout se déglingue et l’écriture imagée De Pàmies nous emporte dans un univers qui s’interroge aussi sur la fiction, « J’écris l’histoire d’un personnage de fiction qui , à l’heure prévue, atterrit dans un aéroport. », un univers souvent grinçant où les héros ont disparu, jettent des bouteilles sans espoir à la mer : « J’envoie des enveloppes vides à des gens que je ne connais pas. », s’efforcent de gommer leurs sentiments : « Je me réveille avec une très forte envie de pleurer, mais comme aujourd’hui j’ai beaucoup de travail, je décide que je pleurerai plus tard. ». Mais ces non-héros ne sont-ils pas nos frères ?
Une vingtaine de textes à la longueur maîtrisée ,où des personnages empesés dans leur vie s’agitent en essayant de conserver leur dignité. Un auteur à découvrir sans plus attendre.
Un grand merci à Cuné pour cet envoi réjouissant !
Ps: il me tarde de m'identifier totalement à la couverture...
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : nouvelles, banalité de l'existence, si tu manges un citron sans faire de grimaces, sergie pàmies
15/09/2008
"les nouvelles , c'est comme les empanadas...
En tronquant le vers de Joachim Dubellay qui donne son titre au recueil, Georges Flipo donne le ton. Il n'est pas forcément heureux Ulysse et il n'a pas forcément fait un beau voyage.Dans ces quatorze nouvelles aux tonalités très différentes, l'auteur, plus que des pays ou des paysages, explore l'âme humaine, ses petitesses, ses noirceurs encore exacerbées par l'éloignement du pays natal. Comme si loin de chez soi, nos plus viles passions ou nos mensonges se donnaient libre-cours... Certains voyageurs se dépasseront pourtant en choisissant d'aller jusqu'au sacrifice pour connaître la rédemption...Mais tout n'est pas noir pour autant et de jolies bulles de nostalgie ou de tendresse viennent réconforter le lecteur embarqué dans un périple qui nous conduit en Amérique Latine, en Asie, à Venise ou bien plus près de chez nous...
On se dit que Georges Flipo possède le don , comme un de ses héros de susciter (et d'exploiter? ) les confidences, (comment autrement se glisser dans la peau de sept femmes quadragénaires? ), mais comme il a beaucoup de talent, il lui sera beaucoup pardonné...
Heureux Qui comme Ulysse , et beaucoup d'autres déjà, a lu, ce recueil .
Pour écouter une nouvelle, toute en sensibilité et en émotion, lue par Cuné, c'est ici !
L'avis de Cuné
Celui de Laure
N'hésitez pas à vous signaler pour que je mette votre article en lien !
06:06 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : voyages, nouvelles, qui comme ulysse, georges flipo