19/02/2018
Maria
"Pour des raisons obscures, liées au respect de l’environnement, de la santé, de l'éthique, Céline et Thomas désirent secouer le monde, et ce monde n'est qu'un vieux dessus-de-lit sur lequel Maria et William se tiennent assis, tout benêts qu'ils sont."
Maria a tissé un lien poétique, empli d'amour avec son premier petit-fils, Marcus, trois ans. Si elle retient ses remarques sur le fait que l'enfant arbore au gré de ses envies cheveux longs, maquillage et robes, elle sera sous le choc quand, à la naissance de leur deuxième enfant, sa fille et son gendre refuseront de révéler le sexe de celui ou celle à qui il sont attribué un prénom non genré.
Cette attitude radicale à laquelle les jeunes gens refusent obstinément de déroger entraînera bien des changements dans la vie affective tout autant que professionnelle de Maria.
On ne peut qu'être bousculé par ce roman où l'on retrouve avec un plaisir sans faille l'écriture sensible et poétique d'Angélique Villeneuve. Qu'on ait l'âge de Maria ou celui de sa fille, que l'on soit homme ou femme, ce roman vient remettre en question tout ce qu'on tenait pour acquis. Il m'a fallu le temps de laisser infuser ce roman que je n’oublierai pas de sitôt.
Grasset 2018.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : angélique villeneuve
16/02/2018
En camping-car
"Notre style de vacances était aristocratique parce qu'il valorisait la liberté, le plaisir, la découverte, l'échappée belle, mais il était aussi foncièrement démocratique: pas cher, pas consumériste, pas tape-à-l’œil, pas couche-tard, pas compliqué, quelque chose d'accessible, de proche, de simple, quasiment rudimentaire, une locomotion terrestre, un contact direct avec les gens, des haltes toujours respectueuses de la nature, des coutumes et des produits locaux [...]. En un mot, une grande vadrouille à l'échelle de l' Europe. Maître de soi, mais pas chez soi."
Dans les années 80, Ivan Jablonka, ses parents et son frère, souvent accompagnés de familles dotées elles aussi d'enfants, ont sillonné les routes estivales en camping-car. L'évocation de ces vacances est tout à la fois l'occasion d'une plongée dans la nostalgie de l'enfance, mais aussi d'une analyse sociologique d'un type de vacances bien particulier dans un véhicule tout sauf anodin quand ses deux parents ont été des enfants cachés durant la Seconde guerre mondiale.
En effet ce véhicule de marque Volkswagen témoignait du "génie de l’organisation allemand [...] mis au service non pas du crime de masse, mais de la vie, de la joie, de l'intimité, de l'intégration familiale, et il est facile de comprendre en quoi le camping-car a sauvé mon père et nous avec."
Ivan Jablonka analyse ainsi avec une émotion tangible la relation très particulière que son père entretenait au bonheur, n'hésitant pas à enjoindre avec colère à ses enfants ignorant un superbe paysage: "Soyez heureux !"
Néanmoins, comme l' évoque très justement la quatrième de couverture l'auteur" esquisse une socio-histoire de son enfance" et c'est justement ce côté un peu léger dans l'analyse, s'essoufflant peut être à vouloir courir plusieurs lièvres à la fois que j'ai regretté. N'étant guère adepte de la nostalgie, j'ai en outre trouvé les évocations de ces vacances aussi longuettes que les séances diapos d'autrefois. Bilan en demi-teintes donc.
Lu dans le cadre du grand prix des lectrices de Elle.
06:00 Publié dans Autobiographie, Document | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : ivan jablonka
15/02/2018
Défaillances
ça commence façon contes de fées avec une héroïne,Cassandra, qui ne respecte pas l'interdiction de son mari: ne pas prendre le raccourci par la forêt la nuit . Notre héroïne n'y gagnera que de la culpabilité quand, le lendemain, elle apprendra que la femme qu'elle n'a pas secourue a été assassinée.
De quoi perturber les vacances de Cass qui s'annonçaient pourtant palpitantes entre préparations de cours, pots avec ses amis et shopping. Cass a pourtant de quoi s’amuser à la maison puisqu'elle est dotée d'un mari tout neuf qui, de plus, ressemble à Robert Redford jeune, elle tient à le préciser.
Mais bientôt tout dérape quand la jeune femme commence à avoir des trous de mémoire qui deviennent bientôt des gouffres. Angoisse car dans sa famille il y a des cas de démence précoces... Sans compter qu'elle est persuadée que l’assassin rôde près de chez elle.
Et là la lectrice, vu les indices laissés comprend rapidement l'intrigue, façon "Le ruban moucheté" de Conan Doyle et passe à autre chose tant les ficelles sont énormes et l'assassin plein de bonne volonté pour se faire identifier. Une écriture très facile à lire pourra convaincre les lecteurs désireux de se laisser glisser jusqu'à la fin du roman.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : b.a. paris
14/02/2018
Dans les angles morts
"Frances était la seule femme de la famille de Catherine à avoir poursuivi une carrière et dont la vie n'avait pas été assujettie aux besoins et aux intérêts des autres."
Catherine, George Clare et leur adorable petite Franny ont emménagé , pour une bouchée de pain , dans une ancienne ferme laitière d'une bourgade peu à peu envahie par les New-yorkais en mal de week-end. Ce que George a omis de préciser à sa femme est que leur demeure a été le théâtre d'événements dramatiques.
Huit mois, plus tard, Catherine est retrouvée assassinée dans sa chambre. Le shériff soupçonne aussitôt le mari , mais ce dernier ne sera pas inquiété.
Commencé par le meurtre de Catherine, le roman remonte le temps et peu à peu se dévoile une réalité très différente de ce que voulait bien bien montrer les Clare. En parallèle se déroule aussi en quelques épisodes significatifs, la vie des précédents occupants, les Hale, dont les fils vivent encore à Chosen. Passé et présent s'entremêlent dans ce roman polyphonique qui fait aussi la part belle à la maison, personnifiée de manière très efficace, qui fait monter l’intensité dramatique
Petit à petit les convictions se forgent et l’intensité dramatique n'est plus de voir identifier le coupable mais de savoir comment procéder pour que justice soit enfin rendue.
Dans les angles morts est un roman parfaitement construit, tout en tension, qui donne chair à tous ses personnages, qu'ils soient universitaires ou simples habitants de cette bourgade campagnarde. Elizabeth Brundage nous gratifie de magnifiques portraits de femmes, femmes qui, dans ces années 70, sont tiraillées entre les modèles résignés que leur inculquent leurs mères et le vent de liberté qui se donne aussi à voir.
Le style est magnifique, les marque-pages qui le constellent en témoignent- créant l'émotion, sans jamais tomber dans le pathos car l'auteure maîtrise l'art de l'ellipse sans pour autant perdre son lecteur. à dévorer et savourer ! Et zou sur l'étagère des indispensables !
Lu dans le cadre du grand prix des lectrices de Elle.
Éditions Quai Voltaire (qui ont troqué leur couverture pervenche contre un marron beaucoup plus inquiétant) 2018. Magnifiquement traduit de l'américain par Cécile Arnaud.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : elizabeth brundage
13/02/2018
Si j'avais un perroquet je l'appellerais Jean-Guy parce que que Coco c'est déjà pris
"J'ai un pieu dans le cœur depuis deux ans et je n'ai trouvé qu'une pince à épiler."
Dans un roman de Françoise Sagan, la narratrice, dont on apprendra tardivement le nom et le profession, trouve un marque-page intriguant. En effet, y sont inscrits le nom d’un homme ‒ Jean-Philippe ‒ et son numéro de téléphone, suivis de l’invitation « Appelle quand tu veux ».
Appellera ou pas ? Traumatisée (et il y a de quoi !), la narratrice , à grands coups de mensonges et de valse-hésitation va se fourrer dans de drôles de situations, dans la pure tradition de la littérature de filles.
Le ton est drôle, enlevé et à l'exception d'une petite baisse de rythme et d'un épisode à la tonalité plus sombre, on passe un bon moment de détente avec ce premier roman prometteur car l'auteure a su se créer un univers haut en couleurs et attrayant.
06:04 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : blandine chabot
12/02/2018
#ApprendreàLire #NetGalleyFrance
"Il arrive un moment dans l'existence où l'on sent que ce qu'on n'aurait jamais pu faire est la chose à faire."
Le narrateur , Antoine, la soixantaine, directeur de presse tout sauf sympathique, a commencé à se rapprocher de son père, tout aussi rugueux que lui. Antoine a de vieux comptes à régler avec son géniteur, mais celui-ci refuse de s'expliquer. Les non-dits semblent en effet être de rigueur entre les deux hommes.
A quatre-vingts ans, le vieillard va pourtant surprendre son fils en lui réclamant d'apprendre à lire et à écrire. Analphabète à cause du refus de son propre père de l'envoyer à l'école, le Sarde d'origine va ainsi se débarrasser de son handicap et de sa douleur par l'intermédiaire d'un drôle de professeur: Ron, un escort dont Antoine a utilisé les services.
Annoncé comme ceci, ce roman semble se diriger tout droit vers deux écueils au choix: sombrer dans le sordide ou couler dans la mièvrerie. Pourtant Sébastien Ministru réussit son périlleux équilibre et parvient même à nous surprendre, voire à nous émouvoir. L'écriture est belle, riche en formules et j'ai eu un véritable coup de cœur pour ce roman qui dissimule sa tendresse sous des dehors rêches.
06:00 Publié dans Roman belge | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : sébastien ministru
09/02/2018
Comme le cristal
"Si Émile se comportait plus tard comme Claude ou comme T., Gretchen lui trancherait la carotide. Et s'il se permettait des sautes d'humeur à la Franz Barbot, elle le jetterait aux ordures."
Lisette et son frère Franz, leur cousine Ada, la boulangère Gretchen,chacun à leur façon sont comme fossilisés soit dans le passé, soit dans des relations amoureuses relevant surtout de l'ordre du fantasme, soit dans des relations toxiques.
La réapparition mystérieuse du canapé de leur enfance va d'abord distiller une certaine nostalgie chez Lisette et Franz, mais quand ce dernier va se mettre en tête de fixer dans le béton le meuble à éclipses pour être sûr de le conserver , tout va se dérégler et les personnages devront affronter la vérité de leurs sentiments.
Il m'a fallu un peu de temps pour entrer dans ce récit qui alterne les points de vue et parfois les époques, mais très vite, l'humour de Cypora Petitjean-Cerf, son sens discret du fantastique ont su me séduire à nouveau. J'ai adoré les petits détails si parlants (la relation aux vêtements, à l'écriture, aux cheveux aussi...), la brusquerie dans les relations familiales, jamais édulcorée mais aussi la bienveillance vis à vis des personnages. Un grand plaisir de lecture !
Éditions Le Serpent à plumes 2018, 251 pages et la bande-son du livre sur Spotify, où figure un titre de Kate Bush...
Cuné m'avait donné envie.
06:00 Publié dans Les livres qui font du bien, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : cypora petitjean-cerf
08/02/2018
#Un autre Brooklyn#netgalley
"Je voulais ce qu'elle avaient -six pieds plantés dans le sol. Ici et maintenant."
Le décès de son père est l'occasion pour la narratrice afro-américaine de revenir sur son enfance , dont une partie s'est déroulée à Brooklyn. D'abord vécu comme un exil, ce séjour lui vaudra de connaître une belle histoire d'amitié avec trois jeunes filles qui lui apparaissaient bien plus solides qu'elle. En effet, la narratrice vivait dans le déni d'un événement dramatique et familial.
Évidemment, cette amitié qui se voyait défiant le temps a fini par se déliter,mais en demeurent des souvenirs lumineux ayant éclairé une enfance quelque peu chahutée par le malheur dans les années 70.
Un roman très agréable à lire mais, seul petit bémol, on se sent tellement bien dans l'écriture de cette auteure qu'on y serait bien resté un peu plus longtemps.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : jaqueline woodson
07/02/2018
Le paradis des animaux...en poche
"C'était un mensonge. J'étais un homme qui tissait des promesses sur la trame de la tristesse, le genre de promesses que la vie avait bien peu de chances de vous permettre de tenir."
Les personnages des douze nouvelles composant ce recueil sont des gens ordinaires. Ils ne sont pas "stupides" mais, pour certains d'entre eux" simplement sous-performants, des gens qui ,après l'université , avaient opté pour la sécurité d'un travail facile."
Leurs narrateurs, à une exception près, sont des hommes qui ne savent pas forcément maîtriser leurs émotions et que la vie a pas mal malmenés, sans que forcément ils réagissent de la manière adéquate, sans jamais être tout à fait à la hauteur des attentes de leurs compagnes..
David James Poissant, dans un style extrêmement évocateur, nous les peint avec beaucoup de délicatesse, sans jamais les juger. De petites touches d'humour émaillent ces textes extrêmement touchants mais sans pathos, où l'on sent une grande maitrise de l'écriture et un grand sens de l'observation.
Des situations sur le fil du rasoir (le groupe de paroles où les participants se livrent, de manière implicite, à un concours de malheurs ), les regrets, les remords, les rancunes, sont toujours éclairés de lueurs d'espoir, parfois malicieuses comme la fin de "James Dean et moi", mettant en scène un Beagle jaloux.
Quant au père du texte inaugurant ce recueil qui balance littéralement par la fenêtre son fils quand il découvre l'homosexualité de ce dernier, une chance de rédemption lui sera peut être offerte le temps d'un road-trip cathartique , empli de souvenirs ,dans la nouvelle qui clôt le livre.
Une découverte qui file directement sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : david james poissant
06/02/2018
Les héroïne de cinéma sont plus courageuses que moi
"Des mecs avaient bien tenter de la brancher à Miami, mais elle les confondait tous avec les alligators."
En 26 textes, comme autant de courts-métrages empruntant aux formes les plus diverses (souvenirs, entretien fictionnel ou pas, mélo flamboyant( Miracle en Alabama )façon d'un match de boxe de légende...) Guillaume Guéraud dit son amour du cinéma et son féminisme. Il remet en lumière des héroïnes oubliées du septième Art , se balade avec aisance des films à gros budgets au cinéma d'auteur et ne se limite pas, loin s'en faut aux cinémas français et américain.
Éclectique et passionné, il fait partie de ces conteurs qui savent tout à la fois instruire et captiver. Nous apprenons ainsi au passage que Gainsbourg"n'a pas inventé un seul traître mot de sa chanson"consacrée à Bonnie Parker, texte par ailleurs cité dans le film, sans que jamais soit mentionnée la véritable auteure de ce poème prémonitoire: Bonnie Parker elle-même.
Un livre passionnant qui se dévore d'une traite.
Éditions du Rouergue 2018, 187 pages vibrantes .
06:00 Publié dans Document, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : guillaume guéraud