08/02/2011
Naissance d'un pont
"...je sais comme tout le monde que celui qui veut construire un pont doit faire un pacte avec le diable."
De l'appel de candidature à l'inauguration, Maylis de Kerangal nous retrace la Naissance d'un pont. Sur cette trame aussi linéaire en apparence, l'auteure a su insuffler puissance et vie à toutes les étapes, à tous les aspects de cette construction.
Le texte s'interroge sur la manière dont l'ouvrage va s'inscrire dans l'espace, modifiant de manière irrémédiable le paysage, reliant, pour le meilleur et pour le pire des espaces, celui de la forêt, donnée comme un lieu magique, et celui de la ville, une ville marquée par l'énergie et l'argent.
Nombreux seront les obstacles mais ce ne seront pas forcément ceux qui se croient les plus puissants qui pourront ralentir l'inéluctable construction.
Quant aux hommes, et aux femmes, nous les suivons dans leur travail mais aussi dans leurs relations et très vite nous tremblons pour eux car le danger n'est pas forcément au bout d'une poutrelle. De l'intérimaire qui joue les cascadeurs , de l'escogriffe Diderot, grand général de cette armée qui se met en branle pour donner naissance au pont, à Katherine Thoreau plus à l'aise aux commandes de son engin que de sa vie, tous nous deviennent rapidement familiers et proches.
Maylis de Kerangal, par son style très ample et inspiré, non dénué d'humour , rend tout à fait fascinante et passionnante cette construction dont les aspects techniques ne sont en rien rebutants, bien au contraire.
Après l'échec de ma lecture de la Corniche Kennedy, je renoue avec une auteure qui a atteint ici sa plénitude .
Naissance d'un pont, Maylis de Kerangal, Verticales 2010, 317 pages qu'on ne lâche pas.
Emprunté à la médiathèque.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : maylis de kerangal, pont
01/02/2011
Nous étions des êtres vivants
"On aime notre métier et notre métier ne nous aime plus."
Soulagement au sein d'un groupe de presse pour enfants: ils ont trouvé un acquéreur. Mais soulagement de courte durée car le repreneur, bientôt surnommé Gros porc, n' a que faire de leurs compétences, de leur humanité et ne recherche que le profit à court terme.
En trois étapes, commentées par un choeur, la tragédie ira crescendo, révélant les mesquineries banales , les cruautés ordinaires et les retournements de veste discrets au fur et à mesure que la peur s'installe.
Plusieurs personnages prendront aussi successivement la parole, révélant leurs faiblesses, leurs problèmes quotidiens ou moraux et cette plongée dans leur intimité permettra de nuancer leur comportement.
De rebondissements en coups fourrés, de coups de folie en désespoir, c'est toute une palette de sentiments qui nous les rend si proches et si désespérement humains dans une société où "Aujourd'hui, manoeuvrer, dénoncer, flatter, , faire preuve de cynisme et jouer les forts en thème suffit à accéder au rang de supérieur. Les compétences passent au second plan." ça ne change peut être rien de l'écrire mais ça fait du bien, car on se sent moins seuls , comme ne cesse de le répéter le choeur, comme pour mieux s'en convaincre.
Nous étions des êtres vivants, Nathalie Kuperman, Gallimard 2010, 203 pages pas si désespérantes que ça.
L'avis de Cuné,,Aifelle, Kathel, qui vous mènera vers plein d'autres.
Emprunté à la médiathèque.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : nathalie kuperman
21/11/2010
France 80
"Il est beau, elle n'aime pas la poésie."
Deux parcours dans les années 80 : celui d'une ado de la classe moyenne , habitant près de Nantes, Claire Berthelot ,et celui d'un commercial , coureur de jupons même pas répugnant, chargé de placer des abonnements pour la chaîne cryptée qui vient de voir le jour. Ils ne se croiseront que fugitivement.
Pour les lecteurs ayant connu les eigties ce livre est une vraie mine de souvenirs, entrelaçant marques de produits aujourd'hui parfois disparus (existe-t-il encore du shampoing à la pomme verte ? ) et citations de chansons se fondant dans le texte et par là même inaccessibles à ceux n'ayant pas vécu à cette époque. Il nous offre aussi un portrait très juste de la vie de la classe moyenne et ce n'est pas si souvent que ça arrive.
Le tout pourtant est extrêment distancié, frôlant le clinique, et le lecteur qui s'intéresse malgré tout aux personnages se sent frustré de les laisser brusquement en plan. Ce roman distille également une sourde tristesse comme si l'auteure avait à tout prix voulu éviter l'effet nostalgie . "Hypnotique", estime Cuné, oui mais laissant aussi un peu la gueule de bois. Un anti " la Boum" et autres "Diabolo menthe" et c'est tant mieux !
Merci Cuné !
Merci aussi à Amanda qui a joué les passeuses !
France 80, premier roman de Gaëlle Bantegnie, une auteure que j'aurai plaisir à lire de nouveau. Gallimard 2010, 220 pages râpeuses.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : gaëlle bantegnies
18/11/2010
Apocalypse bébé
"ça les change des velus, les pauvres."
Deux simili détectives privées, dont une lesbienne forte en gueule- mais pas que- sont lancées sur les traces d'une pauvre petite bourge à papa "Toute de traviole et raturée." qui se révèlera pourtant être une"Vaillante boule de flipper".Elles la recherchent tout aussi mollement que les parents de la dite donzelle. L'enquête n'est bien évidemment qu'un prétexte. Car, de la même façon que les détectives sont là pour faire parler les différents personnages de la gamine, le roman se donne pour objet de faire le portrait d'une société. Pas joli joli, évidemment on est chez Despentes qui ne fait pas dans la dentelle mais dans les yeux lourdement cernés, la violence et le sexe. Quoique la volonté de choquer qu'on sentait dans ses premiers romans , laisse ici la place à un humour féroce qui dézingue à tout va mais laisse apparaître néanmoins une certaine tendresse. L'écriture s'est bonifiée, a gagné en maturité, et jusqu'à l'avant dernier chapitre on suit avec jubilation les pérégrinations de la (au début) si peu lumineuse Lucie-"Une limace hébétée"- et de la si féroce et si attachante Hyène. La fin est un tantinet ratée, trop fourre-tout, comme si l'auteure avait voulu brader en un seul lot les obsessions d'une époque mais bon, pour tout le plaisir procuré à la lecture du reste du roman, on en fera volontiers abstraction. Me voici réconciliée avec Virginie Despentes !
J'arrive après la bataille : tout le monde ou presque a lu, aimé ou détesté Apocalypse bébé.
Un grand merci à Antigone ! (qui a su balayer mes a priori)
Cuné avait préparé le terrain !:)
Theoma a eu l'excellente idée de recencer et classer les billets, merci aussi !
Prix Renaudot 2010.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : virgine despentes, humour hé oui !
19/10/2010
Plage
"Mais samedi existerait-il ?"
Une femme encore jeune attend sur une plage bretonne l'homme marié et en âge d'être son père qui a promis de la rejoindre dans une semaine.
"Encombrée par [ses] souvenirs", Anne observe les gens autour d'elle et leur comportement, leurs paroles font écho et la renvoient à sa situation de petite fille tiraillée entre un père, aimant mais volage, et une mère aigrie et mal aimante.Le temps de l'attente sera finalement celui de la réflexion et quoi qu'il arrive, Anne aura enfin grandi, se sera frottée aux autres et aura pris la mesure de ses possibilités.
Il ne se passe presque rien en apparence mais jamais le lecteur ne s'ennuie en suivant le parcours de cette femme en dormance qui va peu à peu explorer son univers mental et s'ouvrir aux autres, délaissant les romans , aux titres évocateurs, qu'elle avait emportés...
Le style, tout en précision de Marie Sizun accompagne cet éveil sans tambour ni trompettes mais avec beaucoup de délicatesse. Une très jolie découverte !
Plage, Marie Sizun, Arléa 2010, 262 pages sensibles et balayées par les embruns.
L'avis de Sylire qui vous mènera vers d'autres (le froid me rend paresseuse...)
Ps: comme Sylire, la couv' ne me plaît pas du tout car elle fait verser le roman vers la guimauve, ce qui n'est absolument pas le propos du texte de Marie Sizun.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : marie sizun, solitude, amour
14/10/2010
Fahrenheit
"Ce sont les livres qui nous possèdent."
Dans Fahrenheit 2010 (référence au livre de Bradbury Fahrenheit 451 - degré d'incandescence à partir duquel le papier brûle -), Isabelle Desesquelles raconte "l'anéantissement programmé" de la librairie où elle a "aimé habiter" . Rachetée en effet par une chaîne qui n'a pour objectif que de faire du chiffre mais pas de stock, la librairie dans laquelle elle avait tant aimé travailler et vivre devient une coquille vide , vite désertée par les clients fidèles.
Comment lutter contre l'absurde et l'inhumain érigés en lois ? Comment lutter contre les livres programmés pour être des best-sellers et laisser leur chance aux livres "nécessiteux", ceux à qui le libraire va faire une petite place pour qu'ils puissent respirer et exister ?
C'est une vraie amoureuse des livres qui s'exprime ici, de l'intérieur d'un système qui a voulu l'entraver, la formater, sa colère et ses frustrations, entremêlant son récit de citations de phrases ou de titres de livres aimés (une belle occasion de faire monter nos LAL !). Une voix qui dit la gangrène qui gagne de nouveaux pans de notre société.
Fahrenheit 2010, Isabelle Desesquelles, Stock 2010, 192 pages nécessaires.
Merci Cuné !
Un article fort éclairant ici.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : isabelle desequelles, librairie, entreprise
08/10/2010
Bifteck
"-Reprenez-la, dit-il, elle est végétarienne."
Fils-père de sept enfants , poursuivi par un époux jaloux, le jeune boucher breton, André, doit s'enfuir et quitter le plancher des vaches pour voguer, en compagnie de sa progéniture, vers la lointaine Amérique.
Commencé de manière classique Bifteck s'affranchit ensuite graduellement des contraintes du réalisme pour dériver de plus en plus vers le conte ou la fable.
Fable qui est une véritable ode à l'amour paternel,"Elle n'avait pas encore les mots pour le dire, mais elle savait déjà, comme eux, que l'amour d'un père a plusieurs visages , et que pas un ne l'empêcherait d'être heureuse." un amour absolu pour André qui nourrit, taille des vêtements, pétrit ses enfants, les absorbant pour ainisi dire dans un amour sans borne. Mais comme le rappelle Kahlil Gibran: "Nos enfants ne sont pas nos enfants" et le boucher qui leur tient à la fois de père et de mère devra apprendre à lâcher prise, à s'effacer...
Piochant dans les thèmes classiques du conte initiatique, Martin Provost les réinvente avec verve , nous régalant au passage d'une prose alerte et sensible. Seule la fin, trop réaliste pour le coup et trop explicative m'a laissé un arrière goût de déception. Une gourmandise néanmoins !
Merci à Brize qui en a fait un livre voyageur passé par
La sardine
Les avis de Tamara
Biftek, Martin Provost*, Buchet-Chastel 2010, 125 pages garanties sans morosité.
* réalisateur de Séraphine (que j'avais adoré) et qui tourne actuellement l'adaptation de Mauvaise pente, Roman de Keith Ridgway (lu avant mon blog et beaucoup aimé) avec la grande Yolande Moreau ! un régal en perspective!
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : martin provost, père enfants
06/10/2010
Olive Kitteridge
"Je ne vois vraiment pas pourquoi je pleurerais."
Tantôt personnage principal, tantôt juste mentionnée, Olive Kitteridge nous apparaît dans un portrait kaléidoscope la suivant de l'âge adulte à la vieillesse. Mais qui est-elle réellement? Pour les uns, une prof de maths qui terrorise ses élèves , pour d'autres une femme avec son franc-parler mais qui sait aussi faire preuve de déroutants élans de bonté . Étouffante pour son fils unique qui n'aura de cesse de la fuir , compatissante pour une jeune femme souffrant d'anorexie ou pour un ancien élève dépressif, Olive nous surprend toujours.
La construction, perturbante au début, on a l'impression de lire des nouvelles sans lien entre elles, bâtit en fait, de manière subtile, tout un univers qui nous devient vite familier. On guette l'apparition Olive et très rapidement on s'attache à cette femme et à ceux qu'elle côtoie.
Elisabeth Strout nous montre avec aisance aussi bien les drames que les joies, la solitude et la vieillesse mais aussi le nouveau comportement amoureux des personnes âgées , leur manière d'affronter les surprises du coeur. Un roman généreux et tout en finesse.
Olive Kitteridge, Elisabeth Strout, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Brévignon. Ecriture 2010, 375 pages revigorantes.
Prix Pulitzer de Littérature 2009.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : elisabeth strout, portrait de femme
05/10/2010
Wendy et Lucy
"Toi aussi, Benny, tu ne t'occupais que de toi. Sauf que tu n'as jamais été bien doué pour le faire."
Pour les personnages des nouvelles de Jon Raymond, il suffirait d'un rien pour qu'une amitié défaillante se remette sur ses rails, pour qu'un couple perdure : "C'était chouette d'être amoureuse de toi cette semaine" , lui dit-elle d'une voix sincère",pour qu'une vieille guimbarde tienne encore quelques kilomètres , sauvant ainsi sa propriétaire d'un destin semé d'embûches... L'amour, l' amitié , la fraternité sont si proches mais en même temps si ténus, si friables...Chahutés par la vie ses personnages n'ont rien d'héroïques mais ils font face aux aléas avec détermination.
Pas de chute mécanique cependant, l'auteur stoppe son récit juste au bon moment, le laissant se poursuivre dans nos esprits et surtout dans nos coeurs qu'il malmène à loisir. Une écriture précise et remplie d'empathie, décrivant la nature avec poésie, des personnages qui se gravent dans nos mémoires et ne laissent pas de place au désespoir. Un grand et beau coup de coeur !
Wendy et Lucy, Jon Raymond, 9 nouvelles* traduites de l'américain par Nathalie Bru, Albin Michel 2010. 284 pages emplies d'émotion.
Bon sang, je le savais, rien qu'en regardant la couv' que j'aurai les larmes aux yeux !
* dont 2 ont été adaptées au cinéma par Kelly Reichardt.
Merci à BOB et aux éditions Albin Michel.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : jon raymond
29/09/2010
La vie avant moi
"Avant moi, il n'y avait rien."Voilà, c'est péremptoire et définitif: le monde a commencé en même temps que Gaspard.
Mais , pour ses sept ans, ses parents ont décidé de lui expliquer la vie, et donc de lui raconter leur rencontre. D'une manière passablement embrouillée, il faut bien l'admettre. Et comme les chiens ne font pas des chats , le petit garçon a une façon très personnelle et pleine d'humour d'interpréter les faits ...
Comment on fait les bébés ? Pas sûr que les lecteurs de ce roman illustré de manière fort gaie par Delphine Perret le sauront mais au moins ils auront appris qu' "Après moi, il y aura un petit bigleux qui bave et qui louche".
Un roman plein de verve qui ravira les enfants qui aiment déjà lire tout seuls.
La vie avant moi, Colas Gutman, Ecole des Loisirs, Collection Mouche, 201038 pages à ,offrir en cadeau d'anniversaire, ou de non-anniversaire !
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : colas gutman, arrivée d'un bébé, mystère des origines, humour