06/06/2014
Le reste de sa vie
"On dirait que le destin tient à un accroc, un bouton décousu, un fil mal noué, des minutes perdues, des drames qui mèneraient à la porte close de l'école, au train manqué, le monde à sa perte sous une pluie de désastres."
Une femme, laminée par le travail, ses petites filles qu'elle adore, enfermée dans une relation toxique avec un mari-tyran familial ; une femme qui se vide de son énergie à trop vouloir donner ce qu'on lui refuse: de l'attention, de la considération; une femme qui "s'enferme le cœur" , qui a trop souvent les larmes aux yeux, maladroite, oublieuse, mais qui va bientôt pouvoir se poser, "toucher terre" : elle quitte provisoirement son emploi de commerciale.
C'est sa dernière journée de travail : "Aujourd’hui, tout ira bien." Le récit minutieux laisse bientôt sourdre une tension littéralement insupportable quand le lecteur prend la mesure de tous ces petits riens qui auraient pu faire basculer les événements du bon côté. L'engrenage, basé un fait divers réel qui m'avait marquée à l'époque, est implacable et prend vraiment aux tripes. Avec une grande économie de moyens, Isabelle Marrier dissèque les racines profondes de ce drame, mène son héroïne aux confins de la douleur et transforme ce qui s'annonçait comme une belle journée en un chemin de croix quasi insoutenable. Éprouvant, bouleversant, très réussi !
Le reste de sa vie, Isabelle Marrier, Flammarion 2014, 142 pages piquetées de marque-pages.
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30/05/2014
Rêve général
"Tout le monde est pressé, même les génies, et ça finit par être pénible."
Un footballeur quitte le terrain au moment de tirer un pénalty crucial. On ne le sait pas encore mais c'est le début d'une "épidémie" qui va toucher les différents personnages de ce roman . Chacun d’entre eux, professeur, conductrice de rame de métro, Le Premier Ministre en personne, vont déserter leur poste pour se rebeller en douceur contre les injonction présidentielles de "travail" et d"efficacité", souvenirs, souvenirs...
Un peu déroutant par sa forme (j'ai même cru un instant qu'il s'agissait de nouvelles) car un chapitre est consacré alternativement à chaque personnage , Rêve général est un premier roman qui réussit à créer un véritable univers, entre rêve et réalité, où l'on préfère le confort, la tendresse et la gourmandise au volontarisme officiel. Dans un Paris où l'on retrouve les traces de Ferdinand Lop, "utopiste humoriste du quartier latin", comme le qualifie Claude Pujade -Renaud dans son éclairante préface, se met en place une grève qui ne dit pas son nom, une utopie qui semble si facile à mettre en place...
Rêve général, Nathalie Peyrebonne, Libretto 2014, 119 pages en apparence légères...
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27/05/2014
Sans voix
"Et elle se demanda pourquoi un livre devrait remporter ce foutu prix auquel elle participait à moins d'avoir une chance de faire comme la pièce de Shakespeare à l'instant : revenir à la mémoire d'une personne lorsqu'elle voulait pleurer mais n'y arrivait pas , ou voulait réfléchir mais ne réussissait pas à penser clairement, ou voulait rire mais ne voyait aucun motif de gaieté."
Bienvenue dans l'univers absurde d’attribution des prix littéraires anglais ! Là, tout n'est que chaos et tractations, passe-droits, égos surdimensionnés et discours amphigouriques. On y croisera un livre de cuisine indienne promu au grade de roman, un ou deux plagiats, des romans écossais sans oublier tout le monde de l'édition et des auteurs , plus vrais que nature !
Ce roman débridé cavale à toute allure , multipliant les coups de griffes mais avec une certaine tendresse au demeurant pour ceux qui défendent, malgré tout, cet univers du livre. Une satire qui, bien évidemment, ne pourrait s'appliquer au monde des lettres françaises...
Sans voix, Edward St Aubyn, traduit de l'anglais par Jacqueline Odin, C. Bourgeois 2014, 218 pages bruissantes de marque-pages.
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22/05/2014
Les gens sont les gens
"Sa femme, malheureuse depuis trop longtemps, avait clairement pété une durite.ça marchait comme ça, le malheur. Il nous faisait dérailler.à la fin, il nous tuait. Mais , avant ça, il nous faisait dérailler."
Sur une impulsion , parce que "C'est pas tolérable une souffrance pareille...Il faut que ça s'arrête , la souffrance !" Nicole, psychanalyste de 57 ans enlève Foufou, porcelet de quelques mois, à son enfer campagnard,le fourre dans sa voiture et le ramène dans son très chic appartement parisien.
Cette rencontre improbable va générer toutes une série de situations cocasses et faire basculer la vie de Nicole et de certains de ses patients du côté ensoleillé de la vie.
Roman à l'écriture parfois un peu trop oralisée,( un "je m'en rappelle" m'a même fait sursauter...), au rythme enlevé (149 pages), Les gens sont les gens remplit parfaitement son office : nous distraire et nous faire sourire, sans prétentions.
"Le roman antidépresseur", annonçait le bandeau, je n'irai pas jusque là mais j'ai effectivement passé un excellent moment avec Foufou que Stéphane Carlier a parfaitement croqué, au sens figuré, bien sûr !
06:00 Publié dans Humour, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : stéphane carlier, le roman antidépresseur
16/05/2014
Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s'annonce
"La Petite Fille au Bout du Chemin , de deux phrases taguées , a dégagé les mots et mis à nu la guerre."
Émilienne, dite Émile, jeune femme pleine de générosité et d'altruisme, est morte pendant quelques minutes, son cœur s'arrêtant de battre soudainement. Pendant qu’Émile dort d'un sommeil artificiel, la narratrice, danseuse classique passionnée, évoque les souvenirs de cette amitié qui s'est tissée dans des circonstances douloureuses.
Simultanément, elle entre en relation avec La Petite Fille au Bout du Chemin, jeune femme qui n'hésite pas à braver les interdits et avec laquelle elle vivra des "odyssées déglinguées" et libèrera son corps entravé.
Comme dans La petite communiste qui ne souriait jamais, ( clic) Lola Lafon parle sans pathos mais avec beaucoup de poésie et de sensibilité du mouvement, des corps des femmes et de la place qui leur est faite -ou non -dans une société marquée par l'ordre et le rigorisme. Les mots, eux aussi sont importants, ceux qui stigmatisent mais aussi ceux qui libèrent.
J'ai savouré et fait durer ces 428 pages marquées du sceau de la révolte et du désir de liberté. Un grand coup de cœur.
Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s'annonce, Lola Lafon, Babel 2014.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : lola lafon
11/05/2014
La grâce des brigands...en poche
"Cette dernière passion, ça ne faisait pas un pli, l'entraînerait loin de Lapérouse, puisque les livres servent, comme on le sait, à s'émanciper des familles asphyxiantes."
Maria Christina Väätonen, qui s'est auto-attribué le titre de vilaine sœur, a quitté son grand Nord et sa famille étouffante dès seize ans pour s'installer à Santa Monica . Quand le roman commence, le 12 juin 1989, elle reçoit un coup de fil de sa mère qui va la faire revenir sur son passé et sur la manière dont, dans les années 70, elle est devenue une très jeune écrivaine à succès.
Quel bonheur que ce livre ! Un je ne sais quoi m'avait toujours retenue dans mon appréciation des précédents romans de Véronique Ovaldé mais ici toutes les restrictions ont été balayées !
Le premier chapitre qui explique l'inclination de l’héroïne pour ce quartier de Los Angeles où elle habite est une pure merveille ! Nous sommes avec elle en train de siroter des sangrias, de sentir le vent frais qui vient des jardins... et ce sera comme cela tout le long du texte car Ovaldé a un don visuel certain. Cet éloge sensuel fonctionne d'ailleurs en contrepoint de la liste sèche et pleine de rigueur de "La vulgarité selon Marguerite Richaumont", la mère de l'héroïne. Les titres des chapitres , "L'encombrant désespoir des fillettes", " Mettre le bras entier dans un trou d'alligator", le style, plein de cette Grâce des brigands vantée dans le texte, font de ce roman d'émancipation féminine une pure merveille, jamais pesante, où les épreuves sont racontées avec justesse, sans auto-apitoiement et avec toujours une pointe d'humour. Une écrivaine qui a atteint une aisance dans l'écriture que nombre de ses confrères lui envieront !
Un grand coup de cœur, constellé de marque-pages, et qui file d'un seul coup d'un seul sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : veronique ovaldé
09/05/2014
Le mystère SherlocK...en poche
"Un esprit non chrétien pourrait se réjouir de la raréfaction de la concurrence...Ah, que certains ont l'âme sombre!"
N'ayant guère d'affinités avec le résident du 221 Baker Street mais beaucoup plus avec l'auteur J.M. Erre, je me suis finalement laissée tenter par la sortie en poche de cet opus. Et j'ai bien fait !
Combinant deux procédés précédemment utilisés par Agatha Christie, Le mystère Sherlock réussit le pari de nous tenir en haleine et de nous divertir avec ce récit d'universitaires bloqués dans une hôtel en pleine montagne. La rivalité fait rage car une seul parmi les présents aura l'immense d'honneur d'être nommé titulaire de la première chaire de Sherlock Holmes- éologie de la Sorbonne.
Comme dans Les dix petits nègres, les cadavres s'accumulent et comme nous sommes aussi chez J.M Erre les éclats de rires aussi ! On apprend plein d'infos sur Sherlock Holmes et , mine de rien, l'auteur nous propose quelques pistes de réflexion sur la littérature des récits à énigmes. Un divertissement intelligent et drôle , à ne pas manquer !
Plein d'avis enthousiastes chez babelio !
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07/04/2014
Point de gravité
"Quelles paroles, quels gestes ? On sous-estime toujours le pouvoir des mots, le poids des actes, leurs empreintes dans le tissu du temps."
à sa sortie, elle l'attend. Florianne n'est plus une adolescente et , à son tour, elle emmène Loïc au bord de la Mer du Nord.L'occasion de faire resurgir différentes strates de souvenirs pour celui qui a besoin de temps "Pour [se] réaccoutumer au chaos du monde, [se] réconcilier avec ce millénaire qui pour l'heure ne [l'] a guère épargné." L'occasion peut être de renouer, aussi, avec la beauté du monde.
Un roman sec et nerveux où le personnage principal tombe de Charybde en Scylla, sans (auto) apitoiement , et une découverte au passage du métier d'éducateur, sans clichés ni tabous. Un métier qui nécessite attention, pour repérer les subtils changements d'ambiance, mais aussi distance afin de ne pas brouiller les règles de ce qui n'est pas un jeu. Un peu chevalier blanc, un peu paumé, souvent sur le fil du rasoir, Loïc cherche autant à éclairer sa vie que celle des autres.
Un premier roman sensible, doté d'une belle efficacité dans le récit et d'un style émouvant.Lu d'une traite car très prenant !
Point de gravité, Ludovic Joce, D'un noir si bleu 2014.
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03/04/2014
Les fleurs d'hiver
"Elle se demande si toutes les femmes de combattants en sont là aujourd’hui. à respirer leurs peau en guettant un mari remplacé par un inconnu."
Jeanne, ouvrière fleuriste, en ce mois d'octobre 1918 sait que son mari, Toussaint est vivant. Pourtant, alors qu'il est depuis de longs mois hospitalisé au Val de Grâce, son époux a toujours refusé sa venue. Jeanne ,qui a travaillé d’arrache-pied pour assurer sa survie et celle de sa fille, Léonie, qui ne connaît de son père qu'une photographie, va devoir faire face au retour de celui qui se dissimule sous un pansement blanc. En effet, Toussaint fait partie de ce contingent de blessés qu'on appelle "les gueules cassées".
Comment renouer avec un être qui est devenu un étranger ? Comment réinstaurer le dialogue des peaux, des corps, trouver une place dans une famille qu'il a fallu si longtemps tenir à bout de bras, seule ?
En choisissant le point de vue féminin ,si rare dans les romans traitant de la première guerre mondiale, Angélique Villeneuve nous montre les émotions, de celles qui, bien qu'exploitées économiquement, ont su tout à la fois faire preuve de solidarité et de courage.
Son écriture est de plus en plus charnelle, poétique et pourtant le réel se donne à lire de manière précise, jusque dans les plus petits détails (je pense par exemple aux bandes de papier supposées protéger les vitres ), sans que pour autant cela sonne comme une reconstitution appliquée. Tout sonne juste et les retrouvailles de ce couple confèrent une très grande humanité à cette boucherie. Un coup de cœur !
Les fleurs d'hiver, Angélique Villeneuve, Phébus 2014, 150 pages fleuries de marque-pages.
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01/04/2014
Julius aux alouettes
"Je suis un prince, un pirate, un artiste, un ange, le frère désiré. L'étrange étranger. Un voyageur sans bagage. Comme il vous plaira.
Je suis ce que vous désirez voir. Je suis le dépositaire de vos souvenirs.
Je suis votre miroir aux alouettes."
Un étranger à la peau d'ébène met pied à terre sur une plage bretonne (qu'on imagine bien finistérienne) lors d'une grande marée d’équinoxe. Chaque membre d'une famille du cru du père médecin , en passant par la mère galeriste, la grand-mère jusqu'aux deux enfants, vont être séduits par cet homme qui dit s'appeler Julius.
Un schéma narratif qui n'est pas sans rappeler le film Théorème de Pasolini mais emprunte aussi à la terminologie chrétienne puisque le roman commence par l'inhumation de Julius par ceux qui affirment tous l'avoir assassiné. Inhumation qui comporte des stations qui ne sont pas sans évoquer celles du Christ. Pourtant, on peut aussi y voir ,de manière plus large, une volonté de "déciller vos yeux à la lumière du monde", comme l'affirme Julius. Et de lumière il en est beaucoup question dans ce roman solaire , à la frontière de la parabole, empli de sensualité et qui rend compte du monde de manière charnelle.
Au lecteur de faire comme les membres de cette famille et de voir en Julius ce qu'il veut y trouver. Pour ma part, ce fut un grand bonheur de lecture.
Julius aux alouettes, Fabienne Juhel, La bruen aux éditions du Rouergue 2014, 206 pages lumineuses.
le billet de Clara, la tentatrice fan.
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