05/01/2021
Les grandes occasions
"Dans la famille, il n'y a pas d'affection. On ne sait pas se toucher. Le corps est absent. Aussi absent que les espoirs. La même peur de décevoir. La même peur du rejet, de l'énervement formidable si on s'approche trop. Chacun doit rester en soi. Se maîtriser. Ne pas donner aux autres la responsabilité de s'aimer. "
Esther, par cette journée caniculaire , veut à tout prix réunir cette fratrie qui se délite autour d'elle et de son mari Reza. Deux garçons, deux filles , leurs enfants aussi, qui, comme d'habitude, sont en retard, voire trouveront des prétextes pour ne pas se retrouver autour de celle qui, patiemment a noué, métaphoriquement, les fils d'un tapis qu'elle espère solide et durable.
L'attente est aussi le prétexte pour revenir sur le passé, les mille et une histoires de cet amour empêché au sein de cette famille.
Je l'avoue, j'ai bien failli abandonner ce récit majoritairement composé de phrases juxtaposées (pour mieux rendre l'absence de liens entre les protagonistes ?) qui ressassait trop à mon goût cette métaphore du tapis.
Mais J'aurais eu tort de me laisser gêner par ce défaut mineur qui disparaît ensuite au premier tiers du livre , pour mieux fouiller les portraits des différents protagonistes, leur donner de l'épaisseur et davantage faire confiance au lecteur, en ne lui donnant pas forcément toutes les réponses.
Un roman qui fouille les plaies, procure parfois une sensation d'étouffement ,mais brosse un portrait de groupe criant de vérité. Un premier roman non exempt de défauts ,et c'est normal ,mais qui augure bien de l'avenir de cette romancière.
Les Avrils 2020 , 249 pages écrasées de soleil.
Merci à l'éditeur et à Babelio.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : alexandra matine, famille
05/11/2012
La promesse du bonheur
"Les familles sont comme les anémones de mer, promptes à se refermer."
Fi du stoïcisme anglais ! Charles doit bien l'admettre : avec l'incarcération de sa fille préférée, Juliet (dite Ju-Ju), c'est toute la famille qui a été touchée dans ses fondements les plus intimes. Le choc a été d'autant plus rude que Juliet avait tout pour elle: intelligence, charme, beauté. Personne ne comprend donc pourquoi elle s'est retrouvée impliquée dans le vol d'un vitrail et incarcérée deux ans aux Etats-Unis où elle avait commencé une brillante carrière dans le monde de l'art.
Mais à y regarder de plus près ce délitement n'avait-il pas commencé plus tôt ? En tout cas, le retour de la fille prodigue en Cornouailles est l'occasion de réflexions et de subtils ajustements pour chacun tente de redorer l'image qu'il se fait de la famille.
Sous la plume à la fois acérée et bienveillante de Justin Cartwright c'est toute une tribu avec ses mensonges plus ou moins gros, ses solidarités secrètes, sa tendresse aussi qui se donne à voir. De la mère qui tente de faire face en cuisinant d'improbables recettes, au père qui se voudrait parfait mais n'assume absolument pas , en passant par le frère à qui l'on confie le rôle d'élément équilibrant, sans oublier la cadette qui aurait tout pour jalouser sa soeur aînée, chacun se donne à voir en ses replis les plus intimes. Une réflexion sur la famille donc, mais aussi sur l'illusion, dont la condamnation de Juliet n'est qu'un exemple.
Le récit ne ménage pas les révélations mais chaque personnage est présenté de manière nuancée et l'écriture est tout à fait splendide ! Vite, découvrez cet auteur qui vient enfin d'être traduit en français !
La promesse du bonheur, Justin Cartwright, traduit de l'anglais par France Camus-Pichon, Editions Jacqueline Chambon, 332 pages délicieusement british !
06:00 Publié dans rentrée 2012, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : justin cartwright, famille
15/09/2012
Retrouvailles...en poche.
"Nous sommes des êtres humains à l'état brut."
Onze mois de différence entre Veronica et son frère Liam. Onze petits mois qui expliquent peut être l'affection indéfectible qui les unit et les particularise dans cette famille nombreuse (ô combien !) irlandaise. Quand son frère se suicide,Veronica écrit furieusement pour remonter à la source de ce geste pour elle incompréhensible, tenter de mettre à jour la scène qui a pu déclencher le mécanisme aboutissant à cette mort.
Alternant passé et présent Retrouvailles est un roman puissant, dérangeant ,qui reconstitue le passé, non pas avec une assurance tranquille, bien peignée, lisse, (et un tantinet suspecte) mais d'une manière hirsute," à la diable",n'hésitant pas à dire qu'il s'agit peut être de souvenirs inventés, mais revenant avec obstination sur cette scène primitive qui devrait lui livrer-peut être- la clé de cette famille marquée par l'influence d'Eros.
La narratrice,surtout au début du roman utilise un langage cru, que ce soit pour parler de sa famille ou de sa relation de couple qui s'effiloche : "Il y avait des filles, à l'école, dont les familles augmentaient jusqu'au nombre conséquent de cinq ou six. il y en avait chez qui ça grimpait jusqu'à sept ou huit- ce qui était jugé un tant soit peu enthousiaste-et puis il y avait les pitoyables comme moi, avec des parents totalement désarmés qui se reproduisaient comme on irait aux chiottes."Mais cette violence n'est là que pour montrer le maëlstrom d'émotions de Veronica, qui triture les phrases, malmène son mari et embarque le lecteur ,parfois abasourdi mais totalement conquis dans une lecture qui le laisse un peu groggy mais en même temps séduit.
Au diable les bons sentiments ! "Le truc merveilleux quand on est élevé à la diable, c'est qu'il n'y a de reproches à faire à personne. Nous sommes entièrement élevés en plein air. Nous sommes des êtres humains à l'état brut. Certains survivent mieux que d'autres, c'est tout."Pourtant il y a de l'amour qui court tout le long de ce livre, un amour qui ne dira son nom que quand la narratrice aura enfin trouvé l'apaisement.
Quant au style, il est tout à la fois sensuel, le passé étant très lié aux sensations,cru, cahotique, fougueux et plein d'humour féroce. On se laisse embarquer dans ce roman comme on ferait un tour dans une essoreuse à plein régime et on en sort étourdi mais bourré d'énergie.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : anne enright, irlande, famille
05/02/2012
L'été de l'ours
"Qui savait pourquoi la vie des uns allait de travers et celle des autres non ? "
Une drôle de voiture brinqueballe sur la route. à l'intérieur une famille brisée, celle des Fleming, qui part se réfugier sur une île des Hébrides.
Depuis le décès de son mari, diplomate anglais de haut rang en poste à Bonn en pleine guerre froide (nous sommes au début des années 80), Letty doit tout à la fois faire face à cette mort aussi soudaine qu'inexpliquée et affronter les soupçons de trahison qui pèsent sur son époux. Quant aux enfants, quelque peu livrés à eux-mêmes sur cette île qu'ils affectionnent particulièrement, ils affronteront l'épreuve chacun à leur manière, cruelle, sensuelle ou onirique.
Et l'ours me direz-vous ? Hé bien, il joue un rôle tout à fait particulier que je vous laisse le soin et le plaisir de découvrir !
J'ai tout aimé dans ce livre ! La description des liens subtils entre les membres de cette famille déchirée qui ne parvient plus à communiquer, chacun recroquevillé sur sa douleur ; la douceur de Georgie, la fille aînée, la cruauté de la terrible Alba qui tyrannise son petit frère Jamie que sa mère veut à tout prix protégé car il est hypersensible et d'une maladresse maladive. "Comment survivrait Jamie dans le monde des adultes sans recourir à l'ironie ou au sarcasme, alors même que sa condition invitait l'utilisation constante de ces instruments contre lui ? ", s'inquiète aussi Georgie.
Pourtant Jamie, à sa manière maladroite, poétique et lunaire devra se confronter à la vérité et il n'est pas forcément le plus mal armé pour cela...
Oui, j'ai tout aimé : l'atmosphère de cette île sauvage et fascinante ,la présence si singulière de l'ours, le style fluide et imagé, les personnages qu'on a envie de réconforter tellement on les sent proches de nous, la structure du roman, donnant la parole alternativement aux personnages, la manière dont l'énigme est résolue...
Un bon gros roman (405 pages qui se dévorent !) réconfortant et chaleureux !
L'été de l'ours, Bella Pollen, traduit de l'anglais par Florence Bertrand, Belfond 2012.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : bella pollen, famille, trahison, guerre froide
10/04/2011
Cette main qui a pris la mienne
"Vous autres, les jeunes, vous êtes obsédés par la vérité. C'est une chose qu'on surestime souvent."
Alexandra, rebaptisée Lexie par celui qui va lui mettre le pied à l'étrier et lui ouvrir les portes de l'univers londonien de l'art , a réalisé son rêve : devenir journaliste et mener sa vie professionnelle et amoureuse avec indépendance et insolence. Elle évolue avec aisance dans ce swinging London mais , comme nous en prévient bientôt l'auteure , Lexie ne vivra pas bien vieille...
Quarante ans plus tard, la naissance du bébé d'Elina et Ted vient perturber le bel ajustement de leur vie. Tandis que la jeune femme se remet difficilement d'un accouchement qui a failli lui coûter la vie et semble avoir perdu des pans entiers de sa mémoire récente, son mari, au contraire, recouvre sous forme de flashs des moments de son passé qui ne semblent pas correspondre à ce qui lui a été raconté par sa mère. Bientôt, il découvrira en quoi les non dits ont pesé sur sa vie.
Assez rapidement, on pressent de quelle manière les destins d'Elina et Lexie sont liés mais tout l'art de Maggie O'Farrell est de parvenir néanmoins à surprendre son lecteur et à le plonger dans un profond malaise.
Il est question ici de filiation et O'Farrell analyse avec une sensibilité extrême la manière dont à quarante ans de distance deux femmes se laissent bouleverser par l'arrivée de leur premier enfant, ce qui nous vaut de très belles pages, n'occultant pas l'aspect à la fois sauvage et exclusif de cette relation. Elle fait également la part belle au nouveau père qui se trouve quelque peu démuni devant cet enfant qui restera longtemps sans prénom...
Un roman plein de vigueur, d'énergie et de sensibilité qu'une fois commencé on ne peut lâcher et dont on prolonge à loisir la lecture pour en profiter un peu plus encore...
Ps: il faut passer outre le titre très harlequinesque et se régaler !
Cette main qui a pris la mienne, Maggie O'Farrell, traduit de l'anglais (Irlande) par Michèle Valencia, Belfond 2011, 419 pages à savourer.
Récompensé par le très prestigieux Costa Book Award.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : maggie o'farrell, famille, naissance, de l'importance des prénoms...
24/01/2011
L'écrivain de la famille
"Quand on est très petit , la longueur des bras permet juste d'atteindre le coeur de ceux qui nous embrassent.Quand on est grand, de les maintenir à distance."
Parce qu'il a écrit des vers de mirliton à sept ans, Edouard est aussitôt assigné au rôle d'Ecrivain de la famille. Les mots vont alors revêtir une importance toute particulière pour ce fils aîné d'une famille de commerçants aisés du Nord où les failles commencent à se creuser.
Mais s'il est assez facile d'adopter la séduisante posture de l'Ecrivain, les mots vont se montrer plus rebelles que prévus et se laisser plus aisément dompter sous forme de slogans publicitaires que sous forme romanesque.
Des années 70 , placées sous le signe de Sautet, aux années quatre-vingt dix ,plus sombres, nous suivrons, de décennie en décennie, le parcours de cet Edouard si doué pour décrire les femmes et si maladroit pour les aimer. Itinéraire d'un ex- enfant gâté, itinéraire d'une famille tout à la fois ordinaire et si singulière, à la fois drôle et émouvant, ce roman ,qu'on devine inspiré par le parcours de l'auteur, même si on y sent parfois la patte du publicitaire qui plie les mots à sa guise, réussit à transmettre une vraie émotion, subtile et chaleureuse. Un très joli voyage dans le temps et les sentiments d'une famille. Un livre qu'on ne lâche pas.
L'écrivain de la famille, Grégoire Delacourt, Jean-Claude Lattès 2010, 265 pages dans la lignée de Jean-Louis Fournier.
Clara a aussi été séduite !
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : grégroire delacourt, mots, famille, pub, valenciennes
12/01/2011
Dos à dos
"Marcher en fermant les yeux au milieu d'un champ de mines était une discipline qu'il maîtrisait parfaitement (...)."
Arnaud, gueule d'ange et comportement de voyou, débarque sans prévenir chez ses parents : Gabriel futur ex-romancier et Esther mère -poule aveuglée par l'amour. Le temps de commettre un nouveau forfait et le voilà reparti, entraînant sa famille dans une course-poursuite dont le jeune homme ne mesure pas la gravité.
En assignant à un écrivain "à moitié tué" par "le grand bazar de l'écriture" un rôle principal, Sophie Bassignac en profite pour nous livrer, mine de rien, une des clés de son roman : "J'appâte les lecteurs avec un meurtre ou une disparition et quand ils sont ferrées, je leur parle d'autre chose".
Ferrés nous le sommes sans problème par ces personnages qui ne manquent pas de chair et , même si parfois l'intrigue perd parfois un peu de rythme, la vigueur et la vivacité de l'écriture emportent totalement l'adhésion. Sophie Bassignac confirme ici tout le bien que j'écrivais déjà d'elle ici.
Les reflexions sur l'écriture qui jalonnent le roman sont à recueillir avec jubilation par tous les amoureux de la littérature !
Dos à dos, Sophie Bassignac, Jean-Claude Lattès, 2011, 233 pages funambules.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : sophie bassignac, famille, écriture
03/06/2010
Quand mon frère reviendra
"Au jeu des échecs, il avait été le roi."
Philippe, le frère aîné de Lia a disparu. Six mois d'attente et d'angoisse pour sa mère, son beau-père et sa soeur, la narratrice. Quand le fugitif revient, le bel ordonnancement de cette famille va se trouver remis en question.
Quand mon frère reviendra dévoile, sans jamais prendre parti, les fondements de cette famille presque parfaite aux yeux des autres. Fruit de la volonté sans faille de la mère cette perfection ne pouvait que se fêler, voire sombrer.
Le regard à la fois tendre et acéré de Lia nous dévoile peu à peu les rouages de cette constellation familiale sans pour autant en faire un "cas d'école". Quant aux motifs de la fugue de l'adolescent, ils ne seront pas totalement élucidés, ce qui confère beaucoup de justesse au roman. Pourquoi vouloir expliquer ce que le principal intéressé a du mal à formuler ?
Une écriture sensible et belle, une oeuvre dont j'ai envie de poursuivre la découverte.
Quand mon frère reviendra,Isabelle Collombat, doAdo, Le rouergue, 2009, 249 pages sans mièvrerie.
L'avis de Sylvie qui vous mènera vers plein d'autres.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : isabelle collombat, fugue, relation frèresoeur, famille
28/05/2010
Nage libre
"Tu ne connais rien au monde, suppôt de Dieu."
L'eau est son élément. Et ce depuis l'enfance. Rien d'étonnant alors à ce que Philomena, nonobstant (ou à cause d') une série de catastrophes familiales devienne une championne ployant sous les médailles. Las, son quart d'heure de gloire se terminera plus tôt que prévu et la jeune femme devra se réadapter à la terre ferme, non sans difficultés.
Des personnages hauts en couleurs auxquels on s'attache immédiatement, une narration tout en ellipses, qui glisse, presque par inadvertance, des informations cruciales pour désamorcer tout pathos, un style à la fois poétique et bourré d'humour (il faut voir comment Philomena s'adresse aux garçons !), comment ne pas craquer pour Nage libre ?
Eprouvant une féroce aversion pour les piscines en général et la natation en particulier, j'ai pourtant adoré chaque ligne de ce roman. La description des compétitions que j'appréhendais un peu est totalement déroutante et splendide. On se prend des coups à l'estomac et au coeur, on a les larmes aux yeux et la seconde d'après on sourit largement, on est happé dans un maëlstrom de sensations et d'émotions et à peine a-t-on fini ce roman qu'on y replonge à nouveau pour y piocher au hasard de petites pépites. Un grand grand coup de coeur !
Nage libre, Nicola Keegan, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Madeleine Nasalik, L'olivier 2010, 424 pages qui ne sentent même pas le chlore.
Merci Cuné !
Amanda, elle aussi séduite !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : nicola keegan, natation, famille, soeurs
22/03/2010
A l'ombre de la fête
"Dans sa famille, on cultive la pudeur des sentiments comme une fierté à la boutonnière."
A l'ombre de la fête rassemble six nouvelles concernant les membres d'une famille qui s'apprêtent à fêter les quatre-vingts ans du patriarche. De la fête nous n'aurons que les échos des préparatifs et des répercussions de la révélation que fera l'aïeul. Nous resterons dans les coulisses, la part d'ombre des sentiments et des parcours des différents personnages que l'auteure accompagne avec beaucoup d'empathie.
Adolescents en rebellion, femmes qui cherchent à vivre au mieux leurs multiples vies, l'auteure les regarde évoluer, établissant , comme la narratrice mystrérieuse de la nouvelle "Pauline""une correspondance d'âmes".
L'écriture, fine et sensible, esquive avec adresse les deux pièges des nouvelles: l'aspect parfois trop mécanique de la nouvelle à chute ou celui des nouvelles privilégiant l'atmosphère au détriment de l'intrigue. Il y a ici une véritable tension dramatique mais l'auteure parvient toujours à éviter la chute, tout en laissant résonner en nous les échos de l'émotion.
A l'ombre de la fête, Marie-France Versailles, nouvelles, 127 pages, Editions Quadrature, 2010
06:00 Publié dans nouvelles belges | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : marie-france versailles, famille, frères, soeurs