12/11/2020
Des vies à découvert
"On ne peut plus aller aux abris quand il n'y a plus d'abris."
Deux époques de profonds bouleversements, 2016 et 1871, un pays , les États-Unis et une même volonté de trouver un abri, réel ou métaphorique, pour des personnages auxquels nous nous attachons très rapidement, tel est le contenu du roman de Barbara Kingsolver Des vies à découvert.
Pour relier ces deux époques, une maison, mal conçue, mais qui agira comme un révélateur de déni ou au contraire incitera à des prises de conscience.
Barbara Kingsolver brosse ici le portrait passionnant de la famille Knox , intellos bohèmes rattrapés par la crise , un fils dans le monde de la finance, une fille plus atypique, mais qui se révèlera sans doute plus lucide et plus adaptée à la situation contemporaine, marquée par la crise climatique, sociale et politique.
Au XIXème siècle, c'est le personnage de Mary Treat, scientifique injustement oubliée, qui montre la voie vers une science plus moderne , loin des diktats obscurantistes.
Les relations familiales sont également au cœur des problématiques et l'humanité inquiète de Kingsolver s'épanouit ici avec beaucoup de finesse ,à son habitude. Un roman puissant où luit un peu d'espoir.
Traduit de l’anglais par Martine Aubert, Éditions Rivages 2020
06:00 Publié dans Rentrée 2020, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : barbara kingsolver
10/11/2020
La Payîsanna
"Quand la paysanne n'est pas à l'écurie, je trouve vraiment le bon rythme. L'ennui, c'est qu'après un moment, j'ai la bouche cousue. Ma voix descend en rampant le long de ma gorge et les mots me montent à la tête. Ils y bâtissent un monde second et toutes les choses que tu m'as dites se transforment en foin et ne paille. Je les trimballe avec moi jusqu'à ce qu'elles restent collées à ma peau et que ça devienne vrai que j'ai fait un jour partie de toi."
Cinq saisons où une jeune femme travaille dans une ferme suisse, près de la villa en ruines de ses grands parents. Naissance d'un veau, taille des onglons , mais aussi prise de conscience de la nature : "Les grillons me mettent au diapason Ils tendent leurs filets sonores autour de ma tête et la vallée entière se met à valser avec le temps" lui permettent d'apprivoiser la séparation d'avec son amoureux. Les êtres décédés l'accompagnent dans son quotidien avec un naturel confondant et on est bien loin ici du fantastique flamboyant sud-américain.
Tout semble feutré dans ce roman très très court (65 pages) qui infuse lentement en nous pendant et après la lecture. Amateurs de sensations fortes, de retournements de situations et de rebondissements passez votre chemin. Ce roman est de l'ordre du ténu, du tranquille et pourtant il produit une impression forte sur qui veut bien prendre le temps de se lier à lui.
Traduit de l'allemand par Yann Stutzig, Éditions d 'En Bas 2020
06:00 Publié dans Rentrée 2020, romans suisses | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : noëmi lerch, yann stutzig
04/11/2020
Les secrets de ma mère
"Une sensation électrique sur ma peau, mes mains et mes pieds. Je ne me sentais pas triomphante Mais, d'une manière assez intéressante, je me sentais plus libre. Passer mon temps à attendre et à vouloir, voilà qui avait été mon état naturel. Désirer plutôt que d'avoir les tripes de réaliser mes propres souhaits."
Rose, la trentaine, n'a encore rien fait de sa vie. Elle est engluée dans une relation qui ne la satisfait plus et peine à savoir ce qu'elle veut vraiment. Jusqu'au jour où son père, qui l'a élevée seul, lui remet deux romans d'une autrice qui est la dernière personne à avoir vu la mère de la jeune fille avant que celle-ci ne disparaisse sans donner signe de vie.
Cette romancière avec qui sa mère a vécu une histoire d'amour pourra-t-elle aider Rose à se lancer sur la piste de cette mère insaisissable ?
La quête maternelle va bientôt se muer en quête identitaire et cela ne sera pas sans conséquences sur de nombreuses existences.
Alternant les époques, Les secrets de ma mère est un roman confortable, sans réelle tension, les personnages privilégiés par Jessie Burton n'étant pas à mon avis les plus intéressants. Facile à lire et... à oublier.
Traduit de l'anglais par Laura Derajinski, Gallimard 2020
06:00 Publié dans Rentrée 2020, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : jessie burton
03/11/2020
Trois chemins vers la mer
"Elle s'était imaginé la vie comme un élastique, sur lequel il suffisait de tirer pour allonger le temps et faire durer les bons moments . Et voilà qu'elle était arrivée à un point où il était soudain trop tard pour beaucoup de choses. Les portes claquaient autour d'elle à la vitesse grand V."
"Le corps", "L’État", l'exil", tels sont les titres récurrents des chapitres qui viennent rythmer ces Trois chemins vers la mer.
Trois récit d’itinéraires féminins marqués par la perte mais non le renoncement, dont on perçoit très vite comment ils vont s'agencer avec beaucoup de douceur et de retenue, même s'ils évoquent des faits très douloureux, voire violents.
Il y a cette femme qui tente d'oublier son passé dans une réserve ornithologique où elle bague des oiseaux, fait de longues promenades avec sa chienne, traduit un texte de Dany Laferrière (sur l'exil) et n'entretient que très peu de relations sociales. Cette autre qui échange des courriers avec une administration bornée qui lui refuse le droit à l’adoption. Cette dernière qui traîne une valise contenant un chat mort...
Le corps féminin, les langages dont nous usons ou que nous subissons, mais aussi la nature sont au cœur de ce roman très court, 180 pages, qui exerce une réelle fascination sur le lecteur. Nous entrons au plus profond de l'âme humaine ,mais avec poésie, retenue et une sensualité diffuse. Tout est dans le presque rien, mais d'une manière efficace et pérenne. Un énorme coup de cœur ! Et zou, sur l'étagère des indispensables.
Traduit du norvégien par Hélène Hervieux, Delcourt 2020
09:25 Publié dans l'étagère des indispensables, Les livres qui font du bien, Rentrée 2020, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : brit bildoen, hélène hervieux
26/10/2020
Le palais des orties
"Cette fille possédait un don, elle voyait l'invisible.
Ou encore, je le comprends aujourd'hui, ce que nos refusions de voir."
Tous les habitants du Palais des orties, chat et chien y compris tombent sous le charme de Fred, jeune woofeuse venue aider Nora, Simon et leurs enfants , contre le gîte et le couvert.
Rien de glamour, rien de branché dans cette campagne triste où Simon a repris l'exploitation familiale mais l'a orientée vers la culture de cette plante que tout le monde rejette: l'ortie.
Mais ce que Marie Nimier peint, dans ce récit rétrospectif , est surtout l'histoire d'une passion amoureuse entre deux femmes.
Avec beaucoup de délicatesse, d'empathie, elle nous fait partager la vie de cette famille que Fred va bouleverser , sans nous livrer pour autant tous les secrets de ces personnages qui nous deviennent vite familiers.
Un roman où l'autrice semble se libérer des carcans où on la sentait parfois enfermée dans ses précédents ouvrages. Une lecture réconfortante et brûlante à la fois.
Gallimard 2020
06:00 Publié dans Rentrée 2020, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : marie nimier
14/10/2020
Liv Maria
"Quand elle le voyait dans la glace, son corps lui parlait de ça aussi, de la femme un peu morte à l'intérieur qu'elle était devenue, de toutes ces années passées à traîner, son corps avec ses cicatrices de couteau émoussé, son dos brisé, ses bras durs comme du bois, durs comme son cœur."
Magnifique portrait de femme aux multiples vies, aux multiples identités, Liv Maria fait la part belle au romanesque . D'homme en homme, de pays en pays, je l'ai suivie avec enthousiasme mais suis restée un peu sur ma faim car j'aurais aimé que soient approfondies les motivations de cette femme qui nous demeurent quelque peu obscure.
Quant au twist qui explique son dernier départ, je l'ai trouvé moyennement crédible, certains peoples nous ayant montré que ce n'était visiblement pas un embarras pour certains. Bilan en demi-teintes donc.
06:00 Publié dans Rentrée 2020, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : julia kerninon
13/10/2020
Fille
"La perte de chance, tu vois, c'est d'être une fille."
Dans ce roman, à forte connotation autobiographique, l'autrice interroge les mots liés à la féminité, plus particulièrement dans son histoire personnelle. Partout on été repris les mots de son père affirmant qu'il n'avait pas d’enfants car il n'avait que deux filles.
Il n'en reste pas moins que l'autrice rappelle qu'en Inde "Dire "c'est une fille avant la naissance est passible de trois ans de prison et de dix mille roupies d'amende: on n'a plus le doit de demander ou de pratiquer une échographie pour voir le sexe de l'enfant et avorter en conséquence car trop de filles disparaissent; à force de les étouffer dans l’œuf, il y a des villages entiers d'hommes célibataires."
La malédiction de naître fille, d'être considérée comme quantité négligeable, comme "une pisseuse", si elle a nettement régressé dans les pays développés, n'en demeure pas moins prégnante dans beaucoup d 'autres parties du monde.
Camille Laurens revient donc sur les moments clés de sa vie et en particulier sur la mort de son premier enfant, épisode d'une violence inouïe quand elle comprend les circonstances qui ont abouti à cette tragédie.
Mais le roman se conclut de manière optimiste avec la jeune fille de l'autrice qui rebat les cartes de la féminité avec une belle énergie.
Un roman constellé de marque-pages.
06:00 Publié dans Rentrée 2020, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : camille laurens
06/10/2020
Au bal des absents
"[...], tous ces gens-là qui la condamnaient à la mot sociale, la mort civile , la mort de faim, la mort de froid, la mort dehors, la mort de désespoir, l'avaient définitivement amarinée à la houle incessante, insondable de la cruauté humaine."
Au chômage, au RSA, bientôt à la rue, Claude, quarante ans, est contactée par un mystérieux juriste qui lui propose d'enquêter sur la disparition de toute une famille américaine dans une maison isolée en pleine campagne.
Notre héroïne ignore encore qu'elle va devoir faire face, totalement seule, à "tant de siècles de méchanceté embusquée dans un gigantesque manoir ". Mais Claude a de la ressource car "le désespoir , c'est un luxe. Tu n'as pas les moyens", s'admoneste-t-elle. Et de se forger, grâce à une flopée de bouquins, de films, de jurons et de formules d'exorcisme, sans oublier les formations subies à Pôle Emploi, toute une batterie d’armes, à laquelle elle adjoint une binette bienvenue.
Sous couvert de fantastique, d'horreur, Catherine Dufour nous peint ici le combat solitaire d'une femme contre la misère à laquelle on voudrait qu'elle se résigne. Un combat social, féministe( j'adore la fin, à la fois drôle et horrifique).
On sourit (quand on aime l'humour noir), on frémit et on apprécie de voir ici convoquées et détournées les figures imposées de ce genre de roman. Claude est pugnace , intelligente et astucieuse et on jubile de voir comment elle apprivoise la situation à sa façon. Un roman hautement réjouissant même pour quelqu'un comme moi qui ne suit pas familière du genre fantastique et/ou horrifique.
Seuil 2020
06:00 Publié dans Rentrée 2020, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : catherine dufour
05/10/2020
Ma sombre Vanessa
"Ce n'est rien. C'est normal. Toutes les femmes intéressantes ont eu des amants plus âgés qu'elles dans leur jeunesse. C'est un rite de passage. A l'entrée, vous êtes une fille, et à la sortie, vous n'êtes pas tout à fait une femme, mais vous en en rapprochez.Vous êtes une fille plus consciente d'elle-même et de son pouvoir."
Vanessa, en 2017, est rattrapée par son passé via la déferlante MeeToo. Contactée par une journaliste et par une élève abusée par le professeur Strane, la jeune femme refuse pourtant de se considérer comme victime d'un prédateur qui aurait abusé de son autorité sur l'adolescente qu'elle était dix-sept ans plus tôt.
Non, elle considère la relation qui a commencé quand elle avait quinze ans comme une exceptionnelle histoire d'amour entre deux être très sombres et au mieux, reconnait-elle que Strane est éphébophile, mais en aucun cas pédophile.
Elle n'a pas perdu le lien avec cet homme qui l'a valorisée, qui a su amadouer cette étudiante douée à coups de lectures orientées ( Nabokov, bien évidemment), mais qui s'est aussi montré lâche et manipulateur.
Alternant les époques, Kate Elizabeth Russell fouille avec une précision chirurgicale les rouages faussés de cette relation et nous donne à voir le déni dans lequel se débat Vanessa , dont la vie ne correspond en rien à ce qu'elle aurait pu en attendre.
Les rebondissements se succèdent , sans jamais rien d'artificiel, les multiples facettes, souvent contradictoires de l'héroïne se donnent à voir et l'on est fasciné par une telle maitrise dans l'écriture et la construction de ce premier roman. à lire absolument.
Traduit de l'anglais par Caroline Bouet, Les Escales 2020, 442 pages constellées de marque-pages.
06:00 Publié dans anthologie, l'étagère des indispensables, Rentrée 2020, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : kate elizabeth russell
29/08/2020
#Lumièredétépuisvientlanuit #NetGalleyFrance
" Comment s'y prend-on pour faire ses adieux à une montagne, comment se défaire des touffes d'herbe, des brins de paille et des petits cailloux devant la maison ? "
Un village de quatre cents âmes perdu au milieu de la campagne islandaise. Ses habitants, parfois hauts en couleurs, travaillés par la solitude, l'usure des couples, le désir amoureux, l'envie de partir, la violence, la bienveillance, bref par tous les sentiments qui agitent un microcosme observé avec beaucoup de bienveillance par l'auteur.
La mort est souvent présente, parfois cruelle, parfois choisie, et irrigue constamment ce texte qui tient à la fois du conte et de la poésie.
Laissez-vous embarquer par cette lecture-fleuve qui fait aussi la part belle à la Nature.
Magnifique traduction de l'islandais d 'Eric Boury.
Grasset 2020
06:00 Publié dans Rentrée 2020 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jón kalman stefánsson