14/06/2012
Le corail de Darwin
"Cette île, c'est un coeur qui bat."
Vigdis est pleine d'énergie, "franche du collier" et vit en Islande, un pays en perpétuelle création, une île est d'ailleurs née en même temps que la jeune femme . Livia , plus secrète, habite Rome, une ville plus tournée vers les vestiges de son passé que vers l'avenir. Toutes deux, grâce à un site d'échange de maisons, vont découvrir ce qu'elles ignoraient désirer.
Il est beaucoup question de communication dans ce roman. En effet, d'une part, par l'intermédiaire des mails, les jeunes femmes vont tisser une relation qui les amènera à se livrer davantage que si elles s'étaient rencontrées. D'autre part, Livia entretient des "conversations à bouche close" avec son mari, éloigné par son travail et avec lequel elle communique par l'intermédiaire de listes de livres enregistrés sur une liseuse électronique. Quant au père de la jeune italienne, ressassant un événement culpabilisant du passé, il rédige des feuillets chaotiques d'où émergera peut être une vérité.
L'analyse de cette appropriation des lieux de l'autre, de cette incursion dans l'intimité d'étrangers que l'on ne croisera pas, en particulier de l'espace romain par Vigdis est aussi menée de manière subtile.
J'ai mis un peu de temps à entrer dans ce texte , mais ensuite plus moyen de le lâcher ! Le style de Brigitte Allègre est précis, riche, sans être précieux et son roman très bien structuré. Elle arrive à créer des atmosphères et des personnages qui captivent, et on a vraiment l'impression de partager leurs vies et leurs sentiments. L'analyse est fine, le style superbe, un pur régal !
Le corail de Darwin, Brigitte Allègre, Actes Sud 2012, 390 pages (hérissées de marque-pages) pour trouver sa demeure. Et zou, sur l'étagère des indispensables ! Et zou, dans la foulée, j'ai commandé son premier roman !
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : brigitte allègre, rome, islande, communication
06/04/2010
Départs anticipés
"En ce qui me concerne, je préférerais bouffer des chenilles sur un trottoir brûlant."
Proposer une loi demandant aux personnes âgées de prendre leurs Départs anticipés ou plutôt d'effectuer leur transitionnement volontaire-comprendre leur suicide assisté- afin de ne plus creuser le déficit de la sécu et de ne pas léguer de dettes aux générations montantes, voilà qui s'appelle un coup de tonnerre dans le monde politique états-unien !
Tel est pourtant l'objectif de Cassandra Devine, conseillère en communication et blogeuse énervée à ses heures, bientôt relayée par un politique ambitieux et sans scrupules.
Tout le monde en prend pour son grade dans cette comédie à cent à l'heure qui fustige autant le monde politique que celui des affaires et place ses personnages dans des situations à la fois improbables et réjouissantes. Parfois le trait est vraiment outré mais on s'en fiche un peu (beaucoup) car le politiquement incorrect est tellement plus drôle ! On aimerait parfois que certaines scènes se déroulent "pour de vrai" , afin de casser le ronron lénifiant qui dissimule la violence et la corruption de notre monde. Un très bon moment de lecture.
Départs anticipés, Christopher Buckley, points seuil, 478 pages toniques.
Merci Cuné !
06:00 Publié dans Humour, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : christopher buckley, politique, communication
06/08/2009
Les porteurs de glace. Anna Enquist #4
"Je veux de l'efficacité . Supprimer les choses superflues et vaines." Ainsi s'exprime Nico, qui vient d'obtenir la direction d'un hôpital dont il a entrepris de changer l'organisation, ce qui ne va pas sans heurter. Maîtriser, rationaliser le monde extérieur, pour ne pas se laisser rattraper par le désordre, les émotions. Voilà sa manière de lutter contre ce qui le submerge et qu'il tait.
Unie avec lui dans le silence, son épouse, Lou." Elle avait connu ses pensées, ses sentiments. il lui manquait." Lou qui tente d'interroger leur relation à la langue pour éclaircir la situation.Mais ce "fardeau froid", ce "secret glacé" les handicape et les enferme chacun dans sa bulle de détresse.
Bien évidemment toutes ces énergies bridées n'attendent que la plus petite étincelle pour mettre le feu aux poudres...
Histoire d'un couple, histoire d'un secret, d'un échec, Les porteurs de glace est aussi un roman, dense et puissant qui interroge notre besoin de "bâtir une histoire", donner de la cohérence quand nous ne sommes que "débris".
Très court, ce roman d'Anna Enquist est à la fois le plus accessible et l'un des plus riches par les thèmes qu'il aborde. La quasi sécheresse de la langue y est tempérée par l'attention scrupuleuse et sensuelle aux éléments naturels et au plus petites variations des sentiments des personnages, dépassant ainsi ce que l'intrigue pourrait avoir de convenu. A se procurer sans hésiter !
Deux reproches cependant : la 4 ème de couv' dont la lecture est à proscrire, sauf à vouloir connaître le déroulement complet du roman, et un "policlinique" qui a heurté mes yeux...
Les porteurs de glace, Anna Enquist, paru aux Pays-bas en 2002, chez Actes sud en 2003, chez babel en 2006. traduction de Micheline Goche.
L'avis de Clarabel
L'avis de AL
06:00 Publié dans Littérature néerlandaise | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : anna enquist, communication, couple, comment faire face à l'indicible
04/08/2009
La blessure. Anna Enquist #3
La blessure est un recueil de nouvelles parfaitement clos sur lui même. En effet, Anna Enquist réussit le tour de force de partir d'un fait authentique, un père et ses deux fils qui ont erré sur un bloc de glace pendant quatorze jours au 19 ème siècle "la traversée", de nous parler de relations familiales plus contemporaines, de football, de l'organisation de la cuisine d'un hôpital, de tableau retrouvé, pour terminer par un texte qui nous donne, mine de rien, en passant, des nouvelles de personnages évoqués précédemment, dans un paysage d'une luminosité, une blancheur absolue, équivalente à celle inaugurant le recueil. Armature solide donc.
Point commun à tous ces personnages, qu'ils soient adultes ou enfants ? Une blessure, une fragilité,"Je me sens comme un tache mal délimitée" qui va soudain les faire basculer , un peu -ou plus - dans un état de bouleversement qu'ils affronteront avec des armes variées. Ce peut être la politesse car "La politesse est un poignard en or", la connaissance: Jacob qui est le seul à savoir nager et lire dans cette famille de pêcheurs, veut à tout prix s'en sortir, alors que son père et son frères, plus frustes, s'abandonnent aux éléments...
Anna Enquist souligne les ambivalences de ses héros, ainsi une adolescente qui ment à ses parents pour aller rejoindre celui dont elle croit être amoureuse : "Pourquoi ne sait-elle pas ce que je fais, pense Hanna,pourquoi est-ce que je me mets à pleurer, pourtant je ne veux surtout pas qu'elle le sache."
L'auteure excelle à nous montrer, sans pathos, l'hystérie qui s'enflamme soudain dans une communauté vivant en quasi autarcie, ou celle qui couve à bas bruit dans le cerveau d'un excellent gestionnaire, plus apte à la déceler chez les autres qu'à la reconnaître chez lui. La description de toutes les stratégies qu'il met en place inconsciememnt pour la tenir à distance est proprement époustouflante. Quant à celle, hallucinée ,des relations d'un couple hollandais dans un camping français à la veille d'un match de foot , elle vaut aussi tous les romans."Les vacances se passent à laver.De la vaisselle, des vêtements, des corps.Tout est enduit de savon et maintenu sous un filet d'eau. Pendant ce temps, il faut crier comme dans une conversation en plein ouragan.
"Je voudrais être morte.
-Je n'arriverai pas à me débarrasser de cette tache de gras.
- Ce soir je vais me pendre
-J'aimerais faire des rognons. "
Et cetera.Tout se perd dans le vent."
C'est en effet avec une grande économie de moyens, mais avec beaucoup d'empathie, qu'Anna Enquist relate ces instants , sans jamais céder à la facilité de la nouvelle à chute, préférant évoquer des atmosphères, raconter de manière simple , nette et efficace. Ainsi en deux phrases : "Le morceau de glace remonte en basculant à la surface. Pas père." Du grand art .
La blessure, Anna Enquist.1999, édité chez Actes Sud en 2005, chez Babel en 2007.Traduction du néerlandais par Isabelle Rosselin267 pages infiniment justes.
Un énorme merci à Cuné qui m'a offert ce livre, me permettant ainsi de découvrir cette auteure !
06:00 Publié dans Littérature néerlandaise | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : anna enquist, nouvelles, communication, basculement, fragilité mentale