16/10/2023
#Cellesquontue #NetGalleyFrance !
"Rien de plus facile que d'apprendre à détester les femmes. Les professeurs ne manquent pas. Il y a le père. L’État. Le système judiciaire Le marché. La culture. La propagande. Mais ce qui l'enseigne le mieux, d'après Bia, ma collègue du cabinet, c'est la pornographie. "
L'Acre, l’État qui présente actuellement le plus fort taux de féminicides au Brésil, c'est là que se rend l'héroïne du roman, avocate envoyée par son cabinet pour documenter le cas d'une jeune indigène torturée, violée et assassinée dans des circonstances particulièrement atroces.
Très vite, elle va se rendre compte de l'ampleur du phénomène de ces féminicides impunis et empiler dans un carnet les noms et les circonstances dans lesquelles ces femmes sont mortes.
Cette violence faites aux femmes fait écho à celles faites aux indigènes et à la forêt amazonienne, qui couvre une partie de ce territoire, le tout dans la plus grande indifférence.
Celles qu'on tue est un roman puissant qui nécessite des pauses dans sa lecture tant les situations évoquées suscitent à la fois un sentiment de révolte et d'horreur. La grande force de Patricia Meo est tout à la fois de s'appuyer sur des faits documentés, mais aussi de créer du suspense et de susciter l'empathie avec la narratrice dont la mère a été elle aussi tuée par son époux. Une dimension hallucinatoire et onirique est apportée par le récit des prises d’ayahuasca par l'héroïne qui s'initie aux rituels ancestraux des indigènes. Un roman à l'atmosphère étouffante , mais dont la lecture est nécessaire.
Éditions Buchet-Chastel 2023
Traduit du portugais (brésil) par Élodie Dupau.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2023, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : patricia melo
28/09/2023
Et vous passerez comme des vents fous
" Tout ici n'était qu'engendrement et dévoration, putréfaction et floraison, joie et douleur. Parfois, il se sentait si intégré à ce magma organique qu'il lui semblait participer de ces transformations en cascade, par lesquelles les plantes, les corps, les minéraux, étaient également décomposés , rendus à la terre, dans un même mouvement dont seules les échelles de temps variaient."
Un montreur d'ours parti faire fortune au début du XXème siècle, un berger traumatisé par un accident survenu l'été précédent , une jeune éthologue travaillant pour le Centre national pour la biodiversité, une ourse et ses deux oursons, tels sont les personnages centraux de ce roman se déroulant dans les Pyrénées.
La réintroduction de l'ours dans cette vallée où le dressage des ours était jadis une tradition ne va pas sans heurts et sans drames mais tout le talent de l'autrice est de nous présenter les différents points de vue de manière nuancée, sans jamais les caricaturer.
Solidement nourri de références scientifiques et historiques , qui se fondent avec bonheur dans le récit, ce roman bénéficie aussi d'un souffle romanesque qui nous fait éviter le "roman à thèse". La nature y a évidemment la part belle et les personnages, principaux ou secondaires, sont parfaitement dessinés. On suit avec passion l'intrigue et on sort de là profondément revigoré, sans pour autant baigner dans un optimisme béat. J'attends déjà avec impatience le prochain roman de cette autrice.
Actes Sud 2023
Merci à l'éditeur et à Babelio.
L'avis de Kathel : clic
05:20 Publié dans Rentrée 2023, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : clara arnaud
13/09/2023
Le Phénix/ La traque du phénix (les deux titres apparaissent sur les sites des librairies)
"Sa voix remonte de loin, ou des profondeurs. Peut-être du fond d'une tranchée."
Une travailleuse sociale et son amie d'enfance, une neuropsychologue vont se pencher sur le cas pour le moins intriguant d'un sans domicile fixe qui fait montre de talents exceptionnels dans plusieurs domaines (musicaux, linguistiques, mathématiques...) . Mais ce vagabond souffre également de crises qui feraient de lui un survivant de la première guerre mondiale, ce qui serait tout à fait anachronique car l'action se déroule de nos jours. De plus, il serait relié à d'autres génies dans le monde...
Marie-Anne Legault fait le choix d'une narration éclatée qui peut, certes, dérouter au premier abord, mais se révèle très vite addictive et maîtrisée. On suit sans se lasser les péripéties de cette "enquête" sur la mémoire d'un homme et sa relation à l'art. Une belle découverte venue du Québec.
Éditions Québec Amérique 2023. 342 pages.
Merci à l'éditeur pour cette découverte.
06:00 Publié dans Rentrée 2023, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2)
12/09/2023
Le plus beau métier du monde
"M'sieur, on a discuté entre nous et on préfère être honnêtes avec vous: on n'aime pas trop les notes que vous nous mettez en ce moment. "
Ils confondent "sextoy" et "sextant", aimeraient pour certains "trop savoir ce que ça fait d'avoir la moyenne", vivent dans un quartier de Marseille où le service d'ordre des trafiquants de drogue assure la protection du lycée ... Mais ils rêvent aussi d'une carte de séjour , de pouvoir vivre en France . "Ils", ce sont les élèves de Dominique Resch, prof depuis trente ans dans un lycée professionnel des quartiers nord de Marseille et très heureux visiblement de cet état de fait.
Une belle complicité se lit entre lui , ses élèves et leurs parents, puisque certains d'entre eux, au courant de ce projet de BD n’hésitent pas à demander "Sinon, pour votre BD, c'est bien ce qu'on vient de vous dire ? "
Les dessins d'Eric Doxat contribuent à distiller une belle énergie , tout en soulignant de manière discrète mais efficace les moments plus dramatiques.
Voilà qui regonflera peut-être le moral des enseignants qui s reconnaîtront sans doute dans pas mal de situations.
Merci à l’éditeur et à Babelio.
Éditions Vuibert 2023.
06:00 Publié dans BD, Rentrée 2023 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : dominique resch
11/09/2023
Eden
"Cela m'a fait comprendre que même si mon travail consiste à analyser la manière dont idées et sentiments se coulent dans le moule du langage, je n'ai pas toujours été très douée pour faire coïncider mes pensées avec mes paroles. Il est à la fois étrange et illogique qu'une souris soit à l'origine de telles réflexions , et il est plus bizarre encore que, juste après, j'aie décidée de construire un mur en pierres. "
Alba enseigne la linguistique à l'université de Reykjavík, participe à des colloques dans le monde entier sur les langues en voie de disparition , sans que cela soit suivi de beaucoup d'effet... Elle assure aussi la lecture et la correction d 'ouvrages pour une maison d'édition qui la tanne pour qu'elle lise un recueil de poésie, ce que la jeune femme semble toujours remettre à plus tard.
Du jour au lendemain, peut être à la suite d'un rêve, la trentenaire décide d’acquérir une maison dans la campagne islandaise et de planter une forêt de bouleaux.
Tous ces faits, en apparence juxtaposés, trouveront progressivement leur explication, parfois données par le père, la sœur d'Alba ou d'autres protagonistes de ce roman que j'ai dévoré d'une traite avant de le relire dans la foulée plus posément cette fois.
Il y est en effet beaucoup question de mots, et l'on y découvre au passage, le fonctionnement ardu de la langue islandaise, mais aussi de nature, de réfugiés et du changement climatique, le tout sans aucune leçon donnée.
Tout y est fluide, aussi bien le style que la manière dont les gens passent d'un métier à un autre, ou le temps de la neige en mai au soleil radieux. Un pur délice qui file bien évidemment sur l'étagère des indispensables.
Traduction Eric Boury, Editions Zulma 2023.
05:55 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2023, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : audur ava olafsdottir
30/08/2023
Le jour et l'heure
"Le monde qui semblait se refermer sur nous depuis des mois s'ouvrait enfin. Le monde que je croyais perdu à tout jamais me revenait grâce à l’art, aux traits, aux couleurs. "
Le temps d'un week-end, une famille va rejouer le scénario d'un départ en vacances d'enfance : les parents, les quatre enfants , devenus adultes, à l'arrière.
Direction la Suisse où la mère de famille, Edith, a décidé de se rendre pour qu'on puisse l'assister à mourir car elle se sait condamnée.
Durant ce trajet, à cause de la situation bien particulière, mais aussi du temps qui a passé, la constellation familiale va évoluer et les rôles vont peut être se redistribuer.
Si j'ai apprécié , comme toujours, la manière dont Carole Fives scrute les familles et les interactions qui s'y mettent à jour, je suis restée un peu sur ma faim quant au thème principal.
Antigone est plus enthousiaste : clic
Merci à l'autrice et à l'éditeur qui m'ont envoyé ce livre.
Je n'ai pas été rémunérée pour ce billet.
06:00 Publié dans Rentrée 2023, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : carole fives
28/08/2023
Pauvre folle
"Mise en joue par son père, pupilles dans les pupilles, fusil de chasse pointé. Une longue hésitation, puis elle fut épargnée, rien sur le plan physique. Mais d'un point de vue psychique, la balle est bien partie. C 'est le dedans de la tête qui a été touché, le dedans qui a explosé , sur les parois de son crâne, il y en avait partout .Des bouts du Moi de Clotilde qui s’appelait encore Valérie. "
Le temps d'un voyage en train (direction Heidelberg), Clotilde extrait de son crâne, sous forme de gouttelettes aux formes et textures variées, des souvenirs qui, espère-t-elle lui permettront de comprendre pourquoi il y a dix ans elle est tombée amoureuse d'un gay, Guillaume.
Tous deux s'étaient créé, grâce aux mots ,un univers parallèle, où leurs identité fusionnaient. Depuis dix-sept mois, Guillaume a fait sa réapparition, et bien que ses ami.e.s ne cessent de lui dire qu'elle est dans le déni et que Guillaume ne quittera jamais son amoureux, Clotilde s'obstine.
Clotilde/Chloé prend à bras le corps le fil de sa vie , du premier choc esthétique grâce à la poésie , en passant par le féminicide de sa mère ,sa bipolarité, évoque sans honte (et avec humour) son passé de pute pour masochistes (souvent très fatiguant physiquement) et embarque le lecteur dans ce voyage chatoyant mais sans pathos.
Elle nous régale aussi avec sa "petite typologie du mâle hétérosexuel post # Me Too" car Clotilde est bien sûr féministe et n'hésite pas à tacler au passage le milieu du cinéma auquel appartient Guillaume. J'ai parfois pensé en la lisant à une autrice oubliée, Muriel Cerf, tant on sent que Chloé Delaume se régale à jouer avec les mots et à se bâtir , grâce à eux, un univers plus coloré, plus riche de sensations. D'aucuns y verront peut être du nombrilisme, mais j'ai été emportée par ce roman qui se joue de la bien-pensance.
Le Seuil 2023;
06:02 Publié dans Rentrée 2023, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : chloé delaume
24/08/2023
#Strange #NetGalleyFrance !
"Je colle ma tête dans son cou et, soudain, je dis tout, les manies, la vie secrète, l’impossibilité d'être ce qu'on attend. "
Dès l'enfance, Raphaël, orphelin de mère, élevé par un père gardien de prison et une grand-mère aimante, n'est pas un garçon comme les autres. De l'amour , il en reçoit chez lui ,mais, à l'extérieur ,ses camarades de classe le harcèlent car ils ont détecté avec ce radar infaillible des enfants la part de féminité en lui.
Car oui, Raphaël est Nora, mais il est né dans un corps masculin. Le chant va d'abord lui permettre d'échapper à la vie étriquée de la petite ville d'Arlon , en Belgique, en intégrant le conservatoire de Bruxelles. Là, au fil des rencontres, il fera apparaître de plus en plus Nora, celle qu'elle est vraiment, mais évoluera aussi dans son parcours musical, se délivrant peu à peu de tous les carcans.
Cela n'ira pas sans mal et la crainte de la réaction paternelle devant la transition qu'elle a entamé et dont elle ne peut plus différer éternellement la révélation l'incite à écrire une lettre pleine d'amour (mais sans pathos )à son père, lettre que nous tenons entre les mains...
J'ai dévoré d'une traite ces 180 pages d'une justesse incroyable qui parviennent à relater ce parcours à la fois douloureux mais jamais doloriste d'une femme trans. Geneviève Damas n'omet pas les difficultés, la tentation du suicide, la violence dont sont parfois victimes les personnes trans, les expédients auxquels ils/elles ont parfois recours pour assumer le coût financier de leur transition, mais elle transmet cependant un message lumineux d'espoir en l'évolution de la société à leur égard. Un beau roman qui souligne également le rôle essentiel de l'art dans la vie de chacun.
Grasset 2023 Collection Courage (une de mes favorites).
06:00 Publié dans Rentrée 2023, Roman belge | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : geneviève damas
23/08/2023
#Western #NetGalleyFrance !
"Si le western est un genre, c'est le féminin. Il articule en un seul trajet l'idée du destin, l'idée du tragique de la condition humaine à celle de la plus fascinante liberté.C'est quoi, tout ça en une seule forme, sinon une femme."
Alexis Zagner, comédien en vogue, alerté d'un vague danger qui le menace, a disparu à quelques jours de la première de Dom Juan, dont il incarnait le rôle titre.
Nous découvrirons peu à peu les raisons de sa cavale, qui ont beaucoup à voir avec son attitude avec les femmes.
Quelques mois plus tôt, Aurore qui élève seule son fils Cosma , a appris le décès de sa mère, et ,bombardée "coordinatrice chargée des paramètres humains détachée à l'adaptation aux ressources digitales à cent pour cent de télétravail" (sic), a décidé de déménager à l'ouest, dans la maison maternelle, située sur un causse.
Évidemment, nos deux héros ne pourront que se rencontrer, mais pas forcément dans les circonstances que nous pourrions imaginer.
Faire cohabiter dans un roman le personnage de Dom Juan de Molière et le genre du western voilà qui paraît quelque peu iconoclaste. Mais cela fonctionne très bien et permet de dézinguer au passage le fonctionnement de notre société avec un humour acide.
Maria Pourchet analyse aussi avec férocité ,par le biais des Fragments d'un Discours Amoureux de Roland Barthes, l'avalanche de messages dont Alexis avait accablé une apprentie comédienne dont il croyait être tombé amoureux.
Alternant les temporalités, Maria Pourchet imprime à son récit un rythme vif et multiplie les rebondissements mais néglige peut être au passage ses personnages qui manquent un peu d'épaisseur. Je suis restée parfois perplexe devant certaines de leurs réactions mais il n'en reste pas moins que Western marquera sans doute cette rentrée 2023.
Merci à l’éditeur et à Netgalley.
Stock 2023.
06:00 Publié dans Rentrée 2023, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : maria pourchet
21/08/2023
#Misericordia #NetGalleyFrance !
" Et c'est là la difficulté de me retrouver à vivre à l’Hôtel Paradis. Exil. Il n'y a plus rien qui ne soit qu'à moi, ni mon corps, ni mon esprit. "
Elle vit dans une maison de retraite dont l'appellation est pour le moins ambigüe et si on la déplace en fauteuil roulant, parfois comme un paquet, elle n'a rien perdu de ses facultés d'observation et enregistre sur un petit magnétophone le journal de ce qui sera sa dernière année de vie. Sa fille, l'écrivaine Lidia Jorge, retranscrit ici ces textes et leur insuffle émotion et poésie.
Il est très poignant de voir "de l'intérieur" les explications de comportements qui peuvent parfois paraître incompréhensibles (appel en pleine nuit pour connaître une information pour le moins triviale, terreurs nocturnes parfaitement retranscrites où la narratrice lutte pied à pied contre la mort...). Mais il y a aussi les histoires d'amours entre les pensionnaire ou celles des soignants et tout ce microcosme est rendu avec vivacité et bienveillance. Quelques longueurs m'ont parfois perdue en route mais la fin du texte , avec la description du Covid , des mesures qui sont appliquées sans aucune explication aux pensionnaires , restera un moment fort de littérature.
Traduit du portugais par Elisabeth Monteiro Rodrigues.
Éditions Métailié 2023
06:00 Publié dans Rentrée 2023, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : lidia jorge