09/01/2012
Quand j'étais Jane Eyre
"Quelle est cette manie familiale d'aspirer à la célébrité et à la gloire ? Quelle folie !"
Intriguée par tout un pan de la vie de Charlotte Brontë resté dans l'ombre, celui pendant lequel elle a rédigé le roman qui la rendra célèbre et changera sa vie, Jane Eyre, Sheila Kohler a imaginé ce qu'avait bien pu vivre l'écrivaine durant cette période.
Avec sensibilité, elle brosse le portrait de cette famille marquée par la mort, la maladie, la pauvreté, l'égocentrisme d'un père mais aussi par ce lien formidable à l'écriture qui unit les quatre enfants survivants de la fratrie Brontë. Branwell, le frère chéri, gaspillera ses dons dans les opiacées et l'alcool, mais Charlotte, Emily et Anne qui ne feront que de brèves et malheureuses incursions dans le monde extérieur à celui de leur presbytère, sauront , à des degrés différents, braver les interdits de l'époque et rédiger des romans qui seront parfois jugés "choquants, brutaux, anti-chrétiens et anti-bourgeois" car révélant la violence de leurs frustrations.
Sheila Kohler a choisi de centrer son roman sur Charlotte (à qui je préfère largement sa cadette Emily, je le confesse), la seule qui aura pu accéder à un peu de bonheur, mais elle ne sombre jamais dans le pathos, évoquant avec sobriété la vie difficile de la famille Brontë. Des retour en arrière permettent d'évoquer les principaux épisodes de leur trop brève existence.J'ai beaucoup aimé la manière dont Sheila Kohler a tissé les liens entre leurs romans et la vie des soeurs, montrant bien leur esprit de revanche, mais n'omettant pas non plus la sourde rivalité (réelle ou imaginaire mais très plausible en tout cas) qui les a animées juste avant l'édition.Un éclairage intelligent, une écriture élégante, une lecture qui ravira les fans (dont je suis !) .
Quand j'étais Jane Eyre, Sheila Kohler,traduit de l'anglais par Michèle Hecter, Editions Quai Voltaire 2012, 260 pages lues d'une traite, même si ellesn'apportent pas de révélations fracassantes, ce qui n'était évidemment pas le lieu !
Le billet d'Ys.
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12/01/2011
Dos à dos
"Marcher en fermant les yeux au milieu d'un champ de mines était une discipline qu'il maîtrisait parfaitement (...)."
Arnaud, gueule d'ange et comportement de voyou, débarque sans prévenir chez ses parents : Gabriel futur ex-romancier et Esther mère -poule aveuglée par l'amour. Le temps de commettre un nouveau forfait et le voilà reparti, entraînant sa famille dans une course-poursuite dont le jeune homme ne mesure pas la gravité.
En assignant à un écrivain "à moitié tué" par "le grand bazar de l'écriture" un rôle principal, Sophie Bassignac en profite pour nous livrer, mine de rien, une des clés de son roman : "J'appâte les lecteurs avec un meurtre ou une disparition et quand ils sont ferrées, je leur parle d'autre chose".
Ferrés nous le sommes sans problème par ces personnages qui ne manquent pas de chair et , même si parfois l'intrigue perd parfois un peu de rythme, la vigueur et la vivacité de l'écriture emportent totalement l'adhésion. Sophie Bassignac confirme ici tout le bien que j'écrivais déjà d'elle ici.
Les reflexions sur l'écriture qui jalonnent le roman sont à recueillir avec jubilation par tous les amoureux de la littérature !
Dos à dos, Sophie Bassignac, Jean-Claude Lattès, 2011, 233 pages funambules.
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26/05/2010
Papier machine
"N'importe quelle infirmière pouvait me remplacer à la clinique, aucune n'était capable d'écrire ma page 40."
Parce qu'elle vient de perdre le père de sa fille et de se fâcher avec sa plus vieille amie, la narratrice (donnée comme double de l'écrivaine) se lance dans un nouveau roman, une plongée dans le passé.
C'est aussi l'occasion de revenir sur le cheminement qui l'a conduite à l'écriture, de voir comment une infirmière s'est autorisée, à partir d'un atelier d'écriture déclencheur, à libérer sa créativité, comment elle a dû batailler pour assumer sa vie de maman solo, combinant les rôles de baby-sitter et d'écrivaine, non sans humour.
Papier machine dépeint également un amour qui va se déliter car son compagnon , après avoir encouragée la narratrice, va très mal supporter de se voir incapable d'écrire à son tour...
On retrouve ici toute la fraîcheur de Fred et Mathilde, ou d'Une petite fête sur la planète, l'écriture coule, fluide et sensible et l'on ne peut rester de marbre devant ce roman qui devrait donner la pêche à tous ceux qui ont envie de se lancer.
Papier machine, Corinne Roche, Helloïse d'ormesson 2010 , 185 pages.
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12/12/2009
Je vais tuer mon mari...
"Vois-tu,la parole me fait autant que je la fais."
La résolution initiale, Je vais tuer mon mari , n'est pas le fait d'un coup de sang. Non, elle est le résultat logique d'une réflexion argumentée.Pourtant au fil de cette semaine sainte durant laquelle la narratrice, qui est aussi écrivaine, va dresser le constat d'un couple que tout oppose, cette volonté va peu à peu mollir et se transformer en une force de vie qui balaiera tous les reproches. "Regimber c'est vivre" affime la fugueuse, qui manifeste un féroce appétit de vivre , que ce soit dans les bras de ses amants ou dans son dialogue avec une mère quelque peu intrusive.
Alors, il ya quelques longueurs, il faut s'approprier ces paragraphes sans virgules,mais c'est aussi la découverte d'une vraie voix, d'une écriture pleine d'inventivité et d'énergie, en témoignent les (très ) nombreuses pages cornées.
Je vais tuer mon mari..., Claire Fourier ,Omnia 2009,( 10 euros) paru pour la première fois en 1997.186 pages ardentes.
Ps: réaction sentencieuse de mon macho en herbe à la lecture du titre : "Il faut censurer ce livre ." :)
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : claire fourier, à glisser sous le sapin?, rapports hommefemme, écriture
15/10/2009
Autoportrait de l'auteur en coureur de fond
"Ce dont je parle quand je parle de courir." (traduction littérale du titre)
Haruki Murakami est un écrivain dont j'aime beaucoup les romans, même si je ne parviens jamais à les chroniquer...Je me réjouissais de lire cet autoportrait de l'auteur en coureur de fond , même si je ne suis pas sportive, surtout quand j'ai lu cette affirmation" En ce qui me concerne, la plupart des techniques dont je me sers comme romancier proviennent de ce que j'ai appris en courant chaque matin.". Las !je n'ai pas pu aller au-delà de la page 85 ! Trop froid, trop distancié, trop répétitif, j'y aurai juste appris que selon lui, le talent, la concentration et la persévérance sont les qualités essentielles d'un écrivain...Maigre moisson...
A réserver aux fans absolus. Savourer plutôt Kafka sur le rivage ou Chroniques de l'oiseau à ressort.
Haruki Murakami, Autoportrait de l'auteur en coureur de fond, Belfond 2009, 181 pages.
Ps: pour les amateurs de course, je conseille aussi un roman , d'Alan Siltoe, injustement oublié La solitude du coureur de fond, roman social se déroulant en Grande Bretagne.
06:05 Publié dans je ne regrette pas de les avoir juste empruntés | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : haruki murakami, marathon, écriture
17/09/2009
Petit éloge de la rupture
"Coupé, pas dérapé"
Ayant commencé à rédiger pour ce Petit éloge de la rupture un récit de séparation, Brina Svit est victime de la rupture de son disque dur. S'en est dit :la forme du texte sera marquée par les interruptions. Ce qui ne va pas sans mettre parfois le lecteur en peine de s'y retrouver dans ces différents textes qui se brisent sans cesse.
L'existence de Brina Svit semble elle aussi aussi placée sous le signe de la rupture : l'auteure est slovéne , écrit dans cette langue mais aussi en français ; écrivaine, elle est aussi danseuse de tango et semble très liée à l'Argentine. Toutes ces fractures nous valent de très beaux textes juxtaposés sur la langue, l'écriture, sa relation -difficile- avec sa mère mais aussi l'amitié/rivalité entre elle et Elisabeth Barillé, sans compter les textes "bijoux sombres [...] de Gil Courtemanche".Un texte parfois déroutant mais où l'on trouve une réflexion intéressante et pertinente.
Je note particulièrement ce passage : "J'ai pensé (...)à cette journée où j'avais curieusement plein de temps à ma disposition. Je me suis dit que je devrais réapprendre à en perdre intelligemment, m'organiser seule, par-ci par-là , une rupture volontaire avec cette partie de moi qui veut à tout pris être efficace et productive."
Petit éloge de la rupture, Brina Svit, folio 2 euros.111 pages qui donnent envie d'aller plus loin avec cette auteure.
06:00 Publié dans Rentrée 2009 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : brina svit, amitié, amour, langue, écriture
08/12/2008
"Le mot est venu à mon secours ,comme l'ont toujours fait les mots.'
Abigail et Dorcas sont jumelles mais ne se ressemblent en rien, tant au physique qu'au moral. Dorcas, la plus intello des deux, affirme qu'elles se sont partagé le monde : "Sacré et profane. Spirituel et physique. Esprit et corps." Abigail, la plus charnelle des deux ,est accusée d'avoir assassiné son second mari et, tout en se préparant à affronter le cyclone Pandora (!), Dorcas commence la lecture du livre consacré à sa soeur, se chargeant de rectifier au passage ,de manière sarcastique mais lucide, les erreurs qu'il contient...
Dorcas, bibliothécaire de son état, fustige au passage les pratiques du tout petit cercle littéraire dans lequel elle a été amenée à évoluer malgré elle.
Malgré sa raideur apparente, Dorcas, par son humour inflexible, nous devient vite sympathique et le personnage d'Abigail se révèle à l'usage beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît.Ellen'est en aucun cas la Belle Idiote que l'on pourrait croire : "Ma soeur n'est qu'une je -m'en-foutiste paresseuse. mais one la lui fait pas." Même si au début du texte Dorcas affirme "J'ai une meilleure compréhension des chats, des moteurs à explosion et des Iraniens que d'Abigail, ma soeur jumelle.", remonter le temps, revenir aux origines du drame, va lui permettre de se rendre compte qu'elle est beaucoup plus proche de sa jumelle qu'elle ne le croyait.
Dominé par la figure du cercle, truffé de références mythologiques, Gloire, honneur et mauvais temps, de Jincy Willett est un petit chef d'oeuvre d'humour souvent noir (le récit en deux phrases de l'assassinat du mari m'a fait hurler de rire !), même si le comportement autodestructeur d'Abigail(heureusement passager !) est assez pénible à supporter, non pas qu'il soit décrit de manière complaisante mais voir une femme s'abaisser ainsi est assez perturbant. Tissant des liens entre fiction et "réalité", Dorcas qui entretient avec les mots, sous toutes leurs formes, y compris les graffitis, des relations étroites ne peut que plaire à toutes les lectrices compulsives !
Quelques longueurs, contrebalancées par l'humour constant.
Gloire, honneur et mauvais temps. Jincy Willet. 10/18 . 412 pages
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : jumelles, livres, jincy willett, glore honneur et mauvais temps, écriture, perversité, relation hommes femmes mode d'emploi