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04/02/2016

Et je danse, aussi...en poche

"Ceci dit, la littérature n'est que mensonge, enfin invention, ce qui est la même chose, l'invention étant un mensonge avoué par avance, non ? "

Un écrivain à succès mais qui n'écrit plus, une lectrice qui lui envoie une mystérieuse enveloppe qu'il subodore,par habitude, être un manuscrit, un échange, un peu vif au début, de mails . Mais petit à petit, "Une complicité s'est établie, comme lorsque tu rencontres une personne dont tu sais au bout de quelques minutes seulement qu'elle te convient."index.jpg
Cette même complicité  je l'ai ressentie d'emblée avec ce roman épistolaire, plein d'humour (la double relation en simultané d'une scène de séduction à un vieux couple partageant la même boîte mail m'a fait rire aux éclats !) , d'émotions et de rebondissements.
On sent que les auteurs se sont régalés à raconter cette histoire où le thème du mensonge et de la fiction s'entremêlent avec bonheur. Qui manipule qui ?
En tout cas, le lecteur prend un énorme plaisir de lecture à se laisser mener par le bout du nez par des personnages hauts en couleurs, dont les mails miment avec une grande véracité le flux versatile des thèmes abordés lors d'un échange au long cours par courriels interposés. Un livre plein de vie, de détails qui sonnent justes , où s'intercalent des poussins et un slip kangourou, ça ne se refuse pas  !

Anne-Laure Bondoux, Jean-Claude Mourlevat

Celle que vous croyez

"C'est mystérieux, le désir. On veut de l'autre quelque chose qu'on n'a pas ou qu'on n'a plus."

Claire, quarante-huit ans, divorcée, crée un faux profil facebook, où elle se rajeunit allègrement et emprunte la photo d'une inconnue, pour surveiller son amant volage. C'est évidemment de ce faux profil que va tomber amoureux KissChris, un jeune homme qui se dit photographe.
Comment passer du virtuel au réel sans pour autant faire disparaître le désir ? Comment Christophe réagira-t-il en apprenant l'âge de sa belle ? à ses interrogations s'ajoute une mise en abîme du récit qui à chaque fois est envisagé sous une perspective différente, pour mieux brouiller les pistes et interroger les frontières entre réel et fiction, réel et virtuel.camille laurens
à cela s’ajoute un magnifique portrait de femme quinquagénaire, sans concessions sur la place qui lui est réservée dans la société occidentale ; une femme qui entend bien ne pas s'effacer et revendique son désir.
Papesse de l'autofiction, Camille Laurens se joue ici des codes du genre et nous livre un roman brillant, plein d'énergie et de surprises...
J'avais beaucoup d'a priori sur cette auteure, ils ont été pulvérisés par cette première lecture !

Un grand coup de cœur !

Celle que vous croyez, Camille Laurens, Gallimard 2016.

Merci à Cuné qui m'a donné envie !

Clara est tout aussi enthousiaste !

Antigone aussi ! :)

 

03/02/2016

Un quinze août à Paris...en poche

"Mon univers intérieur avait enflé. Il avait débordé sur le monde extérieur, escamoté, et cependant je n’étais plus vraiment quelqu'un. ou seulement cette observatrice en arrière-plan, qui se contentait de juger avec intransigeance ce grand corps apathique."

En 2009,  en plein été, Céline Curiol se retrouve aux urgences d'un hôpital parisien car elle n'a plus assez de médicaments pour tenir bon face à la  grave dépression qui la lamine. Sa demande est traitée avec désinvolture par un corps médical débordé et/ou qui ne prend pas la mesure de la souffrance ressentie.
Cinq ans plus tard, guérie, Céline Curiol entreprend le récit de cette lente remontée vers le plaisir. Elle analyse avec précision, convoquant aussi bien les écrits scientifiques que romanesques, les mécanismes de réappropriation de son corps, de son rapport au temps,  de sa lutte contre l'angoisse, contre le manque de volonté qui la terrasse.céline curiol
Pas question ici d’auto-apitoiement , à peine mentionnera-telle, comme en passant les deux pertes déclenchant ce qui couvait sûrement à bas feu depuis longtemps, mais une description au plus près de ce qu'on ne décide pas de "faire " comme on le dit trop souvent mais qu'on subit de plein fouet. Un récit comme j'en ai rarement lu. Et zou, sur l'étagère des indispensables !

 Un quinze août à Paris Céline Curiol Babel 2016

 

 

 

01/02/2016

Une famille normale

"Damien se fiche de la décoration, mais s'il avait un avis, bien évidemment, je l'écouterais .Je ne le suivrais sûrement pas (il ne sait pas quelles couleurs se marient bien ensemble), mais je l'écouterais"*

La vie de Cassiopée , Damien et de leurs enfants, sous des dehors de normalité aseptisée, est devenue un jeu de faux-semblants,révélés au lecteur par le biais de la narration alternée. La mort de la mère de Cassiopée, dont apparemment elle n'était pas proche va venir dérégler cette mécanique  bien huilée.
Chacun des membres de la famille prend tour à tour la parole et révèle ses failles, ses espoirs.garance meillon,premier roman
Commencé avec un ton un peu grinçant (et réjouissant), le récit, bien mené par ailleurs, perd un peu en intensité en perdant toute aspérité.Les personnages, par ailleurs attachants, auraient gagné à avoir plus d'ancrage dans leur aspect professionnel (ils sont un peu désincarnés à mon goût) mais une voix se fait entendre dans ce premier roman et c 'est déjà beaucoup.

Une famille normale, Garance Meillon, fayard 2016.garance meillon,premier roman

 

 

 

 

 

 *citation qui prend tout son sel quand juste auparavant Cassiopée, la narratrice a fustigé le fait que son propre père n'a jamais eu son mot à dire.

29/01/2016

Dix-sept ans...en poche

On m'accuse de désinvolture.On a raison Les critiques les plus acerbes sont les plus justes."

Lisant un entretien accordé par Annie Ernaux à l'Humanité où elle rappelle qu"une immense solitude entoure les femmes qui avortent.", Colombe Schneck a le sentiment que la romancière s'adresse à elle et qu'il est temps de raconter l'avortement qu'elle a subi à la veille de passer le bac ,en 1984.
Liberté, insouciance, protection, caractérisent le monde privilégié où évolue Colombe Schneck, à mille lieues donc de celui de l'auteure de L'événement.Pourtant , Colombe Schneck ne partagera pas son chagrin, sa souffrance avant 2015. colombe schneck
Elle pose des mots très justes pour évoquer son rapport au corps, évoque l'histoire de la lutte des femmes ayant abouti à cette liberté, souligne qu'elle toujours remise en question dans le monde .
J'ai été frappée par le flou qui entoure les circonstances précises de son avortement, comme si la mémoire se refusait à enregistrer , pour mieux diluer la souffrance.
Sous une apparente légèreté, en 91 petites pages, Colombe Schneck livre un témoignage sensible et pertinent sur un acte qui ne sera jamais anodin.
Bien évidemment, j'ai envie de lire le roman d'Annie Ernaux, L'événement.

Dix-sept ans, Colombe Schneck, j'ai lu 2016.

23/01/2016

Cherche jeunes filles à croquer...en poche

"Je suis une scène d'absence, vous comprenez ? C'est avec ça que je dois travailler."

Pas de cadavres, mais des disparitions de jeunes filles anorexiques. Une série ? Peut être. Et d'ailleurs, soyons cyniques, il vaudrait mieux que cela soit le cas pour que le groupe du commandant Lanester ne soit dissous, faute de crédits !
Envoyé en renfort de la gendarmerie dans la vallée de Chamonix, l'équipe de criminologie va avoir fort à faire avec les parents des jeunes filles, et surtout avec le personnel d'une prestigieuse clinique spécialisée dans les troubles alimentaires. Sans oublier la remise en question de Lanester, dont les séances avec sa psychothérapeute ponctuent le récit. 416yAjZm2iL._AA160_.jpg
Que voilà un formidable roman ! Sans discours jargonnant ni vulgarisation simplificatrice, mais de manière intelligente et sensible,  il introduit le thème de l'anorexie dans un genre où on ne l'attendait pas: le polar psychologique. De plus, le héros, profileur français,  s'y défait de son aspect "base de données ambulante" et acquiert  ainsi une véritable épaisseur, ce qui le rend bien évidemment encore plus craquant ! Ses coéquipiers, fort différents, apportent chacun leurs compétences et Lanester s'efforce touours de les mettre en valeur, ce qui est,ma foi, fort agréable.
Pas de baisse de rythme dans le récit, mais du suspense et des rebondissements jusqu'à la toute fin où l'on prend conscience de la polysémie du titre (ne comptez pas sur moi pour vous l'expliquer maintenant !). Sans oublier la marque de fabrique de Françoise Guérin : la touche d'humour dont elle ne se départit jamais et qui permet au lecteur de se détendre un peu entre deux serrements de gorge !
Une totale réussite donc et un roman qu'on ne peut lâcher ! Vous voilà prévenus : éteignez les portables et les ordinateurs, glissez-vous bien au chaud et dégustez !

21/01/2016

Les vieux ne pleurent jamais

"C'était une forme de sagesse , sans doute, que proposait Janet, continuer de prétendre au titre, refuser ce jugement  sur nous-mêmes que tant d'attitudes insidieuses envers nous relayaient  pourtant.

Judith Hogen ne se satisfait pas des maigres occupations, stéréotypées et moutonnières, offertes aux personnes âgées  aux États-Unis. Découvrant incidemment une photo ,notre héroïne décide qu'il est temps de renouer avec un passé  français qu'elle voulait aboli.céline curiol
Elle part alors pour son pays natal, là où habite l'homme de la photo.
Réflexion à la fois enjouée, acérée et pleine de bienveillance sur le temps et l'identité, Les vieux ne pleurent jamais est un roman où l'on retrouve avec plaisir le style précis, poétique et imagé de Céline Curiol.
Des scènes très très drôles- la visite de l'usine de glaces Ben & Jerry d'un troupeau de personnes âgées, cornaqué par une jeunette survoltée-  est un morceau d'anthologie- alternent avec la découverte d'un parcours de vie dont nous découvrons au fur et à mesure les fêlures.
Si j'ai été moins enthousiasmée par la partie française, un peu convenue à mon goût, il n'en reste pas moins que Judith Hogen et sa fantasque voisine ont de la ressource !

Un bon moment de lecture ! 324 pages piquetées de marque-pages.

 

Céline Curiol, Actes Sud 2016.

De Céline Curiol : clic

18/01/2016

Le train d'Alger

"Certificat de vie...j'aimerais en avoir un parfois pour m'assurer de ma propre existence."

La narratrice est emplie d'obsessions morbides, auxquelles s'est plutôt habituée car "Cette anxiété perpétuelle, je l'enfile tous les matins à la manière d'une paire de chaussettes."L'origine en est peut être son premier souvenir : elle a trois ans et se trouve à bord d'un train que le FLN a fait sauter en Algérie en 1959. Se confiant à un personnage invisible qu'on devine être un soignant, elle revient sur son enfance en Algérie , sur le retour de ses parents en France, événement dont elle ne garde aucun souvenir ,et se basant sur des essais ou des témoignages recueillis par des chercheurs, brosse le portrait d'un pays qui l'a marquée à jamais.béatrice fontanel,guerre d'algérie
Il aura fallu attendre 1999 pour que "les événements d'Algérie" acquièrent officiellement le statut de guerre pour les Français. De ce conflit , nous ne savons pas grand chose et le roman de Béatrice Fontanel est tout à fait passionnant car il nous en présente une vision en mosaïque, presque prosaïque, la narratrice se demandant par exemple comment les maisons des français ont été attribuées ou occupées par les Algériens, mais aussi poignante quand elle souligne par exemple que certains français ont conservé jusqu'à leur mort la clé de leurs maison abandonnée.
La violence s'insère là-bas dans la vie quotidienne, vie qui continue malgré tout, et le récit du départ des Français est décrit de manière tout à fait poignante, mais sans pathos.
Ce n'est pourtant pas un roman historique au sens classique du terme mais une recherche identitaire où l'on croise régulièrement des fleurs poussant dans le ballast , le long des voies ferrées, herbes folles dont la narratrice égraine avec un plaisir évident les noms et qui prospèrent dans des milieux pour le moins hostiles, des fleurs qui s'agrippent et représentent "l'espoir et la fertilité". De plus, "Les plantes recouvrent les ruines , colmatent les brèches , molletonnent les cassures de toutes sortes.
C'est aussi l'occasion pour la narratrice d'interroger ses parents âgés, qui commencent à perdre la mémoire mais qui ont un relation à la fois intense et pacifiée avec leur passé.
En ces temps de migrations et de terrorisme, le roman de Béatrice Fontanel acquiert un résonance toute particulière.
J'ai été totalement séduite par ce roman que j'ai lu sur la seule foi du nom de l 'auteure, qui allie peinture du quotidien et poésie et recherche identitaire. Et zou, sur l'étagère des indispensables !

Le train d'Alger, Béatrice Fontanel Stock 2015.

De Béatrice Fontanel : clic, reclic

béatrice fontanel,guerre d'algérie

 

11/01/2016

La cache

"Chacun a essayé de s'échapper à sa manière. Cet espace clos, plongé dans le silence, rétif à tout rituel, iconoclaste et anachronique généra des rangées de boîtes de biscuits, des milliers de planches contact, quelques livres d'histoire et des études sur la phonétique ou les rapports aux autres."

Il faut accepter de se perdre (un peu) dans la chronologie et parmi les membres de cette famille qui, sur deux générations,va transmettre aux siens ses névroses et ses peurs. En effet,  l'antépénultième chapitre consacré à l'"Entre-deux"  éclaircit ,dans le labyrinthe de cette maison, à la fois refuge et prison, le secret du grand-père du narrateur.christian boltanski
Celui-ci, mettant en scène un faux départ, vivra en effet caché chez lui, en plein Paris, pour se mettre à l'abri des rafles visant les Juifs .
De ce traumatisme lié à l'identité, la famille ne sortira pas indemne, refusant de se séparer, recréant dans la voiture cet espace clos et sécurisant, quand il est impératif de sortir.
Christophe Boltanski, le neveu du plasticien Christian Boltanski, écrivant ce roman-vrai , brosse,  à travers le portrait d'une maison qui structure son récit (et devient un personnage à part entière),celui d’une famille hors-normes , à la fois marquée par l'Histoire et par la créativité.
Une expérience qui rend un peu claustrophobe, récompensée, à juste titre, par le prix Femina 2015.


La cache, Christophe Boltanski, Stock 2015, 335 pages.

Le billet tentateur de Clara

 

Déniché à la médiathèque.

 

07/12/2015

Les ennemis de la vie ordinaire

"Être addict, ça ne me défrise pas. Je suis addict , et alors. Le problème, c'est de se donner les moyens de son addiction."

Voici une jolie"bande d'irréductibles, d'asociaux [...] de fous furieux" réunie par une thérapeute résolue à bouleverser le monde de la thérapie en réunissant dans un groupe de parole transversal  des gens de milieux sociaux très différents et accro qui au sexe, qui à la drogue, qui au sport, entre autres.
Un mélange détonnant qui ne va certainement pas atteindre les résultats escomptés et ce, pour le plus grand plaisir du lecteur qui se laisse embarquer dans ce récit où l'on croise un prêtre accro à la coke, sosie du pape François, célébrant une messe inoubliable et qui m'a fait éclater de rire. Car oui, si l'on n'est pas adepte du politiquement correct, on rit et sourit beaucoup en lisant ce roman qui ose beaucoup  (mais sait aussi ménager quelques délicates ellipses).héléna marienské
Des personnage féminins très forts, qui, comme Mylène, sont des "guerrières, des ennemies de la vie ordinaire", même si au départ, elles se considèrent plutôt comme des épaves.
Seul petit bémol: toutes les subtilités du poker , dont il est beaucoup question dans la dernière partie du roman, m'ont totalement échappé , mais ce n'est pas bien grave. un roman tonique, iconoclaste et drôle.

Les ennemis de la vie ordinaire, Héléna Marienské Flammarion 2015, 319 pages jouissives.

déniché à la médiathèque.

 d’Héléna Marienské : clic