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30/10/2012

Le jeu des ombres

"L'idée de symétrie était si puissante que pendant de longues années je ne compris pas que la structure s'était gauchie."

Un couple, lui ,peintre, elle, son unique modèle, se délite .Le tout sous les yeux de leurs trois enfants. Ecrit ainsi, cela paraît trivial, voire pire. Sous la plume de Louise Erdrich cela devient un récit fascinant tant par la composition que par l'écriture, acérée et poétique à la fois. En effet, de prime abord Gil, Irene et leurs trois enfants constituent une famille modèle. Mais petit à petit, de petits indices, vus en particulier à travers des yeux enfantins, font prendre conscience de l'ampleur des dégâts et de la catastrophe imminente qui se profile.louise erdrich,couple,art
Tout est ambivalent dans ce récit, y compris le faux journal que Irene écrit à l'intention de son mari quand elle découvre que celui-ci a lu le vrai. Au lecteur de confronter les deux versions , y ajoutant le point de vue de Gil et celui du narrateur omniscient. Manipulations de part et d'autre, mais aussi complicité qui renaît contre la psychothérapeute que le couple va consulter, tout peut basculer dans la violence ou l'amour et tout peut être utilisé comme une arme: la peinture ou les mots.
J'ai adoré chaque élément de ce ce roman de Louise Erdrich, le premier que je lis de cette auteure. L'attention portée aux détails qui pourraient paraître insignifiants mais sont tellement révélateurs. Ainsi l'attitude des chiens qui captent la tension de la famille et s'interposent pour mieux la gérer. Le fait que le lecteur voie sans cesse remise en question sa vision des principaux protagonistes, y compris dans la dernière partie, magistral retournement de situation. Mais aussi l'écriture, au plus près des sensations , des sentiments, une écriture qui fouille et appuie là où ça fait mal, cingle pour mieux s'adoucir. Un roman dans lequel on retrouve, mais sous un mode mineur l'un des principaux thèmes de Louise Erdrich: celui des Indiens d'Amérique, un retour aux sources qui permettra à certains personnages de trouver le chemin de la résilience. Une oeuvre magistrale et dérangeante. Un vrai et beau coup de coeur !

Le jeu des ombres, Louise Erdrich, traduit de l'américain par Isabelle Reinharez, Albin Michel 2012, 253 pages puissantes.

Et zou, sur ma fameuse étagère (extensible) des indispensables  !

L'avis de Clara,tout aussi enthousiaste !

Celui d'Hélène, nettement moins !

Celui d'Athalie


21/05/2010

Juliet, naked

"Si j'ai envie que quelqu'un me crie dessus pendant 45 minutes, j'appelle ma mère."

Fan inconditionnel de Tucker Crowe, ex-chanteur des eighties, Duncan ne se rend pas compte que sa compagne , Annie est de plus en plus agacée et frustrée. rien de bien folichon en effet dans ce couple où l'amour ou la passion ne semblent pas avoir joué de grand rôle.
A l'orée de la quarantaine, Annie se demande donc si elle n'a pas gâché ces quinze dernières années et sa chronique sur le dernier disque en date de Tucker Crowe, "Juliet, naked",va déclencher un véritable cataclysme.41So+eNFSfL._SL500_AA300_.jpg
Féru de musique, on le sait depuis ses premiers romans, Nick Hornby brosse ici , sous prétexte d'étudier le phénomène des fans, le portrait acide et drôle d'un couple au bord de la crise de nerfs, mais qui reste toujours très digne et s'affronte à fleurets mouchetés. Il scrute avec une attention sans faille les paroles et les gestes bien rôdés, la manière dont chacun sait comment l'autre va les interpréter...
Les notices Wikipédia et les transcriptions hilarantes des interventions sur les forums rendent encore plus attachant ce roman qui me réconcilie définitivement avec Nick Hornby. Ce pourrait être déprimant ou d'un optimisme forcené, c'est plein d'humanité , d'empathie et d'humour, et ça donne une folle envie d'aller sur la plage surannée de Gooleness ...

Juliet, naked, Nick Hornby, 10/18, 2010 , traduit de l'anglais par Christine Barbaste, 313 pages qui sonnent juste.

Plein d'avis un peu partout ...

Tamara

Cuné

Fashion,

Ys,

Pas une seule fausse note pour l'instant ...

N'hésitez pas à me donner vos liens!:)

27/02/2010

L'histoire d'un mariage

"Femme soigneuse, bonne jardinière, j'élaguais les rameaux porteurs du doute."


Cela commence de manière bien proprette, bien lisse, Pearlie, Holland, un mariage heureux un enfant , une vie bien rangée . mais comme le répète la narratrice, l'heureuse épouse : "On est seulement nés au mauvais moment.", comprendre dans les années 50 , aux Etats-Unis, dans une société marquée par la guerre de Corée, la ségrégation raciale et le maccarthysme.51-iiwM+A5L._SL500_AA240_.jpg
Pearlie aspire au repos mais l'irruption de Charles Drumer dans leur vie de couple risque de tout faire voler en éclats.
L'histoire d'un mariage est un roman qui multiplie les surprises faites au lecteur, en se jouant de ses a priori. Le thème lui aussi va se révéler surprenant car la narratrice va se rendre compte qu'elle écrit -en creux- l'histoire d'une guerre, sans récits de combats, mais pas sans violence, une violence larvée et qui prend des formes multiples.
Fiction et réalité se mêlent en une troublante mise en abîme , "percevoir sa vie comme un roman qu'on a écrit et auquel on a cru." et si Andrew Sean Greer revient sur le thème classique "Nous en connaissons pas vraiment ceux que nous aimons", il l'aborde d'une manière originale m ême si le récit perd un peu de sa vigueur dans la dernière partie. le style est agréable , même si , à force d'avoir été induit en erreur, le lecteur en vient à s'inquiéter à chaque rétention d'information : Nouveau chausse-trappe ou pas ?

Vient de sortir en poche.

06/08/2009

Les porteurs de glace. Anna Enquist #4

"Je veux de l'efficacité . Supprimer les choses superflues et vaines." Ainsi s'exprime Nico, qui vient  d'obtenir la direction d'un hôpital dont il a  entrepris de changer l'organisation, ce qui ne va pas sans heurter. Maîtriser, rationaliser le monde  extérieur, pour ne pas se laisser rattraper par le désordre, les émotions.  Voilà  sa manière de  lutter contre ce qui le submerge et qu'il tait.
Unie avec lui dans le silence, son épouse, Lou." Elle avait connu ses pensées, ses sentiments. il lui manquait." Lou qui tente  d'interroger leur relation à la langue pour éclaircir la situation.Mais ce "fardeau  froid", ce "secret glacé" les handicape et les enferme chacun dans sa bulle de détresse.4136GARJPSL._SL500_AA240_.jpg
Bien évidemment toutes ces énergies bridées n'attendent que la plus petite étincelle pour mettre le feu aux poudres...
Histoire d'un couple, histoire d'un secret,  d'un échec, Les  porteurs de glace est aussi un roman, dense et puissant qui interroge notre besoin de "bâtir une histoire", donner de la cohérence quand nous ne sommes que "débris".

Très court,  ce roman d'Anna Enquist  est à la  fois le plus accessible et l'un des plus riches par les thèmes qu'il aborde. La  quasi sécheresse de la langue y est tempérée par l'attention scrupuleuse et sensuelle aux éléments naturels et au plus petites variations des sentiments des  personnages, dépassant ainsi ce que l'intrigue pourrait avoir de convenu. A se procurer sans hésiter !

Deux reproches cependant :  la 4 ème de couv' dont la  lecture est à proscrire, sauf à vouloir connaître le déroulement complet du roman, et un "policlinique" qui a heurté mes yeux...

Les porteurs de glace,  Anna Enquist,  paru aux Pays-bas en 2002,  chez Actes sud en 2003,  chez babel en 2006. traduction de  Micheline Goche.

L'avis de Clarabel

L'avis de  AL

 

 

28/07/2009

Le chef d'oeuvre. Anna Enquist # 1

Un repas  familial, rien de tel en littérature (ou au cinéma , cf Festen) pour concentrer  en un même lieu des protagonistes qui vont  pouvoir s'écharper entre la poire et le fromage.L'originalité d'Anna Enquist est de nous amener progressivement à cette acmé qui devrait voir aussi le triomphe absolu du peintre Johan Steenkamer, lors d'une exposition de ses oeuvres et en particulier de  son Chef d'oeuvre. Pour autant celui-ci n'est pas le personnage principal, quoi qu'il lui en coûte ! Ce sont les femmes que l'auteure privilégie: Lisa, psychiatre et meilleure amie d'Ellen, la femme de Johan, mais aussi Alma, la mère pas si indigne que  ça.  Chacune d'entre elle fait face à l'adversité même si souvent elles sentent le sol se dérober sous leurs pieds ou qu'au contraire elles ont besoin d'affronter un "sol récalcitrant"...La marche entr'amies sera aussi d'un grand  secours pour  exorciser en partie la douleur...
Peignant au plus près la nature dans ses aspects quotidiens et féroces, Anna Enquist établit aussi des parallèlles entre le monde des animaux, où les  petits peuvent se faire dévorer par leurs parents, et celui  des humains où la férocité est plus larvée.
Familles en décomposition ,"frictions familiales" dues à la lâcheté ,aux jalousies,aux trahisons, impossibilité de communiquer dans le couple ,rapports entre création et amour, Anna Enquist aborde ici dans ce premier roman les thèmes qu'elle ne cesse d'explorer dans un  style à la fois tout en retenue et au plus près des émotions et des sensations.415YTCJDVEL._SL500_AA240_.jpg
La structure de l'oeuvre, très maîtrisée (trois parties allant crescendo) contribue à débarasser de tout pathos des situations particulièrement difficiles. Ainsi au début de la deuxième partie, craignant d'avoir laissé passer une information importante , suis-je repartie un peu en arrière. Mais non, j'avais lu attentivement  et l'information ainsi lâchée au détour d'une phrase, de manière quasi anodine, n'en prenait que plus de puissance, irradiant de toute sa noirceur contenue.
"Observer c'est survivre", remarque un des personnages et cette maxime Anna Enquist l'applique pour le plus grand bonheur du lecteur, elle qui se penche avec intérêt et compassion sur le destin de chacun de ses personnages, sans jamais les juger.
Une oeuvre puissante, une romancière pour qui j'ai eu un  énorme  coup de coeur et dont j'ai dévoré à toute allure  l'oeuvre parue en France. Vous n'avez pas fini d'entendre  parler d'elle sur ce blog ! :)

Le chef  d'oeuvre,  paru aux Pays-bas en 1994 et en France  chez Actes Sud en 1999, Babel, 2001. Traduction de Nadine Stabile.

Biographie et traduction d'un poème d'Anna Enquist ici.

 

21/12/2008

"Elle a encore mis son grain de sel dans mon autobiographie."

"J'aimerais qu'on m'explique. Comment se fait-il que, lorqu'un couple  se défait, tout ce que l'on aimait dans la  relation disparaisse  instantanément comme  par magie, alors que toutes les  petites choses que l'on détestait secrètement  continuent  de  vous hanter après ?  "Hé oui, il ne comprend pas Oliver et pour s'y retrouver il noircit du papier et cache ses mémoires dans une taie d'oreiller de marque Victoria Plum (d'où le titre français, Les confessions  de Victoria Plum qui  n'a rien à voir avec l'original : Taking the Devil's advice.) Evidemment, son ex-femme,  Constance  va trouver les dits feuillets( parce que ce qu'il a  oublié de  nous dire ce cher  Oliver ,entre deux lamentations sur son sort, c'est qu'il habite encore chez son ex) et elle va se glisser dans l'autobiographie d'Oliver nous proposer sa version des faits...
Comme souvent chez Anne Fine, le jardin joue un rôle  important et pas  seulement parce que l'héroïne, Constance  a pour amant un jardinier (Hello  ,Lady Chatterley!), il est souvent un exutoire pour échapper à la tension ambiante (dans un autre roman d'Anne Fine,  l'héroïne,  à  chaque contrariété passe ses  nerfs en  arrachant des plantes !)512R2DA3NBL._SL500_AA240_.jpg

Mensonges ? Vérités ?  Au lecteur de se faire sa propre opinion entre  deux sourires car ce roman si délicieusement british est férocement drôle. Ma  première rencontre avec cette auteure et aussitôt le sentiment de  faire  une rencontre importante ! (1993 déjà !)

Ps:quelqu'un qui trouve important d'établir une distinction entre  "pierre" et "caillou" ne peut qu'être mon amie.

Pour toutes ces raisons, allez vite fouiller dans les médiathèques  et les  bouquineries  pour dénicher ce petit chef doeuvre !

Anne Fine. Les  confessions de Victoria Plum. 273 pages en édition originale  (éditions de  l'Olivier).  A trouver aussi chez Points -Seuil.

14/10/2008

manipulafiction

Clara, atteinte d'un cancer, tient un journal intime où son mari, Clemente, n'apparaît pas sous son jour le plus favorable.  Quand  ce dernier découvre  ce cahier, le malaise s'installe car il y lit  que Clara est au courant de  l'existencee de sa liaison de 7ans avec Eliana.  De plus, Clara avoue dans  cet écrit qu' elle  a aussi  été infidèle...4170QbZ1pvL._SL160_AA115_.jpg
Les faits sont-ils réels ou juste sortis  de l'imagination fertile de Clara , fervente adepte du mensonge ? Qui manipule qui? Clara? L'auteure, Elisbeth Subercaseaux , qui dans ce roman Une semaine en octobre ne permet pas  au lecteur de s'installer confortablement dans le mensonge  de la fiction  et instille ainsi  un  sentiment permanent de malaise ?
Il m'a fallu du temps pour terminer ce texte et encore plus pour démêler l'écheveau de pensées qu'il m'inspirait.

Merci à Cuné pour cet envoi dérangeant ! :)

L'avis de Laure.