18/08/2011
J'ai déserté le pays de l'enfance
"Marrez-vous, carnassiez !"
Parce qu'elle défend les intérêts d'une société informatique alors que son éthique voudrait qu'elle soit plutôt du côté de l'employé qui va se faire entuber, la narratrice s'offre une magnifique crise d'angoisse et un petit séjour dans un centre psychiatrique.
Un pied dans son enfance -paradis-perdu à Djibouti, un pied dans le monde des adultes où elle sur la refuse de sacrifier ses idéaux, la voici réduite à faire le grand écart,ce qui n'est guère confortable, vous l'admettrez.. .Son séjour dans un centre où elle est la seule à ne pas prendre de médicaments lui ouvrira-t-il les yeux ?
Si l'évocation de l'enfance et les tergiversations morales de l'avocate ne m'ont pas totalement convaincue, trop convenues à mon goût, l'évocation des malades mentaux et de la vie dans ce centre psychiatrique en plein coeur de Paris m'a totalement enthousiasmée. à la limite, j'aurais même préféré que la narratrice y séhjourne un peu plus longtemps pour apprécier encore plu cette galerie de portraits sensibles et pleins d'humanité. Une réussite en demi-teinte donc.
J'ai déserté le pays de l'enfance, Sigolène Vinson, Plon 2011, 190 pages où j'aurais bien aimé que la mère ne parle pas sans cesse EN MAJUSCULES ! Même si je vois très bien ce que l'auteure veut dire.
06:00 Publié dans rentrée 2011, romans français | Lien permanent | Commentaires (8)
16/08/2011
Des bleus à l'âme
"On les trouvait bizarres, exotiques, car ils étaient fort bien faits , l'un et l'autre. Eux se trouvaient simplement décents."
Sébastien, Eléonore ont toujours profité de leur beauté, de leur élégance naturelle pour vivre sans travailler, tout en gravitant dans le monde de la richesse. On ne saurait les qualifier de parasites tant leur attitude paraît naturelle et leurs "victimes" consentantes.
Mais la quarantaine approche et les cigales ont peut être du souci à se faire.
C'est à un work in progress que nous convie ici Françoise Sagan, alternant chapitre du roman et réflexions sur la vie et l'écriture. On se demande comment l'auteur parviendra à se tirer d'affaire (tout comme les personnages d'ailleurs) mais la pirouette finale fera d'une pierre deux coups. Un texte d'une élégance folle et d'une superficialité toute apparente.
Des bleus à l'âme , Françoise Sagan, Livre de poche, 179 pages prétendument nonchalantes, .
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : françoise sagan
14/08/2011
Son corps extrême
"Et tout le monde chante le silence des os dont on avait oublié le miracle."
De l'accident nous ne saurons rien ou presque. Et déjà cette manière d'entamer le récit en faisant fi de tout sensationnalisme , en abordant apparemment de biais ce qui n'est en fait "que" l'élément déclencheur m'a paru originale et de bon augure.
La victime (peut être consentante) ? Alice, une femme aux abords de la cinquantaine qui va devoir se réapproprier un corps détruit. Une expérience de douleur et de reconstruction que nous suivrons au plus près, à l'intérieur même du corps souvent et l'écriture de régine Detambel donne ici sa toute puissance , charriant les images, associant les muscles et les mots de la poésie : "Et puis dire des poèmes , car dire un poème c'est marcher en chantant. Les poètes ont toujours quelque chose de rythmique à chuchoter, si bien que, même si on ne marche pas encore, on entend au moins des pas intérieurs qui se meuvent en silence."
Mais c'est aussi au coeur de l'hôpital et de ses soignants que se vit cette expérience, "L'hôpital [qui] démontre sa remarquable faculté à réveiller d'anciennes émotions qui n'étaient oubliées qu'en surface." car c'est bien d'émotions qu'il s'agit, d'émotions et de douleurs vécues dans la fraternité, voire dans ce qui n'est pas de l'amour mais s'en approche de très près. Un texte formidable, à lire et relire pour mieux le laisser décanter et s'en imprégner.
Son corps extrême, régine Detambel, Actes Sud 2011, 147 pages dont beaucoup ont été cornées et recornées.
L'auteure lit un extrait du début de son roman ici.
06:00 Publié dans rentrée 2011, romans français | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : régine detambel
12/08/2011
Le syndrome E
Avec Le syndrome E Franck Thilliez réunit ses deux plus célèbres personnages: Lucie Hennebelle, lieutenant de police à Lille et Sharko (ne pas confondre, please), un cabossé, genre baroudeur comme on les adore mais schizophrène à ses heures (on y réfléchit à deux fois là, non ?).
Deux personnages hantés par la noirceur et qui ne pouvaient que s'accorder pour démêler les fils de cette intrigue mettant aux prises un film malsain rendant aveugle, des cadavres aux crânes sciés façon oeuf coque et qui va les balader des années cinquante à nos jours du Caire au Canada.
Waouh, il y a longtemps qu'un livre n'avait eu sur moi un effet physique aussi puissant ! à croire que Thilliez aurait utilisé un procédé identique à celui du film évoqué pour provoquer ce sentiment de malaise prégnant mais jamais gratuit.
En effet, l'auteur se penche ici sur les origines de la violence de masse et ce qu'il en dit écrit est tout à fait troublant. Un roman efficace, premier volume d'un diptyque. Le deuxième est déjà sorti, il n'y a plus qu'à le dénicher à la médiathèque...d'autant que le syndrome E se clot par un suspense insoutenable...
Emprunté à la médiathèque. Fleuve noir 2010, 429 pages scotchantes.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : franck thilliez, origine de la violence de masse
15/07/2011
La rigole du diable
"La vie ne vous rattrape pas par les cheveux pour vous ramener en arrière.à moins qu'elle ne veuille solder de vieux comptes ? "
Jeune avocate , Catherine, à la veille de son premier procès d'assises, voit ressurgir un passé qu'elle croyait avoir totalement occulté.
Sur une trame assez classique (et avec un titre à la limite du ridicule), Sylvie Granotier nous dépeint de manière vivante et nuancée les relations entre une jeune avocate et sa cliente pour qui elle n'éprouve pas d'empathie : Myriam. Cette dernière, jeune africaine sans papiers, est-elle vraiment innocente comme elle le clame, de la mort de son vieux et riche mari , agriculteur dans la Creuse ? Son avocate voudrait en faire une victime mais la réalité est bien plus complexe et Catherine devra se rendre à l'évidence: "Il n'y a pas de client parfait."
Autant j'ai apprécié cet aspect du récit, très documenté sans être lourd ,concernant l'apsect psychologique du métier d'avocat, autant le côté retour dans le passé et crime mystérieux dans la Creuse m'a laissée de marbre. Il n'apporte que lourdeur et clichés, l'auteure semblant d'ailleurs avoir quelque peu négligé certain personnage supposé jouer un rôle important dans l'intrigue comme si elle même n'était pas tout à fait convaincue par cette partie de son roman...Un roman à moitié réussi donc.
Emprunté à la médiathèqe.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : sylvie granotier, la creeeeeeeeuuuuuuuuse
12/07/2011
Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?
J'ai longtemps été intriguée par ce titre à rallonges mais je reportais toujours sa lecture. Là, plus d'échappatoire car il venait de ressortir, accompagné d'un appareil critique à la fois pointu et accessible, éclairant et plein de vie. Sans, lui, pas de doute, je serais passée à côté de bien des allusions et des aspects ludiques de ce texte.
Car c'est bien à un jeu que nous convie Perec à une mise à distance des codes du récit avec son héros dont le nom change sans cesse , avec ses effets de retadements, son style parfois décalé, trop emphatique pour une situation bien banale, ses jeux de mots, et ce titre qui revient comme un refrain avec quelques variantes mais qui n'a pas grand chose à voir avec le sujet du roman, à savoir comment le héros pourrrait échapper à la guerre d'Algérie.
Il est à noter d'ailleurs que le moyen envisagé: se casser un bras, fonctionne en écho de la manière dont la mère de Perec sauva la vie de son fils : lui mettant le bras en écharpe, elle put le confier à la Croix rouge et le petit Georges échappa ainsi au camp de la mort dans lesquels ses parents disparurent...
Un roman à lire de plusieurs façons: seul ou simultanément avec les notes. Nul doute que Perec aurait apprécié ces possibilités !
Un texte à la fois drôle et grave.
Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour, Georges Perec, dossier par Isabelel Mimouni, FolioPlus Classiques.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : georges perec, oulipo
05/07/2011
Léger, humain, pardonnable
Martin Provost est un artiste aux multiples facettes. Réalisateur , entre autres de Séraphine et de Ou va la nuit, il est aussi l'auteur de la fable pleine de verve Bifteck.
Jugez donc de ma surprise quand j'ai entamé ce roman ,visiblement autobiographique ,qui nous raconte la vie d'une jeune garçon du côté de Brest.
La mort annoncée de la mère, près de laquelle sont venus se réfugier un frère et une soeur adultes ravivent les souvenirs d'une enfance pas si rose que cela. Entre un père plutôt rigide mais qui saura faire face avec un amour dont auraient pu douter les enfants à des révélations traumatisantes pour cet homme, et une mère bourgeoise qui s'est mésalliée, la vie était plutôt agitée.
Roman de facture plutôt classique donc, et je poursuivais ma lecture, vaguement ennuyée quand l'auteur m'a littéralement tordu le coeur et amené les larmes aux yeux en racontant la mort de son frère, comme si tout ce qui précédait n'était là que pour enchasser cette scène bouleversante.
Beaucoup d'émotion donc dans ce roman qui avance mine de rien avant de vous flanquer au tapis de manière magistrale.
L'avis de Clara, vile tentatrice s'il en est !
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : martin provost
02/07/2011
La patience de Mauricette...en poche
"Je recycle la souffrance."
Un cahier jaune où elle écrit pour sa thérapeute.Un panier vert dans lequel elle trimballe de drôles de trésors. La tentation serait grande de résumer Mauricette à ces deux objets. Mais quand elle disparaît de l'hôpital où on soigne sa santé mentale, son ami Christophe Moreel va prendre conscience de la richesse de la personnalité de cette femme de soixante quinze ans, beaucoup moins ordinaire qu'il n'y paraît à première vue...
Entrecroisant passé et présent, Lucien Suel brosse le portrait d'une personne, marquée par la souffrance dès l'enfance mais qui trouve refuge dans les mots et dans la poésie en particulier. Débusquant les alexandrins dans les phrases de la vie quotidienne, jouant avec les mots, les triturant, les faisant rouler dans sa bouche, tout comme son "noyau de souffrance. Je le suce et le roule entre les gencives depuis des années. Quelquefois je le prends dans ma main et je la referme. Il est caché dans ma paume je regarde les taches de vieillesse sur le dos de ma main et je remets le noyau dans ma bouche." ,Mauricette recèle bien des trésors et des originalités littéraires...Ses mots partent parfois en roue libre, comme ses pensées, mais l'humour n'en n'est jamais absent : "Le mou des veaux, les mots de vous" et ce n'est certainement pas un hasard si Mauricette avait entrepris une anthologie regroupant les phrases où apparaît le mot "veau" comme un écho au livre de Lucien Suel et Patrick Roy Têtes de porcs moues de veaux (merci, Cath!). L'émotion est aussi au rendez-vous avec cette personnalité aux multiples facettes, qui "se conduisait dans l'univers moderne comme une femme des cavernes. Une femme d'avant l'invention des horloges et des tranquillisants ."Je marche avec les yeux au plafond.""et qui s'estime elle même être son pire tribunal...Ce pourrait être lourd et étouffant, c'est poignant, lumineux et plein de joyeuses surprises car l'écriture de Mauricette est d'une richesse poétique inouïe Un livre aux très nombreuses pages cornées, bien sûr. Un livre qui résonne longtemps en nous et qu'à peine fini on a envie de rouvrir pour mieux le savourer, plus lentement cette fois. Un gros gros coup de coeur !
03:45 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : lucien suel
27/06/2011
Les colocs
La colocation est en vogue chez les jeunes mais cette fois ce sont six amis entre 60 et 85 ans qui ont décidé de cohabiter, près du Bon Marché , à Paris.
Tous sont pittoresques et attachants, même les plus ronchons, et ils font fort à faire pour tenter de sauver le cabaret transformiste de Jean , qu' une société immobilière a décidé de remplacer par un hôtel de luxe.
Alternat moment d'émotions et d'humour, Les collocs est un roman sympathique qui souffre peut être d'un manque de rigueur dans la relecture. On s'étonne en effet qu'une dame ayant de graves ennuis de santé n'utilise pas le fauteuil roulant qui lui avait été conseillé et trotte allègrement ou presque au chapitre suivant.
L'écriture est agréable et j'ai passé un bon moment en compagnie de ces six loustics qui ne m'ont pas ennuyé une seconde.
Les colocs, Vincent Pichon-Varin, Le Cherche -Midi 2011, 224 pages.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vincent pichon-varin
20/06/2011
Mort d'un jardinier
"...tu n'es plus connecté au serveur de la réalité ici et maintenant, tu glisses dans un autre monde, dans les débris de ton cerveau en capilotade..."
Un jardinier, aimant autant les mots que les salades, est frappé d'un accident cardiaque dans son jardin. Tandis qu'il gît sur le sol, envisageant ainsi la réalité sous un autre angle, tous les artistes, écrivains , musiciens qu'il a aimés sont convoqués autour de lui.
Mais ce sont aussi les mots, ceux qu'il a écrits, ceux qu'il a lus qui envahissent son corps, accomplissant ainsi une transsubstantiation finale : "ton corps est ton dernier volume."
De grands pans de plusieurs pages, le rythme va en s'amplifiant au fil du roman, répartis en courts chapitres, un flot par lequel il faut se laisser emporter, admirant au passage le travail toujours recommencé du jardinier, usant du vocabulaire imagé du potager mais aussi de celui de la modernité (le jardinier-poète ne se coupe pas de la technicité et accueille tous les mots), voici qui peut dérouter de prime abord. Mais très vite on se laisse séduire par cette vision et par cette écriture qui balaie tout sur son passage.
Un livre d'une densité aigüe, qui brouille les frontières entre roman et poésie.
Mort d'un jardinier, Lucien Suel, La Table Ronde 2008, Folio 2010, 159 pages que j'ai pris le temps d'apprivoiser (dans ma Pal depuis 1 an !) mais là c'était le bon moment et je l'ai dévoré d'une traite !
06:00 Publié dans Poésie, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lucien suel