27/06/2015
Les évaporés...en poche
"Les soupçons, c'est une chose, c'est comme les probabilités, mais les images, la certitude, la vérité. Comment font les gens pour vivre avec la vérité ? "
Dans un Japon qui peine à se remettre de la catastrophe de Fukushima, vont se croiser trois trajectoires: celle d'un homme qui disparaît, s'évapore comme on dit dans ce pays, où ce phénomène est courant et n'entraîne aucune recherche par les autorités; celle de sa fille, depuis longtemps installée aux États-Unis qui engage son ex -petit ami détective privé et surtout poète et romancier, Richard B. pour rechercher son père; celle, enfin d'un adolescent qui tente de survivre dans les rues.
Dans un pays gangrené par les yakusas (la mafia locale), ces personnages se confrontent avec une douce mélancolie à la perte et cherchent des moyens pour se réinventer.
Avec poésie et délicatesse, Thomas Reverdy nous brosse le portrait de la face cachée d'un pays qui nous paraît encore très étrange, surtout en ce qui concerne l'identité (une simple carte de visite permet d"en attester). Mais ce que j'ai aimé par dessus tout, c'est l'idée formidable d'imaginer le retour au pays de Yukiko, accompagnée de celui qui fut son petit ami, le romancier Richard B(rautigan). Les lecteurs qui avaient eu un coup de cœur pour cet auteur atypique et hautement addictif lors de la première parution de ses écrits en France, peuvent ainsi le retrouver . Un très joli voyage au Japon que je vous recommande chaleureusement.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : thomas b. reverdy
25/06/2015
Le non de Klara
"Haine. je crois pouvoir avancer ce mot, le poids de ce mot. Si j'avais réfléchi au vocable haine, pour moi, la manifestation en aurait été passionnée, excessive, fracassante, convulsive, un sentiment qui se voit. Au lieu de quoi, sa voix raconte posément des choses brûlantes qui se refroidissent en sortant d'elle. Elle parvient, je ne sais comment, à exprimer sa haine froidement. presque légèrement. En permanence, il y a cette dichotomie entre ce qu'elle dit d'abominable et la façon dont elle le formule."
Aparté :Clara Dupont-Monod est une chroniqueuse dangereuse. Elle parvient, tout en révélant la fin du roman, à me donner envie de lire un texte dont j'ai beaucoup entendu parler , sans jamais me décider. Et je l'en remercie !
Klara, juive allemande, a survécu à Auschwitz et, après un périple à travers l'Europe ,rentre en France en juillet 1945.
Elle est accueillie par Angélika, sa belle-sœur et amie, qui commence alors un journal afin de mieux comprendre l'attitude de la survivante . Cette dernière refuse en effet de voir sa fille de trois ans et peine à se réadapter à la vie quotidienne. Par bribes parfois, par de courts récits souvent, s’élabore le récit poignant mais d'une dignité absolue d'une femme qui analyse cliniquement son attitude pendant et après le camp.
Le non de Klara est un roman d'une sourde violence et un récit très éclairant sur la société française de l'après-guerre vis à vis des survivants des camps. De maladresses en aveux troublants, Soazig Aaron peint de manière non manichéiste des Français ordinaires qui ne prennent pas la véritable mesure de ce que les déportés ont enduré. J
'ai lu quelque part que, aussi surprenant que cela paraisse, la majorité des Allemands , dans les années 60, ignoraient la réalité des camps. Un fait qui permet de mieux comprendre les attitudes dépeintes dans ce texte.
Un roman déniché à la médiathèque. à lire absolument, si ce n'est déjà fait.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : soazig aaron
20/06/2015
Le club des pauvres types
"Société d'individualistes incapables de venir en aide à des personnes en délicatesse avec la vie."
Paul, le narrateur, parfait anti-héros,vient enfin de franchir un cap : il s'est installé avec son amoureuse, Claire.Les ajustements ne vont pas sans mal et le trentenaire peine à répondre aux exigences de sa compagne.
Les aléas de la vie vont lui faire rencontrer d’autres hommes, en couple ou non, ayant plus ou moins de difficultés avec l'engagement amoureux, et Le club des pauvres types va naître.
"Ce club est né spontanément, sans préméditation ni mauvaises intentions d'un regroupement d'hommes dans la fleur de l'âge voulant simplement faire connaissance, il s'est progressivement transformé en un lieu de débat, de lutte et de camaraderie militante."
Mesfames, si vous avez déjà rêvé de connaître la vie secrète des trentenaires masculins, précipitez-vous sur le roman de Jonathan Curiel ! Du décryptage des profils sur les sites de rencontres, au récit épique d'un Enterrement de Vie de Jeune Homme , en passant par les affres du choix du cadeau parfait, vous saurez tout sur ces pauvres hommes, accablés par la pression professionnelle et totalement déboussolés par les femmes et leurs requêtes: "Et veut-on des enfants ? Plutôt voudraient-ils de nous ? On a déjà du mal à apprivoiser et à se faire accepter par notre électroménager, est-on programmé pour gérer les caprices et les pleurs d'un enfant ? ".
C'est bourré d'humour, un peu superficiel parfois, mais le narrateur manie l’autodérision et l'hyperbole avec virtuosité. Son application du vocabulaire de l'entreprise au management du couple est un pur régal et l'on sourit sans cesse tout au long de ces 316 pages.
Le club des pauvres types, Jonathan Curiel, Fayard 2015.
06:40 Publié dans Humour, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : jonathan curiel
23/05/2015
Réparer les vivants ...en poche
Mais qui ne l'a pas lu ? !:)
"... c'est la première fois qu'ils nidifient une cavité de repli au sein de leur anéantissement..."
Réparer les vivants est "la somme des actions et la somme des mots, la somme des espaces et des sentiments" qui, partie du cœur de Simon Limbres, jeune surfeur de vingt ans, aboutira -ou non -à sauver la vie d'une receveuse en attente de transplantation.
Le roman de Maylis de Kerangal n'a rien d'un récit journalistique. Il acquiert une dimension quasi mythologique, brassant l'espace et le temps, replaçant l'organe dans sa dimension à la fois affective et symbolique. Il ne s'agit pas ici de réparer un organe défaillant mais bien de s'interroger sur les mots qui manquent pour exprimer l'émotion, les mots qui devront sonner juste pour convaincre les proches, mots qui parfois se mueront en chant pour mieux saluer le corps qui a encore une apparence de vie même si l'activité cérébrale a signalé sa mort, car il s'agit de creuser "ensemble dans cette zone fragile du langage où se déclare la mort.".
Cette trajectoire alterne les points de vue, y compris celui de la receveuse potentielle qui n'est pas sans interrogations, détaille aussi le ballet des intervenants médicaux, ne les réduisant pas à une fonction mais les inscrivant dans une humanité pleine de justesse.
Nous ressentons pleinement toutes les sensations , tous les sentiments qui bouleversent de fond en comble les personnages !
Le style précis, imagé et élégant,le récit tendu comme un arc et empli d'émotions sans jamais verser dans le pathos, font qu'une fois levés les a priori susceptibles d'entraver notre lecture, on ne peut quitter ce roman qui pulse et fait battre le cœur.
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : maylis de kerangal
22/05/2015
Ce qui est arrivé aux Kempinski...en poche
"Une des particularités comiques de l'enfance est que l'on traverse une gamme infinie de sentiments dont on ignore les noms. Tant que le mot n'a pas épinglé la sensation, comme une aiguille perçant les thorax d'un insecte, les impressions papillonnent en liberté autour de nous et en nous, éblouissantes, féériques, mais aussi parfois menaçantes car nous n'avons aucune idée de leur trajectoire, de leur taille, de leur venimosité."
Dans les quatorze nouvelles composant Ce qui est arrivé aux Kempinski, la réalité fait un pas de côté et les rêves deviennent plus réels que la réalité. Le titre d'un roman apparaît différemment à sa lectrice, les identités sont faussées, fluctuantes. Usurpations, impostures, trahisons sont au rendez-vous et même le diable sera dupé par une femme.
Le familier révèle ses double-fonds, les sentiments inavouables (que faut-il faire des cadeaux rapportés de l'école, ces "offrandes [...]la plupart du temps ratées et mystifiantes de laideur" ?, se demande une mère de famille éprise de perfection). On sourit, on admire aussi l'écriture éblouissante d'Agnès Desarthe qui traque au plus près le réel qui se dérobe sous nos pas.
« Mon âme, dit-elle. Mon âme, que vaut-elle ? Mon âme est une liste de courses. Mon âme est une déclaration d’impôts, un bulletin de notes au bas duquel ne figurent pas d’encouragements. Mon âme est le mode d’emploi du lave-vaisselle remplacé depuis huit ans, un bordereau de la poste datant de trois mois (le paquet est reparti, mais où, et que contenait-il ? Une rivière de diamants, sans doute). Mon âme est pleine de “Bonjour, madame”, “Au revoir, madame”, elle est salie par les corvées, corrompue par la fatigue de jours sans héroïsme, sans passion, sans péril. »
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
06:01 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : agnes desarthe
19/05/2015
La femme au carnet rouge
"Laurent se trouvait devant une femme-puzzle. Une silhouette floue, comme dernière une vitre pleine de buée , un visage semblable à ceux que l'on croise dans les rêves et dont les traits se brouillent dès que l'on tente de se les remémorer."
Laurent Letellier, libraire, découvre un jour un sac mauve, probablement volé, sans indication de l'identité de la propriétaire. Il décide alors de mener une enquête , placée sous les auspices de Modiano (que nous croiserons ! ) de Sophie Calle et de Pessoa, afin de le lui restituer.
Se tissent alors entre l'apprenti détective et la victime du vol des liens qui vont très largement dépasser le simple acte civique...
Si je n'avais pas acheté ce roman en format poche, il est probable que j'aurais moins ressenti le charme subtil, quelques fois un peu forcé, de ce roman agréable et léger qui fait un bien fou, car j'en aurais sans doute attendu trop. Mais là, nonobstant une couverture criarde (je sais que le jaune est à la mode cette saison, mais c'est définitivement non à cette couleur) , je me suis régalée à lre cette romance qui s'élabore quasi malgré les principaux protagonistes.
Des avis très tranchés sur Libfly !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Les livres qui font du bien, romans français | Lien permanent | Commentaires (11)
17/05/2015
Comment trouver l'amour à cinquante ans quand on est parisienne...en poche
"Et maintenant, se demandait Dimitri Diop, et maintenant, si c'est vraiment l'amour qui se présente à nous, sommes-nous capables de le vivre ? "
Six personnages, d'âge et de conditions sociales différentes, saisis à des moments clés de leur existence, élaborent , sans le savoir toujours, une chorégraphie qui les fait se croiser dans Paris. La capitale devient d'ailleurs un personnage à elle toute seule et symbolise aussi la problématique essentielle de ce conte: l'exil et ses différentes formes.
Ce roman, au titre faussement" chickenlittien", se lit sans déplaisir mais son style, quelque peu compassé, fait que je ne m'y suis pas toujours sentie à l'aise, un peu comme si j'avais endossé un habit trop étroit.
Les personnages sont attachants, en particulier celui autour duquel s'articulent tous les autres: Catherine, quinquagénaire prof de français résidant à Paris mais enseignant de l'autre côté du périph, mais on reste toujours un peu sur sa faim, l'auteur leur tenant la bride un peu trop courte.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : pascal morin
14/05/2015
En finir avec Eddy Bellegueule...en poche
"Ne plus croire à une existence qui ne repose que sur la croyance en cette existence."
Pas de bol pour Eddy Bellegueule ! Il naît dans une famille où l'on vit à sept avec sept cent euros par mois, où l'avenir est tout tracé (l'usine est juste à côté de l'école), dans un milieu qui privilégie les valeurs masculines alors qu'il est efféminé.
Longtemps, son leitmotiv sera de correspondre au "nom de dur " qui lui a été attribué, Eddy Bellegueule donc. Mais les crachats, la violence physique et verbale qu'il subira deux ans durant au collège, l'attitude de sa famille qui ne sait comment faire face à sa différence, le sentiment de honte qui l'habite face à la pauvreté des siens, pauvreté aussi bien verbale qu'économique, font que cet adolescent "prisonnier de [son] propre corps", ne trouvera d'issue qu'en dehors de ce monde clos sur lui même.
Même si le mode de vie, de pensée, décrits dans ce roman à caractère autobiographique ( non assumé sur l'objet livre) pourraient de prime abord paraître d'une autre époque, nous nous situons ici à la fin des années 1990, début 2000, en Picardie. Eddy Bellegueule, vrai nom de l'auteur, s'il choisit de se renommer, n'en profite pas pour autant pour régler ses comptes avec les membres de sa famille. Il analyse de manière lucide ce qui les entrave d'un point de vue sociologique et ne les juge pas .
Il restitue de manière remarquable la langue fruste, les négligences de sa classe sociale, les arbitrages économiques, la méfiance vis à vis de la médecine, le manque d’intérêt pour l'école, tout ce qui creuse un fossé apparemment infranchissable entre "les petits" et "les bourges".
L'auteur partait dans la vie avec un double handicap (son milieu social,son homosexualité) mais il a réussi à En finir avec Eddy Bellegueule tout en nous offrant un texte magnifique sur ses origines et sa quête d'identité !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : edouard louis
13/05/2015
Chroniques de la débrouille / La théorie de la tartine
"Je sais que chafouin signifie sournois, mais mon cerveau a arbitrairement décidé qu'il était en fait l'équivalent de "petite tête de marmotte un peu triste, déçue, contrariée et fatiguée". je vais notifier cette modification du dictionnaire à l'Académie française par un courrier avec accusé de réception et hop, le tour sera joué."
Mon parcours avec Titiou Lecoq, romancière , chroniqueuse et blogueuse médiatique a é quelque peu chaotique. D'abord, un échec de lecture, les Morues, rien que le titre m'était resté en travers de la gorge, la demoiselle ne faisant pas dans la dentelle, mais la grossièreté c'est parfois roboratif et ici toujours pleinement assumé , ce qui n'est déjà pas mal.
Puis, cédant aux appel de sirènes, Cuné et Antigone en tête, et d'une offre promotionnelle sur liseuse, je me suis procuré La théorie de la tartine, que je n'ai pas lâché.
Paradoxalement, ce n'est pas tellement l'histoire de cette jeune femme qui voit ses ébats amoureux livrés en pâture sur internet en 2006 par un ex vengeur et accumule ensuite les ennuis (d'où le titre) qui m'a le plus intéressée.
J'ai , en effet, plutôt lu ce roman comme un panorama de l'évolution nos relations à internet, et le point de départ comme un prétexte.
Ce qui remonte à peine à dix ans apparaît déjà presque comme de la préhistoire !
J'ai enchaîné enfin avec Chroniques de la débrouille, , paru aux éditions Fayard sous le titre Sans télé, on ressent davantage le froid et là je me suis vraiment régalée ! Le talent de Titiou Lecoq donne sa pleine mesure dans le format court ! Son humour, parfois trash, parfois plus littéraire fait un bien fou ! Ces tranches de vie (parfois sanguinolentes comme une tranche de foie crue, les lectrices ayant vécu un retour de la maternité apocalyptique comprendront), sonnent juste et ce portrait d'une génération est tout à la fois enlevé et plein de vie !
06:00 Publié dans Nouvelles françaises, romans français | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : titiou lecoq
12/05/2015
L'événement
"J'ai fini de mettre en mots ce qui m’apparaît comme une expérience humaine totale, de la vie et de la mort , du temps, de la morale et de l'interdit, de la loi, une expérience vécue d'un bout à l'autre du corps."
L'attente du résultat d'un test de dépistage du sida replonge la narratrice dans "la même horreur et la même incrédulité" qu'en 1963 , étudiante en Lettres, lorsqu'elle attendait de savoir si elle était enceinte ou non.
Cette grossesse non désirée interroge d'abord son rapport au corps et à la sexualité: "Dans l'amour et la jouissance, je ne me sentais pas un corps intrinsèquement différent de celui des hommes." mais aussi son origine sociale modeste, dont elle pressent confusément que cette grossesse est l’aboutissement inéluctable. Comme elle le dit crûment : "J'étais rattrapée par le cul et ce qui poussait en moi c'était, d'une certaine manière, l'échec social."
Cette pauvreté et l'impossibilité de solliciter l'aide des ses parents, trop de honte, va la mener dans une quête distanciée, sans lyrisme et sans colère d'un solution, bien évidemment illégale à l'époque, pour qui n'a ni moyens financiers, ni relations.
La violence à la fois verbale et/ou implicite des hommes est à proprement parler insoutenable. Entre l' "ami," qui se complaît dans la souffrance de la narratrice, le médecin qui joue de son savoir en lui prescrivant des injections dont Annie Ernaux découvrira plus tard qu’elles avaient l'effet inverse de celui qu'elle recherchait ,ou bien l'interne qui malmène la jeune femme, dont il ignore a priori qu'elle est étudiante "J'ai dû penser que c'était ma faute s'il s'était conduit violemment : il ne savait pas à qui il avait affaire.", on a l'embarras du choix.
Annie Ernaux revient sur cet Événement autour duquel elle a longtemps tourné et nous propose un livre terrible et implacable dont la lecture est plus que jamais indispensable.
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