08/03/2025
Vrouz...en poche
Voici du VROUZ ! annonce le bandeau de couverture. Du Vrouz? Un mot-valise plein d'énergie créé par l'acteur Jacques Bonnaffé (avec Sardine Robinson et Adèle Cockrobin) pour désigner V(alérie) Rouz(eau).
Et de l'énergie il y en a dans ce recueil de poèmes qui m'a enthousiasmée du début à la fin !
L'auteure fait feu de tout bois et recycle avec un humour parfois caustique les messages formatés de notre quotidien, qu'ils figurent sur une emballage de cigarettes , une notice de médicaments, voire une feuille de résultats d'analyses ! Elle nous entraîne dans son univers, qui pourrait être le notre, celui d'une quadra qui s'affirme dès le premier vers "Bonne à ça ou rien" , énumère ses incapacités , parfois cocasses, parfois plus sombres ,avant de conclure
"Pas fichue d'interrompre la rumeur qui se prend
Dans mes feuilles de saison"
et c'est tant mieux !
Une grande liberté aussi dans l'incorporation des citations d'auteurs chéris (et dûment répertoriés dans les notes de fin de volume- la dame est fort honnête et nous invite par la même occasion à emprunter de nouveaux chemins -) dans l'utilisation des registres de langue, voire de mots anglais. N'oublions pas en effet que Valérie Rouzeau est traductrice et spécialiste de Sylvia Plath.
Ces jeux sur les sons et les rythmes entraînent parfois la suppression des déterminants et des rencontres lexicales parfois brutales pour dire le monde où les humains sont réifiés, aussi interchangeables et remplaçables que leur téléphone (page87) sonnant dans une poubelle.
Les tonalités diffèrent donc, mais si les nuages et la pluie semblent omniprésents, le temps n'est pourtant pas à la mélancolie facile. L'auteure se livre sans fards , laissant deviner les marques de l'âge, les découragements devant cette "époque médiatique" si creuse et nous offre un très joli autoportrait (page 156) où elle affirme:
"Ne suis pas très causante encore moins conviviale
Quand vos paroles sont tellement toujours les mêmes
Interchangeables et creuses formules des tics en toc"
et renouvelle page 114 le thème de la Supplique pour être enterré en demandant :
"Plantez un chêne pour la rouzeau
Du vertical pour l'horizon
Puis de l'herbe bien folle autour
Plutôt qu'un gazon dormitif"
Une bien dynamique façon d'envisager le paysage qui abritera son corps !
Pour conclure une dernière citation :
"J'ai l'amour spontané de mon prochain sauf quand
Mon prochain s'intéresse de trop près à mon goût
à ma personne gentille et froide et solitaire
Alors là je m'éloigne à grande enjambées
Du buffet dînatoire où j'étais conviée
Et je rentre chez moi savourer mon congé"
Un recueil tout bruissant de marque-pages (un paquet y est passé !)
Vrouz, Valérie Rouzeau, La table ronde 2012, 169 pages toniques et jubilatoires !
Réédition 2025.
Et zou , le voici promu d'emblée livre de chevet !
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15/02/2024
Permettre aux étoiles
Puisant dans la vie quotidienne, une rencontre, un séjour à l’hôpital, des mots entendus à la télévision ou dans la rue, Stéphane Bataillon en tire des poèmes en prose qui en expriment tout le suc.
Il est parfois discrètement politique, mais tranchant quand même . Ainsi dans le texte intitulé "Essayer autre chose", dans un contexte d'élection, il évoque la tentation de beaucoup et conclut ironiquement "[...] essayer autre chose/ comme/ se trancher les doigts/ avec la lame du boucher. "
Le Covid traverse aussi ces poèmes , ainsi que la nature, l'occasion de s'étonner ,d'ouvrir les yeux sur ce qui paraissait acquis, évident. Et c'est bien là la tâche du poète: nous donner à lire d'un œil neuf ce qui semble aller de soin. On prend beaucoup de plaisir à la lecture de ces poèmes , jamais mièvres, mais d'une intensité sourde.
Merci à l'éditeur et à Babelio.
Éditions Bruno Doucey 2024.
06:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : stéphane bataillon
01/01/2024
108 voeux
...à ouvrir au hasard, à savourer, à détacher (ou non ) de leur anneau et à distribuer pour que la poésie infuse nos journées et nous fasse envisager le monde d'un œil neuf.
Et un pour commencer cette année nouvelle : "Que le chemin danse sous tes pas"
Mélanie Leblanc
Éditions Les Venterniers
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25/10/2023
Frénésies
" C'est pour les filles dont le trait d'eye-liner est mieux tracé que l'avenir. "
Envie de vous plonger dans le quotidien d'une jeune femme qui frôle la marge, se gave de téléréalité, d'informations en boucle, subit les nouvelles techniques de management, rêve de chirurgie esthétique, mais surtout écrit. Un poème dédié à la sororité , des poèmes en vers libres pour raconter la vie qui pulse, la violence des mots , parfois. Les amours, mais pas que. Une plongée dans l'univers contemporain d'une certaine jeunesse, pleine de vie et d'énergie.
Éditions Le Castor Astral que je remercie pour cet envoi et pour cette collection que j'adore.
Merci aussi à Babelio.
06:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : stéphanie vovor
06/07/2022
Courir avec Lucy
"aller de l'avant m'est une orientation majeure un tropisme permanent et puis quand Lucy vient à mes côtés tout ce qui vient me visiter me presse me prend de vitesse j'aborde la matière autrement vrombissement des atomes bousculade des électrons d'une séance de course à pied je ne reviens jamais bredouille pensées frétillantes petits poissons d'argent sur les rives de l'Aa la pêche est bonne tout l'an"
Quel bonheur de rencontrer une écriture, riche, foisonnante, et néanmoins cadrée par les cinquante deux séances correspondant aux séances hebdomadaires de course de la poétesse. Une écriture en prose non ponctuée, mais qui ne pose aucune difficulté de lecture, chacun.e trouvant son rythme, comme lors d'une pratique sportive.
Et cette idée de l'apparition de Lucy aux côtés de la coureuse, Lucy baptisée ainsi par Yves Coppens et dont la découverte avait marqué l'enfance de Florence saint-Roch ! L'australopithèque dont "l'invincible élan porte haut les femmes depuis la nuit des temps" et dont la mention fera même déguerpir un "don Juan à la sauce décathlon", car les tonalités varient au fil du texte, la présence de Lucy galvanisant l'autrice, la faisant autant réfléchir sur sa pratique plus amicale que sportive, son écriture, mais convoquant aussi des problèmes qui traversent les époques comme celui des migrants.
J'ai d'abord dévoré ce texte, déniché par hasard, puis relu plus posément et dorénavant je l'ouvre régulièrement pour le laisser infuser. Et zou, sur l'étagère des indispensables.
Éditions Invenit 2022
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : florence saint-roch
14/02/2022
Je serai le feu
"Tout est signe
il n'appartient qu'à ceux
qui savent le déchiffrer." Anise Koltz
De Diglee, illustratrice, autrice de bandes dessinées et romancière française, j'avais beaucoup aimé (mais non chroniqué) Ressac, récit d'une retraite de cinq jours dans une abbaye bretonne.
Quand j'ai découvert, par hasard, cette sélection de poèmes uniquement écrits par des poétesses et illustrés par l'autrice, j'ai aussitôt craqué.
Si beaucoup de noms m'étaient familiers, je ne peux pour autant pas affirmer que j'avais fporcéement lu des textes de ces femmes que Diglee prend le temps de nous présenter, soulignant souvent la difficulté de dénicher des informations les concernant, aussi bien que leurs textes.
On sent la ferveur qui accompagne sa démarche et l'incite à les désigner sous les termes de "Les filles de la lune", "les insoumises, "les alchimistes du verbe", entre autres catégories .
Une anthologie à laquelle à a également pris part Clémentine Beauvais qui signe ici la traduction des poèmes anglophones inédits en français.
Un objet magnifique, tant par la présentation que par le contenu.
Éditions La Ville Brûle 2021
06:00 Publié dans anthologie, Poésie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : diglee
30/11/2021
#Unejupetropcourte #NetGalleyFrance !
"Tous les jours il me frôle
sa main par inadvertance
me tapote comme une brave vache"
Rien de plus frustrant que de rester extérieure à un livre qui avait pourtant tout pour me plaire: une autrice dont je faisais enfin la découverte, des thèmes liés aux problématiques des femmes , la forme même du texte, poétique, ne me faisait pas peur loin s'en faut.
Peut être m'attendais-je à une langue plus travaillée ...Bref, c'était un rendez-vous raté.
Points Seuil 2021, traduit du finnois par Sébastien Cagnoli.
03:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Poésie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : sofi oksanen
30/11/2020
Brûler Brûler Brûler
"Avions-nous déjà assisté à pareil ébrouement ? "
Voilà longtemps que je n'avais pas été autant emportée par un tel torrent poétique !
Ardeur de l'écriture qui prend à bras le corps tout ce qui fait la vie de ceux que l'on a relégués "aux derniers rangs" : toutes les formes de violence (harcèlements, homophobie, pauvreté, racisme...), qui dit la solidarité, le découragement, la sororité, l'amour maternel dans une langue qui brûle, dans une langue qui claque dans l'urgence de vivre, dans l'urgence de dire.
Elle décrit au plus près l'envie de liberté, le désir d'une très jeune femme qui se rebelle contre l'autorité du père et file à bicyclette rejoindre celui qu'elle aime, mais aussi celle qui martyrise son corps pour conserver l'homme infidèle, et ces figure de femmes se rejoignent dans ce cortège de guerrières hétéroclites, fatiguées, captées dans le plus petit détail révélateur, qui formeraient "...un majestueux animal collectif !
Un gigantesque poisson aux écailles métalliques avec
chaque écaille-femme, chaque écaille-fille,chaque écaille-mère armée à sa manière pour riposter contre la violence du système."
Un texte qui emporte , transporte, revigore et nous prouve que ,malgré ce qu'on en dit, la poésie est toujours vivante. Un putain de coup de cœur qui file sur l'étagère des indispensables et devient d'emblée un compagnon de route.
Lisette Lombé, Brûler Brûler Brûler, L'Iconoclaste 2020.
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29/09/2020
Les gestes du jardin
"bordurer rabibocher
les mains réparent des bouts de terre
et de végétaux
sans autre outil que l'idée
qui redonne vie à ce qui s'étiole"
Sans ponctuation, sans majuscules, comme un fragment de discours entamé avant et qui se poursuivra plus tard, le texte d'Amandine Marembert raconte Les gestes du jardin. Car le jardin n'a pas de fin et se poursuit à travers les générations ,à travers les gestes transmis, à travers les plantes "de mes grands-parents, de mes parents, divisées pour renaître" mais aussi dans la cohabitation des âges de la vie:
"piochons ensemble
la petite fille que j'étais à huit ans
dans les rangs du jardin
ma petite fille de dix ans
et moi devenue mère"
Elle souligne les différences ténues entre l'enfance et le présent, s'attache aux sensations, aux gestes qui "s'additionnent sans jamais se retrancher", aux matières, aux plantes, aux "mots tus", à tout ce qui fait la structure, l’épaisseur indicible du jardin et qui est aussi souligné par les illustrations douces et poétiques de Valérie Linder.
Et le poème de se terminer sur une promesse: celles des graines mises en sachets par des petites mains pour le printemps prochain.
Un magnifique objet-livre qui file sur l'étagère des indispensables.
Une grand merci aux Éditions Esperluette qui font un travail formidable et à Babelio.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : amandine marembert, valérie linder
26/04/2018
Sens averse (répétitions)
"Il va falloir chanter à la barbe de l’horreur
Il va falloir danser sous petite et grande ourses
Grand et petit chariots bien mieux que les autos
Comme de bonnes casseroles et de bonne volonté." (p.121)
- Ouvrir un recueil de poèmes c'est prendre tout à la fois des nouvelles du poète et du monde dans lequel il s'inscrit avec sa sensibilité
.
Ouvrir Sens averse, c'est retrouver d'emblée le plaisir partagé de jouer avec les mots, de cueillir des brassées de plantes aux noms déjà déjà métaphoriques, d'évoquer les moments du quotidien (faire cuire des pâtes, patienter à la caisse du supermarché...) en faisant un pas de côté ,un pied de nez aux conventions, en inventant un escargot... Mais c'est aussi évoquer le sort des abeilles, de la planète, d'écrire un dizain au lecteur "qui est souvent une lectrice",de convoquer, aussi bien la Compagnie Créole que Jacques Higelin, de glaner chez d'autres poètes afin de composer d'autres bouquets de vers et d'avoir l'élégance de mentionner ses sources. Bref, de faire feu de tout bois.
De la caissière du Lidl à Dominique Rocheteau, des accidents du quotidien aux souvenirs de l'enfance, fêlures anciennes ou chagrins actuels, tous ont droit de cité et la forme ludique qu'emprunte le poème chez Valérie Rouzeau permet de faire la nique au malheur et à la tristesse. Ce recueil est pour moi un viatique, constellé de marque-pages, ancré sur ma table de chevet.
La Table Ronde 2018
06:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : valérie rouzeau