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18/04/2023

Les grandes occasions...en poche

"Dans la famille, il n'y a pas d'affection. On ne sait pas se toucher. Le corps est absent. Aussi absent que les espoirs. La même peur de décevoir. La même peur du rejet, de l'énervement formidable si on s'approche trop. Chacun doit rester en soi. Se maîtriser. Ne pas donner aux autres la responsabilité de s'aimer. "

Esther, par cette journée caniculaire , veut à tout prix réunir cette fratrie qui se délite autour d'elle et de son mari Reza. Deux garçons, deux filles , leurs enfants aussi, qui, comme d'habitude, sont en retard, voire trouveront des prétextes pour ne pas se retrouver autour de celle qui, patiemment a noué, métaphoriquement, les fils d'un tapis qu'elle espère solide et durable.
L'attente est aussi le prétexte pour revenir sur le passé, les mille et une histoires de cet amour empêché au sein de cette famille.
Je l'avoue, j'ai bien failli abandonner ce récit majoritairement composé de phrases juxtaposées (pour mieux rendre l'absence de liens entre les protagonistes ?) qui ressassait trop à mon goût cette métaphore du tapis.alexandra matine matine
Mais J'aurais eu tort de me laisser gêner par ce défaut mineur qui disparaît ensuite au premier tiers du livre , pour mieux fouiller les portraits des différents protagonistes, leur donner de l'épaisseur et davantage faire confiance au lecteur, en ne lui donnant pas forcément toutes les réponses.
Un roman qui fouille les plaies, procure parfois une sensation d'étouffement ,mais brosse un portrait de groupe criant de vérité. Un premier roman  non exempt de défauts ,et c'est normal ,mais qui augure bien de l'avenir de cette romancière.

Les Avrils 2020 , 249 pages écrasées de soleil.

13/04/2023

Deux femmes et un jardin ..en poche

De Mariette nous ne saurons pas grand chose. Quelques indices nous laissent deviner une vie fruste, sans joie, au service des autres. Quand elle hérite de ce qu'elle qualifiera de "maison de poupée"-un logis passablement délabré au fin fond de la campagne, entouré d'un jardin qui a repris sa liberté, elle peine à y croire. Pourtant, elle s'y rend- une véritable expédition- et entreprend de s'approprier les lieux, tout en respectant la sauvagerie du jardin.anne guglielmetti
Petit à petit va également se nouer une relation avec une adolescente, en vacances dans le bourg voisin et qui va apprivoiser Mariette, sans pour autant percer son quasi mutisme. La relation s'étiolera au fil du temps mais restera marquante pour la jeune femme.
Un titre simple , à l'image de ce récit qui fait le choix de ne pas trop en dire, et c'est tant mieux, avec une autrice qui peint avec délicatesse autant les femmes que les plantes. Un grand coup de cœur.

12/04/2023

Sainte Marguerite Marie et moi...en poche

"En m'obligeant à la prendre au sérieux, en m'imposant ce parti-pris résolument bienveillant , l'éditrice a sauvé Marguerite-Marie de mes griffes ; et, à la place m'a livrée à elle. Ses inconforts, ses doutes, ses ambiguïtés, moi aussi je suis maintenant forcée de les habiter. "

Rien ne prédisposait une écolo-végétarienne, féministe, capable de réciter la première page de Harry Potter, mais pour qui le Notre Père reste lacunaire ,car agnostique et non baptisée , à écrire sur une sainte, même un peu gore.
Rien, sauf le fait que Marguerite-Marie Alacoque est apparentée à Clémentine Beauvais. De plus, l'autrice de  Brexit Romance  est enceinte et prend conscience de l'importance de la mémoire. Enfin, le père de son enfant est très catholique,(c'est elle qui souligne) et, par son intermédiaire, elle va devenir amie avec une éditrice d’une maison d'édition très catholique qui va lui suggérer ce projet un peu fou.clémentine beauvais
Ce livre est donc le récit d'un work in progress, émaillé des réflexions souvent très drôles de Clémentine Beauvais, mais aussi de ses tiraillements car,trouver l'angle juste, le ton juste , ne vont pas de soi quand on ne possède pas les codes d'un univers qui nous est totalement étranger ou presque.
Sans doute parce qu'on sent une grande sincérité, de la part des intervenants , comme de l'autrice, on ne tombe jamais dans une vision trop figée ou au contraire trop "décoiffante" de la sainte en question.
Si l'on m'avait dit que je dévorerais un ouvrage portant sur Sainte Marguerite-Marie, j'aurais bien ri. Et pourtant c'est le cas. Un petit "miracle "dû à Clémentine Beauvais.

30/03/2023

Manger Bambi...en poche

"Bambi prend tout, demande plus, et n'avale jamais rien, met tout soigneusement de côté pour maman, qui a besoin de sommeil et de tranquillité. Tandis qu'elle-même a besoin de lucidité, de force et de courage. La haine, c'est bon, elle a déjà ce qu'il faut."

Bambi a tout du faon aux pattes grêles, l'innocence apparente, la jeunesse (elle a seize ans) et  la beauté, mais pas question de jouer les proies. C'est elle qui harponne, sur les sites dédiés aux sugar daddies , ceux qui vont devenir ses proies. Gare à ceux qui pleurnichent et l'énervent ,elle ne supporte pas. Et là, elle peut se déchaîner et devenir complètement guedin. Une Bambi armée d'un Sig Sauer, seul legs paternel, ça peut faire du dégât !
Mais un jour la belle mécanique s'enraye et Bambi va se trouver prise au piège de ses propres mensonges...41PxXHcTb3L._SY346_.jpg
Avec une langue drue, rapeuse, empruntée aux jeunes, Caroline de Mulder brosse le portrait d'une adolescente tour à tour violente,mais douce avec sa mère, qui refuse d'être une victime, qui se ment parfois à elle-même mais sait aussi manipuler les autres. Bambi possède une multitude de facettes et l'autrice sait nous la montrer en pleine transformation, se donnant les apparences d'une pauvre petite fille fragile (qu'elle est aussi parfois), se prenant parfois elle-même à ses propres comédies, ou devenant folle de rage. Une chose est sûre: Bambi ne se laissera pas manger par qui que ce soit sans lutter jusqu'au bout..
La tension règne dans ce texte qui ne cède pourtant jamais au piège du voyeurisme. On est chahuté, bouleversé, et on sort un peu groggy de la lecture de ce roman dévoré d'une seule traite.

29/03/2023

On noie bien les petits chats ...en poche

Cet enfant tombé de ton ventre, c'est par tes bras, ton regard, ta parole, qu'il consent à advenir. "

 

Renvoyée chez elle par une sage-femme violente tant en paroles qu'en gestes, Betty va accoucher sur le palier de son appartement dans des conditions atroces.   Son enfant et elle ne devront la vie qu'à un chauffeur de taxi, père de famille nombreuse , qui aura su garder son sang-froid. françoise guérin
A la maternité, la jeune femme a tout oublié de ces événements dramatiques, mais le cauchemar ne semble pas fini pour autant. En effet , son mari reste injoignable, mais son enfant a été baptisé Noé par un inconnu qui prétend être le père auprès du personnel hospitalier.
Transférée dans un unité spécifique pour aider les mères à nouer une relation avec leur enfant, Betty va peu à peu lever le voile sur des traumatismes réveillés par cette naissance et surtout par le prénom de Noé.
Si j'ai apprécié l'intrigue, riche en rebondissements  et anxiogène à souhait, j'ai encore plus aimé la description fine, pleine d'empathie et de bienveillance , autant pour les soignants que pour les soignés, de cette unité mère-bébé. On se doute que l'expérience professionnelle de l'autrice y est pour beaucoup et qu'elle nous fait partager sa vision pleine d'espoir et d'humanité. Une lecture haletante.

10/03/2023

Un honnête homme

"Il aurait tant voulu vivre un amour sans pourquoi. "

Flaubert ne nous offre pas un portrait flatteur de Charles Bovary, l'époux d'Emma. Sous la coupe de sa mère, peu doué ( il n'obtient pas le titre de médecin ), il ne parvient pas à offrir à son épouse la vie animée dont elle rêvait et la fait végéter , voire dépérir. isabelle flaten
Isabelle Flaten, au contraire entreprend de réhabiliter celui qu'elle présente comme Un Honnête Homme . Sensible, soucieux de ses patients, cet homme s'égare parfois dans les méandres de la psyché d'Emma en se référant aux diktats et croyances misogynes  de l'époque, mais revient vite au bon sens et à la tendresse dont il est coutumier. Il n'hésite pas à montrer son amour envers Berthe, sa fille qu'Emma tour à tour chérit ou repousse. Bref, c'est un homme dont le comportement détonne au XIX ème siècle mais qui pourrait très bien être notre contemporain. 
Avec un style malicieux et un récit tout en vivacité, Isabelle Flaten confirme ici tout le bien qu'on pensait d'elle et parvient même à faire apprécier un personnage que l'on rangeait plutôt du côté des benêts.

 

Éditions Anne Carrière 2023

09/03/2023

Atlantique Nord

"Parfois, on prétend regarder le paysage pour reprendre notre souffle ; parfois, on prétend reprendre notre souffle pour regarder le paysage. Camille est partisane des deux écoles, ses promenades ont ainsi des rythmes différents , qui dépendent de son énergie, de son niveau de contemplation. "

Premier roman d'une artiste française installée au Canada, Atlantique Nord se présente en quatre parties reliées entre elles par le flux de l'océan qui donne son titre au texte, mais aussi de manière plus discrète par les "grosses poules de mer" alias les lompes (ou lump) dont on exploite commercialement les œufs. 
Des expressions elles aussi se retrouvent d'un texte à l'autre comme par exemple "le creux de ta hanche" qui attire l'attention dans une liste que la première héroïne, Camille, dresse "des endroits qu'elle pourrait appeler un chez-soi" et qui se glisse, mine de rien, dans une autre partie.
De Terre-Neuve à la Bretagne, en passant par l’Écosse et l'Islande, une jeune femme, un petit garçon, un homme jeune et une adolescente nous sont donnés à voir et chacun d'eux exerce sur nous un profond charme, au sens profond du terme. romane bladou
En effet, l'écriture de Romane Bladou capte les sensations les plus infimes éprouvées par chacun d'eux et nous les offre avec une grande générosité. La typographie créative , ainsi que la couverture du roman contribuent à la magie de ce roman poétique, au plus près de la nature. Un grand coup de cœur.

 

Éditions La Peuplade 2023 255 pages.

 

02/03/2023

Les Autres ne sont pas des gens comme nous

" Je veux être considérée comme potentiellement monstrueuse, comme possiblement perverse, au moins autant que n'importe quel valide. "

Ainsi parle Julie, jeune femme tétraplégique qui, depuis, son fauteuil observe le monde comme une La Bruyère contemporaine.
Si elle se montre volontiers corrosive envers ses non-semblables, elle ne s’épargne guère non plus : "Suite à un accouchement difficile, j'ai hérité d'un corps à euphémismes: différent, singulier, en situation de handicap, en position de non-réalisation des habitudes de vie d'une personne. Le truc sympa, quoi (oui, j'ai aussi hérité d'un cerveau à  antiphrases) ."41-qV4EJJHL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_.jpg
Les familiers de J. M. Erre retrouveront ici dans les différents textes écrits par Julie son amour des mots, sa volonté de pousser à l'extrême les travers de la société ainsi que des personnages (aux noms improbables) issus de ses précédents romans. Pas de quoi s'affoler pour ceux qui découvriraient cet auteur: vous ne serez pas exclus de la fête et cela vous donnera sans doute l'envie de découvrir les précédentes œuvres de l’auteur.
J.M. Erre célèbre ici, entre humour noir et amour de l'humanité malgré tout, les vertus et les défauts du récit : éviter de nous coltiner avec la réalité mais aussi accepter de se  la prendre en pleine face.
 Éditions Buchet-Chastel 2023, 200 pages piquetées de marque-pages.

18/02/2023

Faut pas rêver ...en poche

"La conversation se poursuivit en français sur des sujets anodins ,comme l'allaitement maternel, les placements immobiliers ou la crise des vocations chez les tueurs professionnels."

 

N'était sa propension à parler en dormant , tout en ayant des rêves fort agités, Carlos cocherait toutes les cases du compagnon et futur papa parfait: tendre et attentionné , il a même eu la bonne idée de se reconvertir en sage-femme.
De plus, il attise la curiosité de son infortunée compagne de lit, Louise, car il s'exprime en espagnol, langue à laquelle elle ne comprend rien, ou presque. La jeune femme décide donc, d'enregistrer ses logorrhées et de les faire traduire par une amie, Jeanne.
Las, elle découvre un motif récurrent qui semble hanter les nuits de Carlos: un homme dans une voiture , balancé à la mer. Son amoureux est-il pour autant un criminel ?  pascale gautier
Pour en avoir le cœur net, Louise et Jeanne se rendent à Marbella, lieu qu'elles ont réussi à identifier.
Commencé sous les auspices de la comédie, Faut pas rêver vire rapidement au cauchemar, mais Pascale Dietrich sait doser comme personne ces deux registres et nous entraîne à la suite de ses personnages dans un roman échevelé qui égratigne au passage la corruption immobilière et nous permet de glaner au passage plein d'infos sur les rêves.

16/02/2023

La poésie des marchés

"La fantaisie est un piège dangereux. Addictif. Vous ouvrez la fenêtre et vous découvrez dans votre salon une jungle hétéroclite de personnages sans queue ni tête, alors que vous vouliez simplement prendre un peu l'air. "

Quoi de plus antinomique que l'analyse financière et la poésie ? Et pourtant Lucie, analyste financière chez Vega Énergie parvient à concilier les deux. Elle se demandait comment harmoniser son emploi et sa "relation plus contemplative au monde" , la composition de haïkus et la rencontre inattendue d'un iguane vont lui donner une solution des plus improbables mais néanmoins efficace. anne-laure delaye
Ce premier roman, plein de fraîcheur, nous permet de découvrir les coulisses d'une profession peu attractive au premier abord , un univers où l'absurde a sa place, même si personne ne semble l'admettre. Quant à Lucie, elle y injecte avec bonheur de la fantaisie et son pas de côté est des plus jubilatoires. Un roman à découvrir absolument.

 

Albin Michel 2023