23/04/2018
Neuf contes
"Pour se défendre, elle a expliqué que le Premier Ministre Mackenzie King était convaincu que sa mère s’était réincarnée dans son terrier irlandais, et que personne n'avait trouvé ça bizarre à l'époque. Tony s'est abstenue de faire remarquer que si personne n'avait trouvé ça bizarre à l'époque, c'était simplement parce que personne ne le savait. Mais après coup, oui, ils avaient trouvé ça carrément bizarre."
"Ces neuf contes ont une dette envers les contes à travers les âges." et "ils s'écartent ne serait-ce que très légèrement , du domaine des jours et des œuvres réalistes", nous précise Margaret Atwood dans ses Remerciements en fin de volume.
Effectivement, quelqu'un qui, au vu du titre et de la couverture, s'attendrait à des contes traditionnels avec lutins , fées et farfadets ne pourrait qu'être déçu. Mais ceux qui, comme moi, sont plus friands de l’œuvre de Margaret Atwood que de l'univers féérique en feront leur miel.
A chaque fois, l'auteure fait preuve d'une inventivité roborative en changeant le point de vue attendu. Ainsi les trois premiers textes envisagent l'évolution de différents personnages qui prendront tour à tour la parole. Qui du jeune poète des années 60 , promis à un bel avenir, ou de l'écrivaine de Fantasy que le premier envisage de manière plus que goguenarde, s'en sortira le mieux ?
Il est aussi question de création, d'amour et de réussite dans La main Morte t'aime qui revisite un pacte pire qu'avec le diable: celui avec des amis flanqués d'avocats...Car l'univers d'Atwood n'est pas dénué d'humour, loin s'en faut , même si cet humour est souvent noir.
Atwood prend un main plaisir à nous montrer les caprices d'un destin en apparence cruel , mais qu'on peut ré-envisager de manière plus positive, surtout pour ses personnages féminins. Elle met ainsi en scène deux personnages de "veuves noires", aux motivations et aux méthodes très différentes. On jubile, on se régale mais on grince aussi des dents avec le dernier texte, dystopie qui pourrait avoir lieu demain. Quant à Je rêve de Zénia aux dents rouges et brillantes, il m'a permis de retrouver avec un très grand bonheur les personnages d'un roman lu et relu : La voleuse d'hommes.
Et l'univers du conte ? Il apparaît par touches discrètes, par le biais de l'univers de fantasy qu'a créé Constance, par des lutins apparaissant à une vieille dame, mais rien de grave: ce n'est qu'un symptôme médical. Le monde réel et la dimension fantastique s'interpénètrent aussi, mais de manière subtile. On fait le choix de croire en la réincarnation, mais de manière intermittente et seul le texte Lusus Naturae envisage vraiment un personnage qui pourrait relever du monde du conte, mais présenté comme victime d'une maladie hors-normes.
Un pur régal traduit de l'anglais (canada) par Patrick Dusoulier. Robert Laffont 2018, 318 pages à lire et relire.
Et zou, sur l'étagère des indispensables.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : margaret atwood
20/04/2018
Un travail comme un autre ...en poche
"S'il avait changé le cours de sa vie, puisant sa force en sa femme et en son fils plutôt qu'en du courant électrique, alors son passé aurait fini par se taire complètement [...]"
Alabama, années 20. Roscoe T Martin a épousé Marie qui ne vit que pour sa ferme. Lui, son univers c'est l’électricité et, pour concilier ces deux univers antagonistes et sauver la propriété, Roscoe va détourner du courant électrique, sans en parler à son épouse.
Malheureusement, ce branchement sauvage va coûter la vie à un employé de la compagnie officielle. Dans sa chute Roscoe entraînera Moa, l'employé Noir qui l'a aidé.
Placé sous le signe du secret, le premier roman de Virginia Reeves nous dépeint avec force et âpreté l'univers carcéral ,où les détenus Noirs connaissent un sort encore plus affreux que les Blancs, vendus à des compagnies minières par L’État. C'est aussi le lent délitement d'un couple, où les fissures deviennent des gouffres et où l'épouse a, par ses choix et son attitude, sa "cellule d'isolement qu'elle s'était fabriquée elle-même" alors que son époux parvient à faire survivre un peu d'humanité, même dans les moments les plus sombres.
Un premier roman saisissant et fort.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : virginia reeves
19/04/2018
Je suis le genre de fille
"On en était à "investir". Le mot me coule des mains, c'est une suée, c'est impropre, j'en conclus que c'est sale."
Scandés par l'anaphore qui donne son titre au roman, les chapitres brossent le portrait impressionniste, drôle, souvent, agaçant parfois d'une femme divorcée, qui travaille et dont la fille est adolescente.
Trop accommodante, pour les uns, trop passive pour les autres, elle n'a pas une bonne image d'elle-même et peine à correspondre aux diktats de la société.
Elle rejoue la nuit les dialogues qu'elle aurait pu tenir "mais [son]imagination de perdante les fait tourner à [son] désavantage." Elle nous ressemble souvent et cet exercice de quasi autoflagellation pourrait tourner à vide si les derniers chapitres ne jetaient une ombre émouvante sur l'ensemble. Un roman qui me réconcilie avec l’œuvre de Nathalie Kuperman.
De la même autrice: clic ,clic et reclic.
le billet d'Aifelle qui vous mènera vers d'autres.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : nathalie kuperman
17/04/2018
Sang d'encre
"Elle aimait avoir de l'argent liquide sous la main, comme elle aimait avoir des tiroirs remplis de chemises bien pliées- et être entourée d'escargots."
Au milieu des années 60, la romancière américaine Patricia Highsmith s'installe dans un cottage de la campagne du Suffolk. Pour écrire au calme, bien sûr, mais aussi pour recevoir tranquillement, la femme mariée dont elle est amoureuse, Sam.
Las, tout cela va de mal en pis et bientôt Highsmith se retrouve plongée dans une atmosphère inquiétante ressemblant singulièrement à celle des romans dont elle a le secret.
Jill Dawson, dans ses remerciements cite obligeamment les sources biographiques comme romanesques dont elle s'est inspirée pour ce roman mêlant biographie et fiction pour notre plus grand plaisir. On y découvre une romancière sous toutes ses facettes, n'assumant pas officiellement son homosexualité (Carol a paru à l'époque sous pseudonyme) et trimballant des escargots dans son sac à main.
Jill Dawson restitue de manière vivante l'époque et la personnalité complexe de Patricia Highsmith, une auteure( un peu oubliée aujourd’hui) adaptée au cinéma par Hitchcock.
Denoël,2018, traduit de l'anglais par pierre Ménard.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : jill dawson
16/04/2018
Ni partir ni rester
"... mon frère m'a lancé cette phrase que je n'ai jamais pu oublier, cette phrase qui m'a conduit ici :c'est sur ça que tu devrais écrire un jour, sur ce que c'est d'être adopté. Quelqu'un doit l'écrire."
Un couple de psychanalystes argentins, résistants politiques, adoptent illégalement un enfant avant de se réfugier au Brésil. Là, dans ce pays d'accueil, naîtront deux autres enfants, dont le narrateur-auteur de ce livre.
Écrit sur le fil du rasoir, avec une intensité rare, ce roman interroge tout à la fois l'exil et ses conséquences psychologiques que le fait d'être adopté.
C'est donc l'identité qui est au centre de ce récit, identité qui tourmente dans les actes les plus anodins,( qui soutenir dans un match de foot opposant le pays d'accueil et la mère patrie ?) comme dans les plus essentiels : fallait-il vraiment fuir et abandonner la lutte ?
Si l'enfant adopté (et qui l'a su très tôt) exprime surtout dans sa chair son mal-être, c'est le narrateur qui prend en charge les mots et la quête d'identité de son frère. L'écriture est fiévreuse, troublante dans sa mise en abime finale. Un texte qui se dévore.
Grasset 2018
traduit du portugais (Brésil) par Marine Duval
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : juliàn fuks
15/04/2018
Transit
"Je lui dis que beaucoup de gens s'escrimaient toute leur vie à faire durer les choses pour ne pas avoir à se demander si ces choses correspondaient à ce qu'ils voulaient vraiment."
La narratrice, divorcée, revient avec ses deux fils habiter à Londres. L'appartement qu'elle a acquis nécessitant d'importants réaménagements, elle confie ses enfants à leur père et habite seule dans le logement en travaux.
Mais, cette période est aussi l'occasion de profonds bouleversements intérieurs car comme le confie une de ses amies, "Si Gavin comprenait une chose, c'était à quel point vous étiez vulnérable quand on démolissait votre maison."Au fil de rencontres dues au hasard ou programmées, la narratrice ,qui est aussi romancière , va explorer ce thème du changement,de la propension de certains à l'accueillir les bras ouverts ou au contraire de s'y soustraire. De l'ouvrier polonais, aux romanciers en vue, en passant par un coiffeur ou un cousin fraîchement divorcé, Rachel Cusk, observe finement les autres, sans que jamais sa narratrice se livre vraiment . Elle nous offre un texte précis et élégant qui donne à réfléchir. C'est plein de vie, de touches d'humour, chacun pourra s'y reconnaître ou reconnaître les autres. Dévoré d'une traite !
Éditions de L 'Olivier 2018, traduit d el'anglais par Cyrielle Ayakatsikas.
07:30 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : rachel cusk
14/04/2018
Assez de bleu dans le ciel ...en poche
"Selon toute vraisemblance, je suis un mari, un père, un citoyen, un enseignant, mais à la lumière je suis un déserteur, un imposteur, un voleur, un tueur. Je possède une certaine apparence en surface, mais je suis sillonné de trous et de galeries en dedans, comme une falaise de calcaire."
Dès la première scène, on est ferrés.Nous sommes dans un coin paumé d'Irlande en 2010. Un homme, Daniel, jauge du regard un intrus potentiel porteur de jumelles et d'un appareil photo. Son épouse sera plus expéditive (et plus efficace): elle tire deux coups en l'air. Exit l'intrus.
Qui est cette recluse entendant bien garder sa tranquillité ? Cette femme, subtilement folle, aux dires de son époux, nous le découvrirons progressivement est Claudette, une ancienne star du cinéma , mystérieusement disparue avec son fils des années auparavant. Elle a refait sa vie avec Daniel et tout va pour le mieux mais, son père étant au plus mal, Daniel doit rentrer aux États-Unis. L'occasion pour lui de renouer avec un passé douloureux qui l'entraînera en grande-Bretagne sur les traces de son premier amour Nicola. Mais l'intransigeante Claudette supportera-t-elle les omissions de Daniel ?
Assez de bleu dans le ciel bénéficie d'une construction virtuose, alternant les points de vue et les époques, pour mieux brosser par petites touches le portrait de ces personnages qui nous deviennent très vite proches et attachants. Une manière supplémentaire d’entretenir la tension , ou plutôt les tensions, qui font que jusqu'à la dernière ligne nous avons le cœur qui bat , nous demandant si le roman va se terminer comme nous l'espérons. Une analyse subtile des sentiments et une écriture élégante font de ce roman une pure réussite !
Et zou sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : maggie o'farrell
13/04/2018
Des hommes sans femmes ...en poche
"En l'espace d'un instant, dès que vous êtes un homme sans femmes, les couleurs de la solitude vous pénètrent le corps. Comme du vin rouge renversé sur un tapis aux teintes claires. Si compétent que vous soyez en travaux ménagers, vous aurez un mal fou à enlever cette tache. Elle finira peut être par pâlir avec le temps, mais au bout du compte elle demeurera là pour toujours, jusqu'à votre dernier souffle. Elle possède une véritable qualification en tant que tache, et, à ce titre, elle a parfois officiellement voix au chapitre. Il ne vous reste plus qu'à passer votre vie en compagnie de ce léger changement de couleur et de ses contours flous."
Sept nouvelles,dont la dernière donne son titre au recueil, où il est effectivement de veufs, de divorcés, de célibataires, avec des statuts plus ou moins flous: comment appeler celui qui apprend la mort de son ancienne amante par le mari de cette dernière ?
Au fil des textes,l'onirique se fait de plus en plus présent, les situations sont à la fois ancrées dans le réel mais se laissent aussi progressivement envahir par le fantastique: une Shéhérazade prend soin de diverses façons d'un reclus dont les motifs de l'enfermement sont laissés à notre imagination ; des serpents envahissent un jardin et conduisent un tenancier de bar à reconnaître enfin qu'il a été blessé par l'attitude de sa femme. Le fantastique culmine enfin dans les deux derniers textes "Samsa amoureux"où Murakami s'approprie le texte de Kafka en inversant la proposition initiale: "Lorsqu'il s'éveilla", il s'aperçut qu'il était métamorphosé en Grégor Samsa et qu'il était allongé sur son lit." Quant à la nouvelle éponyme, elle semble donner les clés des autres textes et le narrateur nous confie :"(il y a toujours, sur le parcours de mes promenades, des jardins qui abritent une statue de licorne)".
Avec une extrême sensibilité et beaucoup de pudeur, sans oublier quelques pointes d'humour, Murakami nous entraîne dans son univers si particulier où il est question de musiques, de mélancolie, et de femmes bien sûr. Et zou sur l'étagère des indispensables !
L'occasion de découvrir l’œuvre de Murakami pour ceux qui ne la connaitraient pas encore.
Magnifiquement traduit du japonais par Hélène Morita,
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : haruki murakami
12/04/2018
Les vieux ne pleurent jamais...en poche
"C'était une forme de sagesse , sans doute, que proposait Janet, continuer de prétendre au titre, refuser ce jugement sur nous-mêmes que tant d'attitudes insidieuses envers nous relayaient pourtant."
Judith Hogen ne se satisfait pas des maigres occupations, stéréotypées et moutonnières, offertes aux personnes âgées aux États-Unis. Découvrant incidemment une photo ,notre héroïne décide qu'il est temps de renouer avec un passé français qu'elle voulait aboli.
Elle part alors pour son pays natal, là où habite l'homme de la photo.
Réflexion à la fois enjouée, acérée et pleine de bienveillance sur le temps et l'identité, Les vieux ne pleurent jamais est un roman où l'on retrouve avec plaisir le style précis, poétique et imagé de Céline Curiol.
Des scènes très très drôles- la visite de l'usine de glaces Ben & Jerry d'un troupeau de personnes âgées, cornaqué par une jeunette survoltée- est un morceau d'anthologie- alternent avec la découverte d'un parcours de vie dont nous découvrons au fur et à mesure les fêlures.
Si j'ai été moins enthousiasmée par la partie française, un peu convenue à mon goût, il n'en reste pas moins que Judith Hogen et sa fantasque voisine ont de la ressource !
Un bon moment de lecture ! 324 pages piquetées de marque-pages.
06:01 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline curiol
11/04/2018
A la place du coeur saison 3
"On cherche tous la même chose: un vivant à proximité, une âme à portée de la main, un baume à consommer sur place."
Le roman de Caumes, extrêmement autobiographique, vient de paraître. Il y relate ce que les saisons précédentes racontaient: ses réactions face aux attentats de novembre, son histoire d'amour avec Esther. Mais changer juste les prénoms des véritables protagonistes est-il suffisant ?
Esther réagit violemment à cet étalage de sa vie privée et quitte Caumes. Le voilà donc tiraillé entre une célébrité naissante (et encombrante) et sa volonté de reconquérir celle que l'écriture lui a fait perdre.
Toujours aussi à fleur de peau, Caumes nous embarque cette fois encore dans un maelstrom de sentiments et dans une actualité proche: les dernières élections présidentielles.
Un roman passionnant- qui se lit d'une traite- sur la jeunesse contemporaine.
Robert Laffont 2018.
Saison 1
saison 2
06:00 Publié dans Jeunesse, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : arnaud cathrine