01/06/2017
Manger dans ta main
"La scarification comme butée identitaire. Et ce corps flottant,que l'on ne sent vivre qu'au moment de l'entaille. Elle les comprenait tant. Il fallait que ça saigne, à l'adolescence."
Autant Sandra, jeune psychologue, apparaît dure envers sa mère, autant elle se sent proche des adolescents dont elle s'occupe dans un atelier d'écriture, au sein d'un hôpital parisien accueillant des jeunes atteints de troubles alimentaires.
Ses parents ont pris leur retraite dans leur Portugal natal et on sent d'emblée qu'ils sont marqués par un drame. Pour redonner le sourire à sa femme, le fantasque Daniel offre à Luisa une cochette, promise à une mort certaine, car rejetée par sa mère. D'abord réticente, Luisa va se prendre d'affection pour la jeune truie, Rose, qu'elle engraisse , tout en la traitant en animal de compagnie, tant elle lui apparait intelligente et drôle.
Alternant les chapitres portugais et français, le roman traite d'une relation mère fille perturbée, évoque le thème d'un deuil impossible à faire , celui de la relation à la nourriture, au corps adolescent ou non, mais interroge aussi notre relation à un animal souvent honni ,mais très proche de nous, le cochon.
On sent d'emblée que l'autrice, qui a coécrit en compagnie de la regrettée Maryse Vaillant des ouvrages de psychologie, sait de quoi elle parle, sans pour autant tomber dans l'écueil de la vulgarisation à tout crin. Le propos est nuancé, les personnages proches de nous et nous entrons autant en empathie avec les humains qu'avec l'animal.
Un roman attachant que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire et qui nourrit aussi la réflexion sur les thèmes évoqués.
Manger dans ta main, Sophie Carquain, Albin Michel 2017, 311 pages validées par Marie Desplechin.
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06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : sophie carquain, anorexie, rapports mère fille, rapports hommes animaux
02/11/2012
Cherche jeunes filles à croquer
"Je suis une scène d'absence, vous comprenez ? C'est avec ça que je dois travailler."
Pas de cadavres, mais des disparitions de jeunes filles anorexiques. Une série ? Peut être. Et d'ailleurs, soyons cyniques, il vaudrait mieux que cela soit le cas pour que le groupe du commandant Lanester ne soit dissous, faute de crédits !
Envoyé en renfort de la gendarmerie dans la vallée de Chamonix, l'équipe de criminologie va avoir fort à faire avec les parents des jeunes filles, et surtout avec le personnel d'une prestigieuse clinique spécialisée dans les troubles alimentaires. Sans oublier la remise en question de Lanester, dont les séances avec sa psychothérapeute ponctuent le récit.
Que voilà un formidable roman ! Sans discours jargonnant ni vulgarisation simplificatrice, mais de manière intelligente et sensible, il introduit le thème de l'anorexie dans un genre où on ne l'attendait pas: le polar psychologique. De plus, le héros, profileur français, s'y défait de son aspect "base de données ambulante" et acquiert ainsi une véritable épaisseur, ce qui le rend bien évidemment encore plus craquant ! Ses coéquipiers, fort différents, apportent chacun leurs compétences et Lanester s'efforce touours de les mettre en valeur, ce qui est,ma foi, fort agréable.
Pas de baisse de rythme dans le récit, mais du suspense et des rebondissements jusqu'à la toute fin où l'on prend conscience de la polysémie du titre (ne comptez pas sur moi pour vous l'expliquer maintenant !). Sans oublier la marque de fabrique de Françoise Guérin : la touche d'humour dont elle ne se départit jamais et qui permet au lecteur de se détendre un peu entre deux serrements de gorge !
Une totale réussite donc et un roman qu'on ne peut lâcher ! Vous voilà prévenus : éteignez les portables et les ordinateurs, glissez-vous bien au chaud et dégustez !
Cherche jeunes filles à croquer, françoise Guérin, Editions du masque 2012, 393 pages haletantes !
D'autres billets concernant cette auteure ici !
le blog de l'auteure (clic)
06:00 Publié dans rentrée 2012, romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : françoise guérin, anorexie, polar
26/11/2008
"Bonjour le programme essorage ! Plus de gras, des couleurs ravivées...et la tête à l'envers."
Il a suffi d'un petit "clic", celui d'un appareil photo intégré à un téléphone portable ,pour que Manon se prenne une grosse claque : voir la photo de ses fesses circuler à travers tout le lycée.
Par réaction, l'ado crée un blog et sous le pseudo de Grauku, balance à la tête de ses lecteurs ses kilos en trop et son mal être qu'elle combat à coups de plaques de chocolat. une certaine Kilodrame va l'aider à perdre du poids et va l'entraîner , par la même occasion ,dans une drôle de spirale...
Avec un style vigoureux Sophie Laroche nous brosse le portrait sans complaisance ni mièvrerie d'une ado à la fois forte (on sent une vraie personnalité) et faible devant la nourriture et le regard des autres.
Les relations amicales sont fouillées au scalpel, tout le monde en prend pour son grade, mais on sent néanmoins une véritable tendresse qui se dégage de cette histoire.
Sophie Laroche n'a pas oublié -rare privilège - ce qu'était l'adolescence et elle nous en offre une vision franche et juste. Une vraie découverte !
Le Carnet de Grauku. Sophie Laroche. Editions Mic_Mac
Merci à Cuné pour l'envoi !
Ps : lu et approuvé par Madame ma fille ! :)
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : kilos en trop, anorexie, adolescence, le carnet de grauku, sophie laroche
06/10/2008
De Anorexie à Zan.
Comment résister à l’appel d’un Abécédaire qui paradoxalement commence à Anorexie et se termine à zan ?
Michèle Gazier ne triche pas et n’omet aucune lettre nous faisant découvrir au passage que le kaki est le fruit du plaqueminier ou que le xangurro est un délicieux crabe farci servi dans un restaurant de San Sebastian.
Elle ne se contente pas de nous donner une folle envie de filer à Béziers goûter à la Biterroise, elle égratigne aussi au passage ses dîners parisiens où l’on se retrouve parfois le ventre vide à la fois de la soirée…
Entre Endive et Vins de champagne, nous croisons aussi Manuel Vasquez Montalbàn, « Père gourmet de Peep Carvahlo et as de l’improvisation culinaire » »déversant des flots d’huile, vin blancs et autres bouillons parfumés qui en manquaient jamais d’éclabousser meubles, murs et sols. » et qui « enchaînait avec quelques heures d’écriture dans son bureau. Le passage d’une activité à l’autre était naturel, comme une respiration. Il cuisinait les mots dans le parfum des plats. ».
J’avoue au passage que je me suis trouvé beaucoup de points communs avec Michèle Gazier, autre sœur d’Olive Oyl( la fiancée de Popeye),aux jambes maigres et véloces. Comment ne pas adorer un texte qui commence ainsi : « Trop de lait maternel ,trop de soins grands-maternels, trop de soins tout court .Marre, coupez ! (…) Je n’aime rien, je en veux rien, recrache tout. Je désespère les adultes qui cherchent d’autres nourritures-tortures. »
Mais c’est surtout pour des passages tels que celui-ci que je vais glisser cet abécédaire dans ma bibliothèque de secours anti-grisaille : « L’olive s’accompagne volontiers d’une image d’ascétisme : une poignée d’olives , une tomate, du pain, une larme de cette huile de lumière…Celui qui n’entend pas encore les cigales n’a jamais connu le Sud. » Un vrai rayon de soleil.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : abécédaire gourmande, anorexie, gourmandise, michèle gazier