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16/11/2012

Cinq carillons

"Elle n'était plus qu'une femme composée d'espaces vacants."

Une journée écrasée de soleil à Sydney. Dans cette ville, parmi la foule des touristes, quatre personnes dont les histoires vont se frôler, se croiser parfois, avec toujours en ligne de mire l'opéra de Sydney, comme un repère auquel ils vont tous se référer, chacun en proposant une vison différente.
Trois femmes, un homme, d'horizons différents, mais ayant comme point commun un passé qui continue à peser sur leur vie.gail jones
Parmi eux, deux anciens amants ont rendez-vous. Leur particularité? Ils se sont connus très jeunes et leurs amours adolescentes sont racontées avec une pudeur et une délicatesse extrême. Les autres ?  Une jeune femme  qui vient d'arriver d'Irlande. Tout est pour elle l'occasion de découverte. Quant à la plus âgée des personnages , une Chinoise,  c'est probablement celle qui a connu le passé le plus difficile car elle a connu en Chine la période des gardes rouges. Mais, paradoxalement, elle est certainement celle qui est la moins prisonnière de son passé.
 Quant au cinquième carillon, je vous laisse le soin de découvrir sa tonalité car, Gail Jones, si elle se donne comme contraintes l'unité de temps et de lieu- même si les retours en arrière sont très importants-  sait aussi se libérer de son cadre et réserver bien des surprises à son lecteur.
La langue est poétique et fluide , un grand bravo à la traductrice , l'intrigue parfaitement menée et Gail Jones sait créer des personnages  (en particulier celui de la Chinoise que j'ai préféré) émouvants et denses.
Un roman profond et aérien.

 

Cinq carillons, Gail Jones , traduit avec beaucoup de talent par Josette Chicheportiche, Mercure de France 2012, 315 pages qui résonneront longtemps en moi.

12/11/2012

Un hiver aux canaries

"Ici, tout le monde est aisé, en bonne santé, bronzé et prétentieux."

Passer Un hiver aux Canaries, le rêve réalisé, surtout quand on on vient de quitter l'hiver septentrional !  Sur l'ile de Gran Canaria , l'ancien patron de chantier naval Jori Nyman dirige d'une main de fer son factotum Mikko , tout juste arrivé de Finlande, et sa femme de ménage malienne, Dior. Il pourrait couler une retraite paisible mais son esprit est encore agité par la mort de son épouse. Mikko, quant à lui, rêve de concevoir la chaise idéale, tout en se soumettant aux ordres de son patron. Ecartelée entre son vieux mari, sa famille restée au pays et sa volonté d'apprendre la langue espagnole, Dior tente, bravement,  de s'adapter à ce nouvel environnement.riikka ala-herja,roman finlandais
Trois solitudes pas du tout apaisées qui vont se croiser et exposer, petit à petit, au lecteur leurs pensées les plus secrètes. Révélations surprenantes qui feront varier comme dans un kaléidoscope la vision que nous avons d'eux.
Sous le soleil, les tensions montent, la brutalité se révèle et l'atmosphère idyllique tourne vite à l'aigre. Un roman dérangeant et déroutant, jusqu'au bout.

Un hiver aux Canaries, Riikka  Ala-Harja, traduit du finnois par Paula et  Christian Nabais, Gaïa 2012, 175 pages  troublantes.

Du même auteur, clic !

08/11/2012

Arsène

"...le contrat de confiance avec les parents, à ce niveau, autant le brûler directement après avoir vomi dessus."

Arsène ? Comme Lupin ? Non, comme Wenger (Joueur, puis entraîneur de foot français ) ! Pour couronner le tout Arsène est en fait une très jolie jeune femme qui vient d'emménager près de Georges, petit intello  sans lunettes d'une classe de sixième, dont Arsène Wenger est le héros ! Il faut dire que la belle possède une belle énergie, digne d'un numéro 10 ...Football quand tu nous tiens !juliette arnaud
Roman polyphonique où tour à tour Georges, Mme Cognet, prof de français, M. Guédon,prof de sport, mais aussi M. Ali libraire (faussement) atrabilaire qui refuse de vendre les livres vantés à la télévision, prennent la parole, Arsène nous propose un récit à plusieurs niveaux, un peu comme une forêt noire (le gâteau !).
Première couche, la vie au collège, deuxième: l'amour de Georges pour Arsène et, enfin, pour couronner le tout,  une sale histoire dans laquelle s'est fourrée la Grande Gigue comme l'appelle M. Ali ,  le seul à avoir vraiment pris l'ampleur du désastre.
Le tout constituant une friandise qui remplit parfaitement son contrat: nous divertir avec une belle énergie et un ton allègre. Juliette Arnaud se paie en outre le luxe de faire fi des clichés, ce qui est bien agréable ! Le récit est un peu léger mais les personnages sont bien dessinés et emportent l'adhésion. Une jolie surprise donc !

Arsène, Juliette Arnaud, Castermann 2012, 188 pages délicieuses, un peu dans l'esprit du Petit Nicolas pour le style mais actualisé !

 

Trônant sur la table des nouveautés destinées au ados, la couverture fichtrement réussie d'Arsène me faisait de l'oeil car j'avais justement un cadeau à faire... J'étais donc obligée de le lire pour voir s'il conviendrait à sa destinataire, non ? Mission accomplie et je suis persuadée qu'il plaira à la demoiselle, d'autant qu'y figure une magnifique et très réussie mâtin de Naples " Tu te rends compte comme c'est beau, on dirait un poème , non ? "



06/11/2012

Viviane Elisabeth Fauville

"Il n'a jamais vu en vous qu'une bourgeoise, une pâle carriériste, une névrosée de base qu'on domestique à coups de pilules blanches."

Viviane Elisabeth Fauville, quarante-deux ans, en instance de divorce, mère d'une petite fille de trois mois , a-t-elle assassiné son psychanalyste ?
Cette interrogation est point de départ d'un roman surprenant sur le thème de l'identité, l'héroïne changeant son prénom en fonction des gens qu'elle rencontre, et restant invisible pour les gens des quartiers parisiens qu'elle traverse.julia deck
Utilisant le Vous de La modification de Butor, Julia Deck, avec une écriture impeccable, à l'humour discret mais efficace, réussit le pari de ne jamais tenir le lecteur à distance.
La narration surprend toujours mais ne déroute jamais et l'on se laisse fasciner et captiver par ce récit que chacun pourra interpéter à sa guise. Original et prenant  jusqu'au bout. Un travail stylistique remarquable de précision !

Viviane Elisabeth Fauville, Julia Deck, Editions de minuit 2012, 155 pages à la fois floues et ultra précises.

 

 

 

 

 

 

 

 

L'avis de Clara, la tentatrice!:)

05/11/2012

La promesse du bonheur

"Les familles sont comme les anémones de mer, promptes à se refermer."

Fi du stoïcisme anglais ! Charles doit bien l'admettre : avec l'incarcération de sa fille préférée, Juliet (dite Ju-Ju), c'est toute la famille qui a été touchée dans ses fondements les plus intimes. Le choc a été d'autant plus rude que Juliet avait tout pour elle: intelligence, charme, beauté. Personne ne comprend donc pourquoi elle s'est retrouvée impliquée dans le vol d'un vitrail  et incarcérée deux ans aux Etats-Unis où elle avait commencé une brillante carrière dans le monde de l'art.
Mais à y regarder de plus près ce délitement n'avait-il pas commencé plus tôt ? En tout cas, le retour de la fille prodigue en Cornouailles est l'occasion de réflexions et de subtils ajustements pour chacun tente de redorer l'image qu'il se fait de la famille.justin cartwright,famille
Sous la plume à la fois acérée et bienveillante de Justin Cartwright c'est toute une tribu avec ses mensonges plus ou moins gros, ses solidarités secrètes, sa tendresse aussi qui se donne à voir. De la mère qui tente de faire face en cuisinant d'improbables recettes, au père qui se voudrait parfait mais n'assume absolument pas , en passant par le frère à qui l'on confie le rôle d'élément équilibrant, sans oublier la cadette qui aurait tout pour jalouser sa soeur aînée, chacun se donne à voir en ses replis les plus intimes. Une réflexion sur la famille donc, mais aussi sur l'illusion, dont la condamnation de Juliet n'est qu'un exemple.
Le récit ne ménage pas les révélations mais chaque personnage est présenté de manière nuancée et l'écriture est tout à fait splendide !  Vite, découvrez cet auteur qui vient enfin d'être traduit en français !

La promesse du bonheur, Justin Cartwright, traduit de l'anglais par France Camus-Pichon, Editions Jacqueline Chambon, 332 pages délicieusement british !

02/11/2012

Cherche jeunes filles à croquer

"Je suis une scène d'absence, vous comprenez ? C'est avec ça que je dois travailler."

Pas de cadavres, mais des disparitions de jeunes filles anorexiques. Une série ? Peut être. Et d'ailleurs, soyons cyniques, il vaudrait mieux que cela soit le cas pour que le groupe du commandant Lanester ne soit dissous, faute de crédits !
Envoyé en renfort de la gendarmerie dans la vallée de Chamonix, l'équipe de criminologie va avoir fort à faire avec les parents des jeunes filles, et surtout avec le personnel d'une prestigieuse clinique spécialisée dans les troubles alimentaires. Sans oublier la remise en question de Lanester, dont les séances avec sa psychothérapeute ponctuent le récit.françoise guérin,anorexie,polar
Que voilà un formidable roman ! Sans discours jargonnant ni vulgarisation simplificatrice, mais de manière intelligente et sensible,  il introduit le thème de l'anorexie dans un genre où on ne l'attendait pas: le polar psychologique. De plus, le héros, profileur français,  s'y défait de son aspect "base de données ambulante" et acquiert  ainsi une véritable épaisseur, ce qui le rend bien évidemment encore plus craquant ! Ses coéquipiers, fort différents, apportent chacun leurs compétences et Lanester s'efforce touours de les mettre en valeur, ce qui est,ma foi, fort agréable.
Pas de baisse de rythme dans le récit, mais du suspense et des rebondissements jusqu'à la toute fin où l'on prend conscience de la polysémie du titre (ne comptez pas sur moi pour vous l'expliquer maintenant !). Sans oublier la marque de fabrique de Françoise Guérin : la touche d'humour dont elle ne se départit jamais et qui permet au lecteur de se détendre un peu entre deux serrements de gorge !
Une totale réussite donc et un roman qu'on ne peut lâcher ! Vous voilà prévenus : éteignez les portables et les ordinateurs, glissez-vous bien au chaud et dégustez !

Cherche jeunes filles à croquer, françoise Guérin, Editions du masque 2012, 393 pages haletantes !

D'autres billets concernant cette auteure ici !

le blog de l'auteure (clic)

 

30/10/2012

Le jeu des ombres

"L'idée de symétrie était si puissante que pendant de longues années je ne compris pas que la structure s'était gauchie."

Un couple, lui ,peintre, elle, son unique modèle, se délite .Le tout sous les yeux de leurs trois enfants. Ecrit ainsi, cela paraît trivial, voire pire. Sous la plume de Louise Erdrich cela devient un récit fascinant tant par la composition que par l'écriture, acérée et poétique à la fois. En effet, de prime abord Gil, Irene et leurs trois enfants constituent une famille modèle. Mais petit à petit, de petits indices, vus en particulier à travers des yeux enfantins, font prendre conscience de l'ampleur des dégâts et de la catastrophe imminente qui se profile.louise erdrich,couple,art
Tout est ambivalent dans ce récit, y compris le faux journal que Irene écrit à l'intention de son mari quand elle découvre que celui-ci a lu le vrai. Au lecteur de confronter les deux versions , y ajoutant le point de vue de Gil et celui du narrateur omniscient. Manipulations de part et d'autre, mais aussi complicité qui renaît contre la psychothérapeute que le couple va consulter, tout peut basculer dans la violence ou l'amour et tout peut être utilisé comme une arme: la peinture ou les mots.
J'ai adoré chaque élément de ce ce roman de Louise Erdrich, le premier que je lis de cette auteure. L'attention portée aux détails qui pourraient paraître insignifiants mais sont tellement révélateurs. Ainsi l'attitude des chiens qui captent la tension de la famille et s'interposent pour mieux la gérer. Le fait que le lecteur voie sans cesse remise en question sa vision des principaux protagonistes, y compris dans la dernière partie, magistral retournement de situation. Mais aussi l'écriture, au plus près des sensations , des sentiments, une écriture qui fouille et appuie là où ça fait mal, cingle pour mieux s'adoucir. Un roman dans lequel on retrouve, mais sous un mode mineur l'un des principaux thèmes de Louise Erdrich: celui des Indiens d'Amérique, un retour aux sources qui permettra à certains personnages de trouver le chemin de la résilience. Une oeuvre magistrale et dérangeante. Un vrai et beau coup de coeur !

Le jeu des ombres, Louise Erdrich, traduit de l'américain par Isabelle Reinharez, Albin Michel 2012, 253 pages puissantes.

Et zou, sur ma fameuse étagère (extensible) des indispensables  !

L'avis de Clara,tout aussi enthousiaste !

Celui d'Hélène, nettement moins !

Celui d'Athalie


29/10/2012

Plan de table

"Cependant, même lui avec sa vision comptable de l'amour [...]reconnaissait que ses sentiments pour Biddyallaient au-delà de la simple gratitude."

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Sur la très snob île de Waskeke (Nouvelle-Angleterre) se déroule le mariage de l'aînée des Van Meter, glorieusement enceinte de sept mois. Homards à gogo et Plan de table casse-tête en perspective pour la famille mais aussi remise en question pour le père, Winn, passablement austère et coincé, remâchant son passé et ne digérant pas que sa candidature au très select club de golf de l'île n'aboutisse pas.
Rien ne manque à l'appel de cette description d'un mariage huppé: ni la belle-soeur éméchée, ni la demoiselle d'honneur allumeuse et frigide, ni le beau-frère, bourreau des coeurs patenté. Mais j'ai mis du temps à lire ce roman, à le "digérer" avant de mettre le doigt sur ce qui me gênait dans cette lecture. Tout simplement le fait qu'un mariage est tendu vers l'avenir, comme le symbolise si bien le ventre de la mariée, alors que le personnage principal, le père, ainsi que sa fille cadette  d'ailleurs, restent obstinément bloqués sur leur passé et ne parviennent pas à dépasser leurs échecs.
Cette tension m'a paru nuire à la progression du roman , ainsi d'ailleurs que la vison passablement démoralisatrice du mariage de Winn, et je n'ai pas totalement trouvé mon compte dans cette lecture.

Le billet de Clara la tentatrice.

23/10/2012

Garonne

"Elle aime fredonner qu'elle "n'a pas la vertu des femmes de marins", sans vouloir l'offenser, tout le monde avait deviné."

Garonne, la cinquantaine venant, a besoin de se poser un peu et de quitter les petit boulots provisoires et la vie de nomade qu'elle avait menée jusqu'à présent.Une opportunité se présente: travailler dans l'agence de placement de jeunes filles au pair que vient d'acheter la fort brouillonne Manu.
Ne pas se laisser décourager par le début du roman et par l'agaçante Manu dont le vocabulaire de charretier et les négations incomplètes ont bien failli me faire lâcher prise . L'arrivée de la pimpante et efficace ancienne propriétaire de l'agence, Mme Debarre, survient à point nommé pour redresser la barre de l'agence et du récit ! fanny brucker
Si la vie de la petite entreprise est décrite de manière à la fois pleine d'humour et de réalisme, si j'ai beaucoup apprécié de partager la vie chaleureuse et gaie de ces femmes, j'ai néanmoins regretté la rupture de rythme et le changement de tonalité de la dernière partie du roman. Pourquoi donc opter à toutes forces pour une fin "conte de fées" ?
Un roman apaisé où l'on retrouve toute la sensibilité de Fanny Brucker. Clic !

Garonne, Fanny Brucker, Jean-Claude Lattès 2012, 329 pages à déguster  !

18/10/2012

Le beau monde

"J'aurai gagné en lumière et en ombre. En mystère."

"Terne, insipide", Frances Thorpes ? Cette obscure correctrice d'un prestigieux journal contemple de loin Le beau monde  des lettres où elle officie à une très modeste place.harriet lane,manipulation,écrivainLe hasard va lui permettre de recueillir les dernières paroles de l'épouse d'un grand écrivain, et, en côtoyant, même brièvement ce monde fascinant, Frances ne va pas résister à la tentation.
Petit à petit , elle va s'immiscer dans un univers où elle n'a pas sa place...
Tout le récit est vu du point de vue de Frances, qui ne se livre jamais totalement, même au lecteur qui découvre, petit à petit, toutes les étapes d'une intrusion ourdie de main de maître. Il serait vraiment dommageable de donner trop de détails mais la peinture de cette ambition souterraine et implacable sous des dehors insignifiants est à proprement parler époustouflante !
La description des parents de l'héroïne, en particulier de sa mère ,totalement névrosée, ainsi que celle des coulisses du journal sont des régals et on ne peut lâcher cette héroïne qui observe implacablement le monde qui l'entoure, en assimile les règles souterraines, les mensonges, et en tire le meilleur profit. Un roman qui tient du thriller, de la peinture psychologique acérée et du tableau de moeurs. Un premier roman qui fait preuve d'une parfaite maîtrise tant dans l'écriture que dans le rythme du récit.

Le beau monde, Harriet Lane, traduit de l'anglais par Amélie de Maupeou, Plon 2012.236 pages et une forêt de marque-pages !