16/12/2013
La nostalgie heureuse
"Je suis une aspirine effervescente qui se dissout dans Tokyo."
Chaque rentrée littéraire nous apporte un nouvel opus de notre Belge préférée: Amélie Nothomb. S'en suit une avalanche de reportages, critiques, billets, interventions de la dame dans des émissions les plus improbables et la sensation pour le lecteur, même aficionado, de ne pouvoir échapper à la folie Amélie Nothomb.
J'ai donc laissé reposer un peu tout cela avant de dévorer d'une traite La nostalgie heureuse. Je n'aime jamais autant cette auteure que quand elle se raconte sans fard, avec une lucidité qui force l'admiration et un humour toujours présent. J'avais vu le reportage sur France 5, qui avait entrainé son retour au Japon, son pays de prédilection, et j'ai découvert ici ce qui se cachait derrière les images: la rencontre avec l'ancien fiancé, Rinri et le maelström de sentiments que ce voyage a occasionné. Une plongée dans l'intimité de ce personnage hors du commun qu'est Amélie Nothomb.
J'aime quand elle va au cinéma avec son bonzaï moribond, Swfit , et que la projection d'Hugo Cabret ressuscite la plante : "Martin Scorcese l'a libéré de son envoûtement de petitesse." ou quand les Carabosses tokyoïtes se moquent d'elles : "Les mémés se régalent de ma déconfiture. Elles calculent qu'à mon âge, j'en ai encore pour une trentaine d'années à être polie.Après, je pourrais péter les plombs comme elles."Voilà une auteure qui assume tous les aspects de sa riche personnalité ! Un coup de cœur !
Déniché à la médiathèque.
Plein d'avis sur babelio !
06:00 Publié dans rentrée 2013, Roman belge | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : amélie nothomb
14/11/2013
Petites scènes capitales
"Son écorce est brunâtre, sillonnée de crevasses et rugueuse au toucher. Les feuilles plates et trapues, sont infusées de lumières, saturées de jaune franc; certaines sont tachetées de rouge-orangé, à peine. Au moindre souffle de vent, le feuillage frémit et répand une formidable sonnaille de jaune, un cliquetis d'or , de soufre, de paille et de safran. Barbara est saisie d'une allégresse aussi plein et aussi nue, aussi pure que cette trémulation de lumière."
Comment ne pas être pétri d'admiration devant un style aussi ciselé et sensuel ? Ces Petites scènes capitales, vignettes pour dire les moments forts de l'évolution d'une d'abord toute petite fille orpheline de de mère qui va, sa vie durant, conquérir son identité et sa place au sein d'une constellation familiale pour le moins chaotique, sont un pur régal de lecture !
Néanmoins, je dois avouer que l'aspect un peu trop morcelé fait que je n'ai pas été aussi enthousiaste quant à la structure du livre. Elle nuit en effet un peu à l'attachement que l'on pourrait porter aux personnages. Un roman constellé de marque-pages !
Le billet tentateur d'Aifelle !
06:00 Publié dans rentrée 2013, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : sylvie germain
07/11/2013
Qui touche à mon corps, je le tue
"Qui peut prendre sa douleur ? Qui peut la lui voler ? Qui peut prendre sa chair ? "
De l'aube à l'aube, dans une atmosphère teintée alternativement de jaune et de bleu, trois êtres à la limite de la vie et de la mort. En ce 29 juillet 1943, Lucie L., faute d'avoir su se déprendre du corps de sa mère, avorte, seule. Dans sa cellule de la Roquette, Marie G, faiseuse d'anges, attend son exécution. Quant à Henri D., bourreau,il n'est pas le mieux loti, quoique on en pense.
Chacun revient sur son passé, sur ce qui l'a conduit, de manière plus ou moins consciente à cette situation.
Avec une sensibilité extrême, Valentine Goby nous peint de manière à la fois poétique et charnelle ces trois corps qui, d'une certaine manière ne s'appartiennent pas vraiment. Ancrant sa fiction dans un socle historique, elle la sublime par son écriture magnifique et nous la rend d'autant plus poignante. Un titre plein d'une rage sourde et et menaçante autour duquel je tournais depuis trop longtemps. à découvrir absolument.
déniché à la médiathèque et en poche.138 pages brûlantes.
Du même auteur: clic.
le billet d’Antigone !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, rentrée 2013 | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : valentine goby, corps des femmes
04/11/2013
Il faut beaucoup aimer les hommes
"Les étranges et merveilleuses traces sur ma peau sont le signe que je n'ai pas rêvé-non le signe c'est l'entaille, l'attente, la route ouverte."
Solange, actrice française installée à Los Angeles, rencontre un acteur dans une soirée. Cet homme, en dépit d'une description extrêmement fouillée, nous ne l'apprenons pas immédiatement, est noir. Et alors ? , comme se demande la quatrième de couverture. Et alors, cela ne va pas de soi et Solange va en faire l'expérience.
Marie Darrieusecq place son roman sous l'égide de Marguerite Duras (par son titre, extrait d'une citation de l'auteure de L'amant) et effectivement on va retrouver ici certains des thèmes chers à Duras : les relations amoureuses interraciales, l'attente mais aussi la description de la Nature opiniâtre (la mer dans Un barrage contre le Pacifique, la forêt africaine ici). Mais Marie Darrieusecq, si elle analyse finement tout ce qu'implique cette relation entre une femme blanche et un homme noir, met aussi en scène un créateur habité par une vision : il veut à toutes forces adapter au cinéma le roman de Conrad, Au cœur des ténèbres et le réaliser en Afrique, bien évidemment. S'en suit une description hallucinée du tournage où Solange devra lutter pour trouver sa place.
L'écriture de Marie Darrieusecq est à la fois puissante et lumineuse. Elle sait aussi bien s'attacher aux détails , de superbes pages sur l'attente, que décrire la puissance inexorable de la nature africaine. Un roman souvent cruel mais où l'héroïne parvient toujours à conserver sa dignité.
Un roman enthousiasmant, tout hérissé de marque-pages ! Un énorme coup de cœur et un énorme merci à Clara !
Ps: Solange, adolescente ,était déjà l'héroïne de Clèves, un roman non chroniqué, au charme trouble qui m'avait moins convaincue.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2013, romans français | Lien permanent | Commentaires (19)
01/10/2013
Moment d'un couple
"Dire je t'aime, pense Juliette, c'est s'inscrire dans la durée, pas comme dire j'ai envie de toi ou je suis bien avec toi."
Moment d'un couple est un roman troublant à plus d'un titre. D'abord par son thème: un homme trompe sa femme et la maîtresse, une femme politique en vue, commence à les harceler, lui et son épouse. Le tout est envisagé du point de vue de l'épouse trompée qui bien évidemment souffre, croit frôler la folie mais garde néanmoins la tête froide et se bat , pied à pied pour garder son homme. Elle analyse, se découvre stratège et surtout prête à défendre ses enfants comme une tigresse.
Dérangeant ensuite, parce qu'évidemment on se dit que c'est une histoire inspirée de faits réels et qu'enfin la mine d'infos qu'est internet nous permet même de mettre un nom -connu- sur la maîtresse en question qui, de surcroît avait publié un roman présentant son point de vue sept ans auparavant. Ce dernier aspect a quelques peu parasité ma lecture mains, néanmoins, je n'ai pas lâché ce roman qui fouaille, appuie là où ça fait mal et présente une vison sans concessions du couple. à quand le roman du mari ?!
Un grand grand merci à Cuné !
L'avis de Clara (qui n'a pas aimé les cinq dernières pages. Perso, je les trouve extrêmement logiques...) qui vous enverra vers plein d’autres billets.
06:00 Publié dans rentrée 2013, romans français | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : nelly alard
30/09/2013
En même temps, toute la terre et tout le ciel
"C'était quelque chose que je devais à Nao. j'avais envie de lire son journal au rythme de ce qu’elle avait vécu."
Oui, il faut prendre son temps pour savourer et laisser infuser les 596 pages du roman de Ruth Ozeki. se laisser prendre par la magie de ce livre qui alterne les récits de Nao, jeune japonaise victime de harcèlement dans un pays qu'elle ne reconnaît pas comme le sien et Ruth, écrivaine en panne d'inspiration au Canada, sur une île où la nature sauvage a encore droit de cité.
Probablement emporté par le tsunami, un sac en plastique contenant le journal de Nao , des lettres et une vieille montre s'échoue sur la baie de Desolation. Il sera trouvé par Ruth qui se rendra vite compte que les mots de la lycéenne lui sont destinés. S'établit alors entre les deux femmes, entre les deux pays, entre passé et présent, une relation où les mots joueront un rôle essentiel.
La frontière entre réel et imaginaire devient poreuse mais le lecteur accepte sans broncher qu'un rêve puisse modifier le passé ou qu'un corbeau joue un rôle essentiel tant il est captivé par ce récit à la construction harmonieuse. On veut savoir ce qu'il advient de chacun des personnages, on partage leurs souffrances, on découvre les situations sous différents points de vue et on finit ce roman en parvenant même à s'intéresser au chat de Schrödinger sans mal de crâne !
Un roman d'une grande richesse et d'une extrême sensibilité qui évoque aussi bien le zen, avec une nonne de cent quatre ans pleine d'empathie et d'humour, les kamikazes, le choc des cultures, l'identité , la tentation du suicide mais sans jamais devenir pesant. On y glane aussi, grâce au mari de Ruth, plein d'infos scientifiques. Bref, on se régale de bout en bout ! un roman constellé de marque-pages ! Et zou sur l'étagère des indispensables !
Un énorme MERCI à Clara !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2013, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : ruth ozeki, japon, canada
24/09/2013
Le livre du roi
Un jeune étudiant islandais parti étudier à Copenhague va se retrouver embarquer dans une chasse au trésor d'un genre particulier. En effet, dans cette Europe d'après guerre, il va aider un professeur aussi savant qu'atrabilaire à mettre la main sur Le livre du roi, "la plus ancienne source de la mythologie et de la poésie nordique ancienne." Par la même occasion , il s'agit aussi de réaffirmer la singularité de la culture islandaise, l'Islande étant à cette époque sous la coupe du Danemark.
à la croisée du Nom de la rose et d'Indiana Jones, Le livre du roi est un roman d'aventures et de formation qui tient ses promesses, ni plus ni moins. L'auteur s'offre même le petit plaisir d'y mettre en scène son propre père, journaliste à l'époque, ce dont nous informe une note en bas de page. Un livre qui plaira aux amoureux des livres car Arnaldur Indridason y affirme la nécessité d'apprécier la valeur des manuscrits anciens.
Un cran en dessous de notre policier préféré mais une lecture confortable car on y trouve tout ce à quoi on s'attend dans ce type d'ouvrage.
06:00 Publié dans rentrée 2013, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : arnaldur indridason
23/09/2013
Les mutilés
"L'existence ne serait qu'une succession de pertes de pouvoirs depuis la toute puissance de l'enfance."
Le jour où son mari tente de la tuer, Lucyle , qui en apparence possédait tout, richesse, amour, position sociale, commence à vivre. Elle fait alors voler en éclats les images factices de son couple idéal, de sa famille qui a tout fait pour gommer un passé marqué par la douleur extrême et s'insurge contre une société dans laquelle pullulent Les mutilés.
Les mutilés, ce sont ceux qui, comme sa sœur, vivent dans leur corps des amputations, mais aussi, plus nombreux, tous ceux qui se laissent broyer par les habitudes, les fausses valeurs, la violence d'une société , la rage de posséder et font fi de leurs émotions .
L'héroïne remonte alors le cours de son histoire familiale pour tenter de s'alléger du "fardeau des disparus et des moments immarcescibles auxquels ils sont reliés." et renouer avec la grâce et la lumière.
Diatribe d'une extrême violence contre notre société des apparences et de l'argent , analyse féroce du jeu social, le premier roman de Marianne Vic sacrifie un peu la progression de son récit et la densité de ses personnages. En revanche, la beauté et la richesse de la langue, la pertinence de sa réflexion font qu'on ne peut lâcher ce roman (sauf pour consulter un dico !) tout constellé de marque-pages ! Une découverte coup de cœur -coup de poing !
Juste un passage parmi tant d'autres, pour vous donner envie:
" La pléonexie* engendre deux empêchements majeurs: celui d'aimer, celui de mourir.
Plus on possède, plus on idolâtre la prospérité, plus on se sédentarise, cherchant désespérément à s'enraciner contre l'instabilité de toutes choses, à aller contre le mouvement inexorable de l'univers.
Pauvres êtres , mus seulement par le désir d'avoir plus ou paraître mieux que les autres, toujours plus, toujours mieux...Des nains possédants qui croient ainsi conjurer l'absurdité de l'existence. Êtres pornographiques aux trajectoires sans horizon, en état de frustration permanentes, qui ne savent plus mourir ou aimer.
Y-a-t-il encore des êtres dont la préoccupation serait ailleurs ? "....
*La pléonexie (du grec πλεονεξία, pleonexia) est le désir d'avoir plus que les autres en toutes choses.
06:00 Publié dans rentrée 2013, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : marianne vic
17/09/2013
Idiopathie
"Meilleure elle était dans l'exercice de son travail, plus les gens la détestaient. De l'avis général, elle excellait dans son travail."
Séparés après une liaison tortueuse, Katherine et Daniel vont devoir se rapprocher pour faire face au retour d'un fantôme de leur passé: leur ami commun Nathan.
Daniel a retrouvé l'amour mais il n' a jamais été et ne sera jamais de taille à affronter son ex , reine du cynisme et de la mauvaise foi. Les retrouvailles s'annoncent donc plutôt compliquées...
Trentenaires narcissiques et par certains côtés encore puérils, Daniel , Katherine et Nathan prennent tour à tour la parole dans ce roman présenté comme une comédie à l'anglaise .
Si Sam Byers manie les mots avec une profonde jubilation et atteint souvent son objectif,nous faire sourire, voire pouffer, (j'ai adoré en vilaine que je suis l'exploitation de Nathan par sa mère) il ne parvient pas toujours à donner de la densité à ses second rôles (j'aurais aimé que soient développés par exemple les personnages de la mère et de la sœur de Katherine). Il aurait sans doute fallu aussi tailler dans les discussions et les prises de tête intérieures entre les anciens amoureux (si je lui dis ça, elle va réagir comme ça mais...). Trop longues, elle ont failli m'occasionner un mal de tête et j'avais juste envie de dire à Daniel : Fais-toi une raison et tais-toi. Quant aux vaches, atteinte du syndrome du désœuvrement, elles sont le symbole d'une société en perte de sens. Elles n'en demandaient pas tant, les pauvres.
Bref, un premier roman presque réussi. ...,
Traduit de l’anglais par Nicolas Richard.
Le billet tentateur de Cuné, qui a bu du petit lait !
06:00 Publié dans rentrée 2013, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : sam byers, comédie à l'anglaise
16/09/2013
Faillir être flingué
"Il lui semblait parfois marcher pour dénouer ou atteindre en lui une place vide et douce, éloignée des courants, un apaisement."
Qu'elle s'attaque à bras le corps au roman épique médiéval (Bastard batlle) *ou au récit de science fiction Le dernier monde)* , Céline Minard a le chic pour s'emparer d'un genre et se l’approprier. Dans Faillir être flingué, c'est sur le western qu'elle a jeté son dévolu.
J'en vois d'ici certain(e)s faire la grimace, mais oubliez tous vos préjugés sur ce genre et précipitez-vous sur Faillir être flingué , un roman qu'on ne peut lâcher tant il est à la fois dense, fabuleusement écrit et fertile en rebondissements !
La romancière y alterne scènes contemplatives, scènes de genres (l'arrivée en chariot, l'attaque de la diligence , le héros solitaire dans la ville en butte à ses ennemis...) pour mieux les dynamiter et leur insuffler fraîcheur et énergie. Elle y observe aussi la sédentarisation de ses personnages ainsi que "la propriété, sa nature et sa circulation problématique". En effet, au gré des aventures, les objets passent de mains en mains, de même qu'amitiés et inimitiés évoluent au fil du temps. Nous sommes en territoire connu, du moins le croyons nous, mais Céline Minard se plaît à nous mener où bon lui semble et c'est tant mieux ! Purement jubilatoire !....,
*lus mais non chroniqués.
Du même auteure, clic !
06:00 Publié dans rentrée 2013, romans français | Lien permanent | Commentaires (22) | Tags : céline minard, western