14/09/2010
Que font les rennes après Noël ?
"Vous vous êtes trop longtemps oubliée."
Vous avez toujours rêvé d'avoir un animal mais le Père noël et ses rennes ont apporté une horrible poupée géante . Vous fantasmez à propos de la grossesse de votre mère et du film Rosemary's baby. Vous vous demandez à qui vous vous identifiez dans King Kong. Vous poursuivez une lente évolution et finissez par vous rendre compte que les rennes vivent dans un paysage bien moins féérique que prévu. Tout comme les autres animaux, du loup aux cochons, en passant par les rats de laboratoire dont viendront nous parler des dresseurs, des scientifiques ou des bouchers, entre autres. Et ce discours presque clinique s'intercalera entre chaque paragraphe de votre récit, mettant ainsi en parallèle éducation des enfants et exploitation des animaux.
Récit d'une émancipation, Que font les rennes après Noël ? réussit le pari de varier les discours, sans jamais identifier les locuteurs , sans que cela nuise à la fluidité ou à la compréhension du récit ,et en nous les donnant à entendre dans leur jus. Quant à la narratrice, elle joue des codes de l'autobiographie, le pronom "Vous" instaurant à la fois distance et proximité avec le lecteur. L'humour, parfois noir, est souvent présent. Quelques passages trash (que j'ai passés vite fait, âme sensible que je suis ) mais une vision très juste et passionnante pour tous ceux qui sont curieux du monde en général. Un roman original à la fois par la forme et par le fond, ce qui est ma foi fort rare, et qui se lit d'une traite.
Que font les rennes après Noel ? Olivia Rosenthal, Verticales 2010, 211 pages quasi parfaites.
Merci à Antigone !
C'est aussi grâce à elle que j'avais découvert On n'est pas là pour disparaître.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : olivia rosenthal, animaux
13/09/2010
Un automne à Kyoto
"C'était surtout mon coeur qui était glacé."
Maelström d'émotions pour Margaux qui vient juste de rencontrer l'amour à St Malo en la personne de Mathias et doit partir au Japon, avec de son père et de sa petite soeur, l'un et l'autre ayant des personnalités très opossées, ce n'est rien de le dire !
Très vite Margaux va se laisser prendre aux charmes de l'automne à Kyoto, d'autant qu'un jeune photographe français, tout à fait à son goût, traîne dans les parages.
Alternant listes à la manière de Sei Shonagon et récit proprement dit, tissant haïkus et illustrations comme dans un carnet de voyages, Karine Reysset brosse ici le portrait d'une adolescente qui doit à la fois faire face aux fluctuations de ses sentiments amoureux et à ceux de ses parents dans un Japon qui l'émerveille, la surprend mais aussi la rend nostalgique.
Un très joli roman d'apprentissage, dépaysant à souhait qui m'a vraiment donné l'impression de partager ce séjour , car empli de notations et de sensations qui sentent le vécu !
Un automne à Kyoto, Karine Reysset, Médium Ecole des loisirs, 177pages .
Le bill et tentateur de Bauchette
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : karine reysset, japon, roman de formation
12/09/2010
Retour aux mots sauvages
"Il a eu du mal au début: la parole contre le silence, la bouche contre la main, c'est un drôle de combat."
Cela aurait pu être pire, il aurait pu connaître le chômage. Et même s'il faut changer de prénom, endosser une autre identité pour les clients de la plate-forme téléphonique, devenir ce Eric qui va lire sur un écran des formules toutes faites, des mots calibrés, soigneusement pesés, l'ancien électricien devenu téléopérateur a eu de la chance: il est tombé sur une équipe sympa, où le chef a su garder humanité et compassion. Pourtant les suicides commencent à ne plus pouvoir être cachés au sein de cette entreprise qui ne sera jamais nommée. Comment ne pas se faire broyer par le travail? Comment revenir aux mots sauvages, aux mots libres, ceux de la vie non formatée ?
Thierry Beinstingel dresse un constat glaçant du monde de l'entreprise en prenant le point de vue d'un nouvel arrivant , doublement incongru car lui c'était avec ses gestes précis et efficaces qu'il se sentait réellement utile, non avec des mots creux qu'il faut savoir manipuler au gré des campagnes de vente.
En lisant ce roman, le lecteur ressent physiquement le malaise du narrateur dépossédé de son savoir, et de longues coulées de noms viennent accentuer cette impression. Un roman qui fait froid dans le dos mais qui témoigne aussi de l'humanité qui se niche dans les endroits les plus arides.
Retour aux mots sauvages, Thierry Beinstigel, Fayard, 295 pages nécessaires.
08:10 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : thierry beinstingel, souffrance au travail
11/09/2010
Assez parlé d'amour.... en poche
"Je comprends que ce que je t'offre c'est d'avoir peur."
Assez parlé d'amour est un roman d'amour où des quadragénaires vont être confrontés au coup de foudre. Je vous entends déjà soupirer. Assez parlé d'amour est un roman écrit par un membre de l'Oulipo* , roman qui aurait pu s'appeler Les Dominos Abkhazes car sa structure respecte les règles particulières de ce jeu . Là vous vous arrachez les cheveux . Et vous avez tort . Car Hervé Le Tellier a réussi ici un roman délicieux où l'on trouve tour à tour une "liste non exhaustive des achats d'Anna", un livre dans le livre: "Quarante souvenirs d'Anna Stein"pour "accomplir l'impossible : ne plus te perdre jamais" et ces souvenirs sont tout simplement magnifiques et plein d'émotion. On rêverait de recevoir un tel livre...Sans compter des informations drôles et saugrenues qui émaillent le texte sans pour autant l'alourdir, des personnages qui sonnent justes et qui ont tous un rapport très fort avec les mots, de par leur métier, mais pas seulement. Beaucoup de délicatesse et d'humour, l'un des personnages, psychanalyste et psychiatre déclare ainsi à la femme qu'il aime et qui se proclame folle: "- Je veux bien d'une folle. J'ai toujours rêvé de ramener du travail à la maison"**.
Alors, tout le mal qu'on souhaite à Hervé Le Tellier c'est, comme l'espère l'éditeur de l'écrivain (son double? dans le roman ) ,qu'il trouve son public.
* Ouvroir de Littérature potentielle, dont les membres utilisent souvent des contraintes d'écriture, qui ne gênent en rien la lecture !
** Sans le faire exprès, j'avais noté la même citation que toi, Cuné !:)
Assez parlé d'amour, Hervé Le Tellier, J-C Lattès, 280 pages, fines et tendres.
Du même auteur, je vous conseille : Joconde jusqu'à 100 et Les amnésiques n'ont rien vécu d'inoubliable, tous deux au castor astral.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : hervé le tellier, amour
09/09/2010
Mauvais élève
"A l'école, j'apprenais juste à voir les côtés moches de la vie. ça n'avait pas d'intérêt."
Mauvais élève !, pan !, comme un tampon sur la couverture du livre, comme un rappel de l'appréciation perpétuelle d'Arthus, petit garçon de dix ans , intelligent mais qui n'arrive pas à trouver sa place à l'école. Il est vrai qu'il n' a pas de chance non plus, doté qu'il est d'une maîtresse de CM 2 obnubilée par le programme à respecter, véritable machine à distribuer les punitions à tous ceux dont la tête dépasse et qui va bientôt faire glisser le petit garçon éveillé et curieux dans la catégorie des Invisibles, ceux à qui elle feint de ne plus prêter attention...
Heureusement Arthus a des atouts : ses parents, ses amis , son sens de la répartie et son amour de la beauté.
Audren, dans ce roman ne dresse pas un réquisitoire contre l'école. Non, par le personnage du directeur et par les réflexions des parents, le lecteur est amené à prendre conscience des difficultés de la maîtresse face à ces vingt-huit élèves, vingt-huit personnalités différentes auxquelles elle ne pourra forcément convenir.
En outre, malgré les difficultés, Arthus parvient toujours à rebondir et même à se rapprocher d'autres élèves dans la classe, élèves dont il appréciera finalement la personnalité :" Certaines personnes naissent avec le don de se rosir la vie. C'était son cas. Sourire, charmer, aimer, s'amuser, partager, quel joli programme en fin de compte !".
L'auteur dresse avec finesse, sensibilité et humour un portrait tout en délicatesse d'un enfant qui prend conscience des contradictions des adultes mais sait aussi profiter des instants de beauté, si fugaces soient-ils.
Il n'en reste pas moins que cette satanée Murielle, avec ses oeillères et sa volonté de mettre tout le monde dans le même moule m'a sérieusement agacée. Sa capacité à brider toute tentative de créativité de ses élèves m'a carrément fichue en rogne et m'a rappelé de mauvais souvenirs encore un peu frais...Car, même si je suis des deux côtés de la barrière, en tant que mère et en tant que formatrice, que je suis bien consciente, pour les vivre, des difficultés à enseigner, il n'en reste pas moins que l'étroitesse d'esprit de certains enseignants me hérissent sérieusement. Alors, évidemment, comme le remarque Arthus, il est plus facile pour certains parents de plaider la cause de leurs enfants, de par leur statut social, entre autres, face à ces tyranneaux de tableau noir, mais cela ne va pas sans difficultés et compromis.
Un livre pour redonner espoir aux enfants "qui ne rentrent pas dans le moule" et à leurs parents.
Un livre qu'il ferait bon aussi glisser dans chaque cartable d'enseignant...
Un vrai et grand coup de coeur !
Mauvais élève ! Audren, Neuf de l'école des Loisirs, 2010, 127 pages nécessaires.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : audren, échec scolaire
06/09/2010
La belle Adèle
"Qui aurait parié un sou sur sa capacité cataclysmique ? "
Pour s'intégrer , se fondre dans la masse et mieux supporter "la dictature du collège", Adèle et Frédéric, qui sont juste amis depuis la maternelle décident de faire semblant d'être un couple. Cette stratégie fonctionne au delà de leurs espérances jusqu'à ce qu'Adèle se fasse rattraper par le battement d'ailes d'un papillon, enfin par les conséquences du cadeau d'anniversaire de sa tante..
La belle Adèle , d'abord édité en épisodes à lire sur téléphone portable , ce qui lui donne un rythme trépidant fort plaisant, aborde les thèmes de l'éveil de la féminité, de la célébrité passagère (subie) et insiste sur la disproportion pouvant exister entre un acte apparemment anodin et ses conséquences.
Mais à force de cavaler à toute allure les personnages , tout plaisants qu'ils soient, n'ont pas le temps d'être approfondis . Quant à la fin, plutôt télescopée ,elle résoud en un tour de main un problème grave et du coup perd toute crédibilité. Un roman qui possède donc les défauts de ses qualités .
La belle Adèle, Marie Desplechin, Gallimard 2010 , 155 pages qui plairont sans aucun doute aux collégiens.
L'avis de Clarabel.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : marie desplechin, s'intégrer, célébrité
03/09/2010
Zélie et les Gazzi
"Et comme ils s'ennuient, la journée se termine régulièrement par une bagarre."
Les Gazzi ? Des bandits à la petite semaine , des gamins dans des corps d'adultes, plus bêtes que méchants et qui , alors qu'ils projetaient un kidnapping ,vont se retrouver à quattre pattes en train de créer des déguisements avec Zélie , la fille de la couturière.
Evidemment , comme nous le montre la couverture, la petite fille va prendre le dessus , car elle est bien plus maligne que ces bandits d'opérette !
Comment lutter contre l'ennui, source de bien des ennuis ? Adrien Albert, aux commandes du texte et des dessins ( d'une fluidité remarquable) nous propose une solution qui plaira sans doute aux enfants en âge de lire la collection Mouche , mais pas qu' 'à eux !
Beaucoup de vivacité et d'humour, un régal !
Zélie et les Gazzi, Adrien Albert, Mouche de l'Ecole des loisirs 2010 .
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : adrien albert, ennui
02/09/2010
Grandir
Bien sûr, il y eut des fêlures , mais quand la mère, âgée, devient fragile, que la relation de "dépendance" commence à s'inverser, c'est l'occasion pour chacune d'elle de Grandir d'une manière différente et d'apprivoiser le temps qui passe .
Avec beaucoup de pudeur et d'élégance Sophie Fontanel nous livre ce beau récit entremêlant souvenirs heureux et découverte d'un tout autre univers, celui de la vieillesse et de ses aléas, en complet décalage avec le monde futile de la monde dans lequel évolue la narratrice. Des chapitres courts, comme autant de vignettes, pour dire la tendresse et les jolies choses dont il faut se souvenir, pour s'en servir comme d' un viatique.
A mille lieues de l'univers habituel (chichiponpon )de l'auteure.
Grandir, Sophie Fontanel, Robert Laffont 2010, 145 pages réconfortantes.
Merci à Stéphie pour cette découverte.
Antigone a aimé aussi
Une belle surprise pour Papillon
Un coup de coeur pour Keisha !
08:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : sophie fontanel, rapport mère-fille, vieillesse
01/09/2010
Fugue
"Il faut beaucoup de temps pour découdre les mauvaises raisons."
A force de crier le prénom de sa fille qui s'est échappée de l'école le jour de la rentrée, Clothilde a perdu sa voix.
Et c'est tout un bel équilibre qui s'effondre car la jeune femme va provoquer tour à tour l'incompréhension de son père, de son mari et de sa meilleure amie en refusant de se soigner à marche forcée. Elle sent en effet qu'il lui faut prendre son temps pour retrouver sa voix et sa voie ca ,paradoxalement, le chant va entrer dans sa vie et prendre une place prépondérante.
Qu'elle est attachante cette Clothilde qui , à son rythme, faisant fi pour une fois des contrariétés qu'elle engendre chez les autres en ne leur renvoyant plus l'image qu'ils avaient d'elle, va distiller les événements et tranquillement s'insurger : "qu'est ce que je disais de si important que vous voulez entendre ? ". Elle va posément, en acceptant les opportunités qui s'offrent à elle, retrouver le chemin de sa vie , fuguer tout en restant chez elle, ne plus se contenter d'être la fille , l'épouse , la mère, voire l'amie, à la vie bien lisse.
Aucun ressentiment pourtant, aucunne revendication forcenée, non juste un constat simple et lucide du besoin de consacrer son énergie à quelque chose qui la fasse se sentir en harmonie, qui la révèle à elle même, tout en la reliant aux autres.
Ainsi le titre du roman, Fugue, joue-t-il sur la polysémie de ce mot. La fugue c'est bien sûr l'escapade initiale de la fillette mais aussi le morceau de musique qui tisse des liens de par sa structure, comme le roman le fait ici, multipliant les points de vue et éclairant de manière très subtile la personnalité de ces femmes et de la constellation familiale et amicale qui l'entoure.
Un très beau texte, empli de poésie, où s'engouffrent des moments exotiques et colorés, un roman d'une grande justesse psychologique , un magnifique portrait de femme.
Un livre lu et relu, dont j'ai extrait une flopée de citations .
Notons au passage un petit clin d'oeil qui fait le lien avec le précédent roman de Anne Delaflotte- Mehdevi : "Le temps pouvait bien passer, tout lui prendre, elle avait chanté, comme un cuisinier cuisine, comme un maçon construit bien, un relieur relie, un marathonien arrive au terme de sa course."
Fugue, Anne Delaflotte Mehdevi, Editions Gaïa 2010, 336 pages sereines et pleines de vie (un viatique? )
La relieuse du gué, c'est ici !
Pour découvrir la lecture du chapitre 1 de Fugue, c'est ici.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : anne delaflotte mehdevi
31/08/2010
Babyfaces
"Tu n'es pas grosse. Tu es puissante."
Pas facile la vie de Nejma. Même si elle n'est pas violente, tout le monde la craint dans son école primaire, car moche, mal habillée et renfrognée, ça fait beaucoup pour une seule fille . En plus, la voici accusée d'avoir salement amoché Jonathan Suyckerbuck, grand amateur de catch !
Il lui faudra accepter l'aide de son ami, le freluquet Raja et d'Isidore , le vigile du supermarché, pour se sortir de cette sale affaire et même se sortir du marasme qu'est sa vie.
Marie Desplechin prête toujours une attention particulière aux habitants de ce qu'on appelle "les quartiers", ces ensembles clos, excentrés, qui enferment les populations et les isolent. D'où l'importance d ela passerelle qu'emprunte Nejma et qui exerce parfois sur elle une fascination un peu morbide.
L'auteur s'est ici penchée sur le phénomène du catch , nouvel engouement des enfants, en particulier dans les quartiers populaires. Pas question pour autant de cautionner un phénomène qui peut s'avérer dangereux -voir l'accident de Jonathan et la fermeture (un peu trop) providentielle de l'école de catch. C'est dans un autre sport que Nejma trouvera sans doute sa rédemption.
Malgré la gravité de la situation décrite, Marie Desplechin parvient toujours à montrer à ses personnages une lueur d'espoir, reposant sur la solidarité et la fraternité. Seule, Nejma ne peut rien. C'est en s'ouvrant sur les autres et en acceptant leur aide qu'elle parviendra à s'en sortir. Un livre généreux et chaleureux. On n'en attendait aps moins de l'auteur de La prédiction de Nadia ,qui se déroulait aussi dans ces quartiers d'Amiens.
Babyfaces, Marie Desplechin, Ecole des Loisirs, collection neuf, 2010, 139 pages
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : marie desplechin, catch