28/07/2009
Le chef d'oeuvre. Anna Enquist # 1
Un repas familial, rien de tel en littérature (ou au cinéma , cf Festen) pour concentrer en un même lieu des protagonistes qui vont pouvoir s'écharper entre la poire et le fromage.L'originalité d'Anna Enquist est de nous amener progressivement à cette acmé qui devrait voir aussi le triomphe absolu du peintre Johan Steenkamer, lors d'une exposition de ses oeuvres et en particulier de son Chef d'oeuvre. Pour autant celui-ci n'est pas le personnage principal, quoi qu'il lui en coûte ! Ce sont les femmes que l'auteure privilégie: Lisa, psychiatre et meilleure amie d'Ellen, la femme de Johan, mais aussi Alma, la mère pas si indigne que ça. Chacune d'entre elle fait face à l'adversité même si souvent elles sentent le sol se dérober sous leurs pieds ou qu'au contraire elles ont besoin d'affronter un "sol récalcitrant"...La marche entr'amies sera aussi d'un grand secours pour exorciser en partie la douleur...
Peignant au plus près la nature dans ses aspects quotidiens et féroces, Anna Enquist établit aussi des parallèlles entre le monde des animaux, où les petits peuvent se faire dévorer par leurs parents, et celui des humains où la férocité est plus larvée.
Familles en décomposition ,"frictions familiales" dues à la lâcheté ,aux jalousies,aux trahisons, impossibilité de communiquer dans le couple ,rapports entre création et amour, Anna Enquist aborde ici dans ce premier roman les thèmes qu'elle ne cesse d'explorer dans un style à la fois tout en retenue et au plus près des émotions et des sensations.
La structure de l'oeuvre, très maîtrisée (trois parties allant crescendo) contribue à débarasser de tout pathos des situations particulièrement difficiles. Ainsi au début de la deuxième partie, craignant d'avoir laissé passer une information importante , suis-je repartie un peu en arrière. Mais non, j'avais lu attentivement et l'information ainsi lâchée au détour d'une phrase, de manière quasi anodine, n'en prenait que plus de puissance, irradiant de toute sa noirceur contenue.
"Observer c'est survivre", remarque un des personnages et cette maxime Anna Enquist l'applique pour le plus grand bonheur du lecteur, elle qui se penche avec intérêt et compassion sur le destin de chacun de ses personnages, sans jamais les juger.
Une oeuvre puissante, une romancière pour qui j'ai eu un énorme coup de coeur et dont j'ai dévoré à toute allure l'oeuvre parue en France. Vous n'avez pas fini d'entendre parler d'elle sur ce blog ! :)
Le chef d'oeuvre, paru aux Pays-bas en 1994 et en France chez Actes Sud en 1999, Babel, 2001. Traduction de Nadine Stabile.
Biographie et traduction d'un poème d'Anna Enquist ici.
06:00 Publié dans Littérature néerlandaise | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : anna enquist, peinture, famille, névroses, couple, enfants